Intervention de Adeline Hazan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 juillet 2014 : 3ème réunion
Audition de Mme Adeline Hazan candidate proposée par le président de la république aux fonctions de contrôleur général des lieux de privation de liberté

Adeline Hazan :

Merci pour votre accueil. Je suis très honorée de la proposition du Président de la République et je veux rendre hommage au Parlement, notamment au Sénat, pour avoir créé cette importante institution par la loi d'octobre 2007. Les travaux parlementaires ont été essentiels et je salue le rapport de M. Hyest de mai 2000, fait au nom de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, qui posait déjà de multiples questions relatives à l'enfermement. Ce rapport a été à l'origine de la proposition de loi évoquant la création d'une instance de contrôle des lieux de privation de liberté et à la loi du 30 octobre 2007 créant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté - une institution de prévention mais aussi de contrôle des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Je rends hommage aux sénateurs de votre commission, notamment à Mme Tasca qui, comme rapporteur de la loi du 26 mai 2014, a souhaité que le Parlement tire les conclusions des six années de vie de cette institution. Cette loi accroit les compétences du Contrôleur général, notamment en ce qui concerne les reconduites à la frontière et le droit d'accès à certains documents administratifs. Ce texte a réaffirmé que la prison était un espace de droit et la personne privée de liberté un sujet de droit.

La création du Contrôleur général a permis à la France de se mettre en conformité avec les textes internationaux, notamment le protocole facultatif des Nations unies de 2002.

Je suis devant vous pour vous convaincre que mon parcours professionnel, politique, électif, syndical et associatif m'a préparée à l'exercice de cette mission. La thématique des droits fondamentaux a été le fil conducteur de tout mon engagement jusqu'à aujourd'hui.

J'ai débuté ma carrière de magistrat en 1980 comme juge de l'application des peines dans la Marne. Entre 1983 et 1990, j'ai été juge des enfants. Ces deux fonctions sont à la frontière du droit, du champ social et de la psychologie. J'ai ensuite été chargée de mission pendant un an auprès de M. Hubert Prévot, secrétaire général à l'intégration, puis j'ai été responsable du pôle prévention de la délinquance et citoyenneté à la délégation interministérielle à la ville de 1990 à 1995 où j'ai eu l'immense honneur de travailler aux côtés de Jean-Marie Delarue.

De 1997 à 1999, j'ai été chargée des questions d'intégration et de la politique de la ville au cabinet de la ministre du travail et des affaires sociales. Ces fonctions m'ont familiarisée avec les rouages de l'action ministérielle et interministérielle. J'ai ensuite été élue députée européenne en 1999 et je le suis restée jusqu'en 2008, ayant démissionné après mon élection à la mairie de Reims. Au Parlement européen, j'ai toujours siégé au sein de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. J'ai participé à la construction de l'espace judiciaire européen, j'ai été en 2006 rapporteure d'une recommandation du Parlement européen au Conseil sur l'évaluation du mandat d'arrêt européen et j'ai été rapporteure pour mon groupe politique de la directive « retour ».

De 2008 à 2014, j'ai été maire de Reims et présidente de l'agglomération rémoise ; ces deux mandats m'ont donné l'expérience de la gestion d'une grande collectivité : 190 000 habitants pour la ville, 220 000 pour l'agglomération, environ 2 500 agents à diriger. Ces fonctions m'ont permis de travailler en étroite collaboration avec les autorités judiciaires et policières sur toutes les questions touchant à la sécurité et à la prévention de la délinquance. Nous avons réussi à mettre en place des groupes d'études de la délinquance dans certains quartiers et nous avons doté les femmes victimes de violences de téléphones portables d'alerte.

La fonction de maire m'a également conduite à être présidente du conseil de surveillance du CHU de Reims, ce qui m'a permis de mieux connaître ce milieu, notamment les personnes hospitalisées sous contrainte. J'ai également dû prononcer quelques hospitalisations sous contrainte en urgence pour 24 heures.

Cet itinéraire, dont le fil conducteur a été la défense des droits, m'a préparée, je crois, à l'exercice du mandat de Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Je veux rendre hommage à l'immense travail effectué par Jean-Marie Delarue lors de ce premier mandat de Contrôleur général. Je connais ses qualités professionnelles, sa rigueur, son intégrité, son obstination aussi, car il en faut à ce poste. Il a su être à la fois l'interlocuteur des personnes privées de liberté, des pouvoirs publics, mais aussi « donner à voir l'invisible », montrer en quoi il fallait trouver un équilibre entre le nécessaire respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et les exigences de la puissance publique. Grace à lui, l'enfermement est à nouveau part intégrante du débat public. Il a également su dénoncer certains scandales de notre démocratie comme l'état de nos prisons, avec des actions spectaculaires aux Baumettes ou dans certains centres éducatifs fermés. Un seul regret : il n'a pas toujours été entendu, mais je ne désespère pas que ses recommandations, et celles que je prendrai si vous m'accordez votre confiance, seront prises en compte par les pouvoirs publics.

Jean-Marie Delarue a été extrêmement présent sur le terrain : il a effectué 150 visites par an. Au bout des six ans, il a visité l'ensemble des établissements pénitentiaires, un nombre important de commissariats, de centres éducatifs fermés, de centres de rétention et un certain nombre d'hôpitaux psychiatriques. Ce travail de terrain différencie donc la mission du Contrôleur général de celle du Défenseur des droits qui a plutôt un rôle de médiation. Ces deux missions sont donc complémentaires et non pas concurrentes comme certains le disent.

Pour les années à venir, il faudra se pencher sur l'état indigne de nos prisons et sur la surpopulation carcérale : 68 500 détenus en juin pour 57 740 places. Hier, Mme Taubira a visité la maison d'arrêt de Bois d'Arcy dont le taux d'occupation s'élève à 170 %, ce qui est inacceptable. Seules 14 000 personnes bénéficient aujourd'hui d'un aménagement de peine : il est possible de faire davantage. Il convient de développer les peines alternatives à la prison et je salue les travaux du Sénat sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines avec l'instauration de la contrainte pénale et la suppression des peines planchers, ce qui permettra de réduire le nombre de personnes incarcérées et de sorties sèches. Je salue également les dispositions de ce projet de loi imposant un entretien avec chaque détenu aux deux-tiers de la peine pour préparer sa sortie.

Les conditions matérielles des détenus sont indignes au regard des droits fondamentaux. En outre, plus un séjour en prison est difficile, plus les risques de récidive sont élevés. Je salue votre travail : la commission mixte paritaire d'hier est parvenue à un accord difficile, mais équilibré, qui va permettre le vote de la réforme pénale dans quelques jours.

Le Contrôleur général doit être vigilant sur les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire. Leur mission est encore plus difficile, parfois même intenable, du fait de la surpopulation carcérale. La garde des sceaux a annoncé hier 200 nouveaux recrutements dès cette année et la création de 100 postes supplémentaires en 2015.

J'en viens à l'hospitalisation sous contrainte : il s'agit de lieux de soins, mais aussi de privation de liberté et la situation des patients qui s'y trouvent doit s'améliorer. Certains patients ont du mal à connaître leurs droits et les recours possibles. Les mesures de contention et de contrainte sont parfois utilisées de façon abusive. Après un passage en unité pour malades difficiles (UMD), les patients ont parfois du mal à être réorientés dans leur établissement d'origine. La notion d'altération du discernement est parfois utilisée par les juges comme une circonstance aggravante.

Enfin, environ 30 % des détenus souffriraient de troubles psychiatriques. Il convient donc d'accroître le nombre de personnels soignants et de mieux former le personnel pénitentiaire à la détection de ces maladies.

Il faut également se pencher sur la situation des détenus en situation de handicap, des personnes retenues en centre de rétention administrative et des mineurs en centres éducatifs fermés. Dans ce dernier cas, il faudra veiller à l'élaboration de projets éducatifs car ces lieux ne doivent pas simplement servir à retenir des mineurs difficiles. Enfin, il faudra que les personnes retenues dans les commissariats et les étrangers en prison soient mieux informés de leurs droits.

Je veux saluer à nouveau la parfaite collaboration entre le Sénat et le Contrôleur général : grâce à vous, cette institution s'est ancrée dans notre démocratie. Parmi toutes les autorités administratives indépendantes, le Contrôleur général a eu l'honneur d'être le plus entendu par votre commission. Si vous confirmez ma nomination, je ne doute pas que cette collaboration continuera dans les mêmes conditions.

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