Mon parcours professionnel m'a préparé à cette mission, puisque je me suis intéressée aux droits fondamentaux comme aux prisons, notamment dans mon premier poste de juge de l'application des peines. Je suis engagée en politique, je ne m'en cache pas. Mais être élue locale ou européenne empêche-t-il l'impartialité ou l'indépendance ? Il y a plusieurs moments dans une vie. L'engagement partisan, qui était au premier plan dans la mienne, fera place à l'indépendance, qui est l'essence même de la fonction à laquelle j'aspire. Je ne ferai aucun compromis avec aucune autorité, de quelque bord politique qu'elle soit. Je formulerai mes propositions, recommandations, avis et, le cas échéant, je dénoncerai de la même manière quelle que soit la couleur politique du Gouvernement. Il va aussi de soi - la loi l'impose - que si le Président de la République me nomme Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je démissionnerai de mes fonctions de conseillère municipale et de conseillère d'agglomération - d'opposition - à Reims, ainsi que de mes fonctions de secrétaire nationale du PS. L'exercice de cette fonction requiert en effet la plus grande indépendance. Il m'est du reste arrivé de ne pas suivre la position du Gouvernement. Je n'aurai donc aucun problème pour dénoncer une situation ou une politique publique.
Madame Tasca, M. Delarue s'était fixé comme méthode de réaliser 150 visites d'établissements par an. Je continuerai dans cette voie. Je commencerai par retourner dans les prisons visitées pour vérifier que les recommandations faites après la première visite ont été mises en oeuvre. Les équipes du Contrôleur ont d'ailleurs un rythme de travail qui les conduit sur le terrain deux semaines sur quatre.
Faut-il étendre la compétence du Contrôleur général aux EHPAD ? La question est sensible. Il a été décidé que, puisque les pensionnaires de ces établissements ne s'y trouvaient pas par décision de la puissance publique, ils ne devaient pas relever du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le vieillissement de la population ne manquera pas de remettre cette question à l'ordre du jour car ces établissements exercent des contraintes sur leurs pensionnaires. Ce dossier n'est donc pas fermé. M. Delarue a d'ailleurs récemment évoqué avec la secrétaire d'État aux personnes âgées le principe d'une expérimentation.
Les questions du travail et de l'éducation en prison ne sont pas assez évoquées dans le débat public. Le travail en prison est insuffisamment développé, alors qu'il s'agit d'une condition essentielle de la réinsertion à la sortie. Lorsqu'il est effectué, il n'ouvre pas les mêmes droits qu'à l'extérieur.
Monsieur Michel, la question des lieux d'hospitalisation sous contrainte a donné lieu à d'abondants débats. La loi de 2011 a fait intervenir le juge des libertés et de la détention, même si son appellation ne s'y prête guère. Une QPC a conduit à la loi de 2013, qui prévoit que ce juge vérifie dans un délai de 15 jours, puis dans un délai de 10 jours, la nécessité du placement. Il fallait instaurer un meilleur suivi, même si ni les psychiatres ni les juges n'y étaient favorables. En pratique, les auditions ne se font plus dans les tribunaux mais, le plus souvent, dans les hôpitaux. Une meilleure formation des magistrats sur cette question est souhaitable.
Monsieur Mézard, vous avez dit en parlant de M. Delarue que l'homme avait fait la fonction. J'espère que la femme le pourra aussi ! Je m'inscrirai, avec ma personnalité et mon expérience, dans la continuité de ses méthodes.
Les relations avec les directeurs d'établissements pénitentiaires sont capitales. Je sais la difficulté des missions exercées par le personnel pénitentiaire, surtout dans l'état actuel des prisons. Les directeurs d'établissements pénitentiaires que j'ai rencontrés sont des personnes extraordinaires, avec lesquelles je pense pouvoir bien travailler.
M. Grosdidier m'a demandé si la prison était l'école de la récidive. La formule est connue. Tout détenu ne va pas récidiver, mais en l'absence d'éducation, de formation, de travail et de préparation à la sortie, oui, la prison est l'école de la récidive. La loi pénitentiaire de 2009 a eu le mérite d'affirmer que, si le temps en prison correspond à une nécessité de préservation de l'ordre public, il a aussi pour finalité de préparer la sortie, par l'éducation, la formation, le travail... La loi qui a fait l'objet de la commission mixte paritaire d'hier s'inscrit dans le même esprit. Le recours à la prison doit être le dernier recours : les juges doivent de préférence prononcer des peines alternatives.
La construction de nouvelles prisons est-elle un sujet tabou ? La prison doit être la dernière solution, et les juges doivent donner la priorité aux peines alternatives à la prison. L'urgence, en France, est de mettre aux normes les prisons actuelles. Avec 110 à 180 % de surpopulation carcérale, la situation est insupportable, alors même que la loi pénitentiaire avait rappelé le principe de l'encellulement individuel, qui aurait dû devenir réalité en novembre 2014.
Il faut améliorer les services psychiatriques en prison. L'hospitalisation sous contrainte doit être d'abord considérée comme un moment de soin, non comme un moment de contrainte. Faute de personnel, il est parfois fait usage de mesures de contention ou d'isolement qui ne sont pas fondées sur des motifs médicaux mais répondent à des exigences disciplinaires. À cet égard, la plus grande vigilance s'impose.
M. Delarue avait abordé la question des téléphones portables en prison. C'est un sujet sensible. Je souhaite d'abord me pencher sur l'utilisation des téléphones fixes. La réinsertion, on le sait, est grandement favorisée par le maintien des liens familiaux. La manière dont les détenus sont autorisés à se servir des téléphones, dans les coursives ou les cours de promenade, à des horaires restreints, sans intimité, n'est pas de nature à favoriser ce maintien. La question des téléphones portables doit être abordée avec pragmatisme. Nous savons que certains détenus en ont, en toute illégalité. Ne vaudrait-il pas mieux une utilisation réglementée, restreinte à certains numéros par exemple ?
Je félicite M. Lecerf pour son engagement. Je ne sais pas comment la proportion de 60 % de musulmans a pu être évaluée. Certes, l'intégrisme pose problème, mais moins en prison qu'à l'extérieur, tous les observateurs le disent.
J'ai déjà répondu à M. Cointat sur l'autorité. Les réticences de l'administration pénitentiaire dénoncées par M. Delarue ont conduit à la loi de mai 2014 qui crée le délit d'entrave à l'exercice des missions du Contrôleur général.
Je n'ai pas compté les prisons visitées, mais en tant que juge d'application des peines à Châlons-sur-Marne, je passais trois jours par semaine en établissement pénitentiaire. J'ai visité la prison de Reims, effectué des missions sur des centres de détention en tant que députée européenne, j'ai visité des commissariats de police... Bref, je crois connaître assez bien les lieux de privation de liberté.
Le bracelet électronique est une des alternatives à la prison, mais n'en faisons pas la panacée : certains condamnés ont indiqué que c'était parfois plus dur que l'enfermement !
La situation des centres de rétention n'est pas satisfaisante. Les droits des personnes retenues ne sont pas assez protégés. Si possible, les repas qui y sont servis doivent respecter les exigences confessionnelles de chacun.
Monsieur Desplan, le rôle des familles est essentiel ; il fait partie de la mission du Contrôleur général de s'assurer que les lieux d'accueil des familles - qui se multiplient - fonctionnent correctement.