Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Evolutions stratégiques des etats-unis : quelles conséquences pour la france et pour l'europe — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Chers Collègues, marqués par un engagement militaire important - le plus important depuis le Vietnam - en Afghanistan et en Irak, par une crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930 et par une division politique profonde, les États-Unis doutent.

La chute du mur de Berlin les avait laissés seuls, sans adversaire à leur taille et surtout sans adversaire proposant une autre vision du monde. D'aucun parlait d'un monde unipolaire et d'un hégémon américain fondé sur les principes de l'économie libérale et les droits de l'homme, sur la puissance du dollar et sur une force militaire qui gendarmerait le monde.

Le 11 septembre 2001, la réalité d'une menace asymétrique, non étatique, a été douloureusement perçue, suscitant une réaction vigoureuse, surdimensionnée peut-être, pour réaffirmer la force des États-Unis, mais cette réaction les a affaiblis sur le plan humain, sur le plan moral, sur le plan militaire et sur le plan économique.

D'où cette volonté du président Obama de reconstruire la Nation et, dans un second temps, de penser à l'expression de son rôle sur la scène internationale, à sa mission et aux modalités d'usage de sa force.

Dans ce contexte, il offre une vision renouvelée du rôle des États-Unis sur le plan international. Vision renouvelée mais loin d'être partagée. Celle d'un président en proie aux critiques d'un Congrès polarisé comme jamais. Une vision encore un peu floue, qui se dessine à travers des déclarations, des documents et des actes, mais qui, surtout, doit composer avec la réalité brutale de l'actualité internationale au prix de nombreuses contradictions et avec l'inertie propre aux énormes appareils diplomatique et de défense américains. Vision qui contraste avec celle à laquelle nous avait habitués la présidence de George. W. Bush, celle d'un interventionnisme musclé avec l'envoi de corps expéditionnaires nombreux, stratégie dont les résultats en Afghanistan, comme en Irak, sont pour le moins mitigés.

Cette vision, nous la présentons telle que nous l'avons perçue à travers les entretiens que nous avons conduits à Washington, à Norfolk et à Paris.

Dans un monde multipolaire qui se construit progressivement, les États-Unis redéfinissent leur place - une place compatible avec l'émergence d'autres puissances en devenir - et leur rôle : la « Nation indispensable » pour préserver la paix, prévenir les conflits et assurer la liberté de circulation qui doit influer par sa diplomatie, nouer des alliances, prendre part à la construction d'un droit international, mais qui ne peut tout faire : aux États concernés par les conflits et les crises d'assurer premièrement et pleinement leurs responsabilités. Les États-Unis n'ont pas renoncé à intervenir dans le monde, mais de façon plus réaliste, moins idéologique ; ils n'ont pas renoncé à façonner le monde mais par l'influence plus que par la force. Barack Obama dans son discours de West Point le 28 mai dernier ne déclarait-il pas : « avoir le meilleur marteau ne signifie pas que nous devons considérer tous les problèmes comme des clous ».

Enfin, le rééquilibrage des modes d'action se combine au rééquilibrage des priorités géographiques qui confirme une réorientation progressive vers l'Asie et le Pacifique. Les États-Unis prêteront plus d'attention et alloueront davantage de moyens à cette zone, ce qui ne signifie pas qu'ils se désintéresseront des autres parties du monde, notamment de celles où ils sont engagés.

Certains critiquent cette nouvelle attitude comme l'aveu d'une faiblesse qui enhardira les adversaires et dès lors inquiètera les partenaires et alliés. C'est sans doute tragiquement vrai sur le court terme. Il est moins sûr que cela le soit sur le long terme, car les États-Unis restent puissants et disposent d'autres moyens que la force brutale pour assouplir ce qui est raide et rendre droit ce qui est tordu. Mais il est vrai que la survenance de crises et la nécessité de les résoudre obligent parfois à des retours en arrière et à des contradictions par rapport à la vision initiale, l'impasse irakienne en fournit un édifiant exemple.

Confrontés à ces changements, les partenaires et alliés des États-Unis doivent se poser trois questions auxquelles nous essaierons de répondre au terme de cette analyse. Ce changement porté par le président Obama et son équipe est-il pérenne ? Quelles conséquences faut-il en tirer pour ajuster notre diplomatie et notre outil militaire ? Comment faire évoluer, dans ce contexte, nos alliances qu'il s'agisse de l'Union européenne et de l'OTAN ?

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