Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • allié
  • américain
  • américaine
  • menace
  • militaire
  • puissance
  • États-unis

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Chers Collègues, marqués par un engagement militaire important - le plus important depuis le Vietnam - en Afghanistan et en Irak, par une crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930 et par une division politique profonde, les États-Unis doutent.

La chute du mur de Berlin les avait laissés seuls, sans adversaire à leur taille et surtout sans adversaire proposant une autre vision du monde. D'aucun parlait d'un monde unipolaire et d'un hégémon américain fondé sur les principes de l'économie libérale et les droits de l'homme, sur la puissance du dollar et sur une force militaire qui gendarmerait le monde.

Le 11 septembre 2001, la réalité d'une menace asymétrique, non étatique, a été douloureusement perçue, suscitant une réaction vigoureuse, surdimensionnée peut-être, pour réaffirmer la force des États-Unis, mais cette réaction les a affaiblis sur le plan humain, sur le plan moral, sur le plan militaire et sur le plan économique.

D'où cette volonté du président Obama de reconstruire la Nation et, dans un second temps, de penser à l'expression de son rôle sur la scène internationale, à sa mission et aux modalités d'usage de sa force.

Dans ce contexte, il offre une vision renouvelée du rôle des États-Unis sur le plan international. Vision renouvelée mais loin d'être partagée. Celle d'un président en proie aux critiques d'un Congrès polarisé comme jamais. Une vision encore un peu floue, qui se dessine à travers des déclarations, des documents et des actes, mais qui, surtout, doit composer avec la réalité brutale de l'actualité internationale au prix de nombreuses contradictions et avec l'inertie propre aux énormes appareils diplomatique et de défense américains. Vision qui contraste avec celle à laquelle nous avait habitués la présidence de George. W. Bush, celle d'un interventionnisme musclé avec l'envoi de corps expéditionnaires nombreux, stratégie dont les résultats en Afghanistan, comme en Irak, sont pour le moins mitigés.

Cette vision, nous la présentons telle que nous l'avons perçue à travers les entretiens que nous avons conduits à Washington, à Norfolk et à Paris.

Dans un monde multipolaire qui se construit progressivement, les États-Unis redéfinissent leur place - une place compatible avec l'émergence d'autres puissances en devenir - et leur rôle : la « Nation indispensable » pour préserver la paix, prévenir les conflits et assurer la liberté de circulation qui doit influer par sa diplomatie, nouer des alliances, prendre part à la construction d'un droit international, mais qui ne peut tout faire : aux États concernés par les conflits et les crises d'assurer premièrement et pleinement leurs responsabilités. Les États-Unis n'ont pas renoncé à intervenir dans le monde, mais de façon plus réaliste, moins idéologique ; ils n'ont pas renoncé à façonner le monde mais par l'influence plus que par la force. Barack Obama dans son discours de West Point le 28 mai dernier ne déclarait-il pas : « avoir le meilleur marteau ne signifie pas que nous devons considérer tous les problèmes comme des clous ».

Enfin, le rééquilibrage des modes d'action se combine au rééquilibrage des priorités géographiques qui confirme une réorientation progressive vers l'Asie et le Pacifique. Les États-Unis prêteront plus d'attention et alloueront davantage de moyens à cette zone, ce qui ne signifie pas qu'ils se désintéresseront des autres parties du monde, notamment de celles où ils sont engagés.

Certains critiquent cette nouvelle attitude comme l'aveu d'une faiblesse qui enhardira les adversaires et dès lors inquiètera les partenaires et alliés. C'est sans doute tragiquement vrai sur le court terme. Il est moins sûr que cela le soit sur le long terme, car les États-Unis restent puissants et disposent d'autres moyens que la force brutale pour assouplir ce qui est raide et rendre droit ce qui est tordu. Mais il est vrai que la survenance de crises et la nécessité de les résoudre obligent parfois à des retours en arrière et à des contradictions par rapport à la vision initiale, l'impasse irakienne en fournit un édifiant exemple.

Confrontés à ces changements, les partenaires et alliés des États-Unis doivent se poser trois questions auxquelles nous essaierons de répondre au terme de cette analyse. Ce changement porté par le président Obama et son équipe est-il pérenne ? Quelles conséquences faut-il en tirer pour ajuster notre diplomatie et notre outil militaire ? Comment faire évoluer, dans ce contexte, nos alliances qu'il s'agisse de l'Union européenne et de l'OTAN ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Les États-Unis ont payé un lourd tribut tant en vies humaines que sur le plan économique à leurs engagements en Irak et en Afghanistan. 2 500 000 hommes ont été déployés. Plus de 6 800 morts et de 52 000 blessés ont été dénombrés, sans compter les conséquences post-traumatiques sur les soldats concernés. De surcroît les deux guerres ont été financées par l'emprunt. Entre la charge des pensions et d'assistance médicale aux vétérans et celle de la dette, l'Amérique n'en a pas fini de payer un engagement dont le coût global se chiffre en milliers de milliards de dollars.

En outre, l'enchaînement des crises financières de 2007 et 2008 a fait entrer les États-Unis en récession entraînant la destruction de 8 à 9 millions d'emplois, une très forte baisse du patrimoine des ménages et une explosion des déficits publics. Si les États-Unis sont, depuis 2010, sortis de la crise, la reprise de l'économie demeure fragile. Comme l'a souligné Mme Christine Lagarde, Les cicatrices de la récession sont encore visibles.

Lassée par des engagements militaires lourds et touchée par les conséquences de la crise, l'opinion publique revendique un recentrage de l'action publique sur les défis intérieurs et se montre rétive à tout envoi de soldats américains au sol.

Cette « war fatigue » justifie la promesse du candidat Obama en 2008 de mettre fin à ces deux conflits. Elle explique sa prudence dans la gestion des crises. Élu pour tourner la page des années G.W. Bush, il hésitera à engager des interventions militaires extérieures. Il optera assez systématiquement pour les voies diplomatiques afin de les résoudre et, si l'engagement militaire est nécessaire, pour des modalités destinées à en limiter l'ampleur et la durée.

De fait, les questions internationales et de défense sont passées au second plan et en outre, elles ne sont plus épargnées par les blocages institutionnels auxquels les États-Unis sont confrontés.

Faut-il rappeler ce paradoxe ? Dans un système présidentiel, le Président, réduit à la fonction exécutive, ne peut agir sans l'accord du Congrès. Il n'a d'autre pouvoir que de « persuader » Représentants et Sénateurs ou de mettre un veto à leurs initiatives. La séparation stricte des pouvoirs ne fonctionne que si l'esprit de compromis prévaut. Or, les situations de blocages ont tendance à se multiplier et à s'ancrer dans la durée, au point de rendre plus visqueux ce système de gouvernance et parfois de le paralyser.

Cette situation résulte d'une polarisation partisane qui s'est accentuée. Les deux partis, Républicains et Démocrates, sont devenus plus homogènes que jamais, rassemblant pour le premier tous les conservateurs, dont les radicaux du Tea Party, pour le second, tous les progressistes.

En conséquence, le Président Obama, depuis 2010, doit faire face à une majorité républicaine à la Chambre des Représentants qui se durcit et qui pratique la surenchère idéologique. Les compromis nécessaires, pour faire aboutir les initiatives du Président et voter le budget annuel, sont difficiles à élaborer.

Cette situation a eu pour conséquence la fin d'une singularité qui préservait les crédits de la défense, notre collègue Alain Gournac y reviendra.

La « nouvelle stratégie » des États-Unis a été redéfinie dans ce contexte. Elle rappelle les intérêts des États-Unis qui constituent des invariants à savoir :

- la sécurité de la Nation, de ses alliés et de ses partenaires ;

- la prospérité qui découle d'un système économique international ouvert et libre ;

- un ordre international juste et soutenable dans lequel les droits et responsabilités des nations et des peuples sont respectés, particulièrement les droits humains fondamentaux.

Elle appréhende aussi les changements de l'environnement international. Elle est désormais fondée sur l'acceptation d'un monde multipolaire dans lequel les États-Unis devront cohabiter avec d'autres puissances mais continueront à demeurer la première. Ce leadership ne pourra être assumé que par un interventionnisme limité et par un rééquilibrage des moyens en fonction des enjeux.

Si le contexte géopolitique actuel reste assez favorable aux États-Unis, comparé à la situation de la Guerre froide, l'environnement sécuritaire est instable et les États-Unis distinguent plusieurs types de risques et de menaces pour les intérêts américains et ceux de leurs alliés :

- Les risques et menaces liés à l'affirmation de la puissance militaire de certains États importants. Dans la perception américaine, il ne s'agit pas de menaces directes contre les intérêts américains, mais d'affirmation de puissance qui inquiètent leurs alliés et troublent la stabilité internationale comme l'agression de la Russie contre d'anciens États soviétiques ou l'affirmation de la puissance maritime de la Chine.

- Les risques et menaces liés aux actions d'États imprévisibles et qui se situent délibérément en marge du système international comme l'Iran et la Corée du nord qui aspirent à se doter d'armes nucléaires et de missiles balistiques et qui, de fait ou par leurs actions, menacent leurs voisins alliés des États-Unis

- L'évolution des menaces non-étatiques : terrorisme, criminalité organisée, particulièrement dans les États fragiles, avec une diffusion de la menace terroriste allant du Sahel à l'Asie du Sud.

- L'évolution des nouvelles formes de menaces dans un espace de combat aérien, maritime, spatial, et cybernétique, disputé, là où les forces américaines bénéficiaient jusqu'à maintenant d'une position dominante. Les États-Unis sont très sensibles à la préservation de la liberté de circulation maritime et aérienne et considèrent que des acteurs étatiques et non-étatiques posent des menaces potentielles pour l'accès à ces espaces communs par leur opposition aux règles existantes ou par des tentatives de dénis d'accès.

- Enfin, la prolifération des armes de destructions massives.

Pour préserver leurs intérêts, les États-Unis continueront dans les prochaines années à s'engager dans le monde et à y exercer leur leadership.

Cette conviction est étayée par la demande récurrente d'un engagement américain dans les affaires mondiales par les partenaires (européens ou asiatiques) tandis qu'aucune autre puissance ne saurait véritablement exercer un leadership alternatif. Ils demeureront donc la puissance indispensable pour assurer la paix et la stabilité.

Puissance indispensable, certes, mais raisonnable dans son engagement. « La question à laquelle nous faisons face, n'est pas de savoir si l'Amérique montrera la voie mais comment nous le ferons, dire que nous avons intérêt à promouvoir la paix et la liberté au-delà de nos frontières ne signifie pas que tout problème a une solution militaire.

Face aux crises, la prudence à toute épreuve affichée par le président Obama a conduit à définir un nouveau type d'engagement reposant sur une utilisation ordonnée et articulée des moyens diplomatiques et militaires. Cette doctrine tranche avec la doctrine « la paix par la force » mise en oeuvre par le président George W. Bush lors de son premier mandat.

L'emploi de la puissance militaire n'est donc qu'un outil parmi d'autres. Son usage unilatéral s'impose quand les intérêts cruciaux l'exigent à savoir « lorsque notre peuple est menacé, lorsque nos moyens d'existence sont en jeu, lorsque la sécurité de nos alliés est en danger ».

En cas de menaces indirectes, la force militaire est outil ultime après épuisement des autres modalités «la barre pour une intervention militaire doit alors être placée plus haut. Dans de telles circonstances, nous ne devons pas agir seuls, mais plutôt mobiliser nos alliés et partenaires pour entreprendre une action collective. Nous devons élargir la gamme de nos outils pour y inclure la diplomatie et le développement, les sanctions et l'isolement, les appels au droit international et, si elle se révèle juste, nécessaire et efficace, l'action militaire multilatérale. »

Plusieurs exemples récents l'illustrent : Syrie, Iran, Mer de Chine, Ukraine.

Cette combinaison des outils est mise en oeuvre pour toutes les situations jusque et y compris la lutte contre la principale menace : le terrorisme. L'objectif de la nouvelle stratégie sera d'agir avec plus de souplesse et de discrétion, en s'appuyant sur des alliances et en renforçant les partenaires locaux, de limiter les risques de rejet par les populations et donc d'enracinement des terroristes dans le tissu social. Ces partenariats n'excluent pas une intervention militaire directe. L'Amérique n'a pas cessé d'intervenir militairement, elle le fait juste d'une autre manière et emploie des modes d'actions plus discrets à base de drones, de forces spéciales et de renseignement, ce qu'on a qualifié d' « empreinte légère ».

Il en va de même des actions menées pour renforcer et faire respecter l'ordre mondial. On a vu ce « leadership en retrait » expérimenté dans l'épisode libyen en 2011. Cette nouvelle posture amène les États-Unis à insister sur le transfert d'une part des responsabilités et des financements aux alliés traditionnels, notamment au sein de l'OTAN mais aussi avec le Japon, la Corée du sud et l'Australie en Asie-Pacifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

La nouvelle stratégie américaine a une vision plus positive de l'action des organisations internationales et de l'usage du droit international. Barack Obama entend que les États-Unis participent à leur modernisation et pour lui, passer par des institutions internationales telles que l'ONU, ou respecter le droit international, n'est pas un signe de faiblesse.

Il a également une vision plus positive du droit comme outil de prévention des conflits que ses prédécesseurs. Son approche est cohérente, mais elle requerra que le Congrès la partage ce qui est loin d'être évident. Elle est fondée sur l'exemplarité des États-Unis, sa capacité à influencer le monde et à être un acteur en phase avec la communauté internationale.

Enfin le dernier élément du leadership américain est la disposition à agir au nom de la dignité humaine. On perçoit cet attachement dans l'attitude des États-Unis qui ont pu faire évoluer la situation des droits de l'homme en Birmanie, et sont très sensibles à celle de l'Égypte ou de la Thaïlande depuis les coups d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

La stratégie des États-Unis, officialisée à l'automne de 2011, est présentée comme un pivotement vers l'Asie-Pacifique rendu possible par le désengagement d'Irak et d'Afghanistan et nécessaire par la croissance des intérêts américains dans cette zone. Cela n'empêche pas le maintien d'un engagement robuste pour la sécurité et la stabilité en Europe et au Moyen-Orient et d'une approche mondiale pour lutter contre le terrorisme.

Les États-Unis ont été de longue date engagés dans la zone Asie-Pacifique (60% de la population mondiale, 35% du PIB) qui restera dans les prochaines années celle où les taux de croissance devraient être les plus élevés. Il s'agit donc de mettre les États-Unis en position de profiter pleinement de sa dynamique La zone peut devenir une source de tensions fortes en raison de sa conflictualité potentielle qu'il s'agisse du développement d'armes de destruction massive et de missiles balistiques par la Corée du Nord, de la militarisation de la Chine et de ses voisins, des conflits latents en Mer de Chine, et des enjeux en termes de liberté d'accès et de circulation dans les espaces maritimes.

La stratégie du rééquilibrage vise à stabiliser la région en dissuadant la Corée du Nord qui demeure un État menaçant, en préparant et en accompagnant l'inéluctable montée en puissance de la Chine et sa capacité à défier dans le futur la puissance américaine, en établissant un réseau d'alliés et de partenaires dans sa périphérie et en l'impliquant davantage.

Chine et États-Unis ont misé sur la paix et la stabilité de l'Asie de l'est et ont intérêt à bâtir une relation de coopération bilatérale. Malgré tout, la croissance de la Chine inquiète, et notamment, sur le plan militaire. Ses dépenses ont atteint en 2013 139 milliards de $ soit le deuxième rang mondial avec des taux de croissance annuels supérieurs à 10 % depuis 3 ans. Elle affirme sa puissance en Mer de Chine en revendiquant sa souveraineté sur des territoires contestés par ses voisins. À plus long terme, les États-Unis craignent que la Chine impose, par sa puissance, ses propres normes, notamment dans le commerce et dans le droit international

Les officiels américains considèrent que cette montée en puissance doit être accompagnée d'une plus grande transparence pour éviter des tensions et qu'il convient d'intensifier le dialogue stratégique sur le plus grand nombre de sujets pour la responsabiliser en tant qu'acteur régional, voir mondial. Le choix du positionnement américain face à la Chine par la recherche d'un bon équilibre entre coopération et endiguement sera décisif.

Pour les États-Unis, le maintien de la paix, de la stabilité, de la libre circulation et de leur influence dépendra aussi d'un équilibre sous-jacent de présence et de capacités militaires.

Le rééquilibrage se décline en un volet diplomatique avec l'approfondissement des alliances traditionnelles (Japon, Corée du sud, Australie, Philippines, Thaïlande) et le renforcement des relations avec les pays d'Asie du Sud-Est ; mais aussi avec le réinvestissement dans les instances comme l'ANASE et l'APEC et le lancement d'initiatives économiques comme la négociation d'un nouvel accord de libre-échange, le Trans-Pacific Partnership.

Cette activité s'accompagne d'une présence militaire plus importante. L'US Navy, dont plus de la moitié des bâtiments se trouvent déjà basés dans cette région, et l'US Air Force, ont reçu comme objectif une montée à 60 % à l'horizon 2020, avec de surcroît, un important renfort qualitatif. Un réseau de points d'appui dont la caractéristique sera d'accueillir des unités selon un système de rotation, en Australie, à Singapour et aux Philippines est en cours de constitution. À cela s'ajoute la décision de renégocier les grandes lignes directrices de défense avec le Japon et l'augmentation des forces stationnées à Guam.

Les États-Unis s'efforcent aussi d'impliquer davantage leurs alliés en soutenant la décision du Premier ministre japonais d'élargir les conditions d'emplois des forces d'auto-défense, en dotant les armées japonaise, coréenne et australienne de matériels de dernière génération, y compris, pour les deux premières, de systèmes de défense anti-missiles. De même, les partenariats de défense, notamment avec les Philippines, le Vietnam, Singapour ou la Malaisie, par un soutien accru en termes de formation ou des exercices conjoints se multiplient.

Le « rééquilibrage » en direction de l'Asie devrait se poursuivre, même si ce mouvement se heurte à plusieurs défis. Outre les problèmes de soutenabilité à long terme, l'instabilité persistante du Moyen-Orient ou la crise ukrainienne, qui requièrent un effort de réengagement des États-Unis, risquent de le compromettre alors que les réalisations sont demeurées jusque-là modestes au regard des ambitions affichées.

L'idée d'une relativisation de l'importance du Moyen-Orient, mise en exergue avec le retrait d'Irak en 2011 et celui programmé d'Afghanistan, doit être réfutée. Les États-Unis demeurent le principal acteur dans une région où leurs intérêts restent importants :

- la lutte contre le terrorisme, d'abord ;

- la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive ensuite. Un risque élevé dans la région résulterait de l'acquisition d'une capacité nucléaire par l'Iran. L'Arabie saoudite pourrait alors être tentée d'acquérir sa propre capacité. Face à ce risque, l'administration américaine a lancé un « dialogue de sécurité », dont l'une des pierres angulaires est le renforcement des capacités de défense antimissile des pays du Golfe ; c'est aussi tout l'enjeu des négociations sur le programme nucléaire iranien ;

- mais aussi la libre circulation, compte tenu de l'importance de la région pour l'approvisionnement en hydrocarbures de l'économie mondiale ;

- et enfin la sécurité de la région, par le soutien des engagements avec les États partenaires et alliés, notamment celle du Golfe, et plus spécifiquement celle d'Israël qui reste l'allié privilégié, tout en oeuvrant pour la paix israélo-palestinienne

Tenant compte de l'évolution des contextes, et depuis la période des Printemps arabes, le président Obama a opté pour une approche pragmatique privilégiant une stratégie au cas par cas et axée davantage sur le soutien aux réformes politiques et les investissements économiques que sur la dimension militaire.

Pour autant celle-ci reste conséquente avec le renforcement de la présence navale à Bahreïn et le maintien de 35 000 hommes dans la région. Par ailleurs, les pays de la région représentent d'importants marchés d'armement.

Plusieurs dossiers prioritaires impliquent plus particulièrement les États-Unis :

- en premier lieu le programme nucléaire iranien avec la relance des négociations avec l'Iran et la conclusion de l'accord intérimaire de Genève du 24 novembre 2013 ;

- en second lieu, le règlement du conflit israélo-palestinien considéré comme « central » pour la stabilité de la région mais qui reste bloqué malgré les efforts déployés par le secrétaire d'Etat John Kerry, au point que l'on peut s'interroger sur la volonté ou la capacité des États-Unis à imposer une solution aux parties prenantes ;

- en troisième lieu, la crise syrienne avec beaucoup d'atermoiements symptomatiques de la crainte des États-Unis d'être entraînés dans un conflit. Le renoncement à des frappes après l'attaque chimique d'août 2013 en est exemplaire. Les réticences demeurent, confortées par la progression de la menace terroriste.

Enfin, la crise irakienne qui implique de nouveau les États-Unis. Devant l'offensive spectaculaire de l'EIIL, le gouvernement Maliki a appelé les États-Unis à l'aide. Le Président Obama qui a rejeté d'emblée l'envoi de troupes combattantes au sol et s'est montré réservé jusqu'à maintenant sur des frappes aériennes, a répondu en envoyant 300 membres des forces spéciales pour conseiller l'armée irakienne et l'aider à reprendre l'offensive.

Cette situation place le président dans une situation délicate :

- à l'intérieur, ayant fait du retrait d'Irak un point fort de son premier mandat, il a été fortement critiqué par le camp républicain mais peut se prévaloir du soutien des démocrates, et surtout de l'opinion publique américaine ;

- mais aussi à l'extérieur, se trouvant à front renversé de la Syrie.

Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ne considèrent plus l'Europe comme le principal enjeu mondial. Des valeurs et une histoire partagées, mais aussi une Alliance pérenne assurent une relation de qualité. La montée en puissance d'autres régions du monde ne l'altère pas. Ce contexte ne remet pas en cause les engagements stratégiques réciproques, mais conduit à une réduction de la présence militaire américaine, les États-Unis considérant l'intensité réduite des menaces et les potentialités européennes pour y faire face. Toutefois, les récentes tensions avec la Russie, notamment la crise en Ukraine, obligent à une réévaluation de cette appréciation.

Depuis la chute de l'Union soviétique et à l'instar de leurs alliés européens, les États-Unis se sont efforcés de développer des relations plus fortes avec la Russie. Cette politique, qui a connu des accrocs, notamment à la suite du conflit russo-géorgien d'août 2008, s'est traduite notamment par la signature en 2009 d'un accord sur la réduction des stocks d'armes nucléaires « New START ». Avec le retour de Vladimir Poutine, les États-Unis ont tenté de la relancer mais une succession de difficultés ont empêché sa mise en oeuvre.

La crise ukrainienne a parachevé la rupture et ouvre une situation de crise avec la suspension des coopérations, la mise en place d'une politique de sanctions et un soutien important à l'Ukraine. Toutefois, il n'y a pas déport vers le domaine militaire

Cette crise sera probablement durable et conduit les États-Unis à réévaluer leur politique même si le parallèle avec la « guerre froide » n'est pas d'actualité pour nombre d'interlocuteurs rencontrés qui doutent de la capacité de la Russie sur le long terme.

Pour autant, la nécessité d'un dialogue politique n'est pas mise en cause, aussi bien pour stabiliser la situation en Ukraine, que pour assurer la sortie des armes chimiques de Syrie ou aboutir à un accord avec l'Iran sur son programme nucléaire.

La situation dans le voisinage méridional de l'Europe est aussi une source d'inquiétude pour les États-Unis avec le développement de l'instabilité politique dans les suites des « printemps arabes » et de l'activité des groupes terroristes en Afrique du Nord, dans le Sahel et au Moyen-Orient. Ils recherchent donc les voies d'une coopération plus active avec les Européens, pour aborder ces questions et coopérer sur le plan opérationnel.

Leur objectif est d'encourager les Européens à être producteurs de sécurité plus que consommateurs. Dans le droit fil de leurs nouvelles orientations de politiques extérieures, ils apprécient l'engagement de leurs alliés, comme ce fut le cas en Libye et au Mali. Satisfecit est donné à la France.

En revanche, ils sont inquiets s'agissant de leurs capacités futures à assurer leur défense avec la baisse des budgets de la défense dans la plupart des pays.

De même, s'inquiètent-ils de la faible résilience énergétique, commerciale et financière des États européens vis-à-vis de la Russie ce qui limite leurs capacités de sanctionner. À titre d'exemple, la volonté de la France de poursuivre la vente des BPC Mistral à la Russie dans le contexte de la crise russo-ukrainienne n'est pas très bien comprise outre-Atlantique.

Nos interlocuteurs ont également souligné la force du message européen aux yeux de la Russie, lorsque les pays membres de l'Union européenne arrivaient à s'entendre sur une position commune.

La crise ukrainienne a fourni l'occasion, pour rappeler le caractère sacré de l'article 5 du Traité de l'OTAN. Ce rappel a été conforté par la mise en place de mesures de réassurance vis-à-vis des alliés orientaux.

Enfin, le renforcement des relations passe par la négociation d'un Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement dont le but est de relancer les échanges et donc la croissance sur les deux rives, mais aussi, en miroir du Traité TransPacifique, de poser un certain nombre de règles et de pratiques destinées à façonner le commerce international.

Quelques mots sur l'Amérique latine, qui était considérée comme l'arrière-cour des États-Unis et le champ de son influence pour le meilleur et pour le pire et ne semble plus être une priorité de sa politique étrangère. Le président Obama a souhaité la mise en place d'un nouveau partenariat fondé sur le respect mutuel. « The era of the Monroe Doctrine is over » Cette politique est critiquée pour son manque d'ambition et parce qu'elle a favorisé l'émergence de deux puissances régionales, le Brésil et le Venezuela, et permis à des puissances extérieures (Russie, Chine, Iran) d'être plus présentes.

Enfin, l'Afrique subsaharienne n'a jamais été placée en tête des priorités stratégiques américaines. On observe toutefois depuis un an et demi un regain d'intérêt mais avec deux limites : la sécurité de l'Afrique incombe d'abord aux Africains, tandis que les États-Unis privilégient une empreinte sécuritaire minimaliste. Ce cadre ainsi posé permet de saisir le positionnement des États-Unis à l'égard des opérations en cours en Afrique et de la coopération franco-américaine, qui pourraient constituer les prémices d'une nouvelle forme d'engagement en Afrique. Ce modèle s'inscrit dans la logique de partage des missions et responsabilités avec des alliés.

Dans leur nouvelle stratégie régionale, les États-Unis souhaitent recentrer leurs actions sur d'autres aspects mais dans la réalité, les enjeux sécuritaires s'imposent. Outre la gestion des conflits, la lutte contre les menaces transnationales (terrorisme, drogues, piraterie, prolifération nucléaire) constitue un impératif. La stratégie privilégie en conséquence une approche intégrée, dans laquelle l'assistance militaire est accompagnée d'un soutien aux institutions démocratiques, à la société civile, au développement et à la croissance économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

La nouvelle stratégie a été déclinée dans un document qui s'apparente à notre Livre blanc et qui fixe les grandes orientations dans le domaine militaire.

Ce document a été élaboré dans le contexte général, exposé par notre collègue Robert del Picchia, et qui a eu pour conséquence une réduction assez significative des crédits de la défense.

En effet, l'enjeu économique devenu prégnant, les projecteurs ont été braqués sur la croissance impressionnante du budget de la défense pendant les années 2000, laissant envisager des compressions significatives.

Depuis 2010, les Républicains majoritaires à la Chambre ont réussi à inscrire à l'agenda politique la réduction des dépenses publiques. Protecteurs traditionnels des crédits de la défense par idéologie mais aussi parce qu'ils sont majoritaires dans les districts et les États du Sud des États-Unis où les industries de défense représentent une part significative de l'économie locale, ils ont néanmoins accepté, à la demande des démocrates, que la défense soit mise à contribution au même titre que les autres postes budgétaires. Le Budget Control Act de 2011 a ainsi opéré une coupe budgétaire décennale de 487 milliards de $ (environ 8% du budget de base de la défense) ; les opérations extérieures étant appelées à diminuer progressivement avec le retrait d'Irak et celui programmé d'Afghanistan. Mais cette loi a également établi un mécanisme de mise sous séquestre exigeant des coupes budgétaires supplémentaires d'environ 50 milliards de $ par an, dont la mise en oeuvre a toutefois été reportée à 2016.

Au final, le budget pour 2015 devrait rester à un niveau voisin de 555 milliards de dollars, (il était de 691 milliards en 2011). La contrainte budgétaire sera donc l'une des difficultés majeures dans la mise en oeuvre du rééquilibrage de l'outil de défense, à la fois parce que la transformation a un coût intrinsèque, mais aussi parce que les rapports de force politique au sein du Congrès n'ont pas permis de stabiliser un cadre budgétaire pluriannuel. C'est ce qui explique la tonalité inusitée de la Quadrennial Defense Review de 2014 qui apparaît aussi comme un avertissement et une mise en responsabilité du Congrès.

Néanmoins, et pour raison garder, on rappellera que les États-Unis sont, et de loin, la première puissance militaire du monde avec un budget qui représente encore 3 à 4 fois celui de la Chine, 8 à 9 fois celui de la Russie.....

La Quadrennial Defense Review (QDR) actualise la stratégie de défense des États-Unis, décrit les mesures prises en vue de rééquilibrer les principaux éléments des forces interarmées dans un environnement changeant et met en valeur la réforme de l'organisation afin de maîtriser la croissance des coûts internes.

Les documents de stratégie confirment :

- l'abandon du paradigme des deux guerres majeures simultanées ce qui se traduira par une réduction de format et une baisse des effectifs de l'Armée de terre et des Marines,

- l'abandon de la contre-insurrection et du « nation building » en faveur d'une stratégie anti-terroriste marquée par l'usage des forces spéciales, des drones et du renseignement. Contre les acteurs non-étatiques autre que les terroristes en réseaux, le Pentagone privilégie l'assistance et la formation des armées locales, le soutien, la fourniture d'armement avec une efficacité qui reste à évaluer ;

- le maintien en revanche d'une double capacité pour faire face aussi bien aux guerres régulières et interétatiques qu'aux guerres « irrégulières » contre des acteurs non-étatiques terroristes, contre des ennemis de plus en plus sophistiqués, avec un approfondissement doctrinal notamment pour lutter contre le déni d'accès et l'interdiction de zone, un accent sur la Marine et l'Armée de l'Air, un investissement massif dans les technologies à haute valeur ajoutée et la R&D afin de conserver un ascendant ;

- l'implication des alliés et des partenaires (en particulier en Asie et au Moyen-Orient) pour faire face aux problèmes de sécurité régionale, ce qui constitue un changement d'approche majeur, l'image d'une Amérique capable d'agir seule et partout dominait jusqu'alors.

Il s'agit aussi de rééquilibrer géographiquement et la stratégie de défense accompagne naturellement le « pivotement » vers l'Asie-Pacifique.

L'innovation est un axe central.

De nouveaux paradigmes de présence ont été identifiés, y compris un éventuel positionnement de forces navales supplémentaires en déploiement avancé dans des zones critiques, ainsi que le déploiement de nouveaux ensembles de bâtiments, de moyens aériens, de forces terrestres alignées régionalement ou par rotation, et de forces de réaction aux crises, tout cela dans l'intention de maximiser les effets tout en minimisant les coûts.

La QDR 2014 assure la protection des capacités essentielles à l'appui de la stratégie : cyberespace, défense antimissile, dissuasion nucléaire, espace, capacité aéro-maritimes, frappe de précision, renseignement, surveillance et reconnaissance, lutte contre le terrorisme et opérations spéciales avec la montée à 69 700 personnes des effectifs des Forces d'opérations spéciales.

Il s'agit de rééquilibrer les compétences, les capacités et la disponibilité opérationnelle au sein de la force interarmées et, en conséquence, de restructurer le format des Armées. Sa taille se réduira dans les cinq prochaines années mais elle deviendra également progressivement plus moderne et plus agile et sa disponibilité opérationnelle devrait s'améliorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Au terme de cet exposé, nous en venons à notre questionnement initial. Cette stratégie est-elle pérenne ?

Notre réponse est : « en partie».

D'abord, elle est critiquée par une partie des élites. Emblématique d'une politique étrangère jugée «faible», la gestion des crises par B. Obama aurait enhardi les adversaires, inquiété les alliés et mis Washington en position réactive. D'aucuns s'inquiètent d'un affaiblissement de la crédibilité de la parole du président et de la capacité de dissuasion des États-Unis.

La confrontation de la vision et des modes d'action à la réalité montre bien l'écart entre le champ du souhaitable et le champ du possible ; car l'agenda international des États-Unis est en partie dicté par l'extérieur.

Pour autant, la retenue du président face au risque d'enlisement dans de nouveaux conflits est saluée par la majorité d'une opinion publique de plus en plus centrée sur les problèmes intérieurs et, sauf forte dégradation de la situation internationale, cela risque de durer encore quelques années, limitant les capacités d'engagements militaires extérieurs.

Toutefois, l'évolution des déterminants internes pourrait redonner des ambitions à la politique américaine, notamment la sortie progressive de la crise économique et l'acquisition de l'autosuffisance énergétique grâce à l'exploitation des schistes. Les États-Unis seront même en mesure d'exporter une partie de leur production, ce qui est un avantage économique et un renforcement de puissance. En revanche, l'utilisation directe des ressources énergétiques comme un outil diplomatique s'avère plus problématique, même si cela donne d'ores et déjà des marges de manoeuvre pour mettre en place un embargo sur les exportations de pétrole de l'Iran par exemple et permettra aux États-Unis de s'extraire de la dépendance d'un pays fournisseur pour mener une diplomatie plus équilibrée ou soutenir tel ou tel pays.

Restent les facteurs de blocage politique. Les mid-terms de novembre prochain permettront peut-être aux Républicains de conquérir la majorité au Sénat. Dans cette hypothèse, il faut s'attendre à des difficultés pour le président à faire accepter des projets de traité multilatéraux et à l'imposition de conditions plus fortes pour l'attribution des aides extérieures. Le président sera dans l'obligation de parvenir à des compromis. Paradoxalement, on peut s'attendre à ce que certaines questions comme celle des traités de libre-échange ou celle du budget de la défense soient plus faciles à négocier. Dans les deux cas, ce sont en effet les démocrates qui ont exprimé les plus fortes réticences.

S'agissant de l'échéance de 2016, deux facteurs suscitent un examen attentif. Dans le camp démocrate, la sortie du livre de l'ancienne Secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, préfigure son éventuelle candidature. Dans l'hypothèse de son élection, la politique extérieure des États-Unis poursuivra une voie proche de l'actuelle, mais avec probablement un investissement plus important.

Dans le camp républicain, plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Le premier est que les candidats potentiels se sont peu exprimés sur des questions de politiques étrangères et de défense. Le second est que le parti républicain est traversé de différentes écoles de pensée qui influencent les politiques menées par les présidents. Le troisième est la place accordée à l'allié israélien qui constitue un marqueur de la politique étrangère républicaine.

Quels que soient les résultats des prochaines échéances et sauf « surprises stratégiques », certaines grandes tendances semblent devoir marquer les prochaines années et être appréciées, à la nuance près, comme des invariants de la politique étrangère américaine.

L'engagement en Asie est une tendance de long terme qui n'est pas près de s'effacer, mais les États-Unis resteront engagés au Moyen-Orient et en Europe. Il y a une interconnexion de plus en plus grande entre les questions dans le monde qui rend impossible à une puissance de la taille des États-Unis de limiter sa présence, son influence et son intervention. Reste la question de la soutenabilité de cet effort et sur ce point les États-Unis seront sans doute plus exigeants à l'égard de leurs alliés pour prendre en charge leur défense. Enfin, en compensation du repli stratégique, la diplomatie économique américaine prend un relief inhabituel

Ceci nous amène à nos dernières questions. Quelles conséquences pour la France, l'Europe et l'OTAN ?

La stratégie américaine appelle à donner plus de poids aux alliés et aux partenaires dans une logique de partage accru des responsabilités. La France est en mesure d'exprimer une vision stratégique indépendante et de s'impliquer dans la gestion globale des crises. Elle dispose d'un outil militaire efficace, qui est un véritable atout diplomatique, peut-être le plus important dans son jeu compte tenu de sa situation économique, et d'une connaissance de son environnement proche, notamment de l'Afrique. De ce point de vue, elle répond aux attentes des États-Unis. Le dialogue stratégique pourrait se poursuivre, s'approfondir et s'étendre à d'autres régions, je pense à l'Asie-Pacifique, mais aussi à d'autres domaines, la surveillance de l'espace et la cyberdéfense. Nous pourrions même essayer de mettre en place des échanges plus fréquents avec les commissions du Congrès. En tout cas, cela montre bien aussi l'utilité de nous battre pour maintenir notre outil de défense et l'exécution de la LPM !

L'Europe est appelée à prendre davantage de responsabilité et, au premier chef, dans la défense de son territoire. Cela veut dire en premier lieu un effort de défense accru, le parapluie américain n'est pas immuable, le contribuable américain supporte de moins en moins de devoir subventionner la défense de l'Europe alors que les Européens ont les moyens de porter cet effort. Mais en ont-ils la volonté ? C'est toute la question de la défense européenne au sens large.

L'Union européenne aurait tout intérêt à y inclure la politique énergétique pour se mettre à l'abri de situations de dépendance.

Toutefois sur la notion d'autonomie stratégique, la vision de Washington est ambivalente, notamment sur le plan industriel. Il faut arriver à convaincre les Américains qu'une Europe forte et impliquée, c'est aussi une Europe qui dispose d'une BITD solide et créatrice d'emplois, même si elle concurrence les industriels américains.

Le prochain sommet de l'OTAN devrait donner lieu à une déclaration sur le partenariat transatlantique qui réaffirmera la place de l'organisation dans la défense de l'Europe. Dans cette perspective, il me semble que le temps est venu de consolider notre place, d'oeuvrer pour un meilleur partage des responsabilités et des charges, transatlantique mais aussi intra-européen, qui prennent en compte les efforts budgétaires, mais aussi les engagements y compris à l'extérieur car en sécurisant l'environnement proche, c'est bien à la sécurité de la zone euro-atlantique que l'on contribue. Enfin, il me parait intéressant de réaffirmer la complémentarité de l'OTAN et de l'Union européenne, notamment en matière de gestion globale des crises. Il ne s'agit pas de se détacher des États-Unis avec lesquels nous partageons un socle étendu de valeurs communes, mais d'être plus présents lorsque les intérêts convergent et capables de s'engager seuls, lorsque les États-Unis ne sont pas en mesure de le faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Votre rapport comprendra-t-il une partie critique présentant vos appréciations personnelles sur la stratégie américaine ? Lorsque vous avez abordé la question du Moyen-Orient, les responsables américains ont-ils évoqué la question de la base française d'Abou Dhabi ? La question du traité transatlantique a-t-elle été évoquée ?

Avez-vous perçu un assouplissement de la position américaine à l'égard de l'Iran, sachant que d'ores et déjà des entreprises américaines commencent à négocier des contrats dans ce pays ?

Que vous ont répondu vos interlocuteurs américains sur les poursuites engagées contre la banque BNPParibas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Avez-vous pu mesurer l'influence du complexe militaro-industriel qui était très prégnante sur l'entourage du précédant président G.W. Bush ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

J'ai surtout ressenti, chez nos interlocuteurs, une grande sensibilité à l'opinion publique dominante les incitant à résoudre en priorité les questions de politique intérieure. L'influence du complexe militaro-industriel me semble moindre, mais honnêtement nous n'avons pas pu la mesurer. Il faut aussi relever que les crédits de la défense sont en baisse très sensible, et notamment les crédits d'équipement, ce qui crée des meurtrissures dans l'appareil de défense. Enfin, nos interlocuteurs nous ont fait sentir la place qu'ils attachaient à la prééminence de leur industrie de défense. Nous avons, de notre côté, essayé de les convaincre que les alliés européens au sein de l'OTAN dont ils souhaitaient une implication plus forte étaient très attachés eux-aussi au maintien d'une BITD européenne forte.

Nous avons abordé la question du traité transatlantique en indiquant que, si un accord gagnant-gagnant pouvait être trouvé, nous y serions favorables mais que nous serions extrêmement vigilants et que des éléments de contexte pouvaient influer sur les positions politiques. Nous avons aussi indiqué que la façon dont serait traitée la banque BNPParibas dans le contentieux qui l'oppose aux autorités fédérales rejaillirait certainement sur l'opinion publique française et les élus. À ce sujet, nous avons indiqué à nos interlocuteurs que nous respections l'indépendance de la justice, mais que nous étions étonnés de voir l'Attorney Général s'exprimer quasi-quotidiennement à charge dans les médias sur ce sujet.

Nous avons eu également l'occasion d'expliquer la position française sur l'exportation des BPC Mistral. Cet ensemble de sujets, dans l'actualité du moment, traduisent bien l'état de la relation franco-américaine faite d'un accord sur les grands principes et les grandes orientations mais aussi de points d'achoppement. La France est un allié fidèle, mais elle est très attachée à son autonomie de décision. Elle ne suivra pas les États-Unis aveuglément. C'est ce que nous avons transmis comme message à nos interlocuteurs, mais il vaut mieux un allié de ce tempérament qu'un allié s'exprimant peu et réduisant beaucoup son effort de défense.

Nous avons constaté chez nos interlocuteurs une position favorable à la défense européenne. Jusqu'à maintenant, le discours était moins net et les États-Unis laissaient sans trop sans plaindre les alliés réduire leurs budgets, ceux-ci s'estimant protégés par le parapluie américain. Il n'y a qu'à observer le montant du ratio budget de défense/PIB chez la plupart de nos voisins. Désormais, les Américains sont plus incisifs et demandent aux Européens de façon explicite d'augmenter leur effort budgétaire.

S'agissant de l'Iran, nous avons noté le changement de stratégie et les démarches des acteurs économiques. Je regrette que nous n'ayons pu nous rendre en Iran jusqu'à maintenant, nous devrions programmer un déplacement sans tarder, si possible au prochain semestre.

Ce qui nous a aussi surpris chez certains de nos interlocuteurs et notamment au Sénat, c'est évidemment l'intérêt qu'ils portaient à notre pays en nous recevant, mais en même temps le peu de connaissance qu'ils avaient de nos préoccupations.

Enfin, il faut préciser que les États-Unis sortent de la crise économique, le taux de chômage diminue, mais les Américains restent marqués par cette crise et notamment par l'accroissement des écarts de richesse, l'existence de travailleurs à bas revenus et d'une population pauvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

Je voudrais rappeler que les socio-démocrates en Europe ont toujours été attachés à l'alliance avec les États-Unis et avaient regretté, à l'époque, le retrait de la France de l'organisation militaire de l'OTAN. Je voudrais aussi dire notre gêne parfois devant certaines politiques et interventions des États-Unis sur la scène internationale. Aujourd'hui, nous nous sentons plus à l'aise avec la stratégie du président Obama.

S'agissant du pivotement vers l'Asie-Pacifique, il rend plus urgent l'édification d'une défense européenne. Cette défense ne doit pas être la seule préoccupation de la France et de la Grande-Bretagne, mais de tous les Européens et l'Allemagne, qui exerce un leadership économique et de plus en plus politique, devrait s'investir davantage sur les questions de défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Vous avez abordé la question des hydrocarbures de schiste. Avez-vous mesuré les conséquences pour les industries en Europe, notamment le secteur de la chimie qui subit une concurrence redoutable en raison de la baisse des coûts de production aux États-Unis ?

Avez-vous également abordé la question de la place du dollar dans le système monétaire ? C'est un élément clé de la puissance américaine. Comment les Américains perçoivent-ils les initiatives chinoises qui envisagent de faire de leur monnaie une monnaie de réserve et ont créé une banque d'investissement des BRICS ? Ils se positionnent à terme avec le souci de remettre en cause l'équilibre du système de Bretton-Woods.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous n'avons pas traité spécifiquement de la question du dollar, car notre déplacement était centré sur les questions de politique étrangère et de défense.

Nous consacrons dans le rapport de longs développements aux conséquences du retour des États-Unis à l'autonomie énergétique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

S'agissant du gaz de schiste, les États-Unis pourront bientôt exporter, cela deviendra aussi un outil politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Aujourd'hui le système politique américain me semble atteint de paralysie, car il s'appuie sur la recherche d'un consensus entre les partis. Or ce système ne fonctionne plus en raison de la montée du Tea Party au sein du parti républicain et des lobbies qui le soutiennent, donc de la montée des extrêmes. Cela se traduit par les séquestrations sur le plan budgétaire. Mais cela a aussi des conséquences sur l'action internationale du Président qui peut être freiné dans ses initiatives. Cela donne parfois l'impression d'un grand Etat impotent. Or, le système mondial fonctionne avec une grande puissance et cette impotence provoque des non-actions, ce qui a des effets sur la stabilité du monde. Certains universitaires américains s'en inquiètent et craignent qu'à défaut de réforme, le système ne conduise à l'impuissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Effectivement, ce qui inquiète les observateurs dans les prochaines élections, ce n'est pas tant l'alternance au Sénat, que la place qu'occuperont les élus du Tea Party au sein des Républicains. Nous avons très bien ressenti cela lors de notre déplacement, en enregistrant les réactions de nos interlocuteurs à la défaite du leader républicain de la Chambre des représentants, Eric Cantor, à l'élection primaire dans l'État de Virginie.

La crise économique a laissé des traces en matière de cohésion sociale et comme dans beaucoup de pays, le fonctionnement politique en subit les conséquences et se pose la question de l'adaptation des constitutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Ces observations confirment la thèse développée, il y a déjà quelques années, par Stanley Hoffman dans son ouvrage « Gulliver empêtré ».

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Il faut aussi ajouter que les États-Unis sont en élections tous les deux ans.

Le président Obama voudrait arrêter une position forte pour la conférence de Paris sur le climat, mais il ne le pourra probablement pas car il ne sera pas soutenu par le Congrès, ce qui signifie que c'est le monde entier qui est victime de la paralysie du système.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

La position des États-Unis en Afrique me semble un peu ambivalente, ils soutiennent notre action, notamment au Sahel, mais ont quelque peine à s'engager eux-mêmes. Pour autant, ils sont assez présents, le personnel de leurs ambassades est nombreux, ils sont actifs sur le plan économique. Avez-vous pu vous entretenir avec eux sur les limites de leur engagement et sur l'appréciation qu'ils portent sur l'action de la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

La lutte contre le terrorisme est leur priorité, mais leur perception s'élargit, elle n'est plus cantonnée à l'Afrique du Nord et au Sahel, le développement de mouvements comme Boko Haram au Nigeria les interroge. Cela étant, ils considèrent préférable que ce soit la France qui intervienne en direct car elle dispose d'une connaissance de ces territoires qui sont dans la proximité de l'Europe. Ils souhaiteraient d'ailleurs que les Européens s'engagent davantage. Ils sont prêts à apporter leur soutien avec des moyens de renseignements, de logistique...

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je partage cette analyse mais voudrais souligner deux aspects qui me paraissent importants. L'analyse que les Américains font de la situation en Afrique est de considérer que ce continent est un terrain « familier » pour les Français et les Européens et qu'il est donc plus facile pour eux de prendre l'initiative et conduire des opérations, eux restant en arrière-plan et en soutien. D'autre part, j'ai l'impression qu'ils sous-estiment l'ampleur de la diffusion du terrorisme en Afrique et que leur investissement n'est pas à la hauteur de l'enjeu réel.

Cette tendance à sous-estimer les menaces a été perceptible également lorsque nous nous sommes entretenus de la Russie avec certains responsables. J'ai été étonnée de leurs interrogations sur le caractère imprévisible de Vladimir Poutine et de leur sous-estimation du pouvoir de nuisance de la Russie, même si elle n'a pas recouvré toute sa puissance. Il y a, de mon point de vue, un certain décalage avec la réalité de la subtilité stratégique de la Russie aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Les États-Unis se considèrent toujours comme une grande puissance mais leurs résultats sur le plan international restent modestes. On le voit sur le plan politique avec Israël qui n'a pas beaucoup évolué dans le processus de paix et sur le plan financier quand on mesure les investissements considérables dans la formation de la police et de l'armée irakienne à l'aune de son efficacité face à l'offensive des djihadistes de l'EIIL. Avez-vous senti une réticence à s'engager de nouveau en Irak ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Oui, nous avons senti cette prudence. Le trait dominant chez nos interlocuteurs, c'est vraiment la pression de l'opinion publique sur les questions de politique intérieure. Les différences d'appréciation sont telles qu'il est difficile au président d'avoir une vraie politique claire, lisible, concrète et partagée.

À l'issue de ce débat, la commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et autorise sa publication.

La commission nomme rapporteurs :

Alain Néri sur le projet de loi n° 2095 (AN - 14e législature) autorisant la ratification de l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et l'Amérique centrale d'autre part (sous réserve de sa transmission au Sénat) ;

Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 660 (2013-2014) autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

Christian Cambon sur le projet de loi n° 570 (2013-2014) autorisant l'approbation du cinquième avenant à la Convention du 19 janvier 1967, modifiée par l'avenant du 6 juillet 1971 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne sur la construction et l'exploitation d'un réacteur à très haut flux et modifiée ultérieurement par la Convention du 19 juillet 1974 entre les deux Gouvernements susmentionnés et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relative à l'adhésion de ce dernier Gouvernement à la Convention et par l'avenant du 27 juillet 1976, le deuxième avenant du 9 décembre 1981, le troisième avenant du 25 mars 1993 et le quatrième avenant du 4 décembre 2002 entre les trois Gouvernements susmentionnés ;

Jeanny Lorgeoux sur le projet de loi n° 269 (2013-2014) autorisant l'approbation des amendements de Manille à l'annexe de la convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (convention STCW) et au code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (code STCW) ;

André Trillard sur le projet de loi n° 270 (2013-2014) autorisant l'adhésion de la France au protocole à la convention d'Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages ;

Hélène Conway-Moutet sur le projet de loi n° 661 (2013-2014) autorisant la ratification de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part ;

Josette Durrieu sur le projet de loi n° 662 (2013-2014) autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part ;

Nathalie Goulet sur le projet de loi n° 192 (AN - 14e législature) autorisant la ratification du protocole modifiant l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis, d'autre part (sous réserve de sa transmission au Sénat).

La séance est levée à 11 h 25