Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Evolutions stratégiques des etats-unis : quelles conséquences pour la france et pour l'europe — Examen du rapport d'information

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

Les États-Unis ont payé un lourd tribut tant en vies humaines que sur le plan économique à leurs engagements en Irak et en Afghanistan. 2 500 000 hommes ont été déployés. Plus de 6 800 morts et de 52 000 blessés ont été dénombrés, sans compter les conséquences post-traumatiques sur les soldats concernés. De surcroît les deux guerres ont été financées par l'emprunt. Entre la charge des pensions et d'assistance médicale aux vétérans et celle de la dette, l'Amérique n'en a pas fini de payer un engagement dont le coût global se chiffre en milliers de milliards de dollars.

En outre, l'enchaînement des crises financières de 2007 et 2008 a fait entrer les États-Unis en récession entraînant la destruction de 8 à 9 millions d'emplois, une très forte baisse du patrimoine des ménages et une explosion des déficits publics. Si les États-Unis sont, depuis 2010, sortis de la crise, la reprise de l'économie demeure fragile. Comme l'a souligné Mme Christine Lagarde, Les cicatrices de la récession sont encore visibles.

Lassée par des engagements militaires lourds et touchée par les conséquences de la crise, l'opinion publique revendique un recentrage de l'action publique sur les défis intérieurs et se montre rétive à tout envoi de soldats américains au sol.

Cette « war fatigue » justifie la promesse du candidat Obama en 2008 de mettre fin à ces deux conflits. Elle explique sa prudence dans la gestion des crises. Élu pour tourner la page des années G.W. Bush, il hésitera à engager des interventions militaires extérieures. Il optera assez systématiquement pour les voies diplomatiques afin de les résoudre et, si l'engagement militaire est nécessaire, pour des modalités destinées à en limiter l'ampleur et la durée.

De fait, les questions internationales et de défense sont passées au second plan et en outre, elles ne sont plus épargnées par les blocages institutionnels auxquels les États-Unis sont confrontés.

Faut-il rappeler ce paradoxe ? Dans un système présidentiel, le Président, réduit à la fonction exécutive, ne peut agir sans l'accord du Congrès. Il n'a d'autre pouvoir que de « persuader » Représentants et Sénateurs ou de mettre un veto à leurs initiatives. La séparation stricte des pouvoirs ne fonctionne que si l'esprit de compromis prévaut. Or, les situations de blocages ont tendance à se multiplier et à s'ancrer dans la durée, au point de rendre plus visqueux ce système de gouvernance et parfois de le paralyser.

Cette situation résulte d'une polarisation partisane qui s'est accentuée. Les deux partis, Républicains et Démocrates, sont devenus plus homogènes que jamais, rassemblant pour le premier tous les conservateurs, dont les radicaux du Tea Party, pour le second, tous les progressistes.

En conséquence, le Président Obama, depuis 2010, doit faire face à une majorité républicaine à la Chambre des Représentants qui se durcit et qui pratique la surenchère idéologique. Les compromis nécessaires, pour faire aboutir les initiatives du Président et voter le budget annuel, sont difficiles à élaborer.

Cette situation a eu pour conséquence la fin d'une singularité qui préservait les crédits de la défense, notre collègue Alain Gournac y reviendra.

La « nouvelle stratégie » des États-Unis a été redéfinie dans ce contexte. Elle rappelle les intérêts des États-Unis qui constituent des invariants à savoir :

- la sécurité de la Nation, de ses alliés et de ses partenaires ;

- la prospérité qui découle d'un système économique international ouvert et libre ;

- un ordre international juste et soutenable dans lequel les droits et responsabilités des nations et des peuples sont respectés, particulièrement les droits humains fondamentaux.

Elle appréhende aussi les changements de l'environnement international. Elle est désormais fondée sur l'acceptation d'un monde multipolaire dans lequel les États-Unis devront cohabiter avec d'autres puissances mais continueront à demeurer la première. Ce leadership ne pourra être assumé que par un interventionnisme limité et par un rééquilibrage des moyens en fonction des enjeux.

Si le contexte géopolitique actuel reste assez favorable aux États-Unis, comparé à la situation de la Guerre froide, l'environnement sécuritaire est instable et les États-Unis distinguent plusieurs types de risques et de menaces pour les intérêts américains et ceux de leurs alliés :

- Les risques et menaces liés à l'affirmation de la puissance militaire de certains États importants. Dans la perception américaine, il ne s'agit pas de menaces directes contre les intérêts américains, mais d'affirmation de puissance qui inquiètent leurs alliés et troublent la stabilité internationale comme l'agression de la Russie contre d'anciens États soviétiques ou l'affirmation de la puissance maritime de la Chine.

- Les risques et menaces liés aux actions d'États imprévisibles et qui se situent délibérément en marge du système international comme l'Iran et la Corée du nord qui aspirent à se doter d'armes nucléaires et de missiles balistiques et qui, de fait ou par leurs actions, menacent leurs voisins alliés des États-Unis

- L'évolution des menaces non-étatiques : terrorisme, criminalité organisée, particulièrement dans les États fragiles, avec une diffusion de la menace terroriste allant du Sahel à l'Asie du Sud.

- L'évolution des nouvelles formes de menaces dans un espace de combat aérien, maritime, spatial, et cybernétique, disputé, là où les forces américaines bénéficiaient jusqu'à maintenant d'une position dominante. Les États-Unis sont très sensibles à la préservation de la liberté de circulation maritime et aérienne et considèrent que des acteurs étatiques et non-étatiques posent des menaces potentielles pour l'accès à ces espaces communs par leur opposition aux règles existantes ou par des tentatives de dénis d'accès.

- Enfin, la prolifération des armes de destructions massives.

Pour préserver leurs intérêts, les États-Unis continueront dans les prochaines années à s'engager dans le monde et à y exercer leur leadership.

Cette conviction est étayée par la demande récurrente d'un engagement américain dans les affaires mondiales par les partenaires (européens ou asiatiques) tandis qu'aucune autre puissance ne saurait véritablement exercer un leadership alternatif. Ils demeureront donc la puissance indispensable pour assurer la paix et la stabilité.

Puissance indispensable, certes, mais raisonnable dans son engagement. « La question à laquelle nous faisons face, n'est pas de savoir si l'Amérique montrera la voie mais comment nous le ferons, dire que nous avons intérêt à promouvoir la paix et la liberté au-delà de nos frontières ne signifie pas que tout problème a une solution militaire.

Face aux crises, la prudence à toute épreuve affichée par le président Obama a conduit à définir un nouveau type d'engagement reposant sur une utilisation ordonnée et articulée des moyens diplomatiques et militaires. Cette doctrine tranche avec la doctrine « la paix par la force » mise en oeuvre par le président George W. Bush lors de son premier mandat.

L'emploi de la puissance militaire n'est donc qu'un outil parmi d'autres. Son usage unilatéral s'impose quand les intérêts cruciaux l'exigent à savoir « lorsque notre peuple est menacé, lorsque nos moyens d'existence sont en jeu, lorsque la sécurité de nos alliés est en danger ».

En cas de menaces indirectes, la force militaire est outil ultime après épuisement des autres modalités «la barre pour une intervention militaire doit alors être placée plus haut. Dans de telles circonstances, nous ne devons pas agir seuls, mais plutôt mobiliser nos alliés et partenaires pour entreprendre une action collective. Nous devons élargir la gamme de nos outils pour y inclure la diplomatie et le développement, les sanctions et l'isolement, les appels au droit international et, si elle se révèle juste, nécessaire et efficace, l'action militaire multilatérale. »

Plusieurs exemples récents l'illustrent : Syrie, Iran, Mer de Chine, Ukraine.

Cette combinaison des outils est mise en oeuvre pour toutes les situations jusque et y compris la lutte contre la principale menace : le terrorisme. L'objectif de la nouvelle stratégie sera d'agir avec plus de souplesse et de discrétion, en s'appuyant sur des alliances et en renforçant les partenaires locaux, de limiter les risques de rejet par les populations et donc d'enracinement des terroristes dans le tissu social. Ces partenariats n'excluent pas une intervention militaire directe. L'Amérique n'a pas cessé d'intervenir militairement, elle le fait juste d'une autre manière et emploie des modes d'actions plus discrets à base de drones, de forces spéciales et de renseignement, ce qu'on a qualifié d' « empreinte légère ».

Il en va de même des actions menées pour renforcer et faire respecter l'ordre mondial. On a vu ce « leadership en retrait » expérimenté dans l'épisode libyen en 2011. Cette nouvelle posture amène les États-Unis à insister sur le transfert d'une part des responsabilités et des financements aux alliés traditionnels, notamment au sein de l'OTAN mais aussi avec le Japon, la Corée du sud et l'Australie en Asie-Pacifique.

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