Intervention de Josette Durrieu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Evolutions stratégiques des etats-unis : quelles conséquences pour la france et pour l'europe — Examen du rapport d'information

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

La stratégie des États-Unis, officialisée à l'automne de 2011, est présentée comme un pivotement vers l'Asie-Pacifique rendu possible par le désengagement d'Irak et d'Afghanistan et nécessaire par la croissance des intérêts américains dans cette zone. Cela n'empêche pas le maintien d'un engagement robuste pour la sécurité et la stabilité en Europe et au Moyen-Orient et d'une approche mondiale pour lutter contre le terrorisme.

Les États-Unis ont été de longue date engagés dans la zone Asie-Pacifique (60% de la population mondiale, 35% du PIB) qui restera dans les prochaines années celle où les taux de croissance devraient être les plus élevés. Il s'agit donc de mettre les États-Unis en position de profiter pleinement de sa dynamique La zone peut devenir une source de tensions fortes en raison de sa conflictualité potentielle qu'il s'agisse du développement d'armes de destruction massive et de missiles balistiques par la Corée du Nord, de la militarisation de la Chine et de ses voisins, des conflits latents en Mer de Chine, et des enjeux en termes de liberté d'accès et de circulation dans les espaces maritimes.

La stratégie du rééquilibrage vise à stabiliser la région en dissuadant la Corée du Nord qui demeure un État menaçant, en préparant et en accompagnant l'inéluctable montée en puissance de la Chine et sa capacité à défier dans le futur la puissance américaine, en établissant un réseau d'alliés et de partenaires dans sa périphérie et en l'impliquant davantage.

Chine et États-Unis ont misé sur la paix et la stabilité de l'Asie de l'est et ont intérêt à bâtir une relation de coopération bilatérale. Malgré tout, la croissance de la Chine inquiète, et notamment, sur le plan militaire. Ses dépenses ont atteint en 2013 139 milliards de $ soit le deuxième rang mondial avec des taux de croissance annuels supérieurs à 10 % depuis 3 ans. Elle affirme sa puissance en Mer de Chine en revendiquant sa souveraineté sur des territoires contestés par ses voisins. À plus long terme, les États-Unis craignent que la Chine impose, par sa puissance, ses propres normes, notamment dans le commerce et dans le droit international

Les officiels américains considèrent que cette montée en puissance doit être accompagnée d'une plus grande transparence pour éviter des tensions et qu'il convient d'intensifier le dialogue stratégique sur le plus grand nombre de sujets pour la responsabiliser en tant qu'acteur régional, voir mondial. Le choix du positionnement américain face à la Chine par la recherche d'un bon équilibre entre coopération et endiguement sera décisif.

Pour les États-Unis, le maintien de la paix, de la stabilité, de la libre circulation et de leur influence dépendra aussi d'un équilibre sous-jacent de présence et de capacités militaires.

Le rééquilibrage se décline en un volet diplomatique avec l'approfondissement des alliances traditionnelles (Japon, Corée du sud, Australie, Philippines, Thaïlande) et le renforcement des relations avec les pays d'Asie du Sud-Est ; mais aussi avec le réinvestissement dans les instances comme l'ANASE et l'APEC et le lancement d'initiatives économiques comme la négociation d'un nouvel accord de libre-échange, le Trans-Pacific Partnership.

Cette activité s'accompagne d'une présence militaire plus importante. L'US Navy, dont plus de la moitié des bâtiments se trouvent déjà basés dans cette région, et l'US Air Force, ont reçu comme objectif une montée à 60 % à l'horizon 2020, avec de surcroît, un important renfort qualitatif. Un réseau de points d'appui dont la caractéristique sera d'accueillir des unités selon un système de rotation, en Australie, à Singapour et aux Philippines est en cours de constitution. À cela s'ajoute la décision de renégocier les grandes lignes directrices de défense avec le Japon et l'augmentation des forces stationnées à Guam.

Les États-Unis s'efforcent aussi d'impliquer davantage leurs alliés en soutenant la décision du Premier ministre japonais d'élargir les conditions d'emplois des forces d'auto-défense, en dotant les armées japonaise, coréenne et australienne de matériels de dernière génération, y compris, pour les deux premières, de systèmes de défense anti-missiles. De même, les partenariats de défense, notamment avec les Philippines, le Vietnam, Singapour ou la Malaisie, par un soutien accru en termes de formation ou des exercices conjoints se multiplient.

Le « rééquilibrage » en direction de l'Asie devrait se poursuivre, même si ce mouvement se heurte à plusieurs défis. Outre les problèmes de soutenabilité à long terme, l'instabilité persistante du Moyen-Orient ou la crise ukrainienne, qui requièrent un effort de réengagement des États-Unis, risquent de le compromettre alors que les réalisations sont demeurées jusque-là modestes au regard des ambitions affichées.

L'idée d'une relativisation de l'importance du Moyen-Orient, mise en exergue avec le retrait d'Irak en 2011 et celui programmé d'Afghanistan, doit être réfutée. Les États-Unis demeurent le principal acteur dans une région où leurs intérêts restent importants :

- la lutte contre le terrorisme, d'abord ;

- la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive ensuite. Un risque élevé dans la région résulterait de l'acquisition d'une capacité nucléaire par l'Iran. L'Arabie saoudite pourrait alors être tentée d'acquérir sa propre capacité. Face à ce risque, l'administration américaine a lancé un « dialogue de sécurité », dont l'une des pierres angulaires est le renforcement des capacités de défense antimissile des pays du Golfe ; c'est aussi tout l'enjeu des négociations sur le programme nucléaire iranien ;

- mais aussi la libre circulation, compte tenu de l'importance de la région pour l'approvisionnement en hydrocarbures de l'économie mondiale ;

- et enfin la sécurité de la région, par le soutien des engagements avec les États partenaires et alliés, notamment celle du Golfe, et plus spécifiquement celle d'Israël qui reste l'allié privilégié, tout en oeuvrant pour la paix israélo-palestinienne

Tenant compte de l'évolution des contextes, et depuis la période des Printemps arabes, le président Obama a opté pour une approche pragmatique privilégiant une stratégie au cas par cas et axée davantage sur le soutien aux réformes politiques et les investissements économiques que sur la dimension militaire.

Pour autant celle-ci reste conséquente avec le renforcement de la présence navale à Bahreïn et le maintien de 35 000 hommes dans la région. Par ailleurs, les pays de la région représentent d'importants marchés d'armement.

Plusieurs dossiers prioritaires impliquent plus particulièrement les États-Unis :

- en premier lieu le programme nucléaire iranien avec la relance des négociations avec l'Iran et la conclusion de l'accord intérimaire de Genève du 24 novembre 2013 ;

- en second lieu, le règlement du conflit israélo-palestinien considéré comme « central » pour la stabilité de la région mais qui reste bloqué malgré les efforts déployés par le secrétaire d'Etat John Kerry, au point que l'on peut s'interroger sur la volonté ou la capacité des États-Unis à imposer une solution aux parties prenantes ;

- en troisième lieu, la crise syrienne avec beaucoup d'atermoiements symptomatiques de la crainte des États-Unis d'être entraînés dans un conflit. Le renoncement à des frappes après l'attaque chimique d'août 2013 en est exemplaire. Les réticences demeurent, confortées par la progression de la menace terroriste.

Enfin, la crise irakienne qui implique de nouveau les États-Unis. Devant l'offensive spectaculaire de l'EIIL, le gouvernement Maliki a appelé les États-Unis à l'aide. Le Président Obama qui a rejeté d'emblée l'envoi de troupes combattantes au sol et s'est montré réservé jusqu'à maintenant sur des frappes aériennes, a répondu en envoyant 300 membres des forces spéciales pour conseiller l'armée irakienne et l'aider à reprendre l'offensive.

Cette situation place le président dans une situation délicate :

- à l'intérieur, ayant fait du retrait d'Irak un point fort de son premier mandat, il a été fortement critiqué par le camp républicain mais peut se prévaloir du soutien des démocrates, et surtout de l'opinion publique américaine ;

- mais aussi à l'extérieur, se trouvant à front renversé de la Syrie.

Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ne considèrent plus l'Europe comme le principal enjeu mondial. Des valeurs et une histoire partagées, mais aussi une Alliance pérenne assurent une relation de qualité. La montée en puissance d'autres régions du monde ne l'altère pas. Ce contexte ne remet pas en cause les engagements stratégiques réciproques, mais conduit à une réduction de la présence militaire américaine, les États-Unis considérant l'intensité réduite des menaces et les potentialités européennes pour y faire face. Toutefois, les récentes tensions avec la Russie, notamment la crise en Ukraine, obligent à une réévaluation de cette appréciation.

Depuis la chute de l'Union soviétique et à l'instar de leurs alliés européens, les États-Unis se sont efforcés de développer des relations plus fortes avec la Russie. Cette politique, qui a connu des accrocs, notamment à la suite du conflit russo-géorgien d'août 2008, s'est traduite notamment par la signature en 2009 d'un accord sur la réduction des stocks d'armes nucléaires « New START ». Avec le retour de Vladimir Poutine, les États-Unis ont tenté de la relancer mais une succession de difficultés ont empêché sa mise en oeuvre.

La crise ukrainienne a parachevé la rupture et ouvre une situation de crise avec la suspension des coopérations, la mise en place d'une politique de sanctions et un soutien important à l'Ukraine. Toutefois, il n'y a pas déport vers le domaine militaire

Cette crise sera probablement durable et conduit les États-Unis à réévaluer leur politique même si le parallèle avec la « guerre froide » n'est pas d'actualité pour nombre d'interlocuteurs rencontrés qui doutent de la capacité de la Russie sur le long terme.

Pour autant, la nécessité d'un dialogue politique n'est pas mise en cause, aussi bien pour stabiliser la situation en Ukraine, que pour assurer la sortie des armes chimiques de Syrie ou aboutir à un accord avec l'Iran sur son programme nucléaire.

La situation dans le voisinage méridional de l'Europe est aussi une source d'inquiétude pour les États-Unis avec le développement de l'instabilité politique dans les suites des « printemps arabes » et de l'activité des groupes terroristes en Afrique du Nord, dans le Sahel et au Moyen-Orient. Ils recherchent donc les voies d'une coopération plus active avec les Européens, pour aborder ces questions et coopérer sur le plan opérationnel.

Leur objectif est d'encourager les Européens à être producteurs de sécurité plus que consommateurs. Dans le droit fil de leurs nouvelles orientations de politiques extérieures, ils apprécient l'engagement de leurs alliés, comme ce fut le cas en Libye et au Mali. Satisfecit est donné à la France.

En revanche, ils sont inquiets s'agissant de leurs capacités futures à assurer leur défense avec la baisse des budgets de la défense dans la plupart des pays.

De même, s'inquiètent-ils de la faible résilience énergétique, commerciale et financière des États européens vis-à-vis de la Russie ce qui limite leurs capacités de sanctionner. À titre d'exemple, la volonté de la France de poursuivre la vente des BPC Mistral à la Russie dans le contexte de la crise russo-ukrainienne n'est pas très bien comprise outre-Atlantique.

Nos interlocuteurs ont également souligné la force du message européen aux yeux de la Russie, lorsque les pays membres de l'Union européenne arrivaient à s'entendre sur une position commune.

La crise ukrainienne a fourni l'occasion, pour rappeler le caractère sacré de l'article 5 du Traité de l'OTAN. Ce rappel a été conforté par la mise en place de mesures de réassurance vis-à-vis des alliés orientaux.

Enfin, le renforcement des relations passe par la négociation d'un Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement dont le but est de relancer les échanges et donc la croissance sur les deux rives, mais aussi, en miroir du Traité TransPacifique, de poser un certain nombre de règles et de pratiques destinées à façonner le commerce international.

Quelques mots sur l'Amérique latine, qui était considérée comme l'arrière-cour des États-Unis et le champ de son influence pour le meilleur et pour le pire et ne semble plus être une priorité de sa politique étrangère. Le président Obama a souhaité la mise en place d'un nouveau partenariat fondé sur le respect mutuel. « The era of the Monroe Doctrine is over » Cette politique est critiquée pour son manque d'ambition et parce qu'elle a favorisé l'émergence de deux puissances régionales, le Brésil et le Venezuela, et permis à des puissances extérieures (Russie, Chine, Iran) d'être plus présentes.

Enfin, l'Afrique subsaharienne n'a jamais été placée en tête des priorités stratégiques américaines. On observe toutefois depuis un an et demi un regain d'intérêt mais avec deux limites : la sécurité de l'Afrique incombe d'abord aux Africains, tandis que les États-Unis privilégient une empreinte sécuritaire minimaliste. Ce cadre ainsi posé permet de saisir le positionnement des États-Unis à l'égard des opérations en cours en Afrique et de la coopération franco-américaine, qui pourraient constituer les prémices d'une nouvelle forme d'engagement en Afrique. Ce modèle s'inscrit dans la logique de partage des missions et responsabilités avec des alliés.

Dans leur nouvelle stratégie régionale, les États-Unis souhaitent recentrer leurs actions sur d'autres aspects mais dans la réalité, les enjeux sécuritaires s'imposent. Outre la gestion des conflits, la lutte contre les menaces transnationales (terrorisme, drogues, piraterie, prolifération nucléaire) constitue un impératif. La stratégie privilégie en conséquence une approche intégrée, dans laquelle l'assistance militaire est accompagnée d'un soutien aux institutions démocratiques, à la société civile, au développement et à la croissance économique.

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