Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juillet 2014 : 1ère réunion
Evolutions stratégiques des etats-unis : quelles conséquences pour la france et pour l'europe — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Au terme de cet exposé, nous en venons à notre questionnement initial. Cette stratégie est-elle pérenne ?

Notre réponse est : « en partie».

D'abord, elle est critiquée par une partie des élites. Emblématique d'une politique étrangère jugée «faible», la gestion des crises par B. Obama aurait enhardi les adversaires, inquiété les alliés et mis Washington en position réactive. D'aucuns s'inquiètent d'un affaiblissement de la crédibilité de la parole du président et de la capacité de dissuasion des États-Unis.

La confrontation de la vision et des modes d'action à la réalité montre bien l'écart entre le champ du souhaitable et le champ du possible ; car l'agenda international des États-Unis est en partie dicté par l'extérieur.

Pour autant, la retenue du président face au risque d'enlisement dans de nouveaux conflits est saluée par la majorité d'une opinion publique de plus en plus centrée sur les problèmes intérieurs et, sauf forte dégradation de la situation internationale, cela risque de durer encore quelques années, limitant les capacités d'engagements militaires extérieurs.

Toutefois, l'évolution des déterminants internes pourrait redonner des ambitions à la politique américaine, notamment la sortie progressive de la crise économique et l'acquisition de l'autosuffisance énergétique grâce à l'exploitation des schistes. Les États-Unis seront même en mesure d'exporter une partie de leur production, ce qui est un avantage économique et un renforcement de puissance. En revanche, l'utilisation directe des ressources énergétiques comme un outil diplomatique s'avère plus problématique, même si cela donne d'ores et déjà des marges de manoeuvre pour mettre en place un embargo sur les exportations de pétrole de l'Iran par exemple et permettra aux États-Unis de s'extraire de la dépendance d'un pays fournisseur pour mener une diplomatie plus équilibrée ou soutenir tel ou tel pays.

Restent les facteurs de blocage politique. Les mid-terms de novembre prochain permettront peut-être aux Républicains de conquérir la majorité au Sénat. Dans cette hypothèse, il faut s'attendre à des difficultés pour le président à faire accepter des projets de traité multilatéraux et à l'imposition de conditions plus fortes pour l'attribution des aides extérieures. Le président sera dans l'obligation de parvenir à des compromis. Paradoxalement, on peut s'attendre à ce que certaines questions comme celle des traités de libre-échange ou celle du budget de la défense soient plus faciles à négocier. Dans les deux cas, ce sont en effet les démocrates qui ont exprimé les plus fortes réticences.

S'agissant de l'échéance de 2016, deux facteurs suscitent un examen attentif. Dans le camp démocrate, la sortie du livre de l'ancienne Secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, préfigure son éventuelle candidature. Dans l'hypothèse de son élection, la politique extérieure des États-Unis poursuivra une voie proche de l'actuelle, mais avec probablement un investissement plus important.

Dans le camp républicain, plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Le premier est que les candidats potentiels se sont peu exprimés sur des questions de politiques étrangères et de défense. Le second est que le parti républicain est traversé de différentes écoles de pensée qui influencent les politiques menées par les présidents. Le troisième est la place accordée à l'allié israélien qui constitue un marqueur de la politique étrangère républicaine.

Quels que soient les résultats des prochaines échéances et sauf « surprises stratégiques », certaines grandes tendances semblent devoir marquer les prochaines années et être appréciées, à la nuance près, comme des invariants de la politique étrangère américaine.

L'engagement en Asie est une tendance de long terme qui n'est pas près de s'effacer, mais les États-Unis resteront engagés au Moyen-Orient et en Europe. Il y a une interconnexion de plus en plus grande entre les questions dans le monde qui rend impossible à une puissance de la taille des États-Unis de limiter sa présence, son influence et son intervention. Reste la question de la soutenabilité de cet effort et sur ce point les États-Unis seront sans doute plus exigeants à l'égard de leurs alliés pour prendre en charge leur défense. Enfin, en compensation du repli stratégique, la diplomatie économique américaine prend un relief inhabituel

Ceci nous amène à nos dernières questions. Quelles conséquences pour la France, l'Europe et l'OTAN ?

La stratégie américaine appelle à donner plus de poids aux alliés et aux partenaires dans une logique de partage accru des responsabilités. La France est en mesure d'exprimer une vision stratégique indépendante et de s'impliquer dans la gestion globale des crises. Elle dispose d'un outil militaire efficace, qui est un véritable atout diplomatique, peut-être le plus important dans son jeu compte tenu de sa situation économique, et d'une connaissance de son environnement proche, notamment de l'Afrique. De ce point de vue, elle répond aux attentes des États-Unis. Le dialogue stratégique pourrait se poursuivre, s'approfondir et s'étendre à d'autres régions, je pense à l'Asie-Pacifique, mais aussi à d'autres domaines, la surveillance de l'espace et la cyberdéfense. Nous pourrions même essayer de mettre en place des échanges plus fréquents avec les commissions du Congrès. En tout cas, cela montre bien aussi l'utilité de nous battre pour maintenir notre outil de défense et l'exécution de la LPM !

L'Europe est appelée à prendre davantage de responsabilité et, au premier chef, dans la défense de son territoire. Cela veut dire en premier lieu un effort de défense accru, le parapluie américain n'est pas immuable, le contribuable américain supporte de moins en moins de devoir subventionner la défense de l'Europe alors que les Européens ont les moyens de porter cet effort. Mais en ont-ils la volonté ? C'est toute la question de la défense européenne au sens large.

L'Union européenne aurait tout intérêt à y inclure la politique énergétique pour se mettre à l'abri de situations de dépendance.

Toutefois sur la notion d'autonomie stratégique, la vision de Washington est ambivalente, notamment sur le plan industriel. Il faut arriver à convaincre les Américains qu'une Europe forte et impliquée, c'est aussi une Europe qui dispose d'une BITD solide et créatrice d'emplois, même si elle concurrence les industriels américains.

Le prochain sommet de l'OTAN devrait donner lieu à une déclaration sur le partenariat transatlantique qui réaffirmera la place de l'organisation dans la défense de l'Europe. Dans cette perspective, il me semble que le temps est venu de consolider notre place, d'oeuvrer pour un meilleur partage des responsabilités et des charges, transatlantique mais aussi intra-européen, qui prennent en compte les efforts budgétaires, mais aussi les engagements y compris à l'extérieur car en sécurisant l'environnement proche, c'est bien à la sécurité de la zone euro-atlantique que l'on contribue. Enfin, il me parait intéressant de réaffirmer la complémentarité de l'OTAN et de l'Union européenne, notamment en matière de gestion globale des crises. Il ne s'agit pas de se détacher des États-Unis avec lesquels nous partageons un socle étendu de valeurs communes, mais d'être plus présents lorsque les intérêts convergent et capables de s'engager seuls, lorsque les États-Unis ne sont pas en mesure de le faire.

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