Intervention de Jean Agulhon

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 17 juin 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Jean Agulhon directeur des ressources humaines france du groupe renault

Jean Agulhon, directeur des ressources humaines France du groupe Renault :

Cela fait déjà plusieurs années qu'au sein de Renault, les allègements de charges sociales font partie du débat interne, et, même, de toutes les négociations sociales. Un mot de méthode sur l'accord auquel nous sommes parvenus et qui a été signé le 13 mars 2013 : la négociation a d'emblée été conduite par un binôme associant la direction des ressources humaines et la direction opérationnelle France.

Cet accord trouve ses origines en 2008-2009, lorsque nous nous sommes trouvés face à une crise dont nous pensions alors qu'elle serait conjoncturelle. Deux principaux outils étaient alors mobilisables : un plan de départ volontaire assorti d'un recours au chômage partiel, pour garantir des ressources à nos collaborateurs et préparer l'après-crise en mettant l'accent sur la formation, avec l'idée que la crise serait de courte durée et que nous en sortirions par le haut ; second outil, un « contrat social de crise », par lequel des cadres abandonnaient des droits à congés que nous monétisions pour compléter la rémunération des ouvriers et des techniciens, ce qui revient à une solidarité des fonctions d'ingénierie et du tertiaire avec la production industrielle. C'est dans la négociation de ce premier accord que nous avons mis en place les éléments de méthode, que des informations ont été échangées et que des habitudes de travail commun ont été prises, qui ont été mobilisées pour parvenir à l'accord signé l'an passé.

En 2012, nous constatons une rechute de l'industrie automobile européenne, après une certaine embellie des années 2010-2011. Cette rechute est brutale, pour la production comme pour le marché européen : alors qu'en 2007 Renault produisait 1 à 1,2 million de véhicules par an, nous n'en produisons plus que 500 à 530 000 en 2012 puis en 2013, avec un outil industriel identique ; dans le même temps, le marché toutes marques européen recule de 30 %. Cette crise, ensuite, nous apparaît durable : les prévisionnistes disent que le niveau d'avant crise ne sera pas retrouvé avant 2020. Nous comprenons que cette crise est structurelle et que nos outils n'y sont pas adaptés. Dernier élément de contexte à signaler : en 2012, General Motors annonce la fermeture de sites en Belgique et PSA commence à communiquer sur l'avenir de son site d'Aulnay.

Nous avions profité de l'embellie de 2010-2011 pour conduire une négociation ambitieuse de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC), en partageant les éléments de stratégie de l'entreprise avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives. C'est à ce moment que nous partageons ce diagnostic du passage à une crise structurelle et que nous installons un groupe technique paritaire pour continuer de travailler ensemble - il se réunira toutes les semaines pendant les mois suivants, jusqu'à la négociation de l'accord.

Le diagnostic pointe le rôle des coûts de production dans l'écart de compétitivité entre notre production et celle de nos voisins : un véhicule que nous fabriquons dans notre usine de Flins, nous revient à 1 300 euros de plus que celui que nous fabriquons à Bursa en Turquie. Le diagnostic souligne également que l'industrie automobile européenne est globalement excédentaire de 20 % à 30 % ; sachant qu'une usine de carrosserie-montage devient compétitive à partir de 250 000 véhicules par an, notre production pourrait se contenter de deux usines, alors que nous en avons cinq.

Nous nous sommes alors engagés sur deux orientations : maintenir notre outil industriel par tous les moyens, sans fermeture de site, car nous savions qu'un site fermé ne serait jamais rouvert ; nous avons alors fait comme si nous n'avions que deux sites, en nous réorganisant autour de la vallée de la Seine d'une part, et du Nord et Est d'autre part ; seconde orientation : la baisse des coûts de production. La négociation a duré quatre mois et porté sur tous les sujets en parallèle, pour un accord à durée déterminée et avec l'idée de contreparties respectives : autant de premières dans l'histoire des négociations sociales à Renault. L'accord signé le 13 mars 2013 est également sans précédent dans notre histoire sociale par son titre, qui a fait l'objet de longues négociations : « Accord pour une nouvelle dynamique de croissance et une nouvelle dynamique sociale ». La direction générale s'est engagée sur un volume d'activité, à 720 000 véhicules fin 2016, en comptant sur la reprise du marché toutes marques, sur un gain de parts de marché à la faveur du renouvellement de la gamme - après le succès de la Clio IV et de la Captur -, mais aussi sur un accord avec Nissan pour fabriquer des Micra en France. Un premier engagement a porté sur 80 000 Micra pour Flins d'ici 2017, auxquelles ont été ajoutées 50 000 Micra, soit un total de 130 000 véhicules d'ici la fin 2017.

Les partenaires sociaux ont accepté des contreparties de modération salariale, d'augmentation du temps de travail et d'amélioration de la performance. La durée de travail de référence a été alignée sur les 35 heures dans toutes les usines, sans compensation salariale. L'accord comprend également un engagement de modération salariale : pas d'augmentation en 2013 et seulement + 1 % en 2014, ce qui a été accepté par deux des trois organisations syndicales signataires de l'accord. Pour la première fois de son histoire, Renault a donc vu ses coûts de production et son coût salarial diminuer en 2013, ce qui a été fait en Espagne il y a deux ans.

Cet accord est donc sans précédent par sa méthode et ses résultats, il se fonde sur la conviction partagée qu'il n'y aura pas de développement sans prendre en compte le facteur humain, mais aussi pas de progrès sans croissance de l'entreprise - ce qui est un peu l'esprit du pacte de responsabilité mais n'avait rien d'évident il y a encore peu dans notre entreprise. Les allègements de charges sociales et le Cice ont une importance majeure, parce qu'ils entrent dans le calcul que nous faisons des prix de production; lorsque nous nous engageons à fournir des Micra à Nissan, nous le faisons sur la base d'un prix qui intègre les apports des allègements. Avec l'accord auquel nous sommes parvenus, je crois que notre entreprise a fait sa part de travail pour que les aides aillent effectivement dans le sens de l'activité et de l'emploi.

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