Intervention de Francis Grignon

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 15 juillet 2014 : 1ère réunion
Voies navigables de france — Examen du rapport d'information

Photo de Francis GrignonFrancis Grignon, rapporteur :

Nous allons vous présenter les résultats de notre mission de contrôle de l'application de la loi du 24 janvier 2012 sur Voies navigables de France, dont j'ai moi-même été rapporteur lors de sa discussion au Sénat.

Des doutes avaient pu être exprimés sur le choix de ce contrôle au vu du faible historique de la loi. De fait, celle-ci n'est entrée en vigueur pour l'essentiel que le 1er janvier 2013 tandis que la période transitoire prévue pour nombre de ses dispositions n'est pas encore achevée à cette date. Par ailleurs, à première vue, la loi avait un objet limité consistant à procéder au transfert de services ministériels sous l'égide de VNF. Sur ce point, elle a peut-être déçu ceux qui auraient souhaité un texte plus ambitieux. En réalité d'autres dispositions de la loi, relatives à l'objet social de VNF, témoignaient qu'il s'agissait plus largement d'apporter des solutions à un problème d'adaptation de VNF à ses missions. De fait, celles-ci ont connu un regain d'actualité et d'exigences dans la période entourant l'examen du texte, dans la foulée du Grenelle de l'environnement qui avait prévu le doublement du volume de fret fluvial.

Par ailleurs, il faut rappeler que le processus législatif avait été précédé d'une négociation sociale conclue par un accord du 21 juin 2011, signé par la quasi-totalité des organisations syndicales et qui formalisait une série d'engagements incluant les principes d'action pour une ambition fluviale renouvelée. J'en rappelle ici les principaux : caractère public de l'établissement administratif VNF, maintien de la propriété de l'État, garantie pour les agents de droit public et de droit privé que leurs avantages individuels et collectifs seront préservés, maintien de toutes les voies d'eau et engagement que la relance de la voie d'eau concernera tout le réseau, enfin, engagement qu'aucun agent ne se verra imposé une mobilité géographique.

Au moment de la signature de l'accord, le climat était à l'euphorie. VNF avait prévu de mobiliser 840 millions sur quatre ans, de 2010 à 2013, mais quelques années après, on a vu que les moyens n'étaient pas au rendez-vous.

Notre approche a consisté à apprécier si VNF se trouvait en mesure d'appliquer la loi en ses divers dispositifs et en son esprit gouverné par les objectifs ambitieux d'une restauration du fluvial en pleine cohérence avec les engagements ayant entouré l'adoption de la loi.

Nous avons rencontré les différents acteurs du secteur et toutes les organisations syndicales. Celles-ci ont manifesté leur insatisfaction qui s'est traduite par divers mouvements sociaux au printemps conduite par une intersyndicale. La grève alors décidée a été fortement suivie, la dernière réunion du conseil d'administration de VNF a été envahie. Même si des revendications ont été énoncées, ces mouvements semblent trahir un malaise diffus face à des incertitudes sur l'avenir de VNF dans le contexte de l'application de la loi.

A l'expérience donc, notre mission s'est d'emblée située dans une actualité sociale. Mais l'actualité du secteur fluvial concerne encore d'autres dimensions de sorte qu'il n'est pas prématuré de consacrer nos travaux à un sujet qui appelle incontestablement des clarifications.

Nos conclusions s'ordonnent autour de trois idées simples qui forment autant de chapitres du rapport que nous vous soumettons. Nous allons les développer à deux voix, si j'ose dire !

Première idée : alors que l'économie des transports justifie que la France comble son déficit fluvial, engagement fort du processus ayant abouti à la loi de 2012, des hésitations intervenues depuis doivent être levées.

Deuxième idée : alors que la loi avait entendu conforter VNF dans son rôle d'acteur unifié et leader de la politique fluviale, il est à craindre que celui-ci ne reste qu'un agent parmi d'autres soumis à un état de minorité et peinant à faire émerger une communauté de la voie d'eau souhaitée par la loi.

Troisième idée : sans réponses apportées aux nombreux points de vulnérabilité financière de VNF, la condition principale de son devenir et de celui de l'offre fluviale, l'investissement, ne sera pas satisfaite.

L'économie des transports appelle à combler le déficit fluvial du pays, engagement au coeur de la loi. À cet égard, certaines hésitations sur les prolongements donnés à cette ambition conduisent à nourrir des doutes qu'il convient de lever.

La France connaît un déficit fluvial qui se manifeste par quelques données éloquentes. La part du transport fluvial de marchandises s'élève entre 2 et 4 % du total selon les chiffrages quand elle atteint 31 % aux Pays-Bas, 14 % en Belgique et 12 % en Allemagne. Ce retard français apparaît paradoxal puisque la France dispose de 24 % du réseau fluvial européen tout en ne pesant que 8 % du fret fluvial. Mais notre réseau fluvial n'a pas les facilités de celui du Plat pays ! Il souffre de quelques handicaps naturels pour le développement de son potentiel.

Le grand gabarit qui est nécessaire à la massification des transports, elle-même critère important de la compétitivité, est sous-développé ; seules 30 % des voies navigables atteignent cette norme, le petit gabarit « Freycinet » étant de règle sur l'essentiel du domaine.

Le petit gabarit est intéressant pour une desserte locale et pour le tourisme, mais il ne répond pas aux enjeux d'avenir. Par ailleurs, le réseau est segmenté ce qui réduit la fluidité des solutions logistiques accessibles dès qu'il faut emprunter différents bassins. Enfin, le réseau est en mauvais état, des années de sous-investissement ayant fragilisé son architecture et les ouvrages particulièrement nombreux qui le ponctuent.

La fragilité du fluvial n'est pas limitée à son infrastructure. Elle atteint la profession batelière, trop centrée sur des petites exploitations familiales, et provient aussi d'une forme de clivage entre le transport fluvial et le transport maritime. Comparativement aux pays où le premier est bien développé, les solutions de continuité n'existent pas en France. On peut citer à cet égard l'exemple de la « Chatière du Havre » où aujourd'hui le chargement des bateaux arrivant au port maritime est transféré sur un train et accomplit un trajet de trois kilomètres avant de pouvoir être confié au transport fluvial. En clair, notre réseau n'est pas performant et ne nous permet pas de répondre aux objectifs du Grenelle de l'environnement.

Le lien entre maritime et fluvial doit être renforcé. Cela suppose de poursuivre les efforts de soutien à la flotte fluviale en les amplifiant, notamment pour lutter contre les distorsions de concurrence nées de de la diversité des statuts fiscaux, sociaux et environnementaux existant en Europe. Une Europe du fluvial reste à construire. Cela suppose aussi de renforcer la coordination entre VNF et les grands ports maritimes français. À cet égard, il faudrait sans doute considérer avec une complète attention les opportunités qui s'offrent suite aux phénomènes de congestion auxquels est confronté le système fluviomaritime de la « Rangée du Nord ».

Mais, depuis l'adoption de la loi des hésitations sont apparues qu'il convient de dissiper.

Avant d'y revenir, il faut bien parler d'une longue tradition de « pas de deux » dans le domaine de la politique fluviale du pays. Elle peut s'expliquer par la taille du secteur qui pâtit du syndrome du « trop petit pour compter ». Mais elle est aussi en quelque sorte inhérente aux investissements dont la rentabilité marchande est faible quoique leur utilité collective soit considérable. C'est bien sûr tout particulièrement le cas de l'infrastructure fluviale qui, selon une étude publiée dans les comptes des transports pour 2011, est de loin le mode de transport le plus économe en termes environnementaux. On estime par exemple que les coûts non pris en compte par le marché s'élèvent à 33,7 milliards d'euros pour le routier, à 1,71 milliard pour le ferroviaire mais à seulement 199 millions pour le fluvial. Une péniche Freycinet peut équivaloir à environ 14 camions tandis qu'un équipage plus moderne empruntant le grand gabarit peut transporter l'équivalent de 110 camions de 40 tonnes, un convoi de 300 mètres, à quatre niveaux, avec pousseur arrimé peut transporter jusqu'à l'équivalent de 700 camions ! On comprend l'intérêt des voies navigables pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre sans compter différentes externalités très préoccupantes.

En résumé, cette loi a certes permis d'établir des règles sociales claires qui conviennent à tout le monde, mais elle pâtit de l'absence d'objectifs précis pour l'établissement VNF, ce qui suscite une grande déception chez les acteurs concernés.

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