Intervention de Yves Rome

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 15 juillet 2014 : 1ère réunion
Voies navigables de france — Examen du rapport d'information

Photo de Yves RomeYves Rome, rapporteur :

J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Francis Grignon dont l'expertise en la matière est très grande, eu égard au premier rapport qu'il a rédigé lors de l'examen de la loi qui nous occupe aujourd'hui.

Les motifs qu'il vient d'évoquer ont conduit aux engagements que vous connaissez mais certaines hésitations tendent à les fragiliser suscitant des doutes qu'il faut dissiper sur les grandes orientations de la stratégie fluviale du pays.

Il faut souhaiter que le projet « Voies d'eau 2018 » soit sécurisé et que le canal Seine-Nord Europe soit enfin lancé. Or, force est de reconnaître que l'ambition fluviale est sortie affaiblie des travaux de la commission « Mobilité 21 », réunie pour définir le schéma national des infrastructures de transport, alors que le projet « Voies d'eau 2018 » reste en suspens, les quelques 2,5 milliards d'euros d'investissement qu'il prévoyait paraissant remis en cause selon des informations transmises en toute fin de mission à vos rapporteurs. Une fois encore les choix stratégiques pourraient être affectés remettant en cause les décisions adoptées par le Parlement et entraînant la déception voire l'attrition du secteur. Ces valses hésitations ont d'ailleurs un coût puisqu'une partie des dépenses réalisées dans le cadre des projets abandonnés après avoir été lancés s'apparente à des dépenses à fonds perdus.

Ce serait bien sûr le cas pour le canal Seine-Nord Europe pour lequel VNF a déjà dépensé 258 millions d'euros. Les péripéties rencontrées par ce projet vous sont connues. Ses coûts prévisionnels ont subi une très forte inflation si bien qu'il a dû être suspendu. Une mission de reconfiguration a permis de les ramener à un niveau de l'ordre de 4,4 milliards d'euros, démontrant que quelques modifications techniques et, surtout, la substitution d'une autre formule au contrat de partenariat public-privé envisagé, aux coûts financiers pléthoriques, permettaient de se doter d'une infrastructure structurante pour le développement du fluvial. Il faut insister sur l'urgence de s'engager dans cette démarche puisque la Commission européenne est prête à le financer à hauteur de 40 % si l'on en croit la déclaration faite en ce sens à Tallinn le 17 octobre 2013. Compte tenu des délibérations adoptées par les collectivités locales traversées par ces infrastructures et de la possibilité d'accéder à un endettement limité et préférentiel, il faut saisir cette opportunité. Laissez-moi observer incidemment que les projets de réorganisation territoriale en cours exposent le pays à subir des retards d'investissement désastreux dès lors que les collectivités territoriales qui sont les premiers investisseurs publics et des investisseurs de proximité seront démunies de leurs compétences, notamment la clause de compétence générale. Compte tenu du calendrier européen, une réelle urgence s'impose puisque les soumissions au Mécanisme pour l'interconnexion en Europe doivent être bouclées avant la fin de l'année. Ce projet permettrait sans doute à VNF de devenir l'acteur leader du transport fluvial qu'en dépit de la loi de 2012, il n'est pas encore et il contribuerait sans doute à l'unification des personnels de la voie d'eau souhaitée par la loi mais qui peine à émerger. Ce sont les questions que nous examinons dans le deuxième chapitre du rapport.

La loi de 2012 a souhaité amplifier les logiques de l'histoire de l'organisation administrative de la gestion des voies navigables en consolidant l'autonomie de VNF, en procédant à l'unification de ses effectifs pour qu'ils forment une communauté des personnels de la voie d'eau et en consacrant VNF comme l'acteur majeur du transport fluvial en France. Ces différentes orientations sont confrontées à des résistances qui conduisent à douter de l'effectivité des impacts attendus de la loi de 2012.

Le choix fait de conserver à VNF un statut d'établissement public autonome tout en le faisant passer de l'habit industriel et commercial au costume administratif n'est pas en cause. Il est bon qu'une entité puisse incarner le destin fluvial du pays et le défendre. La composition de ses effectifs à 90 % publics après les transferts des services réalisés par la loi et l'insignifiance de ses ressources commerciales étaient peu compatibles avec le maintien sous statut d'EPIC qui n'était porteur que de peu d'avantages pour VNF.

L'autonomie de VNF est factice, c'est préoccupant. L'établissement est corseté par une tutelle foisonnante qui la rend illusoire. Les conditions de fonctionnement du conseil d'administration de VNF en deviennent un peu irréelles ce qui n'est pas satisfaisant. Chaque acte significatif de gestion est contrôlé et VNF est maintenu dans un état de minorité financière. Il lui est interdit de s'endetter ce qui, étant donné sa vocation d'investisseur, peut être source de reports de programmes qui peuvent être coûteux.

Les contraintes subies du fait d'une tutelle qui sait empêcher mais a des difficultés à concevoir et à conduire une stratégie fluviale créent des risques de contournement et de ruptures d'engagements. Ruptures avec les engagements sociaux pris à l'occasion de la loi mais aussi avec les engagements commerciaux de VNF. Contournements divers pouvant se traduire par le recours à des externalisations non optimales mais permettant de sanctuariser des moyens constamment remis en cause ou d'échapper aux contrôles de gestion subis par VNF. Contournement aussi pour accéder à des financements fermés par la prohibition faite à VNF d'emprunter au prix d'un renchérissement des projets et d'engagements pesant sur les marges de manoeuvre de l'établissement et finalement sur les finances publiques.

C'est dans ce contexte limitant qu'il faut apprécier la portée de l'unification des personnels de la voie d'eau sous la direction de VNF qui, en plus de recevoir des prolongements quelque peu réducteurs dans les nombreux textes réglementaires prévus pour l'application de la loi, se heurte à des difficultés pratiques qu'il faut surmonter si l'on veut faire émerger cette communauté des personnels de la voie d'eau qui était l'une des cibles fondamentales de la loi.

Il faut d'abord convenir que les opérations nécessaires à la gestion des personnels placés sous l'autorité du directeur général de VNF se sont bien déroulées. C'est une satisfaction puisque le niveau des effectifs concernés était assez élevé, autour de 4 300 unités. Cependant, la déclinaison du transfert n'aboutit pas à considérer que les pouvoirs de gestion des personnels aient réellement été confiés à VNF. D'abord et avant tout, il ne s'agit pas à proprement parler d'un transfert mais d'un élargissement des compétences de direction de VNF sur les agents de la voie d'eau. Chacun conserve son statut si bien que l'empilement des textes réglementaires pris dans le cadre des délégations de gestion consenties par le ministre aboutit à des nuances infinies selon le corps d'appartenance. Le directeur général de VNF n'a que peu de prise sur les promotions et aucune sur les régimes indemnitaires, ce qui n'est pas rien.

Mais ce sont surtout des considérations pratiques qu'il faut faire valoir. Si des pouvoirs de recrutement ont été accordés, c'est dans la limite des procédures de recrutement de la fonction publique que VNF ne décide pas, excepté dans certains cas limités. Par ailleurs, les engagements sociaux pris au cours du processus de réforme, soit avant la loi, dans l'accord de juin 2011, soit après la loi dans le protocole portant « cartographie des emplois », limitent considérablement les compétences de direction. Aucune mobilité ne peut être exigée des agents, ce qui est crucial étant donné les besoins d'adaptation géographique que nous avons identifiés. Par ailleurs, la répartition des agents de VNF entre ceux relevant de la fonction publique et ceux sous statut privé est figée, ce qui n'est pas tout à fait conforme à l'esprit de la loi.

Ce dernier arrangement est une illustration des difficultés persistantes à unifier les personnels de la voie d'eau. Je serai bref sur ce point. On s'était beaucoup focalisé au moment de la loi sur l'architecture des institutions représentatives du personnel (IRP) et nous avions abouti à une solution transitoire dont il semble difficile de sortir. Mais, d'autres composantes de la réforme avaient moins retenu l'attention. Des différences substantielles existent dans les statuts des agents. Elles doivent être aplanies ce qui pourrait entraîner quelques coûts en lien avec les écarts de régimes indemnitaires et de dotations des IRP.

Je passe rapidement sur le dernier objectif de la loi qui était de consacrer VNF comme un leader incontestable du domaine fluvial français. Il faut constater que VNF est un parmi plusieurs. Outre sa soumission aux tutelles, déjà envisagée, plusieurs éléments peuvent être évoqués. VNF n'est pas maître de la totalité du domaine fluvial et certains segments particulièrement dynamiques lui échappent ce qui réduit les possibilités de mutualisation des ressources. VNF n'a même pas la propriété du domaine qui lui est confié et il doit composer avec les exigences de France Domaine. Quant aux dispositions de la loi visant à recentrer VNF sur le domaine navigable à forts enjeux de transport, en transférant une partie du réseau aux collectivités territoriales, elles n'ont pas connu le succès. Cette remarque n'équivaut évidemment pas à minorer l'importance de la contribution des collectivités territoriales à la voie d'eau. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, en effet, il est difficile de se passer des collectivités territoriales !

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