Intervention de Isabelle Lajoux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juillet 2014 : 1ère réunion
Sécurisation des transactions relatives à la zone d'aménagement concerté du quartier de gerland lyon — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Isabelle LajouxIsabelle Lajoux, rapporteur :

Je vous propose de joindre à l'examen de cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, celle de notre collègue Gérard Collomb, qui présente le même objet. Elles visent à mettre un terme à un risque contentieux, en validant les contrats de vente ou de bail pris à l'occasion de l'établissement de la zone d'aménagement concertée du quartier central de Gerland à Lyon.

En effet, la légalité de ces actes est fragilisée par un vice de procédure remontant à plus de trente ans qui, s'il n'a jusqu'à présent donné lieu à aucun recours, pourrait à l'avenir être utilisé à des fins dilatoires, pour contester les futurs actes pris en application du nouveau plan d'aménagement du quartier Gerland.

La ZAC de Gerland a été créée au début des années 1980 sur des terrains initialement dévolus aux abattoirs municipaux de la ville de Lyon, fermés en 1967 à la suite de la délocalisation de l'activité dans une autre commune de l'agglomération. La création de la ZAC a permis de tirer parti de cette friche industrielle.

La partie Ouest de la parcelle a servi à l'implantation de l'ENS de Lyon, de l'INSERM ou de l'établissement français du sang. C'est dans la partie Est, cédée à des bailleurs sociaux ou à des personnes privées - ce qui a permis la construction de logements et de commerces et l'implantation du siège social de l'entreprise Sanofi - que se pose le problème : les opérations de cession des terrains sont entachées d'un vice de procédure susceptible de conduire à leur remise en cause. En effet, les terrains n'ont pas été formellement déclassés du domaine public de la ville de Lyon.

Même si les faits remontent à plus de trente ans et n'ont jamais fait l'objet d'aucun recours, cette remise en cause menace potentiellement la propriété de tous ceux qui se sont, en toute bonne foi, portés acquéreurs. Elle menace aussi le nouveau projet ambitieux d'aménagement de la ZAC de Gerland.

Telles sont les données du problème. De là, deux questions se posent : le vice de procédure allégué est-il réel ? Et si tel est le cas, la validation proposée est-elle acceptable ?

La première question appelle une réponse positive. En effet, la distinction entre le domaine public et le domaine privé d'une collectivité rend compte du fait que, parce qu'ils sont affectés à l'usage du public ou d'un service public, certains biens détenus par une personne publique doivent bénéficier d'une protection juridique particulière, qui se décline en trois traits : inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité ; ceci afin d'assurer la pérennité de cette affectation et de les mettre à l'abri de toute cession ou de toute appropriation par des personnes privées. Les abattoirs municipaux étant un service public, il va de soi que les terrains sur lesquels ils étaient établis relevaient du domaine public de la collectivité.

Si l'administration peut en principe librement disposer des biens rattachés à son domaine privé, comme le ferait un particulier, tel n'est pas le cas pour les biens de son domaine public. Elle ne peut en principe les céder, sinon en procédant à leur déclassement de son domaine public vers son domaine privé. Ce déclassement procède de deux opérations distinctes. La première est matérielle : il s'agit de la désaffectation du bien initialement dévolu à l'usage du public ou à l'accomplissement du service public. Au cas présent, il s'agissait de la fermeture des abattoirs, intervenue en 1967, et de leur démolition. La seconde opération est juridique : la collectivité doit prendre formellement une décision qui constate le déclassement et le passage du terrain, qui ne fait plus l'objet d'une affectation à l'usage du public, dans son domaine privé. Le juge administratif n'accepte pas les déclassements implicites et exige une décision expresse, faute de quoi, il considère que le bien est toujours rattaché au domaine public de la collectivité concernée et demeure donc inaliénable. Il annule en conséquence les ventes, les échanges ou les dons consentis sur ce bien.

C'est là que le bât blesse, dans le cas de la ZAC de Gerland : si la désaffectation a bien eu lieu, à aucun moment la collectivité n'a formellement procédé au déclassement des terrains. Leur mise à bail ou leur vente pourraient donc être annulées, même trente ans après les faits. On ne peut exclure qu'à l'occasion du nouveau projet d'aménagement, des recours soient engagés sur ce fondement.

La proposition de loi, qui valide les opérations passées, vise à éviter ce désordre contentieux en rendant impossible une contestation sur le fondement de cette illégalité, afin de sécuriser des acquisitions opérées en toute bonne foi.

La validation est donc bien justifiée. Est-elle conforme au droit ? Il me semble que oui, parce qu'elle est très strictement délimitée.

Sans être systématique, la pratique des lois de validation est fréquente : on en compte entre dix et vingt selon les années. Elle n'en est pas moins exorbitante du droit commun, puisque l'intervention législative peut, le cas échéant, contrecarrer des décisions de justice et porter atteinte aux droits des justiciables. Elle est, partant, très encadrée par les jurisprudences constitutionnelle, administrative et judiciaire, ainsi que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Ces jurisprudences sont très largement convergentes. Le Conseil constitutionnel soumet la conformité d'une validation législative à la Constitution au respect de cinq conditions, auxquelles satisfait la proposition de loi qui nous est soumise.

Première condition, la validation doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. Ce point, on l'a vu, est acquis : il s'agit d'éviter la remise en cause de situations acquises depuis trente ans et de permettre d'engager une nouvelle opération d'aménagement d'intérêt régional, voire national, avec la création d'un biopôle à Lyon.

Deuxième condition, la validation doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée. À défaut, le principe de la séparation des pouvoirs serait méconnu. La proposition de loi réserve expressément ce cas.

Troisième condition, elle doit respecter le principe de la non-rétroactivité des peines et des sanctions. Cela va de soi pour ce texte qui ne porte pas sur une sanction.

Quatrième condition, l'acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle. Ce point ne fait pas non plus difficulté : les abattoirs municipaux étaient fermés depuis plus de dix ans au moment de la création de la ZAC, aucune atteinte n'a été portée à la continuité du service public.

Cinquième condition, enfin, la portée de la validation doit être strictement délimitée. La catégorie des actes validés doit être clairement définie, ainsi que le motif précis dont le législateur entend purger les actes contestés. Tel est bien le cas ici, le champs du texte étant strictement délimité : ne sont concernés que les actes de cession de terrain, de bail ou de concession d'usage emportant reconnaissance de droits réels, conclus dans le cadre de la ZAC de Gerland, et pour le seul motif tiré de l'absence de déclassement. Aucun autre type d'illégalité n'est couvert pas la validation.

La proposition de loi paraît donc tout à fait conforme aux exigences constitutionnelles comme aux exigences conventionnelles.

Pour conclure, je formulerai trois observations. La validation, tout d'abord, ne saurait valoir pour l'avenir : elle n'affectera que les actes antérieurs à la promulgation de la loi. À défaut, sa portée pourrait être jugée imprécise. En revanche, les actes légalement adoptés à partir de décisions validées ne pourront faire l'objet d'aucune contestation.

Deuxième observation, si la proposition de loi régularise les actes conclus en dépit de l'absence de déclassement, elle ne vaut pas, par elle-même, déclassement des terrains en cause. La ville de Lyon devra donc procéder au déclassement. Elle devra le faire, en tout état de cause, avant tout renouvellement de l'un des actes validés, soit, à leur échéance, les baux ou concessions d'usage consentis à l'époque. À défaut, le nouvel acte serait entaché de la même illégalité que celui qu'il renouvelle. J'ai alerté les représentants de la ville de Lyon sur ce point, qui m'ont assuré qu'ils entendaient bien procéder ainsi.

Enfin, l'illégalité ici couverte est une irrégularité formelle, jamais contestée en trente ans. Ce faisant, sa validation s'apparente à une simple régularisation, peu susceptible de nuire aux intérêts des justiciables. Elle est donc tout à fait opportune, et c'est pourquoi je vous propose d'adopter conforme cette proposition de loi.

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