Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 17 juillet 2014 à 10h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Cela contribue à enrichir considérablement le travail parlementaire, donne vraiment sens à la navette et permet, même lorsque la procédure accélérée a été engagée, d’aborder de façon distincte et donc enrichissante les textes examinés.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, la façon dont s’est déroulée la commission mixte paritaire. En qualité de garde des sceaux, et au nom du Gouvernement, je veux m’autoriser à saluer non seulement la qualité du travail, mais aussi et surtout l’état d’esprit des parlementaires qui ont participé à cette commission mixte paritaire. Sa réunion, il faut le souligner, a été bien préparée par la qualité des débats et par l’état d’esprit, là encore, qui régnait aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, état d’esprit alimenté de façon continue par les deux rapporteurs, Dominique Raimbourg et Jean-Pierre Michel, qui travaillent ensemble sur ce texte depuis plusieurs mois.

Le Sénat s’était emparé du texte très en amont, comme il le fait souvent, en procédant à des auditions extrêmement diversifiées, en organisant des rencontres avec l’Assemblée nationale et en réalisant quelques travaux sur ce thème.

Si le parcours au sein des chambres parlementaires a été relativement réduit, le présent projet de loi a connu un long cheminement.

Nous avons en effet commencé à travailler sur ce texte avec la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, installée en septembre 2012. Cette méthode, complètement inédite, a été particulièrement féconde. Mais je ne veux pas ignorer tous les travaux effectués avant la conférence de consensus, y compris dans cette chambre. Cela fait des années, en effet, que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, travaillent sur ces sujets. Il m’est ainsi arrivé à plusieurs reprises de saluer, du haut de cette tribune, le rapport de commission d’enquête parlementaire dit « rapport Hyest-Cabanel », publié en 2000. J’ai également participé au débat sur l’application de la loi pénitentiaire, qui m’a permis de vérifier, une nouvelle fois, que des travaux sur ce sujet avaient été menés bien avant la conférence de consensus.

Ces travaux ont été réalisés dans les chambres du Parlement, bien sûr, mais aussi au sein des universités, dans des espaces où se sont retrouvés des chercheurs, des universitaires, des parlementaires, des professionnels de la justice, des militants associatifs sensibles à ces questions. Une très grande variété de conceptions et d’expériences, en somme, se sont mêlées, ces dernières années, pour produire des études ou des analyses ; ce sont autant de matériaux mis à la disposition de la conférence de consensus, qui ont permis à cette dernière d’être un vrai succès.

La maturation du texte a donc été longue.

Si le parcours au sein du Parlement a été plus court, le projet de loi n’a cependant pas perdu en densité. Le texte, mesdames, messieurs les sénateurs, est à votre disposition depuis le 9 octobre 2013, et les auditions multiples que vous avez conduites vous ont permis de prendre en compte la diversité, la multiplicité des approches, des sensibilités et des perceptions sur ces sujets.

L’état d’esprit ayant présidé aux travaux de la commission mixte paritaire a permis d’aboutir à un texte que j’estime aujourd'hui de très grande qualité. Il s’agit là d’une appréciation non pas subjective, mais objective, qui se vérifiera dans le temps. Et le crédit des mesures adoptées reviendra aux parlementaires ayant participé à leur élaboration.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le texte conserve ses dispositifs structurants. Tout d’abord, une totale liberté d’appréciation a été restituée aux magistrats grâce à la suppression de certains mécanismes. Ensuite, vous avez créé la contrainte pénale, qui s’est précisée et enrichie au cours du travail parlementaire, ce qui facilitera pour les magistrats l’appropriation de cette peine. Enfin, vous avez précisé, en adoptant le régime de libération sous contrainte, le dispositif de lutte résolue contre les sorties sèches, qui entraînent des récidives.

Par ailleurs, vous avez enrichi le texte en adoptant un certain nombre d’autres dispositions visant à consolider ces trois dispositifs très structurants et à élargir les normes pénales concernant des situations qui vous tenaient à cœur depuis plusieurs années.

Disant cela, je pense notamment à vos initiatives en matière de prise en compte de l’altération du discernement. M. Jean-René Lecerf a été très actif sur ce point : il a abordé cette question avec lucidité, mais aussi un grand sens des responsabilités. Il a souligné l’importance de la prise en charge des personnes dont le discernement est altéré, lesquelles ne doivent pas subir la rigueur d’une peine maximale et doivent pouvoir bénéficier de soins.

Vous avez aussi montré votre attachement à différents sujets, à l’instar de l’Assemblée nationale qui, sur l’initiative de M. Alain Tourret, a prévu, par exemple, une amélioration des conditions d’aménagement des peines pour les femmes enceintes. Toute une série de dispositions a ainsi été introduite : elles enrichissent les normes pénales et permettront à la politique pénale d’être plus efficace.

Je n’oublie pas non plus une disposition concernant l’incitation à la lecture, dont l’initiative revient à un député UMP. Nous avions souhaité retravailler cet amendement plus précisément. Grâce à vous, cela a été possible, et cette disposition figure désormais dans le texte.

Le Parlement a également voulu inscrire dans la partie législative du code de l’organisation judiciaire les bureaux de l’exécution des peines. C’est une bonne chose de consolider ces bureaux, qui permettent une plus grande diligence dans l’exécution des peines.

Les bureaux d’aide aux victimes, que nous avons créés dans tous les tribunaux de grande instance, ont également été introduits dans le code de l’organisation judiciaire grâce à vous.

Nous avons également inscrit dans la loi la justice restaurative, anticipant ainsi la transposition de la directive Victimes, qui doit intervenir d’ici à la fin de l’année 2016. Depuis janvier 2014, une expérimentation par anticipation des dispositions de cette directive est d’ailleurs menée dans huit tribunaux de grande instance, un suivi individualisé des victimes étant assuré, conformément aux nouvelles normes européennes.

Vous avez également prévu une sur-amende visant à contribuer au financement de l’aide aux victimes. Depuis la première année de la mise en place de cette aide, le Gouvernement a augmenté de 25, 8 %, puis de 7 %, le budget qui y est consacré. Une hausse est également prévue dans le cadre de la prochaine loi de finances. Nous le savons, il convient de diversifier les ressources de ce budget pour les pérenniser. Tel est donc l’objet de cette sur-amende.

D’autres dispositions permettront de saisir le juge de l’application des peines lorsque la mise à exécution d’une peine survient plus de trois ans après son prononcé. Cette mesure importante permet de reconsidérer la situation de la personne condamnée, pour déterminer s’il y a lieu d’aménager sa peine. En effet, une courte peine exécutée à l’issue d’un délai aussi long peut provoquer une désocialisation, si la situation de la personne a changé entre-temps.

Vous avez donc prévu des dispositions supplétives en ce sens – ne voyez aucune connotation péjorative dans l’utilisation de cet adjectif, bien au contraire ! – qui consolident l’armature même de cette réforme pénale.

Le travail fourni en commission mixte paritaire a été de très grande qualité, et je tiens à le saluer.

Lors des débats qui se sont déroulés au Sénat, vous aviez montré votre attachement à certaines dispositions introduites dans le texte de la commission, sur l’initiative de M. le rapporteur. Le fait d’avoir accepté soit de les aménager, soit de les différer montre les efforts que vous avez consentis pour permettre la réussite de la commission mixte paritaire et aboutir aujourd'hui à cette lecture conclusive.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens donc à vous exprimer ma gratitude, à titre aussi bien personnel, politique et institutionnel – en tant que ministre de la justice – que démocratique et civique. En effet, votre volonté d’aboutir nous permet maintenant de passer à l’application de nouvelles règles pénales et à une politique publique pénale dont nous voulons assurer l’efficacité. Celle-ci devra tout simplement se traduire par la réduction de la récidive, et non pas seulement par la lutte contre celle-ci. C’est la prévention de la récidive qui conduira à la réduction de cette dernière, et donc à la diminution des actes de délinquance et du nombre de victimes potentiellement exposées à ces actes.

Nous sommes quelque peu impatients d’appliquer ces nouvelles normes et de mesurer aussi vite que possible – c’est du moins ce que j’espère – les résultats en matière de prévention de la récidive, de lutte contre la sortie sèche et de réinsertion des personnes condamnées.

Vous avez également témoigné de votre volonté d’aboutir s’agissant de la contrainte pénale, que vous aviez prévue pour un certain nombre de délits, sans possibilité d’incarcération. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, vous obéissez à une logique incontestable, en concevant un système des peines fondé d’abord sur l’amende, ensuite sur la contrainte pénale – peine autonome en milieu ouvert –, enfin sur l’incarcération. Cela contribuera évidemment à la cohérence et à l’efficacité de notre système pénal, et en particulier de l’incarcération, celle-ci étant prononcée pour une durée déterminée et impliquant une nécessaire réinsertion : le retour dans la société doit en effet être préparé à l’intérieur de la prison, afin que le condamné ne soit pas en situation objective de récidive – en tout cas de facilitation de la récidive.

Vous étiez très attachés à cette cohérence. Je le suis également, dans la mesure où, ces dernières années, la centaine de modifications du droit pénal et de la procédure pénale a produit une relative incohérence dans la hiérarchie des peines. Nous devons donc travailler sur cette question !

La hiérarchie des peines doit correspondre à la hiérarchie des valeurs de la République : il ne peut y avoir de déconnexion entre l’échelle des peines et celle de nos valeurs. Pour illustrer très clairement les choses, je dirai qu’on ne peut pas, dans une société aussi sensible que la nôtre à l’individu, à la personne humaine et à sa dignité, accepter que les atteintes aux biens soient punies plus sévèrement que les atteintes aux personnes. Il y a là des discordances qu’il nous faudra corriger dans le code pénal, afin de rétablir une connexion avec nos valeurs républicaines selon lesquelles la personne est plus importante que les biens. Même si le droit de propriété est un droit constitutionnel à la protection duquel nous devons veiller, même si l’atteinte aux biens doit être sanctionnée, la République doit délivrer le message selon lequel elle est encore plus attentive à l’intégrité des personnes : les atteintes portées à ces dernières seront donc punies plus sévèrement.

Ce travail de fond dans le code pénal reste donc à faire. Je l’ai confié à la mission présidée par Bruno Cotte, qui doit rendre son rapport à la fin de l’année 2015. Par ailleurs, des travaux du Parlement et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, sont déjà en cours. Nous ferons en sorte que tous aboutissent, pour que la hiérarchie des peines soit repensée et mise en cohérence avec l’échelle de nos valeurs.

Votre conception était donc tout à fait fondée, mesdames, messieurs les sénateurs. Simplement, il était prématuré, par rapport au travail de fond restant à accomplir, de la mettre en œuvre dans le cadre de ce texte.

Vous avez également accepté de modifier ce que vous aviez prévu en matière de sanctions s’agissant de l’inobservation des obligations et interdictions, et je vous en remercie. Si le juge correctionnel définit la durée maximale d’incarcération, celle-ci peut ensuite être prononcée par le juge délégué, éventuellement saisi par le juge de l’application des peines, qui pourrait décider une mise en œuvre partielle de l’incarcération, les parcours de désistance pouvant être, nous le savons, chaotiques. À certaines périodes, il faut resserrer le contrôle et la sanction ; à d’autres, il convient au contraire d’assouplir de telles mesures, la personne étant en cours de réinsertion.

En créant un délit spécifique, nous aurions pu rencontrer une difficulté, dans la mesure où il serait devenu nécessaire d’introduire de nouvelles poursuites, en risquant de suspendre la contrainte pénale, c'est-à-dire toutes les mesures de suivi. Le dispositif aurait ainsi perdu en efficacité.

Vous avez également accepté en commission mixte paritaire, ce dont je vous remercie également, que les services pénitentiaires d’insertion et de probation soient reconnus dans leurs missions régaliennes et soient pilotes dans la mise en œuvre de la contrainte pénale. Cela n’altère bien entendu en rien leurs relations avec les partenaires associatifs, lesquels interviennent en phase présententielle et produisent un travail de grande qualité qui est reconnu. La contrainte pénale, qui se fait en milieu ouvert, est une peine autonome en soi, non référencée à la prison. Ainsi, l’article 8 de ce texte vise à modifier l’article 131-3 du code pénal, en inscrivant la contrainte pénale après l’emprisonnement et avant l’amende et les autres peines en milieu ouvert. Sa mise en œuvre doit relever des missions régaliennes de l’État, en particulier du ministère de la justice.

Vous avez également tenu à rétablir les dispositions de la loi pénitentiaire – on peut le comprendre – pour des raisons aussi bien de droit que de constance. Nul n’ignore le travail de fond accompli à l’époque sur ce texte par le rapporteur Jean-René Lecerf et le président très actif de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest. Sur ce point, c’est l’Assemblée nationale qui a accepté de rapprocher son point de vue de celui qui était défendu par le Sénat.

Vous avez modifié le régime d’octroi des réductions de peine et de libération conditionnelle.

Par ailleurs – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur –, le désaccord n’a pas disparu s’agissant des dispositions concernant la géolocalisation et les écoutes.

J’ai présenté hier soir à l’Assemblée nationale des amendements qui ont été rejetés, comme je m’en doutais. Je souhaitais néanmoins alerter très clairement les députés sur les risques constitutionnels qui existaient quant à ces dispositions. Il me paraît en effet responsable, de la part du Gouvernement, d’indiquer aux députés et aux sénateurs qu’il y a des risques potentiels.

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