Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 17 juillet 2014 à 10h30
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

Or, le projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales s’adosse – c'est indiscutable, et c'est heureux – à la loi pénitentiaire, qu’il s’agisse du sens de la peine, de la volonté de faire de la prison l’exception et l’ultime recours en matière délictuelle, ou encore de l’abandon des querelles stériles sur la primauté qu’il conviendrait d’accorder soit à la lutte contre la récidive, soit à la réinsertion, alors que celle-ci constitue le meilleur moyen de lutter contre celle-là.

Je suis convaincu que nous cherchons tous, sur toutes les travées de cet hémicycle, la réponse la plus efficace à la délinquance, et que nous savons tous qu’elle ne peut résider exclusivement dans la multiplication des places de prison. Je suis également convaincu qu’il n’y a pas de bonne justice sans la confiance de nos concitoyens et qu’il importe de retisser cette confiance des Français dans leur justice.

On pourrait d’ailleurs dire la même chose, mes chers collègues, de la politique et des politiques. Le fossé ne date ni d’hier ni des désillusions de l’actualité. Voilà quelques années, un sondage réalisé sur l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature clouait journalistes, politiques et magistrats au pilori de la défiance.

Au cours de ses travaux, la commission mixte paritaire s’est efforcée de concilier les points de vue, parfois largement divergents, des deux assemblées, rendant ainsi à notre bicaméralisme des lettres de noblesse qui menaçaient de se ternir. Elle a aussi contribué à rejeter les réformes dans la réforme. Nous avions déjà écarté des dispositions relatives à la rétention de sûreté. Par ailleurs, j’avais fait observer qu’il était bien malaisé de tenter d’évaluer une loi pour l’essentiel inappliquée en raison de sa non-rétroactivité.

La commission mixte paritaire a fait de même pour ce qui concerne les tribunaux correctionnels pour mineurs. Certes, le Parlement aura à connaître, au début de l’an prochain, d’une réforme de l’ordonnance de 1945, mais, à tout le moins, il pourra aborder le problème de l’enfance délinquante dans sa globalité et non au hasard de l’examen d’un amendement ponctuel.

On a renoncé à faire de la contrainte pénale – l’une des novations essentielles de la réforme – une peine autonome encourue à titre de peine principale pour une série de délits. Elle redevient ainsi – du moins pour le moment – une simple alternative à l’emprisonnement, assortie cependant de moyens de contrôle renforcés. Portalis, §oserais-je dire que je parle ici sous son contrôle ?, devrait s’en satisfaire, lui qui déclarait : « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible […] de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ».

Quant aux seuils d’aménagement de peine, j’avoue ma satisfaction de voir maintenue la solution retenue dans la loi pénitentiaire : aménagements possibles pour les peines de deux ans au plus concernant les primo-condamnés et pour celles d’un an au plus visant les récidivistes. Ces dispositions auront finalement résisté à bien des récidives gouvernementales…

Voir reconnue l’atténuation de responsabilité pénale à l’égard des personnes condamnées souffrant d’une altération du discernement constitue un autre motif de satisfaction. Cette évolution est d’autant plus indispensable que la distinction entre altération et abolition, largement brouillée par le déficit de lits psychiatriques en milieu fermé, nous convainc de plus en plus difficilement aujourd’hui. C’est un vote unanime du Sénat, datant de près de trois ans et demi, qui trouve ainsi sa consécration.

On ne peut éluder l’éternel débat sur un recul de l’emprisonnement qui marquerait un désarmement de la protection de la société propice au développement de la délinquance et de la récidive – questionnement que l’on retrouve dans le domaine de la contrainte pénale comme ce fut le cas en matière d’aménagement de peine ou d’alternatives à l’incarcération. Mais la réponse n’est-elle pas directement liée aux moyens dont on disposera pour mettre en œuvre et contrôler obligations et interdictions imposées aux personnes condamnées, pour développer le nombre et le contenu des travaux d’intérêt général, et pour renforcer considérablement l’indispensable accompagnement humain, condition essentielle de la qualité de la réinsertion et, partant, de l’absence de récidive ?

Comme le remarquait lors de la réunion de la commission mixte paritaire notre collègue Yves Détraigne, n’est-il pas prématuré de prévoir dès maintenant la généralisation de la contrainte pénale à tous les délits à compter du 1er janvier 2017, alors que les moyens de suivre l’exécution des contraintes pénales sont limités et ne devraient probablement pas avoir connu d’augmentation massive à cette échéance ?

Même si j’en comprends les raisons, je regrette, à cet égard, la suppression par la commission mixte paritaire de la possibilité qui avait été adoptée par le Sénat de déléguer à des associations la mise en œuvre de certaines peines. Cette faculté aurait apporté une part de souplesse qui ne pourra être compensée que par des recrutements massifs de personnels d’insertion et de probation. L’exemple de la loi pénitentiaire s’avère peu encourageant sur ce point et je doute à la fois que les promesses soient respectées et – si, par bonheur, elles étaient tenues – qu’elles suffisent à faire face à la montée des besoins que la réforme devrait générer.

Or, pour que cette réforme marque un progrès, il faut que chacun de nos concitoyens comprenne bien que la contrainte pénale comme les aménagements de peine ne sont pas des cadeaux faits aux délinquants, des procédures dont ils peuvent « bénéficier » – je n’emploie pas ce verbe de façon innocente.

Au contraire, il s’agit d’autres modalités de purger sa peine qui seront considérées par certains comme plus difficiles que l’enfermement, mais qui sont davantage porteuses d’avenir que l’emprisonnement, notamment dans les conditions où, aujourd’hui encore, celui-ci est pratiqué, avec une offre de travail qui n’a jamais été aussi limitée en dépit de l’obligation d’activité voulue par le législateur, avec un taux de détention qui atteint le ratio de 105 pour 100 000 habitants, avec une augmentation sensible du nombre de détenus dormant sur un matelas posé à même le sol et avec, d’une façon générale, des conditions de détention détestables dans bien des maisons d’arrêt.

Mes chers collègues, je ne me berce pas d’illusions sur la capacité de ce texte à modifier radicalement la situation de l’univers carcéral et la lutte contre la récidive, ni sur ses chances d’impliquer la société tout entière – bien au-delà des juges, des forces de l’ordre et de l’administration pénitentiaire – dans l’accompagnement de cette réforme. Mais je crois que la contrainte pénale, comme le refus des sorties sèches, apporte une pierre supplémentaire à l’édifice de la loi pénitentiaire.

Je crains en outre que, au fil des alternances qui s’enchaînent régulièrement depuis plus de trente ans dans notre pays, les nouvelles majorités ne s’évertuent perpétuellement à défaire le travail de celles qui les ont précédées dans des domaines qui requièrent pourtant continuité et sérénité.

Le présent projet de loi, en tout cas c’est ma conviction, respecte l’acquis de la loi pénitentiaire et en développe même un certain nombre de virtualités. C’est la raison pour laquelle je lui apporterai mon suffrage, comme j’aurais souhaité que la loi pénitentiaire, en son temps, recueille davantage d’assentiments dans cette assemblée sur les travées de l’opposition de l’époque.

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