Je vous remercie de m’avoir donné la parole, monsieur le président, car j’avoue que je suis toujours un peu circonspecte en ce qui concerne l’application du règlement du Sénat. Je connais mieux celui de l’Assemblée nationale, mais je n’ai aucun mérite, c’est simplement parce que je l’ai davantage pratiqué.
Par correction à l’égard des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés, je souhaitais leur adresser mes remerciements pour la qualité de leurs interventions. J’ai apprécié la façon dont certains d’entre eux ont soutenu les dispositions de ce projet de loi, dont ils perçoivent bien, à la fois, la pertinence et l’efficacité attendue. Ils contribuent ainsi à la compréhension et à l’intelligibilité de ce texte, car cela peut s’avérer nécessaire. En effet, les magistrats qui voudront s’approprier les dispositions de ce dernier pourront s’interroger sur l’intention du législateur et la qualité des interventions permettra de les éclairer sur ce point.
Il en va de même, d’ailleurs, quand les intervenants contestent le projet de loi, s’interrogent sur certaines de ses dispositions ou les remettent en cause, parce qu’ils apportent indirectement des réponses qui permettent d’étoffer le débat parlementaire et de préciser l’expression de la volonté du législateur. Dans une démocratie, c’est bien le législateur qui élabore les règles de la vie en commun et il est bon que ceux qui doivent appliquer au quotidien ces règles comprennent bien son intention.
Je prends note des regrets qui ont été exprimés sur le recours à la procédure accélérée. Je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai tenus en première et unique lecture et je pense que, même s’il n’y a eu qu’une seule lecture, elle fut de qualité. La loi pénitentiaire avait été examinée, elle aussi, en procédure accélérée et elle n’a pas pour autant perdu en qualité. Pourtant, elle n’avait pas bénéficié d’une maturation aussi longue que le présent projet de loi, dont vous avez suivi de près, mesdames, messieurs les sénateurs, tout le processus d’élaboration. Nous disposions déjà d’un matériau de qualité – disant cela, je ne remets pas en cause le travail accompli par les membres du jury de la conférence de consensus.
D’une façon générale, je suis toujours assez étonnée lorsque l’on me reproche d’envoyer un message aux délinquants, car je n’ai pas le sentiment – et je ne veux pas l’avoir – d’entretenir un dialogue avec les délinquants. La responsabilité législative que vous assumez, à partir des textes que vous soumet le Gouvernement, consiste à élaborer des règles et à s’interroger sur leur qualité, leur pertinence et leur durabilité, vis-à-vis de l’histoire, des valeurs et de la culture de ce pays. Tel est le dialogue que nous avons : c’est un dialogue avec nous-mêmes, avec la société, et non avec les délinquants.
Je ne dirai pas que, pendant les dix années des deux précédents quinquennats, au cours desquelles une centaine de modifications du code pénal et du code de procédure pénale sont intervenues, la majorité de l’époque était en dialogue avec les délinquants. Ou alors, mauvaise foi contre mauvaise foi, je dirai que cette instabilité et cette imprévisibilité ont pu être perçues par les délinquants comme des marques de faiblesse ! Allons-y !
Cela n’a pas de sens, car les délinquants eux-mêmes ne s’interrogent pas sur l’intention du législateur, les nouvelles règles qu’il a adoptées ou la sanction qui punira tel ou tel acte. Les choses ne se passent pas comme cela. S’il y avait un dialogue avec eux, il serait beaucoup plus simple de combattre la délinquance.
Je ne comprendrai jamais ces accusations. Lorsqu’elles sont totalement polémiques, je les laisse passer ; lorsqu’elles semblent argumentées, j’estime qu’elles méritent une réponse, parce qu’un argument se respecte.
Je pense malgré tout que la question n’est pas là. L’important, c’est ce qui a été fait. C’est pour cela que nous avons choisi de mettre en place cette conférence de consensus. C’est pour cela que j’ai fait un tour de France. Je suis allée expliquer ce projet de loi, y compris devant des publics très hostiles. Dans certains cas, les vingt premières minutes étaient très dures, face à des personnes totalement endoctrinées. L’échange portait non pas sur le contenu du projet de loi, mais sur des éléments tirés du discours de propagande qui prospérait depuis plus d’un an.
J’ai aussi proposé et organisé des rencontres avec des élus locaux à la Chancellerie. Je me suis déplacée dans des mairies, des conseils généraux et des conseils régionaux. Je suis allée au-devant des Français pour leur parler du contenu de ce projet de loi et de notre droit pénal.
Lorsque je parle de notre droit pénal, ce n’est pas pour le vilipender ou pour le discréditer. En effet, si nous ne respectons pas nous-mêmes ce qui fait le fondement de notre vie commune, personne ne le respectera ! J’explique simplement que telle disposition est inefficace et qu’il nous faut travailler pour la rendre plus efficace.
M. Hyest a déclaré à la tribune que nous changions de philosophie et que c’était la raison pour laquelle il ne voterait pas ce texte. En revanche, M. Lecerf, que je remercie, a expliqué que nous nous inscrivions dans la philosophie de la loi pénitentiaire. Nous nous inscrivons effectivement dans cette philosophie, mais surtout dans l’histoire du projet pénal républicain propre à la France. Les dix années de bouleversement du droit pénal et de la procédure pénale que j’ai évoquées ont été une parenthèse dans cette histoire.
En première lecture, j’ai rappelé le rôle joué par le Sénat dans la définition du projet pénal républicain. Les sénateurs républicains, de droite, du centre et de gauche, mais aussi des gardes des sceaux de droite ont participé à l’élaboration et à la consolidation du projet pénal républicain. Ils ont pris en considération, comme nous le faisons maintenant, la nécessité de construire un droit de la peine moderne, estimant que l’acte de délinquance mérite sanction, mais que la sanction doit avoir un sens pour la société, pour la victime et pour l’auteur de l'acte. Dans cette perspective, il n’y a pas d’incompatibilité entre la sanction et le travail de réinsertion. Voilà quel est le projet pénal républicain, voilà quelle est l’histoire du droit pénal français !
Les dix années qui ont vu une aggravation des réponses répressives, avec un allongement des durées d’incarcération, ont aussi été caractérisées par des injonctions contradictoires : il fallait réprimer plus sévèrement, enfermer de plus en plus longtemps et, en même temps, aménager de plus en plus vite les peines. Nous sortons de cette parenthèse, qu’il ne me paraît pas nécessaire de caractériser davantage.
Nous avons eu le souci, pendant deux ans, d’analyser la situation, d’évaluer notre système, de nous interroger point par point. C’est ainsi que nous avons constaté l’existence simultanée de mécanismes visant, en amont, à augmenter la durée de l’incarcération et, en aval, à gérer les flux carcéraux, avec la surveillance électronique de fin de peine, la SEFIP, et la procédure simplifiée d’aménagement de peine, la PSAP. De toute façon, le système était victime d’une embolie et il fallait trouver un moyen de régler ce problème. Je ne porte même pas de jugement de valeur sur cette situation, mais nous essayons de l’améliorer, en supprimant ces automatismes, aussi bien en amont qu’en aval, et en mettant en place un dispositif efficace.
Certains d’entre vous ont exprimé leur inquiétude quant aux moyens consacrés à cette réforme et cette préoccupation est légitime. Le Gouvernement y a déjà répondu. Je pense que vous avez entendu cette réponse, mais que vous estimez que nous échouerons néanmoins. Pourtant les moyens que j’évoque ont été inscrits en loi de finances : les 400 recrutements annoncés pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation ont déjà été effectués pour l’année 2014 ; il n’y a donc pas de raison de mettre en doute les 300 recrutements annoncés pour l’année prochaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai envie de vous inviter à lutter résolument contre ce pessimisme qui vous envahit. Vous n’êtes pas obligés d’être pessimistes ! Je le répète très sincèrement : vous avez beaucoup de mérite ! Je crois que nous allons y arriver, parce que nous avons fait en sorte que les conditions soient réunies, du point de vue normatif comme en termes de politiques publiques.
Le Sénat a du mérite, parce qu’il a produit, pendant des années, le matériau de cette réforme. En première lecture, je vous ai rappelé le rôle du sénateur Bérenger et d’autres personnages, à la fin du XIXe siècle. Dès l’Ancien Régime, et même sous la Restauration, des réflexions ont été développées sur les systèmes pénitentiaires. Nous ne sommes donc pas en train de tout inventer et nous ne cherchons pas à accaparer tous les mérites. Nous pouvons tous convenir qu’une société, à certains moments, peut se rassembler autour de ses principes fondamentaux et, sur cette base, réussir des politiques publiques.
Nous augmentons donc les effectifs du service pénitentiaire d’insertion et de probation de 25 % en trois ans. Nous avons commencé à recruter des personnels pour l’application des peines, mais aussi, depuis 2013, des greffiers, et nous poursuivons cet effort.
Vous savez que nous avons réformé l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, parce que nous voulons disposer de statistiques incontestables, qui nous permettent de mesurer vraiment l’efficacité de cette réforme. Nous sommes tellement soucieux de ce travail de mesure que nous avons laissé l’Assemblée nationale insérer dans le texte un article, que vous avez maintenu, obligeant le Gouvernement à présenter au Parlement une évaluation au terme de deux ans. Ainsi, le Gouvernement se fixe à lui-même un défi terrible, et il le relèvera.
Nous avons également créé un Observatoire de la récidive et de la désistance que nous soustrayons à l’emprise du ministère. Nous voulons donc être capables de mesurer les phénomènes de délinquance, mais aussi d’analyser les facteurs qui favorisent la désistance, c’est-à-dire la sortie de la délinquance. Nous le faisons de façon complètement objective, en conservant la bonne distance.
Depuis dix-huit mois, nous avons développé un important travail interministériel en signant des conventions avec le ministère tant des affaires sociales et de la santé que de l’éducation nationale. Vous savez que la population carcérale présente une sociologie particulière, puisque son taux d’illettrisme est trois fois supérieur au taux national. Nous avons également signé une convention avec le ministère du travail et de l’emploi et nous menons des expérimentations avec les départements et les régions dans le domaine de l’insertion par l’économie.
Ce travail est engagé, allons-y tous ensemble ! Vous nous présenterez vos griefs si nous échouons, ou si des engagements pris n’ont pas été suivis d’effets. En revanche, nous récolterons tous ensemble les fruits de cette réforme si la récidive et la délinquance reculent, si la réinsertion est améliorée, si nous rendons à des personnes le sens de leur propre dignité et, surtout, du respect des règles de la société, bref, si nous leur permettons de mener leur existence dans sa plénitude.
Excusez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir parlé un peu longuement. J’ai bien conscience de mettre un peu de passion dans mon propos, mais je sais que vous partagez cette passion. Je le sais parce que je vous fréquente assidûment depuis deux ans et, surtout, parce que je lis vos travaux depuis plusieurs années.