Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie hier après-midi, à l’Assemblée nationale, pour examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.
Ce texte nous occupe depuis presque un an, puisqu’il a été déposé sur le bureau de notre assemblée par le Gouvernement le 24 juillet 2013. Il consacre, pour la première fois en tant que tel, un secteur dont les différentes composantes sont pourtant apparues au cours du XIXe puis du XXe siècle.
Coopératives, fondations, associations, mutuelles, ont trouvé au fil du temps des réponses variées à des enjeux toujours au cœur de notre société et de notre économie : la protection sociale, la production agricole, la grande distribution, l’action sanitaire et sociale… C’est ce qui fait l’actualité toujours renouvelée de l’économie sociale et solidaire.
Outre sa résilience face aux crises, cette économie fournit des principes d’organisation toujours pertinents aux nouveaux secteurs de l’économie que sont la croissance verte, l’économie circulaire et même, dans les nouvelles technologies, tout ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle économie ».
Puisque nous parlions de résilience, de 2001 à 2009, le taux de croissance annuel de l’emploi a été de 2, 6 % pour les entreprises ayant choisi ce mode d’entreprendre, contre 1, 1 % pour les autres entreprises du secteur privé. Se détachant de la recherche prioritaire de dividendes, de rémunérations de plus en plus élevées, pesant de plus en plus lourdement sur l’outil de production, ses principes invitent l’économie sociale et solidaire à la poursuite d’un but entrepreneurial : il s’agit, au moyen d’une gouvernance démocratique et de l’affectation prioritaire des bénéfices au développement de l’entreprise, de stimuler et de développer l’activité.
Les débats dans nos deux assemblées, tout au long de ces douze mois, ont bien mis en lumière la complémentarité entre l’économie sociale et solidaire et les autres secteurs de l’économie.
Je l’avais souligné en première lecture comme en deuxième lecture, mais j’aimerais y insister à nouveau : l’économie sociale et solidaire ne peut pas, ne doit pas être cantonnée dans une économie de la réparation ou dans une sorte d’alternative presque utopique, voire marginale et donc fort peu dangereuse, au modèle capitalistique, quelles que soient les dérives de ce dernier.
Développer l’économie sociale et solidaire, c’est surtout répondre fondamentalement, profondément, à une ambition plus élevée. Ce mode d’entreprendre, si l’on considère objectivement les choses, satisfait une tendance, sinon naturelle, du moins fortement chevillée au cœur des hommes et des femmes : une aspiration à travailler ensemble autour de valeurs partagées.
Car le souci du gain, si compréhensible soit-il – quand il ne prend pas des proportions exagérées, voire scandaleuses –, n’est pas la seule aspiration humaine. On ne peut résumer le fait d’entreprendre, qui constitue l’un des actes les plus forts dans la vie de l’être humain, à une recherche toujours plus avide d’accumulation capitalistique.
Le projet de loi comportait initialement cinquante-trois articles ; cinquante-quatre articles additionnels ont été introduits par l’une et l’autre assemblées et certains ont été supprimés. Au total, soixante-dix-huit articles ont été adoptés de manière conforme au cours des deux lectures et n’ont donc pas fait l’objet de débats en commission mixte paritaire.
Certaines de ces dispositions, d'ores et déjà acquises, sont fondamentales. J’en rappellerai quelques-unes.
Il s’agit d’abord de la définition même de l’économie sociale et solidaire, à laquelle notre assemblée a consacré un travail de précision pour assurer à la fois la préservation des principes et l’ouverture mesurée, contrôlée du secteur aux nouveaux entrepreneurs. Il était important de conserver le sens profond, j’allais presque dire l’essence, de l’économie sociale et solidaire.
Il s’agit aussi de la réforme de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » : les entreprises bénéficieront des avantages liés à cet agrément selon des critères plus rigoureux, strictement encadrés. Cette réforme, qui permettra d’éviter tout risque potentiel de dilution de l’économie sociale et solidaire, répondra au contraire au pari profond qui sous-tend l’ensemble de ce projet de loi, celui, pour reprendre les termes de Benoît Hamon, de la « pollinisation » de l’économie classique par l’économie sociale et solidaire.
En outre, le dispositif d’information des salariés sur les possibilités de reprise d’une entreprise, complété par notre assemblée, a été adopté de manière conforme par l’Assemblée nationale dès la première lecture.
De nombreuses autres dispositions spécifiques aux différentes formes d’entreprises de l’économie sociale et solidaire ont été adoptées en termes identiques par nos deux assemblées.
La richesse de ce texte – il me plaît de le souligner à nouveau – résulte de l’importante concertation - pour ainsi dire une « coconstruction » - dont il a fait l’objet en amont. Ces échanges ont permis, en sus des réponses de fond sur l’orientation, la valorisation et la confiance en l’avenir, d’apporter des réponses pratiques, pragmatiques au grand nombre de questions posées concernant l’organisation et le développement des coopératives, associations, fondations et mutuelles.
La commission mixte paritaire a donc examiné vingt-deux articles, dont un avait été supprimé par l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Elle a confirmé cette suppression, a supprimé encore un article et a adopté les vingt autres. S’agissant de ces derniers, la CMP est revenue par deux fois à la rédaction du Sénat, a modifié huit articles et a maintenu la rédaction des dix autres dans la rédaction issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Vous le constatez, un travail approfondi a ainsi été mené entre les représentants de nos deux assemblées, dans un climat très constructif, sous la présidence du président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, M. François Brottes, et sous la vice-présidence, toujours aussi dynamique et remarquable, du non moins remarquable président de la commission des affaires économiques du Sénat, notre collègue Daniel Raoul §
Permettez-moi de me féliciter que plusieurs des positions du Sénat, clairement exprimées dans cet hémicycle au cours des lectures précédentes, aient pu être entendues.
D’une manière générale, le dialogue a été constant avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Yves Blein, au cours des lectures successives. À cet égard, j’aimerais saluer le caractère respectueux, fructueux et fécond du mouvement d’enrichissement du texte qu’a permis la navette parlementaire.
La commission mixte paritaire a d’abord choisi, après un long débat, de retirer, comme l’avait souhaité le Sénat, la mention des agences de développement à l’article 5 B, consacré aux politiques régionales de l’économie sociale et solidaire.
En effet, ces agences, qui existent déjà, relèvent de la liberté d’organisation des régions. De plus, la rédaction de cette disposition introduisait une potentielle, et dommageable, confusion avec la définition des missions des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, à l’article 4 : les régions pouvaient ainsi contracter avec des agences dont la mission était le développement de l’économie sociale et solidaire, alors que le texte fixait comme mission aux chambres régionales de l’économie sociale et solidaire ce même développement de cette même économie ! Je profite de l’occasion pour rappeler le fameux proverbe africain : quand deux éléphants se battent, celui qui souffre le plus, c’est le terrain…