Intervention de Jackie Pierre

Réunion du 17 juillet 2014 à 15h10
Économie sociale et solidaire — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jackie PierreJackie Pierre :

Il est vrai que ce texte a été élaboré, et qu’une partie substantielle de ses dispositions ont été adoptées conformes, sous l’empire du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

En effet, Michel Bécot a eu l’occasion de le souligner en deuxième lecture, l’examen de ce texte prend une saveur toute particulière à l’aune du fameux virage économique de la gauche française et, à en croire les nombreux experts, de notre vie économique et politique. Ces experts ont salué le symbole représenté par le « choc de simplification » ou encore par le « pacte de responsabilité », notamment le plan de 50 milliards d’euros visant à relancer la compétitivité de nos entreprises.

Néanmoins, ces observateurs avisés de la vie politique française ont oublié que, derrière le décorum des conférences de presse, se cache une réalité législative tout autre.

À mille lieues de la prise de conscience sociale-libérale que nous offre à voir le Gouvernement, les textes que le Gouvernement et la majorité soumettent à notre examen, qu’il s’agisse du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dit ALUR, des projets de loi relatifs à la consommation ou à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, ne cessent de consacrer la fin de certaines exonérations, des cotisations sociales minimales, ou font, c’est le cas du dispositif prévu pour l’économie sociale et solidaire, ostensiblement l’impasse sur les entreprises.

À l’instar des textes que je viens d’énumérer, le présent projet de loi comporte bon nombre de dispositions qui ne se situent que dans le registre symbolique : elles visent à marquer l’opinion et à démontrer que le Gouvernement est animé par la bonne volonté. Malheureusement, mes chers collègues, les bons sentiments ne font pas toujours les bonnes lois !

Le meilleur exemple de ces dispositions d’affichage destinées à contenter l’opinion, mais dont l’application reste une énigme, est sans doute le nouveau droit d’information préalable, instauré par les articles 11 et 12, qui vise à permettre aux salariés de présenter une offre de rachat. Au motif de la lutte contre les abandons d’entreprise, intention par ailleurs parfaitement louable, on invente un ovni législatif, d’une complexité et d’une insécurité juridique sans nom, qui va faire peser une chape de plomb sur toutes les cessions d’entreprise !

Nous l’avons signalé en deuxième lecture, la rédaction adoptée en définitive est un peu plus sage que la version initiale, qui prévoyait que la cession d’une participation par son propriétaire ne pouvait intervenir « avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification qu’il fait à la société de son intention de vendre ». La version actuelle, adoptée par le Sénat en première lecture, dispose désormais : « Lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions veut les céder, les salariés en sont informés. »

Encore une fois, l’intention est louable. Chacun a en tête les démantèlements de sites de production qui se sont faits au mépris des salariés ; chacun sait que tous ces emplois ont été irrémédiablement perdus. Pour autant, une chose est sûre, avec ce dispositif d’information préalable des salariés, qui vise à leur permettre de présenter une offre de rachat, le remède est pire que le mal !

Je m’explique, en ayant recours au même raisonnement que mes collègues Gérard César et Michel Bécot.

Le texte initial prévoyait que la cession ne pouvait avoir lieu dans un délai de deux mois après que le propriétaire avait notifié son intention de vendre.

Aujourd’hui, le dispositif ne fait plus état de ce délai incertain, et se limite à l’information des salariés lorsque le propriétaire a l’intention de vendre. Comme le disait Michel Bécot, nous sommes passés de l’« intention de vendre » à la « volonté de vendre ».

Aussi, et ce constat n’a pas échappé à ceux qui ont eu l’occasion d’étudier votre texte en profondeur, madame la secrétaire d’État, votre dispositif ne peut être sauvé par un surplus de précautions rédactionnelles, car il ne peut pas épouser une réalité économique avec précision.

Pour ces raisons, le groupe UMP s’est fermement opposé aux articles 11 et 12, qui mettront inéluctablement en difficulté les entreprises, en les exposant à des tentatives de déstabilisation, ce qui aura pour conséquence de les rendre moins attractives pour les repreneurs étrangers, lesquels, dans leur grande majorité, soutiennent les vrais projets industriels.

Bien sûr, je regrette qu’un vote conforme nous ait empêchés de poursuivre notre travail en deuxième lecture. Pour autant, si nous sommes, depuis la première lecture, dans l’incapacité de poursuivre l’examen de ces articles, pour cause de vote conforme, les dispositions en question sont suffisamment importantes pour que j’y consacre une partie substantielle de mon intervention.

Ces articles soulèvent des interrogations liées à leur constitutionnalité. Tout d’abord, un parallèle doit être établi entre leurs dispositions et la loi visant à reconquérir l’économie réelle du 29 mars 2014, qui comporte, en son article 1er, des mesures relatives à l’information du comité d’entreprise au cas où la fermeture d’un établissement serait envisagée. Dans sa décision 2014-369 DC du 27 mars 2014, le juge constitutionnel a posé une réserve d’interprétation très claire, qui laisse entrevoir que la rédaction actuelle des articles 11 et 12 de ce projet de loi est imprécise, voire défaillante.

Ensuite, un rapport distant apparaît clairement entre les dispositions relatives à l’obligation d’information préalable des salariés dans le cadre du rachat d’une entreprise et l’objectif d’intérêt général défini par la loi. Force est en effet d’admettre que l’annulation d’une vente à la demande d’un salarié pour non-respect d’une obligation légale d’information peut entraîner une situation de déstabilisation de l’entreprise préjudiciable à l’emploi.

Enfin, des atteintes portées à la liberté d’entreprendre et au principe de proportionnalité des sanctions sont à souligner, l’annulation d’une vente pouvant entraîner un préjudice grave pour l’entreprise et le maintien de son activité. Pour cette raison, ces mesures peuvent être assimilées à une punition disproportionnée.

Par courtoisie, je noterai tout de même quelques timides avancées concernant les articles 15 à 18 relatifs à la simplification du rachat des parts sociales au sein des SCOP, ainsi que les articles 19 et 20, qui permettront aux SCOP et aux SCIC – il s’agit de dispositions de bon sens – d’adopter le statut de société par actions simplifiée, ou SAS.

Nous souscrivons également à l’article 23 sur la promotion des mécanismes de solidarité financière entre coopératives.

Nous soutenons enfin les dispositions des articles 24, 24 bis et 25 sur les coopératives de commerçants, ainsi que l’article 26, qui doit permettre la constitution d’une coopérative sous forme de SARL à capital variable entre au moins quatre associés.

Malheureusement, la somme de ces dispositions ne nous fait pas oublier très longtemps le reste du texte, et notamment les articles 1er et 7 sur la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire et les modalités d’obtention de l’agrément.

Comme pour l’information préalable des salariés, vous convertissez de bonnes intentions en un dispositif inintelligible, qui freinera le développement des entreprises. En effet, votre définition de l’économie sociale et solidaire aura pour conséquence directe l’exclusion des entreprises.

Pourtant, votre projet de loi portait une belle promesse, celle de créer un cadre légal et fiscal plus avantageux pour les entreprises de ce secteur, qui, si elles n’échappent pas aux contingences d’une activité à but lucratif, poursuivent également une finalité sociale indéniable.

Par ailleurs, l’économie sociale et solidaire, contrairement aux apparences, n’a pas été épargnée par la crise économique. En effet, si nous n’avons pas assisté à un recul de son activité, nous observons un tassement des heures rémunérées.

Pour ces raisons, nous attendions beaucoup des dispositions de ce texte. Malheureusement, force est de constater que nous en attendions peut-être trop.

Je ne m’attarderai pas sur l’architecture du projet de loi, dont nous contestons l’inutile sophistication. Par exemple, vous faites dépendre le bénéfice des dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME » et « Madelin » ou les prêts de la BPI de l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », introduit par l’article 7, alors que cet agrément nécessite lui-même que l’on entre dans le champ de l’économie sociale et solidaire défini à l’article 1er.

Tout cela n’a rien de simple, surtout si l’on ajoute la reconnaissance de l’utilité sociale prévue à l’article 2, dont la valeur ajoutée confine au mystère…

Mais, au-delà de cette inintelligibilité, ces articles 1er et 7 auront pour fâcheuse conséquence d’exclure les entreprises, notamment les entreprises de services à la personne, du champ de l’économie sociale et solidaire et, si tel n’est pas le cas, de l’agrément.

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