Intervention de Gérard Bailly

Réunion du 17 juillet 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly :

Madame la secrétaire d’État, les conditions d’examen en deuxième lecture de ce projet de loi laissent à désirer : voté à l’Assemblée nationale jeudi 10 juillet, nous avons eu un samedi, un dimanche et un 14 juillet pour travailler, le délai limite pour le dépôt des amendements étant fixé au mardi 15 juillet à quatorze heures. Dans une telle précipitation, comment apprécier ou contester les modifications apportées au texte par l’Assemblée nationale ? Et quelles conditions de travail aussi pour les administrateurs de la commission et les collaborateurs de nos groupes parlementaires ! Je souhaite que vous fassiez savoir au Gouvernement que nous condamnons cette façon d’agir : soit cette loi n’est pas essentielle, et nous pouvons effectivement la bâcler, l’expédier – choisissez le verbe que vous voulez –, soit elle est importante et, dès lors, ne laissons pas au Sénat que deux jours ouvrables pour réfléchir et faire des propositions et vingt-quatre heures seulement pour déposer des amendements en séance publique. L’agriculture mérite mieux que ça !

Loi d’avenir, ai-je entendu, pour adapter ce secteur économique aux grands défis de demain. De grands défis en effet, puisque l’agriculture mondiale devra, en 2050, nourrir 2, 3 milliards d’habitants de plus, dont ceux de l’Union européenne, qui voit sa population augmenter de 1, 7 million d’habitants par an. Notre pays doit y prendre une part active tout en préservant au mieux son environnement. Aujourd’hui déjà, la FAO estime à plus de 840 millions le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde. Peut-on y rester insensible ? Certainement pas !

Notre agriculture nationale a su, après le conflit de 1939-1945 et durant les années cinquante et soixante, accroître ses productions afin de pallier tous les manques de produits alimentaires, devenant même rapidement excédentaire, et ce tout en améliorant la qualité. Pourquoi n’en irait-il pas de même aujourd’hui afin que notre agriculture contribue aussi dans les années qui viennent à remplir ce grand objectif d’apporter l’alimentation nécessaire aux humains de notre globe ? L’aide alimentaire, ne l’oublions pas, peut être capitale. Peut-on parler de stabilité dans les pays où le peuple a faim ? II suffit de regarder ce qu’il se passe en Afrique.

Mais revenons en France, où nous assistons à une baisse importante des surfaces agricoles liée à l’urbanisation et la forêt qu’on laisse progresser. Je rejoins sur ce point les propos de notre collègue Leroy, qui évoquait ces massifs où la forêt ne cesse de s’étendre. Je regrette que l’Assemblée nationale soit revenue sur un amendement que j’avais déposé concernant les secteurs boisés à plus de 70 %.

Développement de l’urbanisation, de la forêt, baisse des intrants, baisse des rendements liée à une moindre utilisation de pesticides et insecticides, baisse des volumes produits en agriculture biologique : la ferme France produira-t-elle autant demain ? C’est bien la question que je vous pose, madame la secrétaire d’État, et que j’espère pouvoir poser demain à M. Le Foll, car, bien qu’être en votre compagnie soit un plaisir, cela prouvera qu’il n’a eu qu’un petit incident de santé. Je lui souhaite donc moi aussi un prompt rétablissement.

Je constate déjà que nos productions animales connaissent une baisse très significative pour ce qui est des ovins, des bovins et des volailles. Cette loi d’avenir va-t-elle nous apporter la fameuse boîte à outils qui permettra d’inverser ces tendances ? Personnellement, je ne le pense pas. Je ne dis pas cela par idéologie ou par simple désir de m’opposer, mais par réalisme. Ce seront encore des exigences, des contraintes supplémentaires. Qu’aurons-nous simplifié dans la vie quotidienne des agriculteurs lorsque cette loi sera appliquée ? Je voudrais dire à notre ami Didier Guillaume que je ne pense pas que la vie des agriculteurs s’en trouvera améliorée. Disposerons-nous des outils et des mesures pour leur éviter de subir les aléas si nombreux qui mettent à mal tant d’exploitations, les obligeant parfois, comme l’on dit, « à mettre la clef sous la porte » ?

Je pense plus particulièrement – et cela a été dit par l’orateur précédent – aux aléas climatiques, de plus en plus nombreux, dus en partie au réchauffement de notre planète : tempêtes, grêle, sécheresses. Je pense également aux épidémies dans les cheptels, à la volatilité des prix qui fluctuent en permanence en fonction de ces aléas climatiques, bien sûr, mais surtout en fonction des marchés mondiaux et de la mauvaise habitude de la grande distribution d’aller s’approvisionner là où les prix sont les plus bas, même si les garanties sanitaires sont moindres et les obligations environnementales quasi inexistantes. Que fait-on face à cela ? Aujourd’hui, vous avez pu voir les manifestations qui ont lieu sur notre territoire et, je pense que vous en conviendrez tous, la bagarre entre les grandes et moyennes surfaces se fait aujourd’hui sur le dos des producteurs.

Le premier reproche que nous pouvons adresser à ce projet de loi est tout d’abord son silence sur de nombreux sujets. En matière de recherche, par exemple, comment se satisfaire des dispositions soumises à notre examen ? La partie relative à l’enseignement technique ou supérieur agricole est bien mince. Quant à l’article 23 relatif à la maîtrise des produits phytosanitaires ne va-t-il pas freiner la recherche ?

Nous avons aussi des interrogations sur la transparence des GAEC – pour avoir suivi les débats à l’Assemblée nationale, je peux dire que nous ne sommes pas les seuls –, notamment sur le dispositif reposant sur la base des 52 hectares dont bénéficieront les agriculteurs. Malgré maintes questions posées au ministre, cela mérite encore d’être clarifié. C’est du moins ce qui est souhaité par la profession.

En fin de compte, la seule véritable innovation réside dans la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, dont les bénéfices me semblent encore incertains. On nous parle de majorations dans l’attribution des aides publiques dont pourraient bénéficier ces exploitants agricoles, mais avouez que l’article 3 est assez succinct.

Quant aux questions relatives au partage de la valeur ajoutée, l’article 7 va certes venir renforcer le rôle du médiateur des contrats, mais celui-ci ne pourra pas « trancher en cas de litige entre les parties ». Au final, le texte ignore donc les questions contractuelles que le Gouvernement nous promettait d’aborder.

Plus inquiétant sans doute, le projet de loi est inspiré par un concept, celui de l’agroécologie. La définition soumise à notre examen évoque « une diminution de la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques ».

Au final, ce texte ne projettera pas l’agriculture française dans l’avenir et ne permettra pas de s’attaquer aux difficultés qui minent la profession, à savoir, comme je l’ai dit précédemment, le partage de la valeur ajoutée. Ne sommes-nous pas en train d’accrocher de nombreux boulets à notre système agricole déjà en souffrance ? Et le premier de ces boulets, ce sont toutes ces considérations environnementales qui, lorsqu’elles ne sont pas justifiées, conduisent à des aberrations !

L’examen en première lecture au Sénat a mené à l’adoption d’un amendement du rapporteur Didier Guillaume, qui vise heureusement, et je l’en remercie, à n’étendre le bail environnemental que s’il s’agit, pour le bailleur, de pratiques déjà existantes. Mais dès lors qu’il s’agira de nouveaux preneurs, les exploitants seront dans l’obligation de s’aligner sur des clauses qui leur sont jusqu’à présent étrangères et, de fait, ils ne seront pas toujours en mesure de satisfaire aux clauses présentes dans le bail, même si celles-ci ont été respectées par un autre exploitant. À l’évidence, certains exploitants qui se seront engagés à respecter des clauses très contraignantes se retrouveront enfermés dans un modèle économique qui n’est pas le leur et seront incapables de viabiliser leur exploitation.

Pour conclure sur l’article 4, et j’espère que vous m’excuserez de ne pas m’étendre sur l’obligation de déclaration annuelle des quantités d’azote à usage agricole vendues ou cédées, je dirai que, malgré des améliorations substantielles apportées par notre assemblée, mon groupe et moi-même ne pouvons adhérer au bail environnemental.

Dans un esprit identique, on notera, en cas de vente, la préférence des SAFER pour les exploitations biologiques. J’espère aussi que cette disposition introduite par l’article 13 ne se soldera pas par une restriction de l’accès au foncier pour de jeunes agriculteurs ou pour des exploitants qui ne font pas d’agriculture biologique mais sont en besoin de terres.

J’ajouterai un mot sur l’article 23 et les nombreuses craintes qui s’expriment quant aux épandages près des lieux d’habitation. Vous nous avez rassurés tout à l’heure. L’examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale a permis de parvenir à une rédaction plus satisfaisante de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, dans la mesure où la décision d’interdiction ou de restriction est à nouveau confiée à l’autorité administrative, et non au ministre de l’agriculture. L’autorité administrative pourra, de surcroît, mettre en place des mesures de protection. Mais si de telles mesures ne peuvent être prises, elle pourra déterminer une distance minimale adaptée, en deçà de laquelle il sera interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux d’habitation. L’application du présent article est fixée par voie réglementaire. Le dispositif adopté nous paraît donc plus équilibré que celui élaboré en première lecture.

L’une des dispositions phare de ce projet de loi réside en l’introduction à l’article 6 de clauses miroirs. Ainsi, l’alinéa 14 dispose que, pour les sociétés coopératives agricoles, l’organe chargé de l’administration détermine les critères relatifs aux fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires affectant significativement le coût de production de ces produits. Nous étions en première lecture opposés à ce dispositif qui ne fournit aucune garantie et n’avons pas changé d’avis.

Toujours en matière de répartition de la valeur ajoutée, vous consacrez à l’article 7 le médiateur des contrats et des médiations obligatoires en cas de conflit. Mais avec quel pouvoir final ? Pour l’instant, la lecture des dispositions sur le sujet ne nous permet pas d’entrevoir de réelles avancées.

Au-delà des critiques, nous avons quelques positions positives. Ainsi, nous sommes favorables à l’interdiction de la publicité pour les produits phytosanitaires. Encore faut-il veiller, comme cela a été dit en première lecture, à ce que, si cette interdiction de publicité pour les produits phytosanitaires protège les exploitants agricoles d’une information d’ordre promotionnel, elle leur permette toutefois de bénéficier d’une information sur les bonnes pratiques d’usage, les conditions de stockage et de manipulation de ces produits.

Malgré tout, nous avons obtenu quelques satisfactions. J’évoquerai ici l’article 10 bis, qui prévoit que les organismes chargés de la protection d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique peuvent demander au directeur de l’Institut national de l’origine et de la qualité d’exercer le droit d’opposition à l’enregistrement d’une marque dès lors que se dessine un risque d’atteinte au nom, à l’image, à la réputation ou à la notoriété de l’un de ces signes. Étant d’un département qui recense de nombreux produits d’appellation, vous comprendrez que j’y sois très sensible.

Nous nous réjouissons d’une telle mesure, tout comme nous nous réjouissons de l’article 10 bis A relatif à la classification du vin et des boissons spiritueuses comme faisant partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France.

Voilà pour les satisfactions !

En première lecture, j’avais proposé un amendement visant à faire bénéficier les exploitants d’une déduction fiscale pour aléas, pour l’acquisition, le stockage de fourrage et l’achat d’aliments pour le bétail ou des frais de remise en état en cas de perte de récolte sur prairies, liés à une calamité – par exemple, les campagnols – ou à un risque sanitaire ou environnemental. Cet amendement a été refusé par le Gouvernement. Je le regrette d’autant plus que, ce matin, dans le journal Le Progrès, je lisais qu’un récent sondage réalisé auprès d’agriculteurs montrait que 40 % de ceux qui avaient été interrogés pourraient bien cesser leur activité avant l’âge de la retraite pour des raisons financières. Cela a aussi été dit par certains de nos collègues.

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