Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je voudrais saluer le ministre de l’agriculture après le petit incident qu’il a connu aujourd’hui et lui souhaiter un prompt rétablissement. J’espère qu’il pourra être demain parmi nous, et en pleine forme !
C’est avec le sentiment du devoir accompli et dans un climat de dialogue, me semble-t-il, que nous poursuivons la discussion du projet de loi, qui a été enrichi et peaufiné par les deux assemblées, afin de préparer la transition souhaitée vers un nouveau modèle agricole, pour l’avenir de notre pays. En effet, les modifications issues du travail parlementaire ont été nombreuses, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. L’adoption du projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, et en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, s’est accompagnée du vote d’un grand nombre d’amendements.
Cette consolidation du texte initial est d’autant plus satisfaisante que les orientations premières de la loi sont préservées et ses grands équilibres défendus. Ainsi, sa vocation initiale – fournir un cadre législatif permettant à nos agricultures et au secteur forestier d’assurer leur développement économique, tout en prenant en compte la dimension écologique de leurs activités – a toujours guidé le travail des sénateurs. Les outils proposés pour atteindre cet objectif ont évolué, sans pour autant perdre leur fonction d’impulsion en faveur du changement de pratiques, souhaité pour notre agriculture. Cette incitation vertueuse doit permettre de nous diriger vers un système de production agroécologique.
À ce titre, il me paraît essentiel de souligner que ce projet de loi fait entrer le concept d’« agroécologie » dans le vocabulaire français et dans l’actualité de notre économie. Avec cette nouvelle orientation de l’agriculture, la priorité est donnée à des systèmes qui privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité. Cette amélioration, d’ailleurs, ne se réalisera qu’en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques ou de médicaments vétérinaires et en mettant en œuvre de nouvelles pratiques culturales.
Ce concept d’agroécologie doit aussi prendre en compte l’emploi et les conditions de travail des agriculteurs ; il doit donc permettre d’aller vers une meilleure performance sociale. C’est le modèle dans lequel la France entend s’engager dès à présent, et dont ce texte est le socle.
Dans le texte issu des travaux du Sénat en première lecture, l’objectif de la triple performance – écologique, économique et sociale – était assigné à l’agroécologie. Une nouvelle écriture de son article 1er à l’Assemblée nationale a fait disparaître cette mention. La commission des affaires économiques a décidé de la réintroduire, en adoptant un amendement déposé par M. le rapporteur Didier Guillaume. Il convient en effet de conserver cette approche du développement des filières agricoles.
Par ailleurs, les GIEE, dont l’objectif est d’allier la compétitivité économique à la compétitivité environnementale de notre agriculture, constituent l’outil emblématique du projet de loi. Ce regroupement des exploitants agricoles, soutenu par des aides publiques spécifiques, a pour objectif de modifier durablement les systèmes de production, de développer l’entraide et l’expérimentation, de faciliter la commercialisation des produits et d’apporter une réponse pertinente au problème de l’isolement en milieu rural.
Le Sénat en a précisé ses contours en autorisant, d’abord, la participation de personnes physiques ou morales, privées ou publiques ; je pense notamment aux collectivités territoriales ou aux chambres d’agriculture, qui sont en mesure de collaborer à des projets innovants sur leur territoire, tout en garantissant une majorité d’agriculteurs au sein des instances décisionnelles.
Il l’a fait, ensuite, en offrant la possibilité aux agriculteurs membres d’un GIEE d’échanger leurs semences sans passer par un organisme collecteur agréé, ce qui facilite l’entraide entre les agriculteurs.
Toutefois, l’échange entre agriculteurs ne concerne que les semences non protégées par un certificat d’obtention végétale, ou COV, c’est-à-dire des petites quantités. Aussi, il nous semble important de permettre aux membres d’un GIEE de vendre leurs semences sans passer par un organisme stockeur lorsque cette transaction est effectuée au sein même du GIEE. Cette disposition initialement prévue par le texte de loi issu du Sénat devrait pouvoir être maintenue. C’est pourquoi le groupe socialiste propose un amendement la rétablissant.
Autre avancée de ce texte : l’amélioration de la transparence des formes sociétaires déjà existantes. Il sera dorénavant plus facile de constituer un groupement agricole d’exploitation en commun, puisque les procédures d’agrément et d’instruction de demande d’aide économique seront fusionnées et prises en charge par une même autorité administrative compétente. La garantie d’une transparence économique pour les GAEC totaux constitue également un apport de cette loi. Les parlementaires se sont attachés à apporter des précisions utiles sur les possibilités offertes pour les associés de se livrer à des activités extérieures au groupement, sans porter atteinte au caractère total du GAEC.
Enfin, le Sénat a entendu faciliter la transformation en GAEC des exploitations agricoles à responsabilité limitée, les EARL, notamment entre époux, ce qui leur permettra de bénéficier du principe de transparence. Ainsi, les contours des formes sociétaires que peuvent prendre les activités agricoles sont redessinés et clarifiés.
Par ailleurs, une meilleure identification de la population agricole sera permise par la mise en place d’un registre des actifs agricoles. Tout a été fait pour rendre ce registre le plus opérationnel possible. La progression du travail parlementaire a permis d’aboutir à un dispositif sécurisé où les chambres d’agriculture et la MSA se partagent les rôles.
De son côté, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, a la charge de regrouper la base de données à partir des informations détenues par leurs centres de formalités des entreprises. Du leur, les caisses de la Mutualité sociale agricole restent propriétaires et responsables de ces informations. Le Sénat a largement contribué à façonner ce dispositif, en donnant une définition claire de ce que doit être un actif agricole.
La commission des affaires économiques du Sénat a effectué un travail de qualité, qui a permis de faire évoluer le texte dans de nombreux domaines et d’apporter des réponses adaptées aux attentes de la profession. Pour ne citer que quelques dispositions emblématiques, ce fut le cas, par exemple, pour le bail environnemental, qui soulevait beaucoup d’inquiétudes avant le passage au Sénat et dont la rédaction actuelle, proposée par M. le rapporteur, semble faire consensus. Ce fut aussi le cas de la clause miroir pour les coopératives agricoles. La communication aux associés des procédures de négociation des prix dans le cadre du rapport annuel d’activité de la coopérative semble répondre aux exigences d’information et de transparence.
Beaucoup d’autres points sont à mettre à l’actif de ce projet de loi ; je ne les citerai pas tous, car ils sont trop nombreux. Je relèverai simplement l’importance que revêtent l’amélioration de l’enseignement agricole, la maîtrise des produits phytosanitaires, les mesures en direction de la protection du foncier agricole, l’élargissement du rôle des SAFER, la création du fonds stratégique pour la forêt et la prise en compte des spécificités de la montagne. À ce propos, je voudrais aborder un dernier point, qui me tient particulièrement à cœur. Il relève des dispositions relatives à la forêt, même si je laisse à Bernadette Bourzai le soin de parler plus globalement des avancées significatives introduites dans ce texte pour le secteur forestier.
Il s’agit du cas particulier des communes excessivement boisées en zone de montagne, qui doivent faire l’objet de mesures adaptées à leur aménagement. Les sénateurs, par le biais d’un amendement du rapporteur Philippe Leroy, avaient introduit la possibilité, pour les communes boisées à plus de 70 % de leur superficie, de pratiquer des coupes afin d’ouvrir les paysages et de permettre la réaffectation des parcelles concernées par ce défrichement à un usage agricole. Cette disposition ayant été supprimée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, nous avons réaffirmé le besoin de prendre en compte les contraintes particulières qu’un tel taux de boisement entraînait pour ces territoires. Dès lors, nous avons rétabli ce droit de déboisement. M. le rapporteur Philippe Leroy l’a fort bien rappelé il y a un instant, la fermeture des paysages est peu propice au maintien de la population et entraîne la désertification de ces territoires. Qui a envie de vivre sans horizon ou bien avec pour seul horizon les barreaux immenses d’une prison verte ? En Limousin, nous utilisons une expression qui traduit bien cette situation : nous disons des personnes qui la vivent qu’elles sont « enfermées dehors ».
Mes chers collègues, nous arrivons aux termes de la discussion d’un texte qui, contrairement à ce que l’on peut entendre sur certaines travées, est riche d’innovations et fondateur d’un nouveau cadre.
Notre commission a apporté quelques modifications supplémentaires au texte issu de l’Assemblée nationale, contribuant ainsi à amender encore ce projet de loi qui, si l’on en croit les déclarations de certains dirigeants agricoles, et grâce aux compromis trouvés sur ses dispositions phare, fait l’objet d’un assentiment général. À ce titre, il devrait trouver, dans cet hémicycle, une large majorité pour son adoption en deuxième lecture.