Intervention de Jean Bizet

Réunion du 17 juillet 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de mêler ma voix à celle de mes collègues qui ont précédemment adressé un message de sympathie et de prompt rétablissement au ministre de l’agriculture, M. Stéphane Le Foll.

Le hasard a permis votre présence parmi nous ce soir, madame la secrétaire d’État, mais vous êtes tout à fait à votre place. En effet, parmi les différents dossiers dont vous avez la charge, se trouvent ceux du commerce et de la consommation. Or, comme un certain nombre de nos collègues précédemment, nous avons quelques messages à vous délivrer sur ces sujets.

Le projet de loi d’avenir que vous nous invitez à examiner en seconde lecture au Sénat, ce soir, appelle de ma part un certain nombre de commentaires.

Tout d’abord, ce texte est clairement orienté vers des préoccupations que je considère plutôt franco-françaises et n’appréhende l’avenir qu’au travers du prisme de ses fonctions environnementales et sociétales.

Répond-il aux défis du futur traité transatlantique ? Non ! Or, du côté américain, on s’est doté avec le farm bill d’une force de frappe économique importante, fondée sur une garantie de revenus face aux aléas climatiques, sanitaires ou liés à la volatilité des prix.

Répond-il à la baisse tendancielle des fonds communautaires ? Non ! La politique agricole commune, à mon grand regret d’ailleurs, fédère de moins en moins les différents États membres.

Répond-il à la fluctuation des revenus de nombreux agriculteurs français ? Non ! Ces revenus sont directement impactés par les aléas climatiques, sanitaires ou géopolitiques, auxquels ils sont pourtant régulièrement confrontés, et subissent les conséquences des rapports difficiles entretenus avec la grande distribution. Cette dernière n’a pas compris que sa pérennité repose également sur celle des producteurs et des transformateurs. Les uns comme les autres doivent dégager des marges financières pour pouvoir se restructurer et évoluer. À ce propos, le cas de l’Allemagne est souvent cité : au cours des huit ou dix derniers mois, ce pays a effectivement accepté une progression de près de 9 % du prix du lait, évolution rendue possible par une pratique de la concertation, qui, même entre producteurs, transformateurs et grande distribution, s’opère avec une certaine harmonie.

Le projet de loi d’avenir n’a donc d’avenir que le nom ! Il ne prépare pas l’agriculture française aux grands défis de demain, et je le déplore.

Lors de l’examen de la nouvelle politique agricole commune, telle qu’elle nous était parvenue de Bruxelles après le vote du Parlement européen, j’avais dénoncé une dérive identique au niveau de la politique européenne. L’Europe est à contre-courant des stratégies agricoles déployées outre-Atlantique. Les pays de cette zone seront donc beaucoup mieux armés qu’elle ne le sera pour profiter de la future augmentation de la demande alimentaire mondiale. Alors que la demande en protéines végétales et animales va croissant à l’aube de ce XXIe siècle, l’Europe et la France ne participeront que marginalement à cette évolution.

J’avais imaginé que notre pays, au lendemain du vote de cette politique agricole commune et grâce à ce projet de loi d’avenir, aurait pu redevenir le « fer de lance » de l’agriculture européenne. Malheureusement, il s’est fait distancer par les Pays-Bas et par l’Allemagne, et ses industries agroalimentaires sont directement menacées par un déficit de restructuration. Certaines d’entre elles, notamment dans la filière des viandes blanches, sont très fragiles. Je vous concède, madame la secrétaire d’État, que nous ne sommes pas parvenus à ce résultat en un jour. Soyons honnêtes ! Mais la situation s’aggrave de jour en jour...

Il ne reste plus aux agriculteurs qu’à subir sur le terrain une administration plus « tatillonne » que jamais, des exigences « environnementalistes » toujours plus lourdes et sans contrepartie financière et une difficulté croissante à obtenir un partage équitable de la valeur ajoutée face à une grande distribution dont l’avidité en termes de profits est sans cesse plus grande.

Face à ces dérives, je ne vois pas de volonté politique forte pour « produire plus et mieux », comme M. le ministre de l’agriculture l’avait pourtant annoncé, le 27 mai dernier, lors d’une session du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Cet engagement, je l’avoue, m’avait rassuré et avait rassuré ma famille politique.

Produire plus et mieux est pourtant la seule voie possible, car l’acte de production a pour corollaire la transformation, au sein de nos PME, de nos grandes entreprises de l’agroalimentaire, qui animent et structurent nos territoires ruraux. Malheureusement, à leur tour, je le déplore, ces entreprises se fragilisent, parce qu’elles ne dégagent plus suffisamment de marges pour pouvoir se moderniser, à l’image des entreprises de transformation agroalimentaire des autres pays de l’Union européenne.

Madame la secrétaire d’État, permettez-moi quatre dernières remarques.

Le GIEE est une mesure sympathique s’il en est. Je crains toutefois que ce concept ne soit pas à la hauteur des enjeux et, pis encore, qu’il soit source de complication administrative supplémentaire. Ce n’est sans doute pas la volonté du législateur, ni celle des rapporteurs de ce texte, mais il faut admettre que les agriculteurs sont soumis à une complexité administrative croissante qui les décourage.

Le transfert à l’ANSES de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des matières fertilisantes est à mon sens irrationnel ; je me suis déjà exprimé sur ce sujet en première lecture. Je considère en effet que les fonctions d’expertise et de délivrance doivent être clairement séparées. Les plus anciens parmi nous se souviennent des débats qui avaient été initiés par nos collègues Claude Huriet et Charles Descours en copiant un petit peu ce qui avait été fait autrefois par la Food and Drug Administration. Je regrette que nous nous soyons un peu éloignés de cette architecture. Nous verrons comment cela fonctionnera dans l’avenir…

La modification du code civil en vue d’y intégrer le statut de l’animal, classé actuellement par le code rural et le code pénal comme un « être vivant et sensible », serait un geste « loin d’être banal et anodin », pour reprendre l’expression de la garde des sceaux, qui souligne également que « le statut de l’animal a son poids, sa signification et surtout ses conséquences ».

Madame la secrétaire d’État, ces conséquences seraient dévastatrices dans les filières d’élevage et ouvriraient la porte à tous les contentieux qu’un juge pourra engager en donnant libre cours à tous les fantasmes ou interdits. Je m’étonne qu’un ancien ministre de l’agriculture, remarquablement intelligent, fin et pertinent, se soit prêté à cet exercice sans en mesurer pleinement les dérives juridiques potentielles.

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