Au risque de violer le tabou du « n’augmentons pas les charges des entreprises », il faudra bien se décider à accroître le rendement du versement transport, autrement qu’en réduisant le nombre des contribuables exonérés, ainsi que nous y invite l’article 5 quater du présent collectif...
Parce que les réseaux de transport ont vocation, entre autres, à assurer les déplacements des salariés comme ceux de la clientèle des grandes implantations commerciales ou touristiques, il est logique, mille fois logique, que les bénéficiaires en dernier ressort de cette qualité de service, c’est-à-dire les entreprises et les enseignes de la distribution, soient mis à contribution.
Puisqu’il est d’usage désormais de qualifier la fiscalité, le versement transport est un impôt « intelligent », une alternative aux risques créés par l’usage individuel de l’automobile et de la route et une source d’économies en matière de consommation énergétique. Il doit donc être conforté.
Néanmoins, l’orientation générale de ce collectif ne se résume pas aux questions du transport, du tourisme et des déplacements. Elle se fonde, également, sur la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité.
Une responsabilité qui vise, en fait, à rendre de moins en moins « responsables » les entreprises en allégeant encore de manière significative leurs obligations fiscales et sociales, et une solidarité qui semble de plus en plus s’exercer entre les ménages moins pauvres et les ménages plus pauvres, tandis que la crise économique et sociale continue de sévir et, sans surprise, d’enrichir un peu plus encore les plus riches, comme tous les indicateurs sérieux le montrent.
Une récente étude de l’INSEE sur les inégalités de revenus et de patrimoines en France le prouve : le champ et le nombre de ménages frappés par la pauvreté augmentent, tandis que croissent les inégalités. Les 10 % de Français les plus pauvres ont, ensemble, un revenu 3, 6 fois inférieur à celui des 10 % de nos concitoyens les plus riches. Ce décalage nous ramène, mes chers collègues, à la fin des années soixante-dix et souligne plus encore les inégalités de patrimoine.
À force d’alléger l’impôt de solidarité sur la fortune, d’encourager, avec force dépenses fiscales à la clef, l’investissement dans le capital des entreprises, les investissements outre-mer, les investissements locatifs et immobiliers, etc., on a fini par créer une véritable rente de situation pour les ménages les plus aisés, et parmi les plus aisés des plus aisés !
Ces dix dernières années, alors que le revenu des ménages les plus modestes stagnait ou baissait, celui des 0, 01 % des plus aisés prenait, en moyenne, 4 % par an. Nous sommes dans une étrange économie libérale, mes chers collègues, dans laquelle le fait d’investir dans le capital d’une PME, dans l’immobilier de rapport ou dans un programme hôtelier exotique bénéficie, dans tous les cas de figure, d’une aide de l’État au cas où le profit ne serait pas au rendez-vous ! Magnifique système, sans risque, où les impôts de tous portent les risques de quelques dizaines de milliers d’investisseurs.
Ne l’oublions pas, la politique du logement en France accorde plus de 1, 5 milliard d’euros de dépenses fiscales à 100 000 investisseurs immobiliers avisés, tandis qu’elle se révèle incapable de résoudre le problème du mal-logement de 3 millions de demandeurs de logement : revenons aux priorités !
Je livrerai quelques éléments de réflexion pour ce qui est du pacte de responsabilité et de solidarité.
C’est un pacte fondé, on le sait, essentiellement sur le dogme de la baisse du « coût du travail ». Je formulerai une remarque peut-être anecdotique, mais tout de même révélatrice. J’ai découvert, au hasard de la lecture d’un magazine économique mensuel, que, en Suisse, les exportations de montres avaient battu un record au moins de mai dernier, alors même que le coût du travail dans ce pays est supérieur de 45 % au coût du travail français. Quelle surprise ! C’est la preuve que d’autres critères devraient être ciblés, comme la formation initiale ou continue, les investissements, ainsi que le niveau de recherche et de développement des entreprises.
Outre l’objectif d’économies annoncé, qui s’élève à 50 milliards d’euros à l’horizon de 2017, le pacte prévoit également de nouveaux allégements fiscaux et sociaux. On fait, évidemment, beaucoup de bruit autour de la « ristourne » d’impôt sur le revenu, qui concernera environ 3 millions de ménages cette année, voire un peu plus l’an prochain, mais c’est pour mieux masquer les 40 milliards d’euros d’allégements fiscaux et sociaux dont bénéficieront les entreprises entre cette année et 2017.
Entre allégements de cotisations sociales, disparition programmée de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés et de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, et allégement avant intégration du régime social des indépendants, la liste des cadeaux est bien garnie.
Alors même que le travail accompli par la mission commune d’information de nos collègues Charles Guené et Michelle Demessine vient de mettre en évidence la très hypothétique efficacité des allégements de cotisations sociales sur le nombre, la teneur et la qualité des emplois créés, on en rajoute encore dans un dispositif qui n’a empêché ni la hausse du chômage ni celle de notre déficit commercial extérieur, et moins encore la dérive des comptes publics !
Sans les sommes que nous consacrons chaque année à ce qui tient lieu, depuis 1993, de politique de l’emploi, il y a belle lurette que nous serions dans les « clous » des fameux 3 % de déficit public, et la dette de l’État n’aurait pas atteint les niveaux qu’elle atteint aujourd’hui. Une dette qui est cependant agitée comme une sorte d’épouvantail à moineaux pour mieux faire accepter les politiques d’austérité qui sont menées depuis tant d’années.
C’est la loi de règlement qui rétablit les faits. Le compte général de l’État, détaillé par l’article 3 de cette loi, indique notamment que l’État dispose de 822 milliards d’euros d’actifs immobilisés et de 1 481 milliards d’euros de dettes financières de moyen et long terme, dont on sait que la durée de vie moyenne se situe aux alentours de six ans.
Je connais quelques ménages et quelques entreprises dont l’endettement excède les capacités financières immédiates ! Et pourtant, les mêmes ménages habitent dans leur appartement ou leur maison, utilisent leur automobile achetée à crédit, tandis que les entreprises disposent des machines dans lesquelles elles ont investi.
L’on pourrait procéder au même calcul pour la sécurité sociale, comme pour les collectivités, pour se rendre compte que les dettes supportées par ces deux autres « agents publics » ont une contrepartie sous forme de patrimoine. Il est même probable, pour les collectivités locales, que la dette financière soit inférieure à la valeur de ce patrimoine !
La dette n’est pas un mal en soi, sauf quand elle devient l’instrument de politiques budgétaires conduisant à l’adoption de « pactes de déresponsabilisation et de désolidarisation », comme c’est le cas aujourd'hui avec cette politique de l’offre qui continuera, si l’on n’y met un terme, à susciter déficits sociaux, budgétaires et environnementaux.
En tout état de cause, le groupe CRC confirmera son vote de première lecture en rejetant ce collectif sans la moindre hésitation.