Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Examen du rapport de m. jean-yves le déaut député premier vice-président et m. marcel deneux sénateur vice-président sur « les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment »

Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président :

Notre rapport s'ouvre sur deux affaires montrant des problèmes dans l'évaluation technique des produits. Elles ont provoqué l'indignation de plusieurs députés qui ont demandé au bureau de l'Assemblée nationale de nous saisir. Ce sont les affaires des ouates de cellulose, et des couches minces d'isolants.

La ouate de cellulose est un isolant écologique tiré du bois. Elle a commencé à se développer fortement en France à partir de 2010 ; les petites entreprises concernées ont pris soin de se conformer à la procédure des avis techniques.

Mais ces entreprises ont été abattues en plein envol à cause d'une triple alerte réglementaire : d'abord, sur l'utilisation des sels de bore comme fongicide ; ensuite, sur le risque d'incendie en cas de proximité avec des spots lumineux encastrés ; enfin, sur les conditions d'octroi des certificats d'économie d'énergie. Aujourd'hui, plusieurs de ces entreprises ont fait faillite ; vendredi dernier, je devais faire face à des employés licenciés qui manifestaient devant ma permanence.

La première alerte réglementaire a été lancée par un groupe spécialisé de la commission en charge de formuler les avis techniques (CCFAT) ; la deuxième alerte, celle sur les débuts d'incendie avec des spots encastrés, a été lancée par l'AQC, la troisième par le CSTB.

Tous ces à-coups peuvent s'expliquer : dans le premier cas, la faute résulte de sur-réactions de la Direction générale de la prévention des risques par rapport à des évolutions de la réglementation européenne REACH ; dans le second cas, la faute est la conséquence d'un manque de vigilance, y compris au niveau du « groupe spécialisé », concernant le besoin d'imposer la pose d'un capot protecteur, dans le troisième, elle s'explique par des changements des règles du jeu.

M. Marcel Deneux et moi voulions nous rendre compte de la manière dont les instances impliquées fonctionnent. Nous sommes donc allés assister, d'abord à des réunions des groupes spécialisées de la CCFAT, ensuite à une réunion de la Commission de « prévention produits », dite « C2P », de l'AQC. Tout nous a semblé normal, aussi bien organisé qu'il est possible quand on fait appel à des experts d'un secteur pour apprécier des produits dudit secteur, c'est-à-dire quand on fait juger les qualités d'un produit par ses concurrents. Nous avons tout de même été troublés par l'absence de chercheurs et d'universitaires.

Il reste que notre fréquentation de ce milieu nous a fait entendre beaucoup de choses invérifiables : que la mort de la ouate de cellulose profite évidemment aux isolants classiques en laine minérale, et que le soupçon de préméditation par un jeu d'influence bien calculé demeure. J'avais personnellement demandé une enquête administrative. Cette demande demeure d'actualité. Je constate, en tout cas, que certains responsables des instances impliquées ont été remplacés au cours des derniers mois.

Quant à l'affaire des couches minces d'isolants, elle résulte de la revendication d'un industriel concernant une performance accrue de son produit, justifiée par sa facilité de mise en oeuvre. La rénovation des bâtiments anciens doit souvent s'accommoder de la géométrie imparfaite des surfaces ; dans ce cas, des films souples permettent de réaliser beaucoup plus facilement l'étanchéité que des blocs massifs d'isolants qu'il faut ajuster aux jointures. Le produit est intrinsèquement moins performant, mais plus facile à mettre en oeuvre de façon adéquate.

Le conflit entre le CSTB et l'entreprise en question porte, depuis une dizaine d'années, sur la valeur qu'on peut accorder à une mesure in situ, dans des chalets expérimentaux, pour rendre compte de la performance du produit. Le CSTB s'en tient à une mesure en laboratoire, car une mesure en situation réelle est difficilement reproductible ; il conteste qu'on puisse retenir le résultat d'une comparaison entre, d'un côté, l'installation parfaite d'un produit, et de l'autre, une installation imparfaite d'un produit concurrent ; il constate que la comparaison de deux installations parfaites confirme l'écart des performances intrinsèques.

L'affaire a connu plusieurs extensions devant les tribunaux, en France et dans d'autres pays d'Europe, notamment parce que les concurrents de l'entreprise concernée ont demandé, avec succès, le retrait des allégations de performance.

Nous avons demandé que le conflit s'oriente vers la recherche d'une « paix des braves », avec l'abandon des procédures judiciaires en cours, en échange de la mise en place d'une appréciation de performance sur la base du parc installé.

Notre idée est qu'il faut dépasser ce débat sur la performance intrinsèque des produits, car cette performance intrinsèque ne sert qu'à alimenter des calculs théoriques, sans forcément de lien avec le résultat final obtenu, puisque celui-ci dépend pour beaucoup de la mise en oeuvre.

S'il doit y avoir des procès, ce n'est pas entre industriels, sur des performances théoriques, mais entre les industriels alléguant certaines performances et les maîtres d'ouvrage floués, une fois leur maison construite.

Quant aux leçons que nous retenons de ces deux affaires sur l'organisation de l'évaluation technique, elles sont de deux ordres :

- d'abord, le CSTB, pour ses tâches d'évaluation technique via la CCFAT, est à la fois en situation de prescripteur et de prestataire ; en outre, il dépend pour son financement de ses prestations techniques, et il est mis en position de réclamer aux industriels des tests techniques qu'il va ensuite leur facturer ;

- ensuite, le CSTB, pour ce qui concerne ses analyses scientifiques comme celles relative à la mesure de la performance réelle, n'est pas assez immergé dans le monde de la recherche.

C'est pourquoi nous préconisons de séparer le CSTB en deux entités : d'une part, le CSTB lui-même resterait en charge de l'évaluation technique, mais aussi de l'expertise (auprès du Gouvernement) et de l'information (publication de guides) ; avec l'idée complémentaire de le financer via une taxe affectée prélevée sur les primes d'assurance, pour qu'il ait les moyens d'une pleine indépendance ; d'autre part, tous ces moyens techniques seraient regroupés dans un établissement juridiquement distinct : « Les laboratoires de la physique du bâtiment », qui serait immergé dans la communauté scientifique correspondante.

Nous pensons que le dispositif ainsi réaménagé, inspiré du modèle allemand du DIBt, qui n'a pas de moyens techniques propres et renvoie pour les prestations à des laboratoires à travers l'Allemagne, gagnerait beaucoup en crédibilité.

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