Aux marges de notre étude sur les freins à l'innovation, nous avons été amenés à nous pencher sur certains éléments de contexte indispensables pour que l'innovation puisse donner son plein effet. Nous jetons un pavé dans la mare. Divers constats peu satisfaisants s'imposent au terme de notre étude : les critères sur lesquels sont fondées les aides sont trop compliqués, mal ciblés ; les annonces politiques sur les performances visées ne sont pas toujours bien orientées, elles manquent de cohérence ; le public, mais aussi les entreprises, perdent confiance dans un système opaque, bureaucratique et trop centralisé.
Ainsi, les questions de formation sont essentielles, pour prendre en main des solutions plus performantes, pour atteindre un plus haut degré de qualité, pour travailler de façon mieux coordonnée entre corps de métier. Ce degré supplémentaire d'investissement personnel est essentiel pour réaliser des bâtis bien étanches, avec un minimum de ponts thermiques. Les centres de formation des apprentis, les lycées professionnels ont un rôle à jouer pour proposer des travaux pratiques, de préférence sur des plateformes de tests.
D'un autre côté, les marchés publics, qui ont mobilisé 75 milliards d'euros en 2012 selon l'Observatoire économique de l'achat public, doivent être l'occasion pour l'État et les collectivités locales de montrer l'exemple de l'engagement en faveur de la performance, en considérant non pas le prix d'achat, mais le coût complet sur le cycle de vie du système, y compris l'exploitation et la maintenance.
Notre enquête dans le monde du contrôle et de la réglementation énergétique du bâtiment a révélé un système similaire à celui qui régissait le domaine nucléaire il y a une vingtaine d'années : mélange des genres entre recherche, évaluation, conseil, expertise et contrôle ; combinaison désordonnée entre une centralisation à outrance des instances décisionnaires et une multiplicité d'opérateurs institutionnels travaillant plus en concurrence qu'en coopération ; endogamie des acteurs décisionnels avec les responsables industriels ; distance marquée entre les universités, les écoles d'architecture et les centres techniques en charge des technologies du bâtiment ; aucune place dans le monde de la recherche pour la physique des bâtiments en tant que telle ; pas de réelle stratégie pour traiter la priorité absolue de la rénovation. Le bâtiment est considéré comme une discipline subalterne.
Enfin, il est essentiel de poursuivre le regroupement des forces de la recherche touchant à la physique du bâtiment, tel qu'il s'est déjà engagé, d'une part, dans le cadre d'un groupe programmatique de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE), d'autre part, à travers la constitution des huit plateformes technologiques du plan « bâtiment durable ».
Le Groupe d'analyse prospective thématique (GAT) « Bâtiment et ville durables » a produit, en 2013, un livre blanc indiquant qu'environ 200 chercheurs en France se consacrent d'une manière ou d'une autre, à ce domaine. Ils sont éparpillés dans de nombreux laboratoires de statuts divers à travers le pays : on peut citer, entre autres, le Centre de thermique de Lyon (CETHIL), le Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement (LASIE) au sein de l'université de La Rochelle, l'Institut de mécanique et d'ingénierie à Bordeaux, Le Laboratoire régional de génie civil et géo-environnement à Lille, le Laboratoire d'énergétique et de mécanique théorique et appliquée (LEMTA) à Nancy, et bien sûr, le Centre « Efficacité énergétique des systèmes » de « Mines ParisTech », le CSTB à Marne La Vallée, le CEA au travers notamment de l'Institut de l'énergie solaire près de Chambéry, EDF au centre des Renardières et GDF-Suez à Saint-Denis avec le CRIGEN.
En tant que membre désigné par l'OPECST au sein du Conseil stratégique de la recherche, je veillerai à ce que la physique des bâtiments soit considérée comme un axe majeur de développement de notre recherche. Il ne s'agit certes pas de la grande physique des prix Nobel, mais c'est un domaine crucial pour l'avenir de notre pays, compte-tenu de l'effort mené en France, en Europe, et dans d'autres pays du monde, pour accélérer la transition énergétique.
Or il faut se mettre en position d'anticiper les marchés futurs. Les Allemands et les Autrichiens l'ont bien compris. Ils donnent une réelle priorité à la recherche dans les domaines de la physique des bâtiments, de la gestion active de l'énergie, de la récupération de calories dans la masse du bâti. Le principe est simple : « récupérer toutes les formes de chaleur quand elle est gratuite, la restituer quand on en a besoin ». Il faut préserver économiquement, par une offre dynamique, les parts de marché de notre industrie face à une concurrence européenne qui ne cesse de se renforcer.
La France possède tous les atouts pour relever le défi de la transition énergétique. Il faut pour cela simplifier, débureaucratiser, rendre le système plus transparent, soutenir la formation de tous les acteurs, du maître d'oeuvre à l'artisan en passant par l'architecte et l'ingénieur de bureau d'études, ouvrir le système vers les universités, organiser l'audit et l'expertise et évaluer a posteriori les techniques mises en oeuvre.
Plus d'un million cent mille personnes sont salariées dans le secteur du bâtiment, auquel il faut ajouter 385 000 artisans. Les travaux du bâtiment, cela représente un chiffre d'affaires de 126 milliards par an, dont 42 milliards sont affectés aux travaux d'entretien et d'amélioration dans le logement. Cette valeur doit être doublée pour tenir les engagements pris. Si on considère que les logements recouvrent 3 milliards de mètres carrés, leur rénovation, au coût, couramment admis, de 300 euros le mètre carré, correspond à une dépense totale de 900 milliards d'euros. D'ici 2030, donc quinze années, cela représente un effort de 60 milliards par an. Même si nous n'atteignons que la moitié de cet objectif, soit 30 milliards, cela représente 300 000 emplois supplémentaires par an.
Un des révélateurs du décalage entre la France et ses voisins est la condescendance avec laquelle notre appareil administratif traite le cas des labels passifs, qui sont certes privés, mais n'en demeurent pas moins des efforts allant dans le bon sens : la région de Bruxelles a négocié avec ces labels leur intégration dans sa réglementation ; de notre côté, nous les ignorons. Il faudrait faire attention à ce que notre RT2012 ne nous amène pas à revivre une nouvelle fois l'aventure du Minitel face à Internet.
Pour nous, c'est M. Dietmar Eberle, l'un des papes du mouvement des « Baukünstler », groupe d'architectes du Vorarlberg à l'origine de la révolution de la construction passive en bois, qui semble fixer le bon cap avec son prototype « 22-26 » à Lustenau : il faut abandonner la vision théorique d'ingénieur du bâtiment parfait traitant l'occupant comme un intrus perturbateur ; au contraire, l'avenir appartiendra au bâtiment à consommation nulle, se rééquilibrant constamment par des systèmes inertiels pour réagir aux moindres besoins de ses occupants.
Faire le pari de l'innovation, c'est rester dans le peloton de tête de la recherche pour se donner une chance de créer des emplois et de ramasser la mise au niveau industriel. La transition énergétique doit être vue comme un formidable défi scientifique, technologique et social puisqu'elle va profondément transformer notre quotidien.
Voilà notre synthèse d'une étude que j'ai appréciée, s'agissant d'un sujet que nous connaissions insuffisamment. Avec M. Marcel Deneux, nous avons mené un travail approfondi, avec beaucoup d'auditions, dont plusieurs publiques. Nous sommes, d'ores et déjà, fréquemment sollicités sur ces sujets. Par exemple, la semaine dernière, nous nous sommes rendus à Chambéry. Nous agirons pour aider à relever ce défi.