Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, intégré au débat d’orientation budgétaire, le projet de loi de règlement que nous examinons ce soir à nouveau n’avait pas mobilisé l’essentiel du débat, celui-ci étant polarisé sur le devenir de nos finances publiques. Il pourrait donc s’agir, dans les faits, de donner à celui-ci le relief qu’il n’a pas eu jusqu’alors, mais vous me permettrez pourtant de ne pas le faire, en vue d’envisager les prolongements que nous pouvons tirer de la situation d’exécution budgétaire pour 2013.
Les éléments fondamentaux d’analyse du budget pour 2013 sont connus : le déficit global a enregistré une nouvelle réduction. Nous pourrions fort bien nous en féliciter si cela ne traduisait pas, en réalité, les limites pour le moins préoccupantes de la situation.
La difficulté fondamentale du projet de loi de règlement pour 2013, comme d’ailleurs du projet de loi de finances rectificative pour 2014 que nous venons d’examiner, réside, on le sait pertinemment, dans l’insuffisance des recettes fiscales, celles-ci étant en effet largement conditionnées par la réalité de l’activité économique. C’est cette insuffisance de recettes qui bride le mouvement de réduction des déficits et nous crée des difficultés nouvelles. Elle montre, sans la moindre équivoque, que la dépense publique est aujourd’hui par trop contrainte et réduite le plus souvent à la seule correction des « désordres du marché », ce qui la rend inefficiente. L’exemple n’en est-il pas donné par les 20 milliards d’euros d’allégement de cotisations sociales accordés aux entreprises sans contreparties ni ciblage et qui ne servent, selon toute vraisemblance, qu’à subventionner 800 000 emplois privés sous-payés et sous-qualifiés, véritables « emplois aidés » ?
De fait, ce débat doit être l’occasion de nous demander ce qu’il demeure de la grande réforme fiscale qu’on nous avait annoncée au début de l’année. Un grand chantier dont nous n’avons trouvé dans le collectif budgétaire que quelques menus travaux sous la forme d’une nouvelle version de l’écotaxe, dont les défauts sont d’ailleurs à peu près les mêmes que la première : son produit sera insuffisant, elle demeure collectée par un organisme privé qui ne manquera pas de prélever son écot sur cette collecte insuffisante et elle ne répondra absolument pas aux besoins de financement connus pour l’indispensable transition énergétique de l’économie et de la société françaises.
Je vais peut-être paraître quelque peu iconoclaste, mais le compagnonnage des lois de finances me laisse à penser que la solution aux problèmes du pays ne passe pas toujours ni nécessairement par une mesure fiscale. La fiscalité n’est pas la panacée ! En effet, avant de proposer des taxes mal conçues, il est grand temps que l’on se demande si certaines ressources existantes ne pourraient pas être mobilisées pour atteindre les mêmes objectifs.
Il y a peu, nous avons suggéré de mettre à contribution, pour le compte de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, les sociétés autoroutières, dont les dividendes manifestent une bonne santé générale. Cette proposition reste pleinement valable !
De même, malgré les efforts accomplis pour dissuader les épargnants d’abonder leurs livrets défiscalisés et de céder aux sirènes des plans d’épargne en actions, il demeure plus ou moins 100 milliards d’euros – soit quasiment trois fois la capacité d’investissement du grand emprunt destiné aux « investissements d’avenir » – dans l’encours du fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations.
Nous avons sans doute là, dans une conception renouvelée de la centralisation des dépôts, de quoi financer, sans imposition nouvelle, une bonne partie des grands projets de transport alternatif à la route dont notre pays a le plus grand besoin.
La remarque vaut aussi pour favoriser la passivité énergétique des logements et leur mise aux normes écologiques.
Il nous faut, en ces matières, beaucoup plus de détermination et d’audace qu’il n’y en a eu jusqu’à présent. Surtout que nous avons, dans ce contexte, les éléments d’une croissance économique d’un nouveau type, économe dans l’usage des richesses naturelles, plus raisonnée et intelligente du point de vue de la qualité de vie des individus.
L’approche que nous devons avoir de la fiscalité doit être sensiblement plus systémique qu’elle ne peut l’être aujourd’hui. On ne peut pas s’étonner de la faible progression des recettes fiscales de l’État quand on décide de priver un salarié sur cinq dans ce pays d’une juste reconnaissance pécuniaire de son travail ou quand on décide de ponctionner les ressources des collectivités locales de plusieurs milliards d’euros, et ce alors même que l’investissement des collectivités locales constitue encore aujourd’hui plus de 70 % de l’investissement public, comme cela est régulièrement rappelé dans nos débats. Cet investissement est décisif pour l’activité économique générale.
Le problème, c’est que nous ne sortirons pas du marasme économique avec les mesures qui sont encore aujourd’hui annoncées et qui s’avèrent de plus en plus coûteuses. En effet, si nous pouvons nous préoccuper de la situation des recettes fiscales de l’État – entre 275 milliards et 285 milliards d’euros nets –, nous devons aussi nous interroger sur le fait que 220 milliards à 230 milliards d’euros – bientôt plus avec le pacte de responsabilité et le CICE, notamment – de produits fiscaux sont aujourd’hui consacrés, de manière rigide et contrainte, à d’autres missions que l’équilibre des comptes publics. Sur ces sommes tout à fait considérables, la part la plus significative concerne les prélèvements sociaux, puisque rien moins que 156 milliards d’euros sont mobilisés pour substituer des recettes fiscales aux cotisations sociales.
Pour faire bonne mesure, nous conservons dans notre législation rien moins que 80 milliards d’euros de dépenses fiscales chiffrées et près de 70 milliards d’euros de mesures particulières résultant des modalités du calcul de l’impôt. L’essentiel de ces mesures, faut-il le rappeler, concerne les entreprises, de manière non ciblée et, de fait, favorise d’abord et avant tout les plus grandes au détriment des autres.
Soyons clairs : le P-DG d’une PME en phase de développement préfère, sans nul doute, mille fois un prêt bancaire bonifié ou à faible taux d’intérêt à un taux réduit d’impôt sur les bénéfices qu’il ne va d’ailleurs pas nécessairement produire les premières années.
De la même manière, nous préférerions largement un relèvement du taux du versement transport à l’instauration d’une taxe de séjour en Île-de France.
Il est temps que notre fiscalité opte pour une réforme partagée entre justice sociale, efficacité économique et, singulièrement, mise en question des choix d’allégements sociaux et fiscaux.
Certains estiment que le taux de l’impôt sur les sociétés est encore trop élevé, alors même que son rendement ne représente que 1, 8 % du produit intérieur brut et qu’il va encore baisser avec la progression du CICE !
Ce sont ces éléments qui doivent aujourd’hui nous guider, dans l’immédiat et pour l’avenir. Nous ne voterons donc pas ce projet de loi de règlement : nous nous abstiendrons.