Il faut le reconnaître, tout le monde n’est pas pourvu de cette capacité…
Nous savons tous qu’il y a un problème ferroviaire ; du reste, c’est pour cela que le Gouvernement a lancé cette réforme. De fait, le système ferroviaire fonctionne de moins en moins bien.
L’actualité récente, sur laquelle je n’insisterai pas car M. le secrétaire d’État l’a fait avant moi, en offre une illustration : quand un premier accident se produit qui démontre que la maintenance n’était pas d’un niveau suffisant, puis qu’un second accident survient, il y a de quoi s’interroger et même s’inquiéter !
La SNCF et RFF sont des entreprises de grande qualité, ayant un personnel qui est également de grande qualité, mais il reste que des accidents se produisent…
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la dette des deux entités équivaut à la moitié du déficit budgétaire de la France en 2014.
Quel bilan peut-on dresser ? Que notre réseau ferroviaire soit en voie d’effondrement, ce n’est pas d’hier que nous le savons ; le rapport Rivier, dès 2005, ainsi que les travaux de la Cour des comptes nous l’ont depuis longtemps appris.
En particulier, la part modale du fret ferroviaire s’est érodée d’année en année ; l’arrivée des camions de 44 tonnes, mais aussi, monsieur le secrétaire d’État, la diminution des crédits accordés à l’engagement national pour le fret ferroviaire ont malheureusement contribué à ce triste bilan.
De plus, le matériel des trains d’équilibre du territoire est fatigué, voire obsolète, sans qu’aucune perspective à long terme nous soit offerte à cet égard. Il n’est pas jusqu’au TGV qui ne commence à connaître des problèmes d’équilibre économique à long terme.
Dans ce paysage qui s’assombrit d’année en année, l’action déterminée des régions et les investissements massifs qu’elles ont réalisés depuis 2002 ont contribué à la dynamique du ferroviaire, avec à la clé une nouvelle très positive : la très forte augmentation du nombre de passagers pour les transports du quotidien.
À partir d’octobre 2010, du haut de cette tribune, j’ai réclamé au gouvernement que je soutenais, un « Grenelle du ferroviaire ». Il m’a fallu plus d’un an pour l’obtenir, sous la forme des Assises du ferroviaire. Quatre ans plus tard, un débat se tient enfin au Parlement.
Le projet de loi portant réforme ferroviaire a suscité des discussions très abondantes, qui se sont déroulées dans un climat parfaitement responsable et correct. L’analyse que j’en fais me conduit à établir trois constats.
Le premier de ces constats vous est tout à fait favorable, monsieur le secrétaire d’État. En effet, je ne peux que me féliciter que les fonctions de gestionnaire d’infrastructure du réseau ferré national, aujourd’hui réparties entre RFF, SNCF Infra et la DCF, soient unifiées. Cette mesure satisfait la recommandation de la commission n° 2 des Assises du ferroviaire, que les parties prenantes du secteur approuvent unanimement. Voilà un point sur lequel nous sommes tous d’accord !
Tous d’accord, nous le sommes aussi en ce qui concerne l’État stratège. Vous avez raison, monsieur le secrétaire d’État, de défendre une vision complète et large permettant d’assurer la cohérence du système ferroviaire ; nous vous soutenons à cet égard.
Nous nous réjouissons également que l’État assure le pilotage de la filière industrielle ferroviaire.
Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, que le plan de charge de cette filière est en diminution dramatique à court terme. Ce soir, je tire de nouveau le signal d’alarme. Les industriels, que j’ai encore rencontrés aujourd’hui, m’ont demandé de vous faire part une nouvelle fois de leurs profondes inquiétudes et de leur forte attente d’actions décisives dans ce domaine.
À cet égard, je vous félicite d’avoir donné un avis favorable sur mon amendement tendant à préciser que la filière ferroviaire doit favoriser le développement de solutions industrielles exportables. Cette démarche s’accompagne d’une mobilisation positive du Parlement, qui aura à connaître des dossiers les plus importants du système ferroviaire, mais sans pouvoir voter – rien n’est jamais parfait ! –, malgré les propositions que j’ai défendues dans cet hémicycle et qui visaient notamment à prévoir une grande loi de programmation ferroviaire.
Vous avez enfin accepté de rétablir l’avis conforme de l’ARAF et vous avez même, fort justement, augmenté les possibilités d’intervention de celle-ci, notamment en matière de sanctions.
Je salue également de la sagesse du Sénat, qui a supprimé le commissaire du Gouvernement dont l’existence aurait pu, éventuellement, menacer un tant soit peu l’autonomie de l’autorité de régulation.
Je me réjouis enfin de constater que le projet de loi devrait permettre de définir de hauts niveaux de performance et de productivité tout en maîtrisant les dépenses au moyen d’une règle d’or. Toutefois, je regrette que ces objectifs d’assainissement financier ne suffisent pas à éviter l’augmentation de la dette de plus de 60 milliards d’euros d’ici à 2025.
Les motifs de satisfaction ayant été exposés, j’en viens à mon deuxième constat, dont vous savez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il m’interpelle d’autant plus que vous n’avez pas amélioré la situation : il existe une nébuleuse d’organismes au milieu de laquelle, en dehors des trois EPIC et de Gares & Connexions, il n’est guère facile de s’y retrouver. Je crois que nous aurions pu être plus efficaces ; j’avais soulevé le problème et je regrette que nous n’ayons pas trouvé un système plus simple.
De même, en ce qui concerne la gestion des gares, maintenue au sein de SNCF Réseau, je ne peux que regretter que, malgré le débat, vous ayez choisi le statu quo. Je vous rappelle que cette position va à l’encontre des préconisations du rapport de Jacques Auxiette, publié le 22 avril 2013, ainsi que de l’avis de l’Autorité de la concurrence du 4 octobre 2013, dont je répète qu’il est particulièrement argumenté. Monsieur le secrétaire d’État, ces documents vous donnaient une bonne base pour faire évoluer le système, mais vous ne l’avez pas utilisée : c’est dommage !
Je m’interroge également sur la lisibilité que le projet de loi apportera aux régions, appelées à devenir des autorités organisatrices de plein exercice, mais dans un cadre des plus contraints. En effet, les régions ne décideront elles-mêmes que des tarifs occasionnels du TER, les tarifs des abonnés restant fixés par l’État.
De même, les régions n’obtiennent pas satisfaction sur le libre choix de leur mode de contractualisation, alors que, là encore, monsieur le secrétaire d’État, une perche vous a été tendue, et de surcroît par vos amis.
Quant à mon troisième constat, il est malheureusement plus négatif. De fait, de nombreuses questions de fond ne sont pas traitées par votre réforme, malgré les longues heures de réflexion, de discussion et de débat auxquelles elle a donné lieu. C’est là, en définitive, le fondement de mon opposition au projet de loi.
La première de ces questions porte sur la dette, qui s’élève actuellement à plus de 40 milliards d’euros. Alors que ce grave problème est connu depuis de longues années, vous vous contentez, monsieur le secrétaire d’État, de repousser à plus tard l’assainissement des comptes. En vérité, la simple publication d’un rapport, qui plus est dans un délai de deux ans, n’est vraiment pas, selon moi, à la hauteur de la gravité de la situation.
Pourtant, l’ensemble des organismes de contrôle économique – Eurostat, l’INSEE, la Cour des comptes… – ont confirmé qu’il aurait été possible de transférer dès aujourd’hui plus de 10 milliards d’euros de cette dette à l’État, ce qui aurait été un premier pas significatif. Vous avez prétendu tout à l’heure, monsieur le secrétaire d'État, que cette opération ne serait pas réalisable, mais j’avoue que je n’ai pas bien compris votre démonstration. Pour ma part, je pense que ces 10 milliards d’euros auraient pu être absorbés sans trop de difficultés compte tenu de la situation actuelle.
Je tiens à rappeler que, selon la commission n° 3 des Assises du ferroviaire, « la résorption du déficit structurel est la seule clé de désendettement du secteur ».
Bref, la maison brûle et on a tendance à regarder un peu ailleurs !
La deuxième question non résolue est celle, fondamentale, de l’ouverture à la concurrence : elle est absente de la réforme.
Le premier amendement que j’ai déposé au Sénat, en 2009, visait à une ouverture maîtrisée à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs. Au Sénat, j’ai été le seul parlementaire à proposer que l’on transpose dès à présent l’ensemble des textes européens, notamment la directive 2012/34 sur la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire et le règlement 2007/1370, dit OSP, pour anticiper des échéances que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, jugez inévitables.
J’ajoute que ma famille politique a été la seule à prendre ses responsabilités en tirant les conséquences des textes communautaires : nous l’avons fait en 2009 en créant l’ARAF et l’Établissement public de sécurité ferroviaire, l’EPSF.
Je crois profondément que ce mécanisme d’ouverture à la concurrence s’avérerait extrêmement bénéfique pour la SNCF et pour les usagers. Il ne s’agit pas, monsieur le secrétaire d’État, de hisser les couleurs d’une libéralisation à tout-va, mais de répondre aux attentes de nos concitoyens. De fait, 67 % des usagers pensent que l’ouverture à la concurrence des TER est une bonne chose ; telle est la réalité ! Vous dites que les usagers attendent de la sécurité, de la qualité, du confort et de la régularité. Or ce sont exactement les conséquences positives que nos concitoyens attendent de l’ouverture à la concurrence, selon un sondage réalisé par IPSOS en mai dernier.
Depuis 1991, c’est-à-dire depuis vingt-trois ans, on sait que le secteur ferroviaire devra s’ouvrir à la concurrence. Face à un tel défi, que fait-on ? On recule une nouvelle fois devant l’obstacle !
Au cours de la discussion du projet de loi, et ce soir encore, vous avez souligné le rôle joué par la France dans le report des échéances du quatrième paquet ferroviaire. Selon moi, il est dangereux de retarder l’adoption du volet gouvernance : ce report retarde l’adoption du volet technique dont notre industrie a besoin. De plus, cette position est de nature à isoler la France. À cet égard, le fait qu’aucun candidat français n’ait été retenu pour la présidence de l’Agence ferroviaire européenne ne peut que nous interpeller, sur quelques travées que nous siégions.
Ainsi, au lieu d’aborder franchement cette question et de passer à l’offensive, nous reculons à nouveau. Pourtant, la commission n° 1 des Assises du ferroviaire, présidée par Gilles Savary, qui est l’un de vos amis politiques, avait estimé en 2011, donc il y a quatre ans, que le principe d’une ouverture à la concurrence était acté. Vous avez dit « acté » ? Pour ma part, je n’ai rien vu !
Pourtant, cette concurrence permettrait, à l’image de celle qu’a instaurée Michel Sapin dans le domaine du transport urbain, de développer l’emploi au sein de la SNCF, d’augmenter l’offre pour les usagers et de réaliser des économies substantielles, de l’ordre de 15 % à 20 %, ce qui est considérable. Cette économie annuelle de plus de 800 millions d’euros permettrait soit de réaliser des investissements supplémentaires soit de diminuer la charge financière des collectivités territoriales, et donc des contribuables.
La position du Gouvernement est d’autant plus regrettable que la SNCF, libérée à l’international des entraves franco-françaises, est tout à fait capable, sans aucun dumping social, de conquérir des parts de marché et de promouvoir avec une grande efficacité la marque « France ».
Je regrette également, monsieur le secrétaire d’État, votre décision de faire de l’établissement SNCF l’employeur unique des agents des trois EPIC composant le groupe public ferroviaire.