Intervention de Isabelle Lajoux

Réunion du 23 juillet 2014 à 14h30
Sécurisation des transactions du quartier central de gerland à lyon — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Isabelle LajouxIsabelle Lajoux :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’Assemblée nationale, le Sénat est saisi d’une proposition de loi relative à la sécurisation des transactions relatives à la zone d’aménagement concerté du quartier central de Gerland à Lyon. La commission des lois a joint à l’examen de cette proposition de loi celle de notre collègue Gérard Collomb qui présente le même objet.

La finalité de ces deux propositions de loi est de mettre un terme à un risque de contentieux, en validant les contrats de vente ou de bail conclus à l’occasion de l’établissement de la zone d’aménagement concerté, ou ZAC, du quartier central de Gerland à Lyon.

En effet, la légalité de ces actes est fragilisée par un vice de procédure qui date de plus de trente ans. Or, si ce dernier n’a jusqu’à présent donné lieu à aucun recours, on peut craindre qu’il ne soit à l’avenir utilisé à des fins dilatoires, pour contester les futurs actes pris en application du nouveau plan d’aménagement du quartier de Gerland.

Le point de départ de la proposition de loi est donc la création, au début des années quatre-vingt, de la ZAC de Gerland. Celle-ci a été instaurée à partir de terrains initialement dévolus aux abattoirs municipaux de la ville de Lyon. Ces derniers ont été fermés à partir de 1967, leur activité ayant été délocalisée dans une autre commune de l’agglomération. La création de la ZAC a permis de tirer parti de cette friche industrielle.

Comme vous avez pu le voir sur le plan reproduit dans le rapport écrit, la partie ouest de la parcelle a servi à l’implantation de l’École normale supérieure, ou ENS, de Lyon, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, ou de l’Établissement français du sang. La partie est a été cédée à des bailleurs sociaux ou à des personnes privées, ce qui a permis la construction de logements et de commerces, ainsi que l’implantation du siège social de l’entreprise Sanofi.

C’est dans cette partie est que se pose le problème : les opérations de cession de terrains à des personnes privées sont entachées d’un vice de procédure susceptible de conduire à leur remise en cause. En effet, les terrains n’ont pas été formellement déclassés du domaine public de la ville de Lyon vers son domaine privé.

Même si les faits remontent à plus de trente ans et n’ont jamais fait l’objet d’un quelconque recours, une telle remise en cause menace potentiellement la propriété de tous ceux qui se sont portés acquéreurs des terrains, en toute bonne foi. Elle menace aussi le nouveau projet ambitieux d’aménagement de la ZAC de Gerland.

Telles sont les données du problème. La commission s’est posé deux questions. Le vice de procédure allégué est-il réel ? Ce faisant, la validation proposée est-elle acceptable ?

La commission estime que la première question appelle une réponse positive.

En effet, la distinction entre le domaine public et le domaine privé d’une collectivité rend compte du fait que, parce qu’ils sont affectés à l’usage du public ou d’un service public, certains biens détenus par une personne publique doivent bénéficier d’une protection juridique particulière, qui assure la pérennité de cette affectation et les mette à l’abri de toute cession ou de toute appropriation par des personnes privées. Les abattoirs municipaux étant un service public, il va de soi que les terrains sur lesquels ils étaient établis relevaient du domaine public de la collectivité.

Or le rattachement d’un bien au domaine public d’une collectivité lui assure une protection supérieure, qui se décline en trois traits : inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité. Cette protection est la caractéristique qui distingue le plus le domaine public et le domaine privé d’une collectivité.

Si l’administration peut généralement librement disposer des biens rattachés à son domaine privé, comme le ferait un particulier, tel n’est pas le cas pour les biens de son domaine public : elle ne peut en principe les céder. Un procédé permet toutefois de s’affranchir de ces limites : le déclassement du bien du domaine public de la collectivité vers son domaine privé.

Ce déclassement procède de deux opérations distinctes.

La première est matérielle : il s’agit de la désaffectation du bien à l’usage du public ou à l’accomplissement du service public. Concrètement, dans le cas du terrain de Gerland, par exemple, il s’agissait, de la fermeture des abattoirs intervenue en 1967 et de leur démolition.

La seconde opération est juridique : la collectivité doit prendre formellement une décision qui constate le déclassement et le passage du terrain, qui ne fait plus l’objet d’une affectation à l’usage du public, dans son domaine privé. Or le juge administratif n’accepte pas les déclassements implicites et exige une décision expresse, faute de quoi il considère que le bien est toujours rattaché au domaine public de la collectivité concernée et demeure donc inaliénable. Il annule en conséquence les ventes, les échanges ou les dons consentis sur ce bien.

C’est là que le bât blesse, dans le cas de la ZAC de Gerland : si la désaffectation a bien eu lieu, à aucun moment la collectivité n’a formellement procédé au déclassement des terrains. Leur mise à bail ou leur vente pourraient donc être annulées, même trente ans après les faits. On ne peut exclure que, à l’occasion d’un nouveau projet d’aménagement, des recours soient engagés sur ce fondement.

La présente proposition de loi vise donc à éviter ce désordre contentieux en validant les opérations passées, en rendant impossible leur contestation sur le fondement de cette illégalité et en apportant ainsi une plus grande sécurité à ceux qui ont acquis les terrains à l’époque, en toute bonne foi.

La validation est donc bien justifiée. Est-elle conforme au droit ? Il me semble que l’on peut également donner une réponse positive à cette question, parce que la validation est très strictement délimitée.

Sans être systématique, la pratique des lois de validation est fréquente : selon les années, on a pu en compter entre une dizaine ou une vingtaine. Elle est cependant très exorbitante du droit commun, puisque l’intervention législative peut, le cas échéant, contrecarrer des décisions de justice et porter atteinte aux droits des justiciables. Ce faisant, elle est très encadrée par les jurisprudences constitutionnelle, administrative et judiciaire, ainsi que par celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces jurisprudences sont très largement convergentes.

Le Conseil constitutionnel soumet la conformité à la Constitution d’une validation législative au respect de cinq conditions. La présente proposition de loi satisfait à chacune.

Première condition, la validation doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Ce point est acquis, car il s’agit d’éviter la remise en cause de situations établies depuis trente ans et de permettre d’engager une nouvelle opération d’aménagement d’intérêt régional, voire national, avec la création d’un biopôle à Lyon.

Deuxième condition, la validation doit respecter les décisions ayant force de chose jugée. À défaut, le principe de séparation des pouvoirs serait méconnu. La proposition de loi réserve expressément ce cas.

Troisième condition, la validation doit respecter le principe de la non-rétroactivité des peines et des sanctions. Cela va de soi, puisque le présent texte ne vise aucune sanction.

Quatrième condition, l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général visé par la validation elle-même soit de valeur constitutionnelle. Ce point ne pose pas non plus de difficulté : les abattoirs municipaux étaient fermés depuis plus de dix ans au moment de la création de la ZAC, il n’y a donc pas eu d’atteinte portée à la continuité du service public.

Enfin, dernière condition, la portée de la validation doit être strictement délimitée. La catégorie des actes validés doit être clairement définie, ainsi que le motif précis dont le législateur entend purger les actes contestés. Tel est bien le cas de cette proposition de loi, dont le champ est strictement délimité : elle ne concerne que les actes de cession de terrains, de bail ou de concession d’usage emportant reconnaissance de droits réels, conclus dans le cadre de la ZAC de Gerland, et au seul motif de l’absence de déclassement. Aucun autre type d’illégalité n’est couvert par la validation.

La proposition de loi paraît ainsi tout à fait conforme aux exigences tant constitutionnelles que conventionnelles.

Pour conclure, je formulerai trois observations.

La validation ne saurait valoir pour l’avenir : elle n’affectera que les actes antérieurs à la promulgation de la loi. À défaut, sa portée pourrait être jugée imprécise. En revanche, les actes légalement adoptés à partir de décisions validées ne pourront, eux, faire l’objet d’aucune contestation.

Par ailleurs, si la proposition de loi régularise les actes conclus en dépit de l’absence de déclassement, elle ne vaut pas, par elle-même, déclassement des terrains en cause, pour ceux qui demeurent toujours dans le patrimoine de la collectivité. Il s’agit, en l’espèce, des terrains sur lesquels ont été consentis un bail ou une concession d’usage. Si la ville de Lyon ne procède pas au déclassement, le même vice de procédure risque de frapper la décision de renouveler le bail ou la concession en cause. Or il ne sera pas, cette fois-ci, couvert par la validation. J’ai alerté les représentants de la ville de Lyon sur ce point ; ils m’ont assuré qu’ils entendaient bien procéder ainsi.

Enfin, l’illégalité couverte par le présent texte est une irrégularité formelle, jamais contestée en trente ans. Ce faisant, sa validation s’apparente à une simple régularisation, peu susceptible de nuire aux intérêts des justiciables. Elle est donc tout à fait opportune. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter conforme cette proposition de loi.

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