Madame la présidente, mes chers collègues, ce n’est pas une critique parce que je sais qu’il a fallu rédiger ce rapport dans des délais très brefs et qu’il montre une grande compétence, mais ce rapport comporte une faiblesse : pour le rédiger, vous n’avez reçu ni la direction des transports ni la direction de l’ordre public de la puissante préfecture de police qui gère les deux cinquièmes des taxis de France. Certes, la commission a reçu les membres des cabinets ministériels des transports et de l’intérieur, mais ayant été moi-même longtemps membre d’un cabinet ministériel, je sais qu’ils n’ont pas du tout les compétences des services. Je regrette donc que ces deux directions n’aient pas été reçues.
Je vous rappelle simplement que Paris compte actuellement 17 702 licences de taxi, dont 1 500 doublages. Les doublages permettent à certains taxis d’avoir onze heures plus onze heures, ce qui permet de travailler la nuit. Sans eux, en ne s’en tenant qu’aux onze heures par jour, nous n’aurions pas de taxis la nuit.
J’ajouterai, et c’est un point très important pour l’équilibre de la société, que le métier de chauffeur de taxi est un métier de la dernière chance pour l’immigré de la deuxième génération qui s’intègre, pour le cadre qui y met toutes ses économies, ou encore, à l’époque, pour les Russes. Ceux-ci ont d’ailleurs bien marqué Paris puisque la police qui contrôle les taxis s’appelle « les Boers » en référence aux chauffeurs de taxi russes qui, quand ils voyaient « les bourres » – termes désignant alors les policiers –, avec l’accent russe, disaient « les boers ». Et c’est resté ! Tout cela pour dire que les taxis sont un facteur important d’intégration.
Pour moi qui suis un élu parisien et administrateur de la Tour Eiffel, les taxis font, au même titre que cette dernière, partie de la vie de Paris.
Pour en revenir plus précisément à l’article 4, ce sont les deux directions de la préfecture de police que j’ai citées qui délivrent les ADS, les licences. Des rapports ont été rédigés sur le sujet, notamment le rapport Attali, selon lesquels il fallait accroître le nombre de licences. La comparaison a été faite avec New York et Londres. À Paris, les services de transport sont bien plus développés que dans ces deux villes. Londres, c’est en fait le Grand Londres, et nous sommes bien loin des deux millions d’habitants de Paris.
Donc, si la préfecture de police accorde les licences de taxi au compte-gouttes, c’est qu’elle a ses raisons. Elle sait très bien que, depuis dix ans, la circulation à Paris est passée de 20 kilomètres par heure à 15 kilomètres par heure et que les difficultés de circulation s’accroissent. Elle sait très bien aussi que, même si le nombre de taxis était plus élevé, vous n’en auriez pas plus le matin ou entre seize heures et dix-huit heures parce que la circulation est trop intense ; ce n’est pas 10 000 véhicules supplémentaires qui feront que le client trouvera plus de VTC ou de taxis disponibles. La préfecture dispose de compétences extraordinaires pour gérer cela.
Mais j’en reviens au fait que la licence de taxi est un facteur d’intégration sociale pour de nombreuses personnes, dont celles de la deuxième génération. La licence actuelle est gratuite. Il s’est créé un marché : l’un de mes collègues disait voilà quelques instants qu’elle devait coûter quelque 240 000 euros. L’arrivée des VTC a fait baisser le marché. Je ne suis d’accord avec M. le rapporteur : le chiffre d’affaires global des transports VTC et taxis à Paris n’a pas bougé, et l’arrivée des VTC a fait baisser le chiffre d’affaires des taxis. Il importe vraiment d’en tenir compte.
Cet argument du rapporteur – je le lui ai dit gentiment –est une erreur, il faut bien le mesurer. Car aujourd’hui, on voit de plus en plus se développer à Paris les Vélib’, les Autolib’ et bien d’autres moyens de transport qui rendent le marché des taxis très spécifique. Les taxis s’entendaient très bien avec les voitures de remise, qui sont les ancêtres des VTC. Ce qui a déstabilisé les choses, c’est le système Uber : une société qui investit deux milliards de dollars à San Francisco, avec la société Google, qui décide d’investir sur Uber et voilà l’activité de chauffeur de taxi déstabilisée ! Si nous laissons s’étendre le système Uber, nous allons paupériser les chauffeurs de taxi. Or le métier de chauffeur de taxi est un moyen d’intégration.
Pourquoi ne suis-je pas d’accord avec cet article 4 ? Tout d’abord, parce qu’un très petit nombre de licences seront données à Paris, car le problème restera le même : la direction qui les gère en accordera très peu. Actuellement, il y a un marché pour un chauffeur de taxi : il faut travailler dix-sept ans onze heures par jour ; et je puis vous assurer que ce ne sont pas les trente-cinq heures des fonctionnaires – j’ai été fonctionnaire, je peux le dire –, et encore quand ils les font. Être chauffeur de taxi, c’est travailler onze heures par jour pendant dix-sept ans au bout desquels ils obtiennent une licence, qu’ils ne peuvent céder qu’au bout de quinze ans. Et là ils ont leur retraite. Cela leur fait un complément de retraite et leur évite une retraite qui les paupérise.
Je regrette cet article 4. Nous aurions dû maintenir le système existant, du moins à Paris – je connais mal la situation dans le reste de la France, mais je pense que mon raisonnement est aussi valable – car le nombre de licences n’augmentera pas même si elles sont disponibles, parce que la direction de la préfecture de police en limitera le nombre. Ce marché permet pourtant aux chauffeurs de taxi, après des années de labeur, de passer une retraite décente, en disposant d’un petit capital qui leur permet de quitter la vie active.
C’est la raison pour laquelle je suis contre cet article.