Avec François-Noël Buffet, que je veux ici remercier, nous avons travaillé en bonne intelligence. Nous avons pris le temps d'entendre les associations, de nous rendre au centre de rétention administrative de Marseille ainsi que de visiter un lieu de rétention ouvert, en Belgique. Merci également aux administrateurs qui nous ont utilement épaulés.
Les centres de rétention administrative ont donné lieu à plusieurs rapports importants, parmi lesquels, en 2009, celui de Thierry Mariani, pour l'Assemblée nationale, et celui de Pierre Bernard-Reymond, pour le Sénat.
Si notre commission des lois a décidé de se pencher à nouveau sur le sujet, c'est que la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a apporté d'importantes modifications au droit en vigueur. On se souvient aussi du décret relatif à la mise en concurrence des associations habilitées à apporter leur assistance aux personnes retenues, qui avait fait débat au sein de notre assemblée. D'une manière générale, les centres de rétention administrative font l'objet de débats récurrents, ne serait-ce que lors de l'examen du budget.
Nous n'avons travaillé que sur les centres de rétention administrative métropolitains, en excluant les zones d'attente et les locaux de rétention administrative, régis par des dispositions différentes, ainsi que les centres de rétention d'outre-mer, dont le cadre juridique est dérogatoire au droit commun et qui font l'objet de travaux spécifiques de notre commission.
La rétention administrative est le dispositif permettant à l'administration de maintenir pour une durée limitée et dans des locaux spécifiques les étrangers en instance d'éloignement du territoire français. Bien que privative de liberté, elle se distingue de la détention : c'est une mesure administrative et non une sanction judiciaire ; elle est exécutée dans des locaux dépendant non pas de l'administration pénitentiaire mais des services placés sous l'autorité du ministre de l'intérieur - les centres de rétention administrative.
La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a substantiellement modifié le régime juridique du placement en rétention. C'est ainsi qu'elle a allongé la durée maximale de rétention à 45 jours après une première puis une seconde prolongation de 20 jours maximum chacune, modifié les conditions du recours devant le juge administratif et, afin de favoriser le contrôle de légalité exercé par le juge administratif, décalé au cinquième jour l'intervention du juge judiciaire qui autorise la prolongation de la rétention décidée par le préfet.
En outre, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Popov de 2012 et d'une circulaire du ministre de l'intérieur en date du 6 juillet 2012, la rétention des familles avec enfants mineurs a été fortement limitée. La direction générale des étrangers en France nous a indiqué qu'en métropole, le placement des mineurs en rétention a été divisé par quatorze entre 2011 et 2013, passant de plusieurs centaines à quelques dizaines. C'est encore trop, mais cela témoigne d'un effort certain.
Enfin, un décret de 2008 a conduit à multiplier le nombre d'associations habilitées à assurer l'assistance juridique des personnes placées en centre de rétention : cinq associations interviennent désormais à ce titre dans les différents centres, la Cimade, l'ASSFAM, Forum Réfugiés, France terre d'asile et l'Ordre de Malte.
Trois ans après la loi de 2011 et à la suite de ces modifications réglementaires, il nous a semblé opportun de dresser un bilan et d'envisager des pistes d'amélioration du dispositif juridique.
Les modifications introduites par la loi du 16 juin 2011 visent à rendre plus efficace la politique de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Pourtant, en 2012, 23,3 % seulement des mesures d'éloignement prononcées ont été exécutées, taux qui ne s'élève qu'à 47 %, cette même année, pour l'éloignement des personnes placées en centre de rétention. Dans la plupart des cas, ce sont des difficultés persistantes dans l'obtention de laissez-passer consulaires qui constituent la pierre d'achoppement. En dépit de l'allongement de la durée maximale de rétention, le taux d'obtention des laissez-passer dans les délais utiles n'était que de 36,9 % en 2012. Ainsi, selon le rapport du député Matthias Fekl, si les éloignements sont plus nombreux durant les cinq premiers jours de rétention, seuls 4 % ont lieu entre le 32ème et le 45ème jour.
Au 1er août 2013, la France métropolitaine disposait d'un parc de vingt-trois centres de rétention d'une capacité totale de 1 633 places. Leur sous-occupation est chronique : le taux moyen d'occupation était de 48,3 % en 2013, avec toutefois de fortes disparités selon les centres. Au plan budgétaire, des efforts de rationalisation de la gestion de ces centres de rétention ont été entrepris depuis plusieurs années et semblent commencer à porter leurs fruits en 2013.
Le bilan mitigé de la loi du 16 juin 2011 appelle à repenser le cadre juridique de l'éloignement pour réaffirmer que la rétention est l'ultime modalité d'éloignement forcé.
Il s'agit, tout d'abord, de rendre à la rétention sa vocation première de préalable à un éloignement certain. La persistance de placements en rétention illégaux ou inutiles - les associations font état de 47,6 % de personnes libérées en 2012 - et des problèmes d'identification des personnes retenues conduisent à douter de la pertinence de l'allongement de la durée de la rétention.
L'étude des cas en amont de la rétention devrait être approfondie, le cas échéant par un dialogue avec les associations, afin d'éviter les placements en rétention illégaux de personnes bénéficiant d'un droit au séjour ou susceptibles d'en bénéficier. Telle est notre première préconisation.
Nous recommandons également de mettre effectivement en mesure l'étranger retenu pour vérification de son droit au séjour de fournir les pièces justifiant ce droit, afin d'éviter le placement en rétention d'étranger en séjour régulier.
Pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen, il conviendrait, ensuite, de mettre fin à l'automaticité de l'examen en procédure prioritaire des demandes d'asile en rétention et de limiter le maintien en rétention des demandeurs d'asile aux cas où la demande d'asile est manifestement dilatoire. On sait que deux textes, l'un relatif à l'immigration, l'autre à l'asile, sont présentés ce matin en conseil des ministres, qui nous donneront l'occasion de revenir sur ce point.
Enfin, la coopération avec les autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi qu'avec les autorités consulaires, mériterait d'être améliorée, afin d'éviter le placement en rétention de sortants de prison.
En second lieu, afin de mieux transposer l'esprit de la directive « retour » de 2008, nous vous proposons de repenser les mesures d'éloignement afin de replacer la rétention dans une échelle progressive et de développer les alternatives à la rétention, laquelle devrait n'intervenir qu'en ultime recours, après l'échec de mesures incitatives puis coercitives.
Tout d'abord, les départs volontaires devraient être encouragés. Il conviendrait de généraliser les obligations de quitter le territoire français (OQTF) avec délai de départ volontaire et de les assortir de mesures permettant aux autorités de suivre les préparatifs au départ - dépôt de documents en garantie, pointage, visite de travailleurs sociaux, etc. En outre, les critères d'attribution de l'aide à la réinsertion dans le pays d'origine de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) gagneraient à être révisés, pour plus d'efficacité.
Ensuite, il s'agit de développer les alternatives à la rétention. Afin de favoriser l'assignation à résidence, il serait bon d'élargir l'acception des « garanties de représentation » en introduisant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) une présomption de détention de telles garanties pour les personnes vulnérables et les parents d'enfants scolarisés, ainsi que la notion de « tiers garant ». Il conviendrait également de mettre en place un dispositif d'assistance juridique pour les personnes assignées à résidence.
Enfin, les centres ouverts sur le modèle des « maisons de retour » belges, nous paraissent un modèle à suivre. Ces maisons accueillent, depuis 2008, des familles avec enfants mineurs pour une durée de deux mois renouvelable une fois. L'hébergement se fait dans des maisons, anciens logements de fonction de policiers ou de gendarmes, réparties sur cinq sites. Nous avons pu visiter celui de Beauvechain : pas de présence policière, aucun dispositif de surveillance, aucun agent de l'administration sur site la nuit ou le week-end, d'où un coût moins élevé que pour les centres fermés. En journée, seuls sont présents des « agents de soutien » du ministère de l'intérieur, dont la tâche est avant tout de convaincre les familles de retourner d'elles-mêmes dans leur pays d'origine, ainsi que de les assister au quotidien et dans la préparation de leur départ. C'est là une expérience intéressante. Elle permet de laisser circuler librement les personnes retenues, qui ne sont pas des criminels.
Après presque six ans, le bilan de ces centres ouverts est plutôt satisfaisant. Sur 617 familles ayant quitté les « maisons de retour », 43,6 % ont été effectivement éloignées soit volontairement, soit contraintes, 26,9 % se sont évadées et 29,3 % ont été libérées - obtention d'une protection internationale au titre de l'asile pour près de 40 %, défaut de laissez-passer pour 12,2 % et expiration du délai pour 9,9 %.
Enfin, dans le schéma que nous vous soumettons, la rétention n'interviendrait qu'en cas d'échec d'une mesure coercitive préalable.
J'ajouterai quelques remarques à titre personnel - car j'ai bien conscience que tout ne fait pas consensus et que des débats approfondis sont encore nécessaires. J'ai ainsi l'ambition partagée avec plusieurs associations, de voir disparaître, à terme, les centres de rétention administrative : je suis opposée à l'existence de lieux d'enfermement spécifiques pour les étrangers. Je suis également favorable à l'abaissement à trente jours de la durée de rétention, idée partagée par notre collègue député Matthias Fekl mais également par Thierry Mariani, qui préconise 32 jours, par les associations qui interviennent dans les centres et par le précédent Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avoir porté la durée à 45 jours n'a rien résolu puisque demeure le problème des laissez-passer consulaires, et puisque cette durée prive de liberté des gens qui ne seront pas reconduits. Je partage également le sentiment de Matthias Fekl, qui préconise, puisque l'intervention du juge judiciaire en amont se révèle difficile à mettre en oeuvre, de revenir à la saisine du juge des libertés et de la détention après 48 heures de rétention, pour éviter les expulsions sans décision de justice.