Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 30 juin 2014 à 21h30
Débat sur la corse et la réforme territoriale

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir, comme l’ensemble de la communauté nationale, de ce nouveau succès de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde. J’y vois l’expression d’une solidarité que nous souhaiterions voir s’étendre à de nombreux autres domaines !

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre d’avoir accepté ce débat, même si je me demande s’il est encore d’actualité. Vous devez savoir, mes chers collègues, que nous étions convenus de l’organiser à la fin du mois de mai, mais que nous avons été obligés de le repousser pour ne pas déflorer les propos que devait tenir M. le ministre lors de son voyage en Corse.

Durant ce voyage, monsieur le ministre, vous avez apporté un certain nombre de clarifications nécessaires sur la situation de l’île, mais vous avez, en même temps, laissé quelques zones d’ombre. Il sera donc peut-être nécessaire que vous précisiez votre pensée.

Notre débat d’aujourd'hui porte sur l’organisation territoriale de la Corse, alors que, dans notre esprit, il devait permettre d’évoquer tous les problèmes de l’île, ce que je ne pourrai finalement faire que de manière extrêmement cursive.

Pour bien comprendre le débat, il faut avoir à l’esprit deux éléments qui sont, à mon avis, fondamentaux.

Premier élément, il existe une revendication permanente de « légitimité » de la part de l’Assemblée de Corse et de ses élus. C'est bien entendu une pseudo-légitimité : la revendication permanente de droits qui ne relèvent pas des compétences de l’institution, comme celui de voter des motions, rend le débat extrêmement difficile.

Le second élément est ce sentiment permanent que, en Corse, nous sommes différents. Si je caricaturais, je dirais qu’il suffirait que la République devienne un État fédéral pour que nous nous sentions obligés de demander, au nom de cette différence, l’indépendance de la Corse !

Tant que l’État ne « s’imprègne » pas de cette propension à revendiquer en permanence et une légitimité et une différence, il est évident que le dialogue devient très problématique.

Si l’on regarde en arrière, on constate qu’il y a en quelque sorte une fatalité décennale de la réforme : 1982, puis 1992, puis 2002 et enfin 2012. Il se trouve que l’Assemblée de Corse a été élue, à gauche, en 2010 ; depuis cette date, il ne s’écoule pas un mois sans qu’on remette en chantier la réforme « institutionnelle » ou « constitutionnelle » – ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Ce débat récurrent vient de s’achever par les trois délibérations qu’a adoptées l’Assemblée de Corse et que vous connaissez, monsieur le ministre.

La première porte sur la co-officialité, que j’évacuerai d’un trait : vous avez dit à Ajaccio ce que nous attendions ; n’en parlons plus ! Pour ce qui me concerne, je serai toujours partisan d’une révision constitutionnelle – c'est le fameux engagement 56 du candidat Hollande – qui concernerait toutes les régions. En revanche, j’ai toujours manifesté mon opposition totale, comme vous d’ailleurs, à des dispositions qui seraient spécifiques à la société corse, sans qu’existe aucun dispositif semblable ailleurs sur le territoire de la République.

Je vous lis un extrait de la délibération : « Le corse et le français, en tant que langues officielles sur le territoire administré par la collectivité territoriale de Corse, peuvent être employés indistinctement par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités privées ou publiques. » N’en parlons plus ! Vous avez dit sur le sujet ce qu’il fallait dire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’y revenir.

La deuxième délibération porte sur le statut de résident.

Je le rappelle, ne pourront acheter en Corse que des personnes totalisant cinq années de résidence, que ce soit des personnes physiques ou – vous avez à juste titre insisté sur ce point – morales. On sait ce qui risque de se passer avec les personnes morales !

J’ajoute que, dans les contorsions auxquelles on s’est livré sans relâche pour tenter de trouver une place à ce qu’on appelle la « diaspora », a été inventé un dispositif qui devrait vous réjouir, monsieur le ministre : finalement, vous pourriez acheter un petit coin de ce village corse de votre enfance ! En effet, le texte ouvre la possibilité d’acheter à toute personne pouvant justifier que le « centre [de ses] intérêts moraux et matériels » est en Corse. Vous imaginez l’imbroglio juridique que pourrait provoquer cette situation surréaliste que l’on tente de nous imposer ! Mais j’ai trop de respect pour les élus pour leur dire que ce ne sont là que des sottises…

Quoi qu'il en soit, ce texte a été voté. Toutefois, j’observe qu’il le fut à une majorité que je qualifierai de « descendante », puisqu’il n’y a eu que 29 voix pour.

J’en viens au troisième problème, qui me paraît le plus fondamental, à savoir la réforme constitutionnelle. Sur ce point, je dois dire que je n’ai pas réussi à décrypter vos propos, même si, dans le discours que vous avez lu, chaque mot était évidemment pesé.

Une délibération visant à solliciter l’introduction dans la Constitution d’un article 72-5 sur la Corse a été adoptée par l’Assemblée de Corse. Ce n’est pas du fétichisme, mais je note que cette délibération a été votée aussi bien par la droite que par la gauche. C’est l’auberge espagnole ! En effet, pour les nationalistes et une partie de la gauche, il s’agit d’introduire dans la Constitution le statut de résident ; pour la droite, le droit de chasse et le droit de pêche ! Tout cela ne peut pas prospérer, et ce à cause du FLNC.

À lire le texte de la délibération, on voit que l’Assemblée de Corse demande que soit engagée une discussion approfondie avec les élus de la Corse sur la proposition de création d’un article 72-5.

Quant au FLNC, simple question de sémantique, il reprend l’idée de la discussion approfondie entre les élus de la Corse et l’État. En effet, je relève que, dans sa dernière déclaration – je vous rassure tout de suite, mes chers collègues, je ne m’échinerai pas, et je ne l’ai d’ailleurs jamais fait, à commenter les propos de l’organisation clandestine ni à discuter avec elle –, le FLNC demande aux élus insulaires « l’instauration d’un nouveau statut négocié avec l’État français ». Tout est dit !

D’un côté, on a une délibération de l’Assemblée de Corse qui demande l’ouverture d’une discussion avec l’État sur la réforme constitutionnelle et, de l’autre, le FLNC qui veut exactement la même chose ! Pourquoi ? Parce que, depuis dix ans, la question a simplement porté sur la préoccupation des nationalistes – modérés ou non, je n’entre pas dans ce genre de distinction, qui me dépasse – de discuter sur un pied d’égalité avec l’État. L’idée est d’établir un parallèle avec la Nouvelle-Calédonie.

Cependant, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’article 77 de la Constitution approuve les accords de Nouméa et de Matignon et énumère toutes les compétences transférées : il n’y a donc plus de problème constitutionnel ! En Corse, le rapport de force étant ce qu’il est, on ne peut pas aller très loin. Mais il faut prendre acte, monsieur le ministre, du fait qu’il existe une volonté souterraine et constante d’établir des rapports d’égalité – voilà la fameuse légitimité dont je parlais au début de mon propos ! – entre les élus de la Corse et l’État.

Vous avez évoqué l’histoire de la Corse et son insularité. Vous estimez que « l’histoire de la Corse, son insularité, son identité peuvent naturellement justifier cette aspiration à la singularité institutionnelle ». Institutionnelle ou constitutionnelle, monsieur le ministre ? C’est tout le débat !

J’attends encore qu’on nous apporte une réponse. Pendant quatre ans, on a évoqué ce problème en permanence ; il serait peut-être temps, au lieu de toujours invoquer l’absence d’une majorité au Congrès pour différer une réforme constitutionnelle, que, à un moment donné, le Président de la République se forge lui-même une opinion sur le fond et qu’il nous dise s’il est pour ou contre.

Voici ce que j’ai notamment pu lire : « Cette aspiration à la singularité institutionnelle… », « Le Gouvernement sera attentif aux propositions dont vous le saisirez… », « J’observe que le dialogue est engagé dans cette perspective… », « Ces discussions sont sans tabou… », « Notre Constitution admet le droit à l’expérimentation des territoires de la République… » Certes, mais quels territoires ? L’article 72 de la Constitution permet bien que les collectivités territoriales prennent des initiatives pour sortir du cadre général, mais elles ne peuvent le faire que dans un cadre restreint et strictement défini ! J’évoque ici non plus la possibilité d’une expérimentation, mais bien le cadre constitutionnel. Soyons clairs, il s’agit là du seul vrai débat qui subsiste entre nous.

Il serait peut-être nécessaire que toute la lumière soit faite sur ce point : envisagez-vous, oui ou non, que le titre XII de la Constitution puisse être modifié à la demande des élus de la Corse, qui seraient placés sur un pied d’égalité avec l’État ? Un article 72-5 ne changerait strictement rien au principe d’égalité devant la loi, du préambule de la Constitution ou encore des principes fondamentaux invoqués régulièrement par le Conseil constitutionnel. Mais, sur le long terme, l’adoption d’un tel article pourrait poser une difficulté : il nous placerait dans une situation inextricable, car il impliquerait d’autres révisions constitutionnelles qui nous éloigneraient encore un peu plus de la République.

Ce problème nous interpelle. Au bout de quatre ans de palabres et d’échanges mensuels sur ce thème – comme si nous n’avions rien d’autre à faire en Corse ! –, après avoir fait travailler d’éminents juristes, tel Guy Carcassonne, après avoir réuni moult comités et payé de nombreuses études, bref, maintenant que nous arrivons au bout du chemin, il faudrait peut-être clarifier la situation !

Contrairement à Victor Hugo, qui, dans un discours sur l’enseignement, avait commencé par dire ce qu’il voulait, j’ai commencé par dire ce que je ne voulais pas. Maintenant, je peux dire ce que je veux ou, à tout le moins, ce que je souhaite…

Je souhaite que, dans le cadre de la réforme territoriale, nous engagions ensemble le débat sur l’adaptation institutionnelle du statut de la Corse, une adaptation à laquelle je ne me suis jamais opposé. Je sais bien que l’Assemblée de Corse a inspiré des amendements au texte présenté par Mme Lebranchu – à l’article 13, me semble-t-il. Mais ces amendements, discutés en commission, n’apportent que des modifications marginales. Ce qui importe véritablement, c’est que nous nous interrogions sur un certain nombre de problèmes de fond.

Je veux maintenant faire deux ou trois observations qui me paraissent importantes, étant entendu que je suis prêt à apporter mon concours sur les différents points que je soulève.

Les textes qui nous régissent actuellement me semblent devoir être modifiés sur certains aspects.

Premièrement, je veux évoquer le régime électoral.

Je me suis épuisé à obtenir du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel visant à consacrer le concept de « statut particulier ». Chose rare, le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, avait bien voulu, à Versailles, entendre ma préoccupation… Au demeurant, ce dispositif « fait des petits », puisque le Grand Lyon s’accroche maintenant à ce statut particulier.

J’avais obtenu du Sénat – et je lui en sais gré – une seconde réforme : l’augmentation de la prime accordée à la liste qui arrive en tête. Néanmoins, j’ai joué « petits bras », si j’ose m’exprimer ainsi, puisque cette réforme était trop étriquée. D’ailleurs, une des causes du désordre actuel des esprits me paraît résider dans l’absence de majorité.

Actuellement, cette prime à la majorité a été portée à neuf sièges, soit 17 % du nombre total de sièges, contre 25 % dans le régime national. Sur ce point, les Corses ne sont pas traités comme les autres : eux aussi devraient avoir droit à une prime qui leur permette de gouverner ! L’absence d’un tel dispositif rend la constitution de majorités extrêmement difficile. Vous savez mieux que moi que les accords passés ne sont généralement pas respectés !

Deuxièmement, je veux évoquer la disparition des départements.

Si j’ai toujours été fermement attaché au département, je finis par m’interroger… J’ai toujours pensé qu’il fallait éviter la recentralisation dans une collectivité comme la Corse, qui dispose actuellement, au total, d’un budget de 1 milliard d’euros ou un peu plus, ce qui est considérable. J’estimais aussi que les bêtises commises du fait d’une gestion départementale médiocre pouvaient être compensées par la vertu d’élus d’autres collectivités…

Selon la formule célèbre, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Je pensais, moi aussi, qu’il fallait diviser le pouvoir… Toutefois, avec l’expérience, plus rien ne me semble évident, sinon qu’une réflexion devrait aujourd'hui être menée sur ce point.

Pour terminer, une seule question vaut la peine d’être posée : le nouveau statut de la Corse doit-il être fait « à chaud » – pendant quatre ans, on a débattu de problèmes fictifs, qui ne correspondaient pas à des demandes fortes de l’opinion – et se précipiter pour s’insérer dans la réforme territoriale qui est engagée aujourd'hui ? Ou bien doit-on se donner le temps d’y réfléchir plus longuement, la Corse n’étant pas concernée par la réforme de la carte des territoires ?

Monsieur le ministre, voilà ce que je voulais vous dire avant la venue de Marylise Lebranchu en Corse, ce vendredi.

Cela étant, je pourrais parler encore longtemps…

Je pourrais parler des impôts. La situation fiscale de la Corse me fait un peu penser à celle de ces Napolitains qui meurent de faim, mais n’en sont pas moins saisis d’angoisse à la moindre fumerolle qui s’échappe du Vésuve !

Je pourrais parler de la loi Littoral. C’est bien connu : en Corse, chacun s’emploie à protéger un patrimoine qu’il ne possède pas ! Avec la loi Littoral, les élus sont en permanence sous la pression des associations. Je préside le Conseil des rivages de la Corse et suis le premier vice-président du Conservatoire du littoral depuis quarante ans – j’en suis la mémoire ! Nous avons acheté 200 kilomètres de côtes. Pourtant, dès qu’un élu veut élaborer un plan local d’urbanisme, les associations partent bille en tête ! Mais M. le préfet connaît la question mieux que moi ; il aura l’occasion de vous en parler.

Je pourrais m’interroger sur le programme exceptionnel d’investissements, qui, après avoir été prolongé de deux ans, arrive à échéance dans un an. Que fera-t-on quand il n’y aura plus d’argent ? Quelle sera la situation économique de la Corse quand les travaux publics seront amputés de 30 % de leur activité ?

Autant de questions que l’on pourrait soulever et dont on pourrait parler pendant des heures…

En conclusion, monsieur le ministre, j’attends des réponses. Je ne doute pas que ces réponses seront aussi claires que celles que vous avez livrées à Ajaccio lors de votre récent déplacement. Elles nous permettront de prendre acte de la position du Gouvernement au moment où s’engage la grande réforme territoriale.

Demeure une interrogation : les institutions dont l’île s’est dotée depuis trente ans lui ont-elles permis d’entrer dans la modernité, de provoquer son propre auto-développement ? Si les concours financiers massifs de l’État ont pu donner l’illusion que notre retard social, économique, culturel par rapport à la Nation était comblé, trop de connivences, trop de complicités, trop de non-dits, trop de refus d’assumer n’ont pas permis à la société corse de se libérer d’elle-même. Tous les progrès réalisés, dans quelque domaine que ce soit, tous les changements de comportement auront été accomplis par la société civile – à travers, notamment, la révolution informatique – plus que par les autorités publiques.

Au moment où s’engage une grande réforme territoriale, j’exprime le vœu qu’elle ne soit pas une occasion manquée pour la Corse, qui, vous le savez, monsieur le ministre, mérite sans doute mieux que la mauvaise réputation dont on l’affuble généralement.

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