La séance, sus pendue à dix-huit heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat sur la Corse et la réforme territoriale, organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Nicolas Alfonsi, orateur du groupe auteur de la demande.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir, comme l’ensemble de la communauté nationale, de ce nouveau succès de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde. J’y vois l’expression d’une solidarité que nous souhaiterions voir s’étendre à de nombreux autres domaines !
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre d’avoir accepté ce débat, même si je me demande s’il est encore d’actualité. Vous devez savoir, mes chers collègues, que nous étions convenus de l’organiser à la fin du mois de mai, mais que nous avons été obligés de le repousser pour ne pas déflorer les propos que devait tenir M. le ministre lors de son voyage en Corse.
Durant ce voyage, monsieur le ministre, vous avez apporté un certain nombre de clarifications nécessaires sur la situation de l’île, mais vous avez, en même temps, laissé quelques zones d’ombre. Il sera donc peut-être nécessaire que vous précisiez votre pensée.
Notre débat d’aujourd'hui porte sur l’organisation territoriale de la Corse, alors que, dans notre esprit, il devait permettre d’évoquer tous les problèmes de l’île, ce que je ne pourrai finalement faire que de manière extrêmement cursive.
Pour bien comprendre le débat, il faut avoir à l’esprit deux éléments qui sont, à mon avis, fondamentaux.
Premier élément, il existe une revendication permanente de « légitimité » de la part de l’Assemblée de Corse et de ses élus. C'est bien entendu une pseudo-légitimité : la revendication permanente de droits qui ne relèvent pas des compétences de l’institution, comme celui de voter des motions, rend le débat extrêmement difficile.
Le second élément est ce sentiment permanent que, en Corse, nous sommes différents. Si je caricaturais, je dirais qu’il suffirait que la République devienne un État fédéral pour que nous nous sentions obligés de demander, au nom de cette différence, l’indépendance de la Corse !
Tant que l’État ne « s’imprègne » pas de cette propension à revendiquer en permanence et une légitimité et une différence, il est évident que le dialogue devient très problématique.
Si l’on regarde en arrière, on constate qu’il y a en quelque sorte une fatalité décennale de la réforme : 1982, puis 1992, puis 2002 et enfin 2012. Il se trouve que l’Assemblée de Corse a été élue, à gauche, en 2010 ; depuis cette date, il ne s’écoule pas un mois sans qu’on remette en chantier la réforme « institutionnelle » ou « constitutionnelle » – ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Ce débat récurrent vient de s’achever par les trois délibérations qu’a adoptées l’Assemblée de Corse et que vous connaissez, monsieur le ministre.
La première porte sur la co-officialité, que j’évacuerai d’un trait : vous avez dit à Ajaccio ce que nous attendions ; n’en parlons plus ! Pour ce qui me concerne, je serai toujours partisan d’une révision constitutionnelle – c'est le fameux engagement 56 du candidat Hollande – qui concernerait toutes les régions. En revanche, j’ai toujours manifesté mon opposition totale, comme vous d’ailleurs, à des dispositions qui seraient spécifiques à la société corse, sans qu’existe aucun dispositif semblable ailleurs sur le territoire de la République.
Je vous lis un extrait de la délibération : « Le corse et le français, en tant que langues officielles sur le territoire administré par la collectivité territoriale de Corse, peuvent être employés indistinctement par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités privées ou publiques. » N’en parlons plus ! Vous avez dit sur le sujet ce qu’il fallait dire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’y revenir.
La deuxième délibération porte sur le statut de résident.
Je le rappelle, ne pourront acheter en Corse que des personnes totalisant cinq années de résidence, que ce soit des personnes physiques ou – vous avez à juste titre insisté sur ce point – morales. On sait ce qui risque de se passer avec les personnes morales !
J’ajoute que, dans les contorsions auxquelles on s’est livré sans relâche pour tenter de trouver une place à ce qu’on appelle la « diaspora », a été inventé un dispositif qui devrait vous réjouir, monsieur le ministre : finalement, vous pourriez acheter un petit coin de ce village corse de votre enfance ! En effet, le texte ouvre la possibilité d’acheter à toute personne pouvant justifier que le « centre [de ses] intérêts moraux et matériels » est en Corse. Vous imaginez l’imbroglio juridique que pourrait provoquer cette situation surréaliste que l’on tente de nous imposer ! Mais j’ai trop de respect pour les élus pour leur dire que ce ne sont là que des sottises…
Quoi qu'il en soit, ce texte a été voté. Toutefois, j’observe qu’il le fut à une majorité que je qualifierai de « descendante », puisqu’il n’y a eu que 29 voix pour.
J’en viens au troisième problème, qui me paraît le plus fondamental, à savoir la réforme constitutionnelle. Sur ce point, je dois dire que je n’ai pas réussi à décrypter vos propos, même si, dans le discours que vous avez lu, chaque mot était évidemment pesé.
Une délibération visant à solliciter l’introduction dans la Constitution d’un article 72-5 sur la Corse a été adoptée par l’Assemblée de Corse. Ce n’est pas du fétichisme, mais je note que cette délibération a été votée aussi bien par la droite que par la gauche. C’est l’auberge espagnole ! En effet, pour les nationalistes et une partie de la gauche, il s’agit d’introduire dans la Constitution le statut de résident ; pour la droite, le droit de chasse et le droit de pêche ! Tout cela ne peut pas prospérer, et ce à cause du FLNC.
À lire le texte de la délibération, on voit que l’Assemblée de Corse demande que soit engagée une discussion approfondie avec les élus de la Corse sur la proposition de création d’un article 72-5.
Quant au FLNC, simple question de sémantique, il reprend l’idée de la discussion approfondie entre les élus de la Corse et l’État. En effet, je relève que, dans sa dernière déclaration – je vous rassure tout de suite, mes chers collègues, je ne m’échinerai pas, et je ne l’ai d’ailleurs jamais fait, à commenter les propos de l’organisation clandestine ni à discuter avec elle –, le FLNC demande aux élus insulaires « l’instauration d’un nouveau statut négocié avec l’État français ». Tout est dit !
D’un côté, on a une délibération de l’Assemblée de Corse qui demande l’ouverture d’une discussion avec l’État sur la réforme constitutionnelle et, de l’autre, le FLNC qui veut exactement la même chose ! Pourquoi ? Parce que, depuis dix ans, la question a simplement porté sur la préoccupation des nationalistes – modérés ou non, je n’entre pas dans ce genre de distinction, qui me dépasse – de discuter sur un pied d’égalité avec l’État. L’idée est d’établir un parallèle avec la Nouvelle-Calédonie.
Cependant, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’article 77 de la Constitution approuve les accords de Nouméa et de Matignon et énumère toutes les compétences transférées : il n’y a donc plus de problème constitutionnel ! En Corse, le rapport de force étant ce qu’il est, on ne peut pas aller très loin. Mais il faut prendre acte, monsieur le ministre, du fait qu’il existe une volonté souterraine et constante d’établir des rapports d’égalité – voilà la fameuse légitimité dont je parlais au début de mon propos ! – entre les élus de la Corse et l’État.
Vous avez évoqué l’histoire de la Corse et son insularité. Vous estimez que « l’histoire de la Corse, son insularité, son identité peuvent naturellement justifier cette aspiration à la singularité institutionnelle ». Institutionnelle ou constitutionnelle, monsieur le ministre ? C’est tout le débat !
J’attends encore qu’on nous apporte une réponse. Pendant quatre ans, on a évoqué ce problème en permanence ; il serait peut-être temps, au lieu de toujours invoquer l’absence d’une majorité au Congrès pour différer une réforme constitutionnelle, que, à un moment donné, le Président de la République se forge lui-même une opinion sur le fond et qu’il nous dise s’il est pour ou contre.
Voici ce que j’ai notamment pu lire : « Cette aspiration à la singularité institutionnelle… », « Le Gouvernement sera attentif aux propositions dont vous le saisirez… », « J’observe que le dialogue est engagé dans cette perspective… », « Ces discussions sont sans tabou… », « Notre Constitution admet le droit à l’expérimentation des territoires de la République… » Certes, mais quels territoires ? L’article 72 de la Constitution permet bien que les collectivités territoriales prennent des initiatives pour sortir du cadre général, mais elles ne peuvent le faire que dans un cadre restreint et strictement défini ! J’évoque ici non plus la possibilité d’une expérimentation, mais bien le cadre constitutionnel. Soyons clairs, il s’agit là du seul vrai débat qui subsiste entre nous.
Il serait peut-être nécessaire que toute la lumière soit faite sur ce point : envisagez-vous, oui ou non, que le titre XII de la Constitution puisse être modifié à la demande des élus de la Corse, qui seraient placés sur un pied d’égalité avec l’État ? Un article 72-5 ne changerait strictement rien au principe d’égalité devant la loi, du préambule de la Constitution ou encore des principes fondamentaux invoqués régulièrement par le Conseil constitutionnel. Mais, sur le long terme, l’adoption d’un tel article pourrait poser une difficulté : il nous placerait dans une situation inextricable, car il impliquerait d’autres révisions constitutionnelles qui nous éloigneraient encore un peu plus de la République.
Ce problème nous interpelle. Au bout de quatre ans de palabres et d’échanges mensuels sur ce thème – comme si nous n’avions rien d’autre à faire en Corse ! –, après avoir fait travailler d’éminents juristes, tel Guy Carcassonne, après avoir réuni moult comités et payé de nombreuses études, bref, maintenant que nous arrivons au bout du chemin, il faudrait peut-être clarifier la situation !
Contrairement à Victor Hugo, qui, dans un discours sur l’enseignement, avait commencé par dire ce qu’il voulait, j’ai commencé par dire ce que je ne voulais pas. Maintenant, je peux dire ce que je veux ou, à tout le moins, ce que je souhaite…
Je souhaite que, dans le cadre de la réforme territoriale, nous engagions ensemble le débat sur l’adaptation institutionnelle du statut de la Corse, une adaptation à laquelle je ne me suis jamais opposé. Je sais bien que l’Assemblée de Corse a inspiré des amendements au texte présenté par Mme Lebranchu – à l’article 13, me semble-t-il. Mais ces amendements, discutés en commission, n’apportent que des modifications marginales. Ce qui importe véritablement, c’est que nous nous interrogions sur un certain nombre de problèmes de fond.
Je veux maintenant faire deux ou trois observations qui me paraissent importantes, étant entendu que je suis prêt à apporter mon concours sur les différents points que je soulève.
Les textes qui nous régissent actuellement me semblent devoir être modifiés sur certains aspects.
Premièrement, je veux évoquer le régime électoral.
Je me suis épuisé à obtenir du Congrès le vote d’un amendement constitutionnel visant à consacrer le concept de « statut particulier ». Chose rare, le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, avait bien voulu, à Versailles, entendre ma préoccupation… Au demeurant, ce dispositif « fait des petits », puisque le Grand Lyon s’accroche maintenant à ce statut particulier.
J’avais obtenu du Sénat – et je lui en sais gré – une seconde réforme : l’augmentation de la prime accordée à la liste qui arrive en tête. Néanmoins, j’ai joué « petits bras », si j’ose m’exprimer ainsi, puisque cette réforme était trop étriquée. D’ailleurs, une des causes du désordre actuel des esprits me paraît résider dans l’absence de majorité.
Actuellement, cette prime à la majorité a été portée à neuf sièges, soit 17 % du nombre total de sièges, contre 25 % dans le régime national. Sur ce point, les Corses ne sont pas traités comme les autres : eux aussi devraient avoir droit à une prime qui leur permette de gouverner ! L’absence d’un tel dispositif rend la constitution de majorités extrêmement difficile. Vous savez mieux que moi que les accords passés ne sont généralement pas respectés !
Deuxièmement, je veux évoquer la disparition des départements.
Si j’ai toujours été fermement attaché au département, je finis par m’interroger… J’ai toujours pensé qu’il fallait éviter la recentralisation dans une collectivité comme la Corse, qui dispose actuellement, au total, d’un budget de 1 milliard d’euros ou un peu plus, ce qui est considérable. J’estimais aussi que les bêtises commises du fait d’une gestion départementale médiocre pouvaient être compensées par la vertu d’élus d’autres collectivités…
Selon la formule célèbre, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Je pensais, moi aussi, qu’il fallait diviser le pouvoir… Toutefois, avec l’expérience, plus rien ne me semble évident, sinon qu’une réflexion devrait aujourd'hui être menée sur ce point.
Pour terminer, une seule question vaut la peine d’être posée : le nouveau statut de la Corse doit-il être fait « à chaud » – pendant quatre ans, on a débattu de problèmes fictifs, qui ne correspondaient pas à des demandes fortes de l’opinion – et se précipiter pour s’insérer dans la réforme territoriale qui est engagée aujourd'hui ? Ou bien doit-on se donner le temps d’y réfléchir plus longuement, la Corse n’étant pas concernée par la réforme de la carte des territoires ?
Monsieur le ministre, voilà ce que je voulais vous dire avant la venue de Marylise Lebranchu en Corse, ce vendredi.
Cela étant, je pourrais parler encore longtemps…
Je pourrais parler des impôts. La situation fiscale de la Corse me fait un peu penser à celle de ces Napolitains qui meurent de faim, mais n’en sont pas moins saisis d’angoisse à la moindre fumerolle qui s’échappe du Vésuve !
Je pourrais parler de la loi Littoral. C’est bien connu : en Corse, chacun s’emploie à protéger un patrimoine qu’il ne possède pas ! Avec la loi Littoral, les élus sont en permanence sous la pression des associations. Je préside le Conseil des rivages de la Corse et suis le premier vice-président du Conservatoire du littoral depuis quarante ans – j’en suis la mémoire ! Nous avons acheté 200 kilomètres de côtes. Pourtant, dès qu’un élu veut élaborer un plan local d’urbanisme, les associations partent bille en tête ! Mais M. le préfet connaît la question mieux que moi ; il aura l’occasion de vous en parler.
Je pourrais m’interroger sur le programme exceptionnel d’investissements, qui, après avoir été prolongé de deux ans, arrive à échéance dans un an. Que fera-t-on quand il n’y aura plus d’argent ? Quelle sera la situation économique de la Corse quand les travaux publics seront amputés de 30 % de leur activité ?
Autant de questions que l’on pourrait soulever et dont on pourrait parler pendant des heures…
En conclusion, monsieur le ministre, j’attends des réponses. Je ne doute pas que ces réponses seront aussi claires que celles que vous avez livrées à Ajaccio lors de votre récent déplacement. Elles nous permettront de prendre acte de la position du Gouvernement au moment où s’engage la grande réforme territoriale.
Demeure une interrogation : les institutions dont l’île s’est dotée depuis trente ans lui ont-elles permis d’entrer dans la modernité, de provoquer son propre auto-développement ? Si les concours financiers massifs de l’État ont pu donner l’illusion que notre retard social, économique, culturel par rapport à la Nation était comblé, trop de connivences, trop de complicités, trop de non-dits, trop de refus d’assumer n’ont pas permis à la société corse de se libérer d’elle-même. Tous les progrès réalisés, dans quelque domaine que ce soit, tous les changements de comportement auront été accomplis par la société civile – à travers, notamment, la révolution informatique – plus que par les autorités publiques.
Au moment où s’engage une grande réforme territoriale, j’exprime le vœu qu’elle ne soit pas une occasion manquée pour la Corse, qui, vous le savez, monsieur le ministre, mérite sans doute mieux que la mauvaise réputation dont on l’affuble généralement.
Mmes Anne-Marie Escoffier et Colette Giudicelli applaudissent.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir porte sur « la Corse et la réforme territoriale ». Il a été inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe Rassemblement démocratique et social européen, plus particulièrement à votre demande, monsieur Alfonsi.
Le groupe socialiste et apparentés, au nom duquel j’interviens, se félicite qu’un débat consacré spécifiquement à la Corse ait lieu dans notre assemblée et vous remercie, mon cher collègue, de nous donner ainsi l’occasion de débattre de la réforme territoriale en Corse, même si j’ai bien compris que c’était évidemment la réponse du ministre qui vous importait.
Élue de la montagne, parlementaire de l’Isère et vice-présidente de la région Rhône-Alpes, je suis particulièrement sensible à la beauté et au charme de cette montagne posée sur la mer qu’est la Corse.
Vice-présidente de la Fédération des parcs naturels régionaux de France, j’admire la richesse des paysages et des territoires de la Corse, notamment ceux du merveilleux parc naturel régional, qui comporte d’extraordinaires réserves naturelles – je pense notamment à la réserve de biosphère de la vallée du Fango et à la réserve marine et terrestre de Scandola –, qui sont aussi de formidables réservoirs de biodiversité.
La Corse, sentinelle avancée en Méditerranée, mérite le soutien et l’investissement de la France en reconnaissance de ce qu’elle nous a apporté tout au long de notre histoire, mais aussi pour l’importance stratégique en Méditerranée qu’elle eut hier, qu’elle a aujourd’hui et qu’elle aura demain. La Corse nous concerne tous.
Ce débat s’inscrit dans une actualité parlementaire riche, avec la réforme territoriale et ses deux projets de loi : d'une part, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, d'autre part, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté au nom du Premier ministre, M. Manuel Valls, par la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu et le secrétaire d’État à la réforme territoriale, M. André Vallini, que j’ai l’honneur de remplacer au Sénat depuis sa nomination au Gouvernement.
Même si ma présence au Sénat est récente, je sais, monsieur Alfonsi, quels ont été votre engagement et votre travail continus dans la vie publique. Je tiens à rendre hommage à votre conviction et à votre ouvrage, défendant, dans le même temps, l’unicité de la République et la reconnaissance de la spécificité et des singularités de la Corse. Avec ce débat, en ce moment précis où notre pays engage une nécessaire réorganisation territoriale, vous montrez votre implication de responsable politique soucieux de l’avenir de la Corse, en apportant votre vision pour les années à venir.
Le Gouvernement de Manuel Valls, comme, hier, celui de Jean-Marc Ayrault, est particulièrement à l’écoute de la Corse et de ses habitants.
À la suite de l’adoption, le 27 septembre 2013, par l’Assemblée de Corse, d’une délibération comprenant plusieurs points – une proposition de modification de la Constitution, la mise en place d’une gouvernance propre à la collectivité territoriale de Corse, l’amélioration des procédures d’adaptation de la législation à la Corse, des modifications du statut particulier de la Corse –, les ministres Manuel Valls et Marylise Lebranchu ont rencontré, à Paris, le 22 novembre 2013, une délégation de quatorze élus de Corse. Il s’agissait de les entendre et de lancer avec eux un travail commun sur l’amélioration du fonctionnement des institutions.
Le 3 février dernier, Marylise Lebranchu, à Ajaccio, a installé un comité de travail sur l’organisation territoriale de l’île, composé des membres du comité stratégique de la collectivité territoriale et de représentants de l’État.
Le 14 avril dernier, une seconde réunion a permis d’échanger avec les membres du groupe de travail sur l’apprentissage de la langue corse – s'agissant du soutien apporté à la création d’un établissement public territorial –, sur les problèmes du foncier – concernant la création par la loi ALUR, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, d’un établissement public foncier régional qui permettra d’agir efficacement pour augmenter l’offre de logement – ou encore sur la création d’une taxe ou redevance au mouillage dans les réserves naturelles et les parcs marins.
Le 12 juin dernier, monsieur le ministre de l’intérieur, vous vous êtes rendu dans l’Île de Beauté pour poursuivre le travail engagé et élaborer des solutions efficaces, respectueuses du cadre constitutionnel et conformes aux attentes de nos concitoyens corses et des élus.
Ce travail, conduit en partenariat étroit avec les acteurs concernés, illustre bien la volonté du Gouvernement de donner toute leur place aux élus de Corse dans le travail d’élaboration en cours et de prendre la problématique corse à bras-le-corps.
Durant ces quarante dernières années, le statut juridique de la Corse a fait l’objet de nombreuses réflexions et connu des évolutions qui y ont renforcé la montée en puissance des responsabilités locales. Ainsi, avec la loi du 30 juillet 1982, la Corse devient une collectivité territoriale de plein exercice ; avec la loi du 13 mai 1991, de nouvelles compétences et ressources lui sont transférées ; la loi du 22 janvier 2002 amplifie le mouvement de transfert, la collectivité se voyant dotée de nouvelles responsabilités et d’agents appelés à exercer les missions considérées, et traite aussi de la question du patrimoine.
Une double priorité s'impose depuis 2002 : faciliter le développement de la Corse et renforcer ses infrastructures. Cela a notamment été permis par les engagements pris au titre du programme exceptionnel d’investissement mis en œuvre par Lionel Jospin, programme qui représente 2 milliards d’euros, à quoi s'ajoutent 450 millions d’euros au titre des financements européens ayant été mobilisés.
Grâce à ces investissements importants, la vie quotidienne des citoyens a connu de nombreuses améliorations : dans leurs déplacements, au niveau de la qualité de l’eau et de l’accès à celle-ci, pour la gestion et le traitement des déchets et pour les équipements publics. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, dans votre discours prononcé le 12 juin dernier, la Corse est la région française ayant connu la plus forte croissance économique au cours de ces dernières années.
Dans ce contexte, il est important que les efforts collectifs se poursuivent et qu’ils soient soutenus par le Gouvernement et le Parlement.
Les réflexions de Pierre Chaubon, le travail des élus corses et les réformes institutionnelles votées par l’Assemblée de Corse s’inscrivent dans une dynamique positive, faisant apparaître de nouvelles, et nombreuses, volontés.
Le travail doit donc se poursuivre pour parvenir à conforter l’évolution de la Corse et la volonté de ses habitants dans le respect des valeurs de la République, tout en sachant prendre en compte les singularités de ce territoire.
Si le regroupement des régions ne concerne pas la Corse, le calendrier électoral, lui, la concerne. La première élection générale des conseillers départementaux et des membres de l’Assemblée de Corse suivant la publication de la loi relative à ce regroupement se tiendra au mois de décembre 2015.
Donnant suite au rapport préparé par la commission des compétences législatives et réglementaires présidée par M. Pierre Chaubon, le projet de loi relatif à l’organisation territoriale de la République présenté le 18 juin dernier en conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat reprend plusieurs de ses propositions de nature à améliorer le fonctionnement des institutions en poursuivant le processus de renforcement des responsabilités déjà reconnues à la collectivité territoriale de Corse – CTC.
Ce faisant, le Gouvernement a fait le choix d’une réforme ciblée du statut législatif de la CTC sur la base des recommandations de l’Assemblée de Corse afin d’apporter une réponse immédiate aux attentes des acteurs locaux.
Parmi ces mesures, je mentionnerai d’abord la précision suivant laquelle le droit commun applicable aux régions s’applique à la Corse, afin qu’il ne soit plus nécessaire de mentionner spécifiquement celle-ci dans les lois et règlements applicables aux régions ; cela répond avant tout à un souci de simplification.
Je citerai ensuite : la possibilité donnée à l’Assemblée de Corse de faciliter les délégations de compétences à la commission permanente, afin d’introduire plus de souplesse dans son fonctionnement et dans ses relations avec le conseil exécutif ; la possibilité de faire inscrire une question à l’ordre du jour de l’Assemblée de Corse à la demande d’un cinquième de ses membres, de manière à renforcer la démocratie et le pluralisme ; la modification des règles de fonctionnement du conseil exécutif de Corse, selon les préconisations du rapport précité de la commission des compétences législatives et réglementaires de septembre 2013.
Enfin, je rappelle que, la programmation du plan exceptionnel d’investissement ayant pris du retard, il est proposé d’en prolonger de deux ans la mise en œuvre, en accord avec les partenaires locaux de la convention-cadre.
Le plan exceptionnel d’investissement, qui résulte d’une proposition du Gouvernement aux représentants élus de la Corse formulée au cours de l’été 2000, a été consacré par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse. Il prévoit une programmation sur quinze ans d’investissements publics destinés à combler les retards d’équipement dont souffrait la Corse dans plusieurs secteurs.
Ces thèmes ne manqueront pas d’être abordés par les membres du comité stratégique sur l'organisation territoriale de la Corse qui doit se tenir à la fin de la semaine, le 4 juillet, en présence de la ministre Marylise Lebranchu.
Comme vous aimez à le répéter, cher Nicolas Alfonsi, en reprenant des propos de Mendès France – votre seule référence, dites-vous, dans la vie publique –, un responsable ne se détermine jamais dans ses décisions par les conséquences, bonnes ou mauvaises, qu’elles pourraient avoir pour lui, mais en fonction de l’intérêt général.
Je crois que c'est ce que nous faisons, que c'est ce que fait le Gouvernement, et c'est cette même logique qui doit toujours prévaloir dans les rapports entre la France et la Corse.
Mmes Michèle André et Anne-Marie Escoffier applaudissent.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que je n’aurai pas le même talent que mon ami Nicolas Alfonsi, car, même si j'ai quelques racines corses, je n’ai pas les mêmes « fondamentaux ».
Insularité, marginalité : voilà comment j'ai entendu certains Corses me présenter la Corse à l’occasion d’un déplacement, il y a de cela près de vingt ans. Depuis, on ne peut que se réjouir des changements intervenus…
La Corse est toujours aussi belle et les Corses toujours aussi « hors-norme » ; à nous de mieux les comprendre, de mieux entendre ce qu’ils sont, ce que leur culture et leur histoire leur ont donné d’irremplaçable, de spécifique.
Le déplacement que je viens d’évoquer précédait la promulgation de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, qui faisait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier entrant dans le champ de l’article 72, premier alinéa, de la Constitution.
Depuis, la Corse et les Corses ont trouvé progressivement un mode de fonctionnement spécifique tout en respectant le droit commun applicable aux régions chaque fois que n’existe pas de dérogation à ce droit.
Ils ont expérimenté une large responsabilité en matière de compétences de leur collectivité, beaucoup plus larges que les compétences transférées aux autres régions du continent. Ils ont connu, avec l’Assemblée de Corse et le conseil exécutif, un mode de fonctionnement nouveau, qui a nécessité de leur part une véritable capacité d’adaptation.
Un peu plus de vingt ans après cette révolution – au sens premier du mot –, après cette réflexion – toujours au sens premier du mot – et cette réorganisation, il n’était pas illégitime que la Corse s'interrogeât sur son fonctionnement. Elle le fait en profitant de la réflexion globale sur la réforme territoriale qui s'impose à notre pays.
La Corse est soumise aux mêmes constats et aux mêmes contraintes que nos autres régions, départements et territoires : le redressement de notre pays, le développement de notre économie, le travail des jeunes et des moins jeunes, le besoin absolu de sécurité.
Mais, il faut bien l’admettre, toutes ces attentes sont formulées dans un contexte qui est compliqué par les problématiques liées à l’insularité. Les déplacements, leur coût, les délais, les approvisionnements, le tourisme, le respect de l’environnement et l’agriculture sont autant d’exemples qui, développés, montreraient bien la spécificité de l’île. Je n’évoquerai que deux problématiques : la réforme territoriale et la sécurité.
Je veux saluer la disponibilité et l’écoute de l’actuel et du précédent gouvernement, qui sont allés à la rencontre des élus de Corse pour entendre leurs besoins et leur apporter une réponse – pour m'être déplacée en compagnie de M. le préfet il n’y a pas très longtemps, je crois pouvoir en témoigner. Je sais fort bien que ni Marylise Lebranchu, ni Manuel Valls – alors ministre de l’intérieur –, ni vous-même, monsieur le ministre, n’avez ménagé votre peine.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République consacre son article 13 à la Corse. Chers collègues, il nous reviendra d’examiner ce texte à l’automne et, je n’en disconviens pas, d’y apporter des améliorations, comme on le fait ici régulièrement…
Je veux néanmoins souligner que ce texte est le fruit de nombreux débats et rencontres – notre collègue Mme Giraud les a rappelées à l’instant – nées des propositions du rapport établi par la commission des compétences législatives et réglementaires sur les institutions particulières de la Corse, rapport présenté à la session de l’Assemblée de Corse de la fin septembre 2013.
Chacun s'était alors accordé à reconnaître la nécessité de remédier à des défauts susceptibles d’entraver le bon fonctionnement de l’Assemblée de Corse. À ce titre, le projet de texte prévoit quatre mesures principales, qui ont été énoncées tout à l’heure et que je rappelle très rapidement.
Première mesure : l’affirmation de l’applicabilité à la Corse de toutes les dispositions législatives qui concernent les régions et ne sont pas contraires à celles qui sont spécifiques à la collectivité territoriale de Corse – cette mesure n’a d’autre objectif qu’une simplification.
Deuxième mesure : la possibilité, pour l’Assemblée de Corse, de modifier la liste des compétences déléguées à sa commission permanente en cours de mandat. C'est une flexibilité opportunément reconnue aux membres de l’Assemblée qui en ont émis le vœu, pour remédier à quelques embarras que l’on a connus.
Troisième mesure : l’autorisation et l’organisation du retour à l’Assemblée de Corse de l’ensemble des membres du conseil exécutif, y compris son président, en cas de démission collective ou de vote d’une motion de défiance, celle-ci relevant d’un mécanisme original de responsabilité politique de l’exécutif devant l’Assemblée de Corse.
Quatrième et dernière mesure : le prolongement de deux ans du programme exceptionnel d’investissement pour la Corse, dont la durée avait été initialement fixée à quinze ans. Ce programme, dont il faut se féliciter, personne ne le remettra en cause. Il avait été simplement retardé et interrompu, d’où la nécessité de le prolonger, et je ne peux, avec Nicolas Alfonsi, que m'inquiéter de ce qu’il adviendra à l’issue de ces deux années, une fois le programme terminé…
Monsieur le ministre, pour avoir lu votre discours, je sais que vous donnez votre accord de principe au texte qui va nous être proposé dans quelques mois. Je sais votre volonté d’aller plus loin, s'il le faut, pour obtenir un consensus fort et durable – cela fait partie intégrante de votre vision et de votre manière de procéder, que l’on ne peut que saluer.
Mais il s'agit d’un consensus qui n’a pas besoin, selon moi, d’une révision de la Constitution. Ce consensus doit être respectueux de notre droit national et européen ; cela a d'ailleurs été dit à propos de certaines dispositions souhaitées par quelques élus corses.
Ce consensus doit également être respectueux du triple principe, que nous connaissons bien, d’unité de la République, de diversité et de spécificité des territoires – ce qui s'impose tout particulièrement en Corse –, et de subsidiarité. Ce triple principe, nous avons choisi de l’appliquer au reste du territoire, notamment dans le cadre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
Monsieur le ministre, au-delà de cette réforme territoriale qui sera appliquée à la Corse avec, je le crois, la juste mesure qui convient, je voudrais ajouter un mot concernant la problématique sécuritaire, qui concerne aussi bien l’organisation de la police et de la gendarmerie que celle des sapeurs-pompiers. Dans les deux cas, il s'agit de la protection des personnes et des biens.
Je tiens à saluer, ainsi que vous l’avez fait lors de votre déplacement en Corse le 12 juin dernier, le dévouement, la disponibilité, le courage de nos forces de sécurité, qui travaillent tous les jours côte à côte, au risque de leur vie, et qui n’hésitent pas à s’exposer, simplement pour faire leur devoir, parce que ce devoir s’impose à elles.
Comme beaucoup d’entre nous, monsieur le ministre, je ne peux ici que former le vœu de voir l’engagement d’apaisement formulé par certaines factions se concrétiser, vite et en totalité : que de drames alors évités, que de tensions apaisées ! Que la Corse sera belle d’une harmonie retrouvée !
MM. Nicolas Alfonsi et Jacques Gautier applaudissent.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. Nicolas Alfonsi et le groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur l’avenir de la Corse.
Vue à travers les chroniques de faits divers, la Corse apparaît généralement comme un territoire à problèmes, une terre de violence atavique, mais aussi l’un des symboles des impuissances de l’État.
Je ne partage évidemment pas ce point de vue. Je considère que, par bien des aspects, la Corse peut même devenir un laboratoire d’excellence pour construire de nouvelles modernités territoriales, à condition de se dégager des conservatismes et des dogmes idéologiques : la Corse mérite mieux que d’être un terrain d’affrontement entre nationalismes, entre droit à l’autodétermination et républicanisme sourcilleux, affrontement sans fin qui empêche de forger des réponses réelles à des questions concrètes liées aux difficultés de la vie quotidienne.
Il est dans la nature des écologistes de tourner le dos à ces exacerbations, qui cachent souvent des intérêts particuliers, pour s’attaquer aux enjeux réels. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je voudrais en décliner trois.
L’enjeu environnemental, tout d’abord. Dans un bassin méditerranéen dont le littoral a été sacrifié au tourisme de masse, la société corse – et il faut ici lui rendre hommage – a mieux préservé ses paysages que tout autre territoire, de la Sardaigne au Languedoc-Roussillon.
Nous devons l’en remercier et la soutenir dans l’adoption d’un plan d’aménagement et de développement durable de la Corse – le PADDUC – ambitieux qui devra préserver une part de cette beauté du monde, d’un patrimoine participant de l’enchantement collectif, ce qui signifie aussi répondre à un certain nombre d’enjeux sociaux ; nous y reviendrons.
Dans le domaine environnemental toujours, je considère que la Corse peut être l’une des vitrines territoriales de la transition énergétique : elle a les atouts de la révolution des énergies renouvelables : l’eau, le soleil, le vent, la biomasse… Avec le projet d’Areva, par exemple, la Corse accueille déjà des expérimentations prometteuses en matière de stockage d’énergie. Mais il manque encore la volonté politique de franchir un cap.
Il faut un pilotage fin, par les nouvelles technologies des réseaux intelligents, de ce potentiel considérable en énergies renouvelables pour en gérer la variabilité ; il faut des investissements résolus et cohérents... Il convient d’arrêter de tergiverser, monsieur le ministre, et il est de la responsabilité de l’État d’imposer à son opérateur historique de ne plus considérer la Corse comme un territoire juste bon à brûler des fiouls lourds dont plus personne ne veut.
Dans le domaine de la langue, la Corse est aussi en avance puisqu’elle a réussi à mieux préserver sa langue que bien d’autres territoires en France et en Europe. La volonté de reconquête linguistique portée par l’Assemblée de Corse doit donc être soutenue, tant la France, chantre dans les conférences internationales d’une diversité culturelle parfois limitée à la défense de la francophonie, est ici fragilisée dans sa crédibilité internationale par son incapacité à faire vivre sur son sol sa propre diversité linguistique.
Au-delà des vieilles lunes jacobines d’une France menacée par ses propres territoires, le projet de co-officialité de la langue corse est au contraire une véritable opportunité à saisir pour nous recrédibiliser dans le monde alors que la France n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, malgré les engagements de campagne de François Hollande.
Après votre visite en Corse, monsieur le ministre, ma question sera extrêmement précise et simple : quels sont donc, du point de vue de l’État, au-delà des postures idéologiques, les éléments de la proposition de co-officialité adoptée par l’Assemblée de Corse qui nécessiteraient d’être amendés pour permettre à l’État de la soutenir ?
J’en viens au troisième point que je souhaitais aborder : le débat sur le statut de résident, dont a également parlé Nicolas Alfonsi. Les instances locales d’Europe Écologie Les Verts en Corse l’ont clairement dit : il ne s’agit pas d’une bonne réponse à un vrai problème, celui de la difficulté des habitants de l’île à se loger en raison de la pression touristique sur le prix du logement.
Nous considérons que nous devons sortir la Corse de sa spécialisation dans une mono-industrie touristique qui la déstabilise, produit des emplois précaires et peu qualifiés, et entraîne une pression insoutenable sur le foncier et le littoral. Les deux facteurs se combinent pour une crise du logement engendrée par l’écart entre ce revenu moyen faible des résidents permanents et le prix de l’immobilier conditionné, lui, par des acheteurs « extérieurs », souvent plus fortunés.
Nous devons donc agir, et d’abord par le soutien à de nouveaux secteurs économiques : la transition énergétique en Corse, par exemple, pourrait constituer une opportunité de créer des emplois durables et qualifiés, notamment dans le secteur solaire.
Ensuite, il faut absolument trouver des réponses pour stopper la spéculation immobilière et garantir l’accès au logement. Les écologistes ont fait plusieurs propositions en ce sens. Étendre la loi Duflot pour encadrer les loyers dans certaines zones touristiques, plafonner le taux de résidences secondaires : voilà des propositions concrètes et faciles à mettre en œuvre.
Monsieur le ministre, là aussi, ma question sera simple : au-delà du caractère très probablement anticonstitutionnel du statut de résident, votre gouvernement serait-il favorable à la mise en œuvre de ces propositions pour faciliter l’accès des habitants de l’île à un logement à coût maîtrisé ? C’est une question centrale pour l’avenir de la Corse.
Un statut de résident qui se fonderait sur un droit du sang, tel que le débat actuel le laisse entrevoir, n’entre pas dans les valeurs de l’écologie politique. Si nous ne sommes pas favorables au statut tel qu’il est aujourd’hui présenté, lié à la question de l’accès à la propriété, nous sommes en revanche favorables à une citoyenneté de résidence.
Ce sont aussi ces questions qui sont posées dans le débat corse. Approfondir l’idée d’une citoyenneté corse de résidence serait promouvoir cette notion de communauté de destin, s’éloigner d’un système clientéliste qui instrumentalise le vote des propriétaires de résidences secondaires, et affirmer ainsi les droits des résidents permanents, dont les étrangers habitant et travaillant en Corse.
À travers ce débat, aujourd’hui, il ne s’agit donc pas de se lamenter ou de craindre que des réponses corses ne détricotent la République ; il s’agit au contraire de soutenir en Corse des propositions et des réponses adaptées aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, d’accompagner résolument des politiques publiques modernes au service d’un territoire qui fut parfois en avance sur son temps.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, Mme Lebranchu, ministre chargée de la décentralisation, installait à Ajaccio un groupe de travail sur la réforme institutionnelle en Corse. Elle parlait alors de réformer l’organisation de l’île à trois niveaux : réglementaire, législatif et même constitutionnel. Sur ce point, elle indiquait en effet aux élus corses que « la porte n’[était] pas fermée ».
En avril, lors d’une deuxième réunion du groupe de travail, elle confirmait sa « volonté d’avancer sur ce chantier de la réforme institutionnelle », allant même jusqu’à donner « au nom du Gouvernement, un avis favorable sur la plupart des demandes faites par l’Assemblée de Corse ».
Ces déclarations ont fait réagir, pour des raisons contraires, bien sûr, les partisans d’une scission nationaliste comme les élus républicains que nous sommes. Car, derrière la demande d’une « place spécifique à la Corse dans la Constitution de la République », soutenue par la majorité de l’Assemblée de Corse, certains sont allés jusqu’à évoquer la co-officialité de la langue, la création d’un statut de résident ou l’autonomie de gestion en matière fiscale. Autant de pistes qui ont créé un débat parmi les élus corses et la société civile, débat qui se poursuit encore aujourd’hui.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle, deux mois seulement après les déclarations de Mme Lebranchu, vous avez décidé, monsieur le ministre, de fermer la porte à toute évolution institutionnelle en Corse. Vous l’avez justifié le 12 juin dernier, lors de votre première visite sur place, en ces termes : « le souci de préserver une spécificité ne doit pas s’inscrire dans une démarche de rupture ». Nous sommes d’accord avec vous.
Personne ne peut s’offusquer que l’on rappelle le sacro-saint principe de notre République, une et indivisible, qui est d’apporter le même sens de justice, d’égalité, de liberté et de fraternité à l’ensemble de nos concitoyens. Pour autant, il nous semble que votre annonce ne saurait suffire.
Elle ne saurait suffire, car elle referme brutalement le livre du processus de réflexion et de dialogue engagé jusqu’ici par les élus corses aux côtés de la population, comme si tout allait bien. Il suffit de regarder les indicateurs économiques, sans parler des actes de violence que les médias n’évoquent que trop, pour savoir que tel n’est pas le cas, malheureusement.
Plus inquiétant encore, et nous le regrettons, votre annonce crée de la désillusion, qui est le terreau du ressentiment. En rayant d’un mot les discussions engagées jusqu’ici comme si elles n’avaient eu aucun intérêt, vous décevez peut-être une population corse attachée à la parole donnée. Vous reprenez cette parole et la déception est à la mesure de l’espoir suscité, espoir dont la Corse a pourtant besoin, au même titre que tous nos compatriotes. On repense alors à la mise en garde du député Laurent Marcangeli, qui déclarait : « Nous devons cesser de susciter de faux espoirs pour ne travailler que sur du possible. »
Il y a donc un monde, monsieur le ministre, entre la rupture que vous redoutez à raison et la fin de non-recevoir que vous opposez, nous semble-t-il à tort. C’est une belle occasion manquée de montrer à la Corse comme à toutes nos régions que la France est capable d’évoluer, de se réinventer en restant le pays qu’elle a toujours été, riche de ses particularités régionales et de ses cultures entremêlées depuis l’Antiquité.
Ironie de l’histoire, cette Corse qu’il faut que vous entendiez fut justement souvent la première en Europe à l’écoute de la démocratie : de sa constitution de 1755, adoptant la séparation des pouvoirs, le suffrage universel et le droit de vote aux femmes – il a fallu attendre 189 ans pour que, grâce au général de Gaulle, nous soit accordé, en 1944, le même cadeau ! – aux dispositions statutaires particulières, avec la bidépartementalisation et la naissance de l’Assemblée de Corse… L’île a toujours pris sa part dans la concertation, comme en 2003, où, sous l’impulsion du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, souhaitant déjà intégrer la « reconnaissance institutionnelle de sa spécificité », la population corse a été consultée, rappelant à cette occasion que la Corse, c’est la France.
Raison de plus pour l’écouter aujourd’hui ! Ainsi que l’a si bien dit Camille de Rocca Serra, « notre rôle n’est pas de freiner toute évolution qui pourrait être bénéfique à la Corse, mais bien de promouvoir une démarche qui soit utile pour l’île, dans le respect de notre appartenance et de notre attachement à la République ».
Plus que jamais, nos territoires ont besoin que l’on sauvegarde leur identité, leur patrimoine et que l’on respecte la richesse de leur diversité. Plus que jamais, ils ont le droit d’exister, de transmettre leur histoire et leur culture aux jeunes générations, toujours dans la « maison France », car chacun grandit auprès de l’autre : ces territoires ont apporté à la France comme la France leur a apporté.
Refuser de regarder l’histoire en face, c’est souvent refuser de se tourner vers l’avenir. C’est plus vrai encore dans le cas de la Corse, puisqu’elle va subir parallèlement, monsieur le ministre, comme beaucoup d’autres régions, la réforme territoriale. Celle-ci pourrait même lui être fatale parce que, en raison de ses spécificités insulaires, la Corse ne bénéficiera pas des leviers de mutualisation dont disposeront les grandes régions. Avec la disparition programmée des départements, elle ne gardera pas non plus l’opportunité de ses arbitrages financiers relatifs à la péréquation, qui sont si importants pour l’activité économique de l’île.
À une époque où l’on supprime les départements, où l’on affaiblit les cantons ruraux, ce nouvel épisode concernant la Corse est important à double titre. Il est important pour les Corses eux-mêmes, bien sûr, pour la défense de leur héritage et de leurs particularités. Il est aussi et surtout crucial pour notre pays. La Corse dans la France est un symbole : celui de la préservation de notre identité millénaire, indivisible, mais plurielle.
Aussi, pour vous permettre de nous expliquer plus en détail votre déclaration du 12 juin dernier en Corse, terre de vos ancêtres, j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez, si vous le pouvez, la position réelle du Gouvernement sur la question institutionnelle de la Corse, au-delà de la réforme territoriale que vous devez nous présenter.
Je voudrais enfin, à mon tour, remercier M. Alfonsi d’avoir pris l’initiative de ce débat intéressant, car nous aimons tous beaucoup la Corse.
M. Jacques Gautier applaudit.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Alfonsi et son groupe d’avoir proposé ce débat dont l’intérêt, au regard des réformes territoriales qui se préparent et de l’histoire particulière de la Corse, semble plus qu’évident.
Ce débat suscite également mon intérêt en ce qu’il peut être rapproché, à certains égards, de celui sur la collectivité basque, qui m’est chère. Tout aussi particulières, tout aussi sujettes à discussion quant à leurs compétences et leur mode de gouvernance : les points communs entre les deux collectivités sont nombreux.
Malheureusement, au Pays basque, ce débat, comparé à celui qui a lieu en Corse, n’en est qu’au stade embryonnaire, et il est bien difficile de lui faire prendre forme tant les obstacles sont nombreux. Le Gouvernement ne me contredira pas sur ce point.
Dans la perspective d’une évolution future de l’organisation de nos territoires, qui reste à décider, il convient de nous concerter, d’entendre les arguments des uns et des autres, sans conservatisme primaire ni réformisme béat.
La Corse est aujourd’hui un territoire particulier, notamment de par son histoire. Elle a d’abord appartenu à la République de Gênes, avant de s’autoproclamer indépendante en 1735 et d’être enfin rattachée à la France. L’histoire est toujours nécessaire pour rappeler qu’il existe des liens singuliers entre la République et la Corse, lesquels ont justifié la création d’un statut spécial.
En effet, la Corse est la seule collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72, alinéa 1, de notre Constitution. Les revendications vers plus d’autonomie ou vers plus d’indépendance de l’île ont assurément contribué à cette singularité.
La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse a créé l’Assemblée de Corse, qui dispose de larges compétences. Ce statut avant-gardiste perdra ce temps d’avance du fait, d’une part, de l’alignement des autres régions sur un fonctionnement semblable à celui de la Corse et, d’autre part, de la réintégration de l’île dans le droit commun électoral avec l’abandon de la proportionnelle pour l’élection des membres de l’Assemblée de Corse.
C’est néanmoins la loi du 13 mai 1991 qui crée la collectivité territoriale de Corse et fait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier. Il s’agit d’un modèle unique, d’une structure juridique et administrative sur mesure.
Ce n’était pourtant que la première étape : la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse – cela a été dit – va être source de nouveautés institutionnelles, parmi lesquelles le transfert de nouvelles compétences, la création d’une partie du statut fiscal et l’introduction des dispositions sur la langue corse.
Aujourd’hui, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation de la République consacre un chapitre à la Corse. Deux enjeux majeurs sont à prendre à compte.
Le premier est d’assurer le développement de la Corse en tenant compte de sa culture et de son insularité. Vous l’avez compris, nous sommes, et moi le premier, très attachés à la reconnaissance de la spécificité culturelle des territoires.
Le deuxième est de garantir une certaine cohérence économique. En effet, l’esprit de la réforme est de fusionner des régions pour permettre l’émergence d’une logique de développement économique mutuel. Si je ne peux que partager cette volonté, le découpage proposé risque néanmoins de créer des régions à deux vitesses. Face à de grandes régions fortes économiquement, il est nécessaire que l’île dispose enfin des moyens nécessaires à son développement.
Dans le projet de loi figurent des mesures dont l’objectif est d’améliorer le fonctionnement institutionnel de la collectivité, parmi lesquelles l’application à la Corse de toutes les dispositions législatives relatives aux régions, dès lors qu’elles ne sont pas contraires à celles régissant la collectivité territoriale de Corse, ou encore la prorogation du programme exceptionnel d’investissements pour la Corse.
Par ce dernier, près de 2 milliards d’euros ont été mobilisés en dix ans pour assurer la pérennité économique de l’île. Ces investissements ont produit des résultats exceptionnels, dont une forte croissance économique de près de 2, 5 % par an, qui dépasse celle de beaucoup d’autres régions.
Je le disais, la singularité de la Corse doit être reconnue et s’inscrire dans la loi : la loi de la République doit s’adapter aux singularités territoriales.
L’Assemblée de Corse, dans une délibération de septembre 2013, a formulé des souhaits pour le futur institutionnel de l’île. Elle a ainsi demandé l’inscription de la Corse dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, la co-officialité de la langue corse et l’instauration d’un statut de résident. À cet égard, je partage certaines des analyses qui viennent d’être évoquées.
La mise en place de ces mesures rencontre bien entendu des difficultés, tant au niveau du droit interne que du droit européen. D’une portée symbolique, elles méritent toutes d’être étudiées.
Les questions qui nous sont posées doivent être entendues et traitées.
Première question : peut-on rendre compatibles les revendications régionalistes et les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés ? Ne craignons pas de répondre par l’affirmative. L’histoire démontre que la surdité des États aux demandes spécifiques, sous couvert de respect des principes républicains, conforte trop souvent les revendications nationalistes dans leurs excès.
Notre devoir est certes d’affirmer les principes républicains, mais également d’aménager la loi chaque fois que cela possible. Dans les domaines de la langue, de la culture, du développement économique ou de l’aménagement territorial, les spécificités doivent pouvoir se retrouver dans les modes de gouvernance.
Deuxième question : quelle attitude adopter face à la violence ? Une règle devrait être de mise : ne jamais rejeter les perspectives de dialogue. Nous devons certes réaffirmer les obligations républicaines, mais en manifestant, dans le respect, la volonté de dialoguer.
Troisième question : le débat qui va s’engager sur la réforme territoriale laissera-t-il suffisamment de place aux expressions régionalistes ? Monsieur le ministre, égalité ne veut pas forcément dire uniformité. Les discours sur l’égalité sont malheureusement trop souvent simplificateurs, parfois afin d’éviter les questions complexes.
Personne ne conteste l’égalité devant les droits fondamentaux et j’espère que le débat sur la réforme territoriale nous permettra de poser la question des spécificités régionales, qu’il s’agisse des Basques, des Bretons ou des Corses.
J’espère également qu’il nous offrira l’opportunité d’être suffisamment créatifs pour traiter, au cas par cas, des modèles de gouvernance adaptés et responsabilisants.
Nous espérons, enfin, que ce débat fera de nous les artisans de l’apaisement, et ce, tout d’abord, par l’écoute et le traitement de tous les dossiers préoccupants avec l’ensemble des partenaires. §
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir, bien qu’il porte sur un point spécifique et particulier, doit nous interroger sur la cohérence et la logique qui animent cette réforme territoriale, dont l’examen du premier volet devait débuter demain après-midi.
Nous devions en effet aborder, demain, le sujet d’une réorganisation territoriale de la République, mais en commençant à l’envers, c’est-à-dire, à rebours de toute logique, par le plus délicat, le plus compliqué et le plus sensible : une nouvelle délimitation du périmètre des régions dont, pour reprendre l’expression de Claudy Lebreton, « on ne comprend pas les critères objectifs ».
À la suite de ce redécoupage territorial, nous discuterons plus tard, à une période indéterminée en raison du fort mécontentement que provoquent les modalités de votre réforme, monsieur le ministre, du contenu de ces coquilles encore vides que seront les nouvelles régions. Je veux dire par là que ce n’est qu’ultérieurement que nous serons amenés à modifier la répartition des responsabilités et des compétences entre les régions nouvellement créées et les départements, lesquels seront vidés de leur substance et courent le risque, à terme, d’être rendus inutiles.
Ainsi, ce soir, nous anticipons. Nous débattons d’un point tout à fait particulier au sein de la réforme : les futures compétences de la région Corse, dont la collectivité territoriale a d’ailleurs échappé aux effets d’un big-bang prétendant clarifier et simplifier les relations entre chacun des acteurs de la puissance publique.
Après tout, la Corse aurait pu, comme d’autres, être regroupée de façon improbable avec la région Provence-Alpes-Côte d’Azur... Elle a sans doute échappé à ce big-bang, car, comme pour toutes les régions à forte identité – je pense à l’Alsace ou à la Bretagne, par exemple –, ce qui touche aux rapports avec la République est sensible, du fait sans doute de diverses susceptibilités qu’il faut veiller à ne pas froisser.
L’article 13 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est donc consacré à la collectivité territoriale de Corse.
Cet article procède aux ajustements rendus nécessaires par le renforcement des responsabilités régionales et l’éventuelle suppression des deux départements. Cela, à notre avis, doit se faire dans le respect du statut actuel de la Corse et n’avoir pour seul objectif que d’améliorer le fonctionnement du dispositif existant.
À cet égard, dans le cadre des discussions et des consultations qui doivent obligatoirement être effectuées préalablement à l’élaboration du projet de loi, l’Assemblée territoriale de Corse a fait part de ses remarques au Gouvernement dans une délibération adoptée le 31 mars dernier.
Je ne commenterai pas le détail de ces remarques ni ce qui en a été retenu dans l’article 13. Nous aurons l’occasion d’avoir un débat approfondi sur le sujet lorsque ce texte viendra en discussion, à l’automne peut-être... Nous dirons alors notre opposition à la suppression programmée de ces échelons de proximité que constituent les départements.
En revanche, de manière plus générale, je voudrais faire part de l’appréciation de mon groupe sur certaines prises de position récentes ayant alimenté le débat.
Monsieur le ministre, le 13 juin dernier, lors de votre visite dans l’île, vous avez eu l’occasion de faire le point sur la poursuite des discussions sur ces sujets et, surtout, de vous prononcer sur quelques réformes de nature institutionnelle votées par l’Assemblée de Corse.
Je voudrais dire d’emblée qu’il serait inopportun, comme le souhaitent certains, de saisir cette occasion pour faire dériver la discussion du projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République en tentant d’entamer des négociations sur un nouveau statut pour la Corse.
Je répète qu’il s’agit bien, à nos yeux, d’en rester à la volonté d’améliorer le fonctionnement du dispositif actuel et non d’ouvrir la voie à des évolutions institutionnelles, selon nous d’une autre nature. Je pense très précisément au transfert de la compétence fiscale, au statut de co-officialité de la langue corse et à la question foncière. Il est d’ailleurs répondu à cette dernière par un statut de résident d’une dangereuse ambiguïté. Autant de sujets soulevant des questions qui n’entrent pas dans le cadre de la réforme territoriale, objet de ce projet de loi.
En évoquant ces questions, je ne pense pas m’éloigner du sujet qui nous occupe ce soir. Il me semble en effet que, ces dernières semaines, le thème de l’évolution du statut de la Corse a de nouveau fait irruption dans le débat public sur l’île. J’en veux pour preuve, par exemple, la façon dont un mouvement indépendantiste en perte de vitesse, ayant depuis longtemps glissé vers un affairisme douteux, a tenté d’expliquer pourquoi il mettait fin à ses activités terroristes : évoquant de récents votes de l’Assemblée de Corse, le FLNC a estimé que la majorité des élus rejoignaient, sur ces thèmes, ses propres sources doctrinales. Non ! À l’instar du président de l’Assemblée de Corse, mon ami Dominique Bucchini, j’estime que tel n’est pas le biais par lequel seront traités les problèmes réels de la Corse et de sa population.
Ces problèmes, ce sont, entre autres, le développement économique, les conditions sociales, le chômage et peut-être, sous un autre aspect, le foncier. Au total, nous souhaitons vivement que l’ensemble de ces questions soient positivement évoquées, le moment venu, lors de la discussion du projet de loi.
Nous souhaitons enfin que la prochaine rencontre, sur place, entre les élus et votre collègue Mme Lebranchu puisse contribuer, par le dialogue, à corriger certains aspects négatifs de la réforme.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat sur la Corse et la réforme territoriale, les quelques appréciations dont le groupe CRC souhaitait vous faire part.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je voudrais remercier Nicolas Alfonsi d’avoir organisé ce débat qui lui tenait à cœur. Ce fut, pour lui, l’occasion d’aborder tous les sujets concernant l’avenir de l’île, notamment les questions institutionnelles et constitutionnelles, qu’il a pris soin – à juste titre – de distinguer méticuleusement des autres, par esprit de rigueur juridique.
Dans leur intervention, les orateurs ont évoqué les préoccupations que les Corses ont immédiatement à l’esprit lorsqu’il s’agit d’assurer le développement de leur île : la question du logement, celle de la pression et de la spéculation foncières, mais aussi celle des investissements, auxquels les territoires aspirent toujours pour créer les conditions de la croissance et de l’emploi.
Madame Giudicelli, j’ai bien entendu votre propos, teinté de la satisfaction d’avoir vu le Gouvernement procéder à des clarifications en la matière, mais aussi de l’impatience que ces dernières n’aillent pas plus loin.
La politique, madame la sénatrice, est un exercice itératif, et les débats parlementaires sont là pour préciser des choses qui méritent de l’être, même si j’avais le sentiment d’en avoir déjà beaucoup dit.
Je saisis donc l’occasion du débat de ce soir pour répondre à toutes les interrogations et préciser la pensée du Gouvernement sur ce sujet. Je le ferai avec la même sincérité que celle qui a présidé aux propos que j’ai tenus en Corse il y a quelques semaines.
Pour commencer, je voudrais insister sur la nécessité, si l’on ne veut pas abaisser le débat politique, de respecter ceux à qui l’on s’adresse, et ce en toute circonstance. Cela implique d’abord de convoquer – Nicolas Alfonsi l’a indiqué dans son propos – l’esprit de Pierre Mendès France, de ces grands républicains qui surent faire preuve de modernité et qui furent souvent en situation, alors que l’histoire leur était parfois hostile, de poser les fondements d’évolutions pertinentes et heureuses. Ils le firent toujours avec une exigence de rigueur intellectuelle. Lorsqu’il s’agissait d’enjeux juridiques, ils invoquèrent le droit, mais sans le tordre pour des motifs politiques – le droit, son nom l’indique, ne le supporterait pas – ; ils essayèrent plutôt de le mettre au service d’objectifs politiques qu’ils estimaient nobles, tout en permettant que les désaccords puissent s’exprimer.
Cette nécessité implique aussi de ne pas tout sacrifier aux charmes de la politique. Je ne prétends pas que c’est le cas en Corse ; j’indique seulement qu’il s’agit d’une prévention qu’il faut avoir en toute matière.
La politique a des charmes auxquels il est facile de céder, certes, mais ceux-ci n’ont pas nécessairement de rapport avec la rigueur intellectuelle, même si cela peut arriver...
Cette nécessité implique enfin que le discours politique soit le même, quel que soit le lieu où il est prononcé. Ce serait pour moi très confortable de dire à Ajaccio les choses que les Corses auraient envie d’entendre, tout en tenant à Paris des propos que la représentation nationale est susceptible de vouloir écouter, sans me soucier de cohérence. Mais, moi, j’aime tenir le même discours en tous lieux. C’est aussi l’une des conditions du respect que l’on doit à ses interlocuteurs.
Au reste, je voudrais insister sur un point : la question qui nous occupe ce soir – c’était d’ailleurs un élément sous-jacent de toutes les interventions – fait l’objet d’un débat ancien, aussi ancien que la République elle-même et que la constitution de la nation française.
Nous vivons en effet dans un pays particulier, où l’État a préexisté à la nation, et où la nation s’est incarnée dans l’État. Ces deux processus historiques, il faut le reconnaître, ont été rendus possibles par la centralisation, phénomène grâce auquel le droit a organisé les choses, une langue s’est imposée et des principes convoquant souvent – pour ne pas dire toujours – l’égalité se sont incarnés dans les textes votés par la représentation nationale.
La question qui nous est posée ce soir est donc celle de la compatibilité entre la République telle que nous l’aimons, une et indivisible, et la diversité de ses territoires, de ses cultures, de ses approches.
La République n’a pas à annihiler ou à empêcher cette diversité ; elle doit au contraire la rendre possible, précisément parce que son unité et son indivisibilité sont la garantie que chacun, en son sein, pourra trouver son chemin sans que les principes de l’égalité devant le droit ou devant la charge publique, principes consubstantiels à la République elle-même, soient remis en cause.
Comment rendre tout cela compatible en droit et en politique ? Comment le faire et laisser à la Corse toute sa chance, sans faire perdre à la République ses principes et ses atouts ? Voilà le problème, tel que je le vois : il n’est ni simple ni insurmontable. En politique, dès lors que la bonne foi, la rigueur et l’honnêteté intellectuelle prévalent, il existe toujours un chemin.
Ce chemin est certes exigeant, il implique que l’on prenne le temps du dialogue, que l’on soit scrupuleusement honnête, et que l’on aille au bout du trajet ensemble. C’est ce que je souhaite pour la Corse, et c’est ce que, modestement, je veux essayer de faire en tant que ministre de l’intérieur.
Pour cela, il faut prendre les problèmes les uns après les autres, en commençant par ce qui relève de l’urgence, et les analyser finement de manière à y apporter les réponses les plus pertinentes.
La question principale a trait à l’économie et au droit pour les Corses à vivre en Corse, sur une île prospère, qui puisse mener sa politique du logement, de développement économique, de croissance de ses filières d’excellence et de valorisation de ses atouts agricoles.
Je le rappelle, la politique de la République n’a jamais été de laisser la Corse de côté ; au contraire, elle a toujours été de l’accompagner. Je n’évoquerai pas tout ce qu’ont fait les gouvernements successifs, par-delà les sensibilités politiques, sur ce point. Je me contenterai de signaler que le gouvernement de Lionel Jospin avait mis sur le métier, il y a un peu plus de dix ans, un plan exceptionnel d’investissements pour la Corse. Déployé au cours de la décennie écoulée, il a conduit, madame Giudicelli, à engager près de 2 milliards d’euros, dont 1, 7 milliard émanait de l’État, pour des investissements structurants, lesquels ont permis à la Corse de connaître pendant dix ans un taux de croissance d’environ 2 %, bien supérieur à celui d’autres régions du continent.
Ce taux, d’ailleurs, aurait pu faire envie à bien des régions, notamment celles n’ayant pas profité de soutiens aussi significatifs de l’État pour accompagner le développement de leur territoire. Il était normal, néanmoins, que l’État y consentît. Il y a des obstacles et des handicaps consubstantiels à l’insularité, que la Corse n’avait pas vocation à surmonter seule. C’est ce qui a conduit l’État à mettre en place ce plan exceptionnel d’investissements, qui a contribué, entre autres actions, à la croissance de la Corse au cours de cette période.
Aujourd’hui, deux questions essentielles se posent en matière de développement, qui font d’ailleurs l’objet des réflexions menées par l’Assemblée de Corse et des propositions que celle-ci nous adresse : je veux parler de la possibilité pour les Corses d’avoir accès à la propriété et au logement en Corse, ce qui est bien légitime, et de la question, plus spécifique mais ô combien importante aux yeux des locaux, de l’usage de la langue corse.
Je traiterai donc ces trois sujets – la propriété et l’accès au logement entraînant celui du statut de résident –, puis un ou deux autres en conclusion, en essayant de faire en sorte que l’ensemble des questions relatives au droit, à la politique ou à la relation avec la République soient abordées, et sans qu’aucune soit occultée.
La première question, celle de la propriété et de l’accès au logement, recouvre deux sujets différents, connexes et complexes.
Le premier concerne les fameux « arrêtés Miot », lesquels ont doté la Corse d’un dispositif particulier, jusqu’à présent, en matière de droits de succession. Ce dispositif avait été rendu nécessaire par la difficulté pour la Corse de reconstituer ses titres de propriété, qui s’explique par des raisons très anciennes, constatées au début du XIXe siècle – en 1801 très exactement –, et qui, depuis lors, n’a pas été surmontée, fût-ce par des solutions de droit.
Sur ce sujet précis, on ne peut pas dire que le Gouvernement ait été inerte, sourd, autiste, indifférent aux expressions et aux interrogations formulées par les élus corses. J’ai passé suffisamment de temps avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et avec les députés, au moment de l’examen du projet de loi de finances initiale et du projet de loi de finances rectificative, pour que vous ne vous souveniez pas des nombreux amendements sur ce sujet dont nous avons discuté. Il est parfois arrivé que les dispositifs préconisés par le Gouvernement, les amendements sur lesquels il avait émis un avis de sagesse, fassent l’objet de la réticence des membres de la Haute Assemblée, qui les considéraient non conformes à la Constitution.
Le Gouvernement, malgré tout, a souhaité appuyer ces amendements en contribuant à leur rédaction, en écoutant les acteurs corses, en émettant des avis de sagesse. Il avait parfaitement conscience, en effet, qu’il ne suffisait pas de consacrer des moyens supplémentaires au groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le GIRTEC, et qu’il fallait donner le temps à la Corse de reconstituer ses titres de propriété, afin qu’une fiscalité de droit commun puisse, à terme, s’appliquer aux droits de succession.
À l’époque, nombre de juristes appelaient l’attention du ministre chargé du budget que j’étais sur les problèmes constitutionnels que tout cela risquait de poser. D’autres juristes, prétextant que le droit n’était pas une science exacte, m’interpellaient en indiquant que l’avis généralement exprimé par des constitutionnalistes chevronnés et reconnus n’était pas nécessairement le droit, qu’il fallait écouter les juristes de l’île, ceux qui avaient de la sympathie pour elle.
Le Conseil constitutionnel a tranché ; il a dit le droit. Je ne commente pas l’autorité de la chose jugée, je la constate. Il ne reste plus alors qu’une solution : tenir compte des considérants de la décision pour essayer d’élaborer d’autres normes, qui, cette fois, franchiront l’obstacle.
Je veux réaffirmer aux élus de Corse ici présents, comme à ceux qui nous écoutent, la détermination du Gouvernement à trouver, en liaison très étroite avec la représentation nationale, une solution qui ne remette pas en cause le principe d’égalité, afin que des dispositions législatives relatives à la reconstitution des titres de propriété valant pour la totalité du territoire national, et donc pour la Corse, soient adoptées.
En disant cela, je n’ai pas le sentiment, madame Giudicelli, de faire montre d’une quelconque fermeture d’esprit. J’ai, au contraire, l’impression de faire preuve à la fois d’ouverture, de souplesse et de détermination à trouver une solution. C’est d’ailleurs assez cohérent avec ce que nous avons fait jusqu’à présent. Je ne vois pas pourquoi, en effet, à la lecture des considérants de la décision du Conseil constitutionnel, lesquels montrent la voie de droit à emprunter, je fermerais subitement l’accès au chemin que nous avons passé autant de temps à trouver lors de l’examen des projets de loi de finances précédents.
Ce qui compte, lorsqu’il s’agit de politique et de droit, ce n’est pas de prendre des postures ou de se faire plaisir ; ce qui compte, c’est de trouver un chemin qui aboutisse à une solution.
Si la solution n’est pas opportune en droit, le chemin débouche sur une impasse, c’est-à-dire le contraire d’une solution politique. Fermer une porte qui mène à une impasse, ce n’est pas les fermer toutes. Nous préférons ouvrir celles qui donnent sur de vraies solutions…
Le sujet connexe au problème de la propriété et du logement est relatif au statut de résident. La collectivité territoriale de Corse a ouvert un débat en proposant de créer ce statut pour régler le problème de la pression s’exerçant sur le foncier et de la spéculation l’accompagnant.
Ce problème peut en effet être la cause d’un coût de sortie du logement prohibitif, en tout cas pour les Corses qui n’ont pas les moyens d’accéder à la propriété et de se loger. Ce statut ouvrirait à ceux qui résident en Corse depuis longtemps – cinq ans – la possibilité d’accéder à la propriété.
La proposition de la collectivité territoriale de Corse mérite-t-elle le mépris du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat ? En aucun cas ! Je n’ai jamais considéré que le problème évoqué ne se posait pas ou que la spéculation foncière n’était pas un véritable sujet.
Simplement, puisqu’il s’agit d’un dialogue, ce qui suppose d’être deux, et dès lors qu’une proposition nous était soumise par l’Assemblée de Corse, j’ai souhaité exprimer une réponse étayée et expertisée permettant, dans le cadre de cet échange respectueux, de donner aux élus de Corse notre sentiment, après examen, quant à la voie empruntée.
La proposition de la collectivité territoriale de Corse pose deux problèmes.
Le premier est lié au principe d’égalité face à la propriété, principe éminemment républicain, qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et qui, comme l’a rappelé avec justesse le sénateur Nicolas Alfonsi, fait partie du bloc de constitutionnalité. Il faudrait donc changer la Constitution. Si une modification constitutionnelle permettait de régler le problème, je dirais : « Pourquoi pas ? »
Mais, et c’est le second problème, après un éventuel changement constitutionnel, il s’avère que la Corse perdrait le bénéfice du droit européen et des subventions qui l’accompagnent, car elle se retrouverait en contravention avec les principes juridiques de l’Union européenne. Certes, un tel dispositif avait été adopté pour les nouveaux entrants à titre transitoire. Mais la France est membre de l’Union depuis longtemps et, en l’occurrence, la mesure aurait vocation à être appliquée de manière non pas transitoire, mais pérenne.
Nous avons donc un problème de droit constitutionnel et un problème de droit européen.
Indiquer dans un débat qu’une délibération pourrait ne pas être légale – c’est le rôle de l’État, qui est constitutionnellement chargé du contrôle de légalité – en raison du divorce qu’elle instaure avec des principes constitutionnels et de droit européen n’est pas une manière de refermer des portes et de refuser le dialogue. Il s’agit simplement pour l’autorité chargée du contrôle de légalité de dire le droit. Cela s’appelle la République !
Ce n’est pas non plus une manière de dire qu’aucun chemin ne peut être emprunté pour régler le problème. La réflexion juridique peut se poursuivre. Le propre d’un débat et d’un dialogue est d’accepter l’argumentation de l’autre, y compris lorsqu’elle n’est pas conforme à ce que l’on pense soi-même. C’est l’idée que je me fais du dialogue dans la République.
La richesse des débats est d’autant plus grande que les points de vue sont différents et que l’on accepte d’accéder au point de vue de l’autre. C’est cela aussi, la République.
Par conséquent, je propose simplement que, l’État ayant fait connaître sa position en droit sur ce sujet, nous puissions continuer à dialoguer de manière républicaine pour trouver les solutions. Et je pense qu’il en existe.
La mise en place en Corse d’un établissement public foncier permettant à la puissance publique d’acquérir les emprises foncières sur lesquelles la spéculation est la plus grande, pour éviter que le coût du foncier ne continue à augmenter et que la Corse ne continue à se trouver confrontée à l’impossibilité de construire des logements dans des conditions compatibles avec le revenu des Corses, me paraît être une solution possible. Je le dis pour Mme Giudicelli, qui m’invite à ouvrir des portes, après m’avoir presque reproché d’en avoir fermé brutalement. Je les ai fermées avec douceur et esprit de vérité, et je les ouvre en grand vers des solutions qui me paraissent possibles et susceptibles d’être immédiatement mises en œuvre.
Cela appellera évidemment, de la part du Gouvernement, la manifestation d’une volonté d’aller dans cette direction, mais ne justifiera pas de clore la discussion sur tous les autres sujets, y compris celui-ci, dans sa dimension juridique. Mais, si l’on veut agir vite pour trouver des solutions rapidement, il vaut mieux emprunter les chemins les plus courts, surtout si l’on a le souci des solutions efficaces.
Le troisième sujet est celui de la langue.
J’entends nombre d’élus de Corse, mais également des citoyens, exprimer leur tristesse face à l’étiolement de cette langue qu’ils aiment, et qu’ils ont raison d’aimer parce qu’elle est belle, et leur crainte qu’elle ne soit plus parlée. Eh bien, je trouve cette préoccupation légitime !
Ce que je trouve moins légitime ou, en tout cas, ce sur quoi il me semblerait intéressant d’avoir un débat, c’est le chemin que l’on nous propose d’emprunter pour atteindre l’objectif du développement de la langue corse en Corse, c’est-à-dire la co-officialité.
La notion de co-officialité de la langue corse signifie – je le dis à notre ami Ronan Dantec, qui m’invitait à apporter une réponse précise sur le sujet – que l’on ne s’arrête pas au bilinguisme : on pose le principe que, pour accéder à l’emploi public en Corse, il faudrait être capable de répondre en corse à ceux qui, parmi les Corses, décideraient de s’adresser à l’administration dans cette langue.
Pour ma part, l’idée qu’un fonctionnaire réponde en corse à un administré corse qui s’adresserait à lui en corse ne me gêne pas du tout.
Ce qui me gêne, en revanche, c’est que l’on fasse de la maîtrise de la langue corse, même dans ses premiers prolégomènes, une obligation pour accéder à la fonction publique en Corse.
Faire cela signifierait tout simplement remettre en cause le principe d’égalité des citoyens français face à l’exercice des charges publiques, principe fondamental contenu, lui aussi, dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et auquel la fonction publique tient beaucoup. Et je ne suis même pas certain qu’en accédant à une telle demande, nous aurions pour autant la garantie que le corse serait davantage parlé.
En effet, la co-officialité de la langue corse, avec les conséquences que je viens d’indiquer, ne donne aucune assurance quant au fait que l’éducation nationale, de l’école primaire jusqu’à l’université, dotera les universités et les écoles d’enseignants susceptibles de développer l’apprentissage de la langue corse.
Je considère donc que la solution proposée pose un problème de droit, celui que je viens d’exprimer, mais ne remplit pas nécessairement l’office qu’elle prétend remplir.
Mme Colette Giudicelli opine.
Pour ma part, je souhaite que l’on parle la langue corse en Corse, car je crois que les langues sont une richesse et que, comme le disait M. Dantec, cette pratique ne fait courir aucun risque à la langue française, à condition qu’elle s’inscrive dans un cadre conforme aux principes de la République, et avec la garantie que la cible sera atteinte grâce à la mobilisation des moyens de l’État dans le système éducatif.
Je le répète ici, au Sénat, avec la même sincérité et la même exigence de rigueur que celles que j’ai voulu exprimer dans mon intervention prononcée en Corse, la volonté du Gouvernement est non pas de fermer les portes, mais d’ouvrir celles qui permettent d’atteindre les bonnes solutions, afin de régler les problèmes auxquels la Corse doit faire face aujourd’hui.
Je conclurai sur deux points.
Tout d’abord, préconiser une réforme constitutionnelle qui impliquerait l’inscription des dispositions concernant la Corse dans la Constitution – encore faudrait-il en définir le contenu ! – supposerait d’être en situation de réunir une majorité qualifiée au Congrès pour la faire voter.
Or réunir une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour faire voter une réforme constitutionnelle ne dépend pas de la seule volonté de la collectivité territoriale de Corse. On pourra tordre le problème dans tous les sens : ce n’est pas seulement un problème de droit, même si la règle de la majorité qualifiée est inscrite dans la Constitution ; c’est un problème politique !
Pour faire voter de telles dispositions constitutionnelles, il faut une majorité qualifiée au Congrès, mais je ne suis pas certain que cette majorité existe.
Il me paraîtrait donc hautement aléatoire de conditionner à la réunion de cette majorité la résolution des problèmes de la Corse, dont on nous dit qu’ils relèvent de l’urgence.
Si urgence il y a, réglons ces problèmes sans tarder, dans le cadre juridique existant ! Ne prenons pas le risque d’engager des discussions aléatoires visant à mobiliser des majorités dont on ne sait pas si elles existent, pour régler à long terme des problèmes qui, nous dit-on, relèvent de l’urgence du court terme.
La résolution des problèmes de la Corse à court terme n’obère en rien la possibilité de les régler de manière plus ambitieuse encore à long terme, dès lors qu’il y aurait une possibilité d’approfondir la réflexion juridique et de réunir les conditions politiques nécessaires.
Ensuite, quand les problèmes sont compliqués en droit, techniquement et politiquement, plus on est nombreux à dialoguer avec bonne foi et sincérité, plus on a de chances de les régler ensemble. Pour ce faire, il faut éviter de se faire des procès d’intention, c’est-à-dire non fondés sur des dires effectifs, en oubliant les propos tenus précédemment.
Avant moi, d’autres se sont exprimés sur la Corse, en Corse ou à Paris : ils ont tous indiqué dans quel cadre juridique la réforme pouvait s’engager.
Je n’ai rien dit de plus ni de moins, lorsque je me suis rendu en Corse, que ceux qui s’étaient exprimés avant moi ! Je n’ai fermé aucune porte. J’ai voulu indiquer quels étaient les aléas d’un chemin complexe et incertain, non pas pour altérer une volonté, décevoir, désespérer ou casser les enthousiasmes, mais pour mobiliser ceux-ci dans une direction qui mène vers une lumière, une issue, une solution.
Par ailleurs, je n’ai pas non plus fermé le débat sur la question institutionnelle, y compris dans sa dimension constitutionnelle – on peut en effet régler le débat institutionnel dans le cadre de la Constitution actuelle, ou aller plus loin. J’ai simplement dit que l’important, sur ces sujets, c’était le résultat et non la posture, c’était l’objectif, et non le fétichisme du droit ou de telle ou telle inscription normative dans tel ou tel texte.
À la faveur de ce débat, organisé au Sénat sur l’initiative de Nicolas Alfonsi, je veux redire aux Corses que, par-delà leurs sensibilités, leurs options et leurs volontés – elles sont diverses et multiples sur tous les sujets dont nous venons de débattre –, ils trouveront face à eux un gouvernement ouvert, à l’écoute, attentif, désireux de trouver des solutions et d’éviter des impasses, rigoureux dans son approche des textes et du droit.
Car les textes et le droit, parfois, ont à voir avec la politique lorsque l’on convoque la rigueur. Nous le ferons dans le respect de ceux qui délibèrent en nous posant des questions que j’estime justes, même si les réponses apportées ne sont pas toujours à la hauteur de ce que nous pourrions souhaiter.
J’espère que ce débat aura contribué à préciser certains points, et que nous aurons d’autres occasions de nous revoir pour approfondir ces sujets.
La question de la Corse, qui mobilise nos assemblées depuis longtemps, est trop passionnante pour cesser de les intéresser demain. Et elle est trop exigeante pour ne pas être abordée avec tous les préceptes de la rigueur intellectuelle. §
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la Corse et la réforme territoriale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».
Nous allons lever la dernière séance de la session ordinaire, qui sera close à minuit.
Nous nous retrouverons demain mardi 1er juillet, à quinze heures, avec l’ordre du jour suivant :
1. Ouverture de la session extraordinaire 2013-2014 ;
2. Lecture des conclusions de la conférence des présidents.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quinze.