… c’est la légitimité même des juges et de l’institution qui est rongée.
Un tel raisonnement ne peut valoir uniquement pour un seul type d’élections : il vaut pour toutes les élections !
La deuxième raison réside dans l’évolution qui s’est produite au cours des années passées. Une réforme fondamentale de la démocratie sociale a en effet été menée en deux temps, d’abord par la droite, ensuite par la gauche, de manière à mesurer finement, en 2008, la représentativité syndicale, puis, en 2014, la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers.
Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseillers est la suite logique, la conséquence cohérente et légitime des réformes de la représentativité.
Ni le caractère paritaire de la juridiction prud’homale, ni le nombre de conseils et de conseillers, ni la carte des conseils de prud’hommes ne sont concernés ou affectés. Ce projet de loi vise avant tout à renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, aujourd'hui légèrement pâlissante.
C’est pourquoi une réponse très forte est apportée par ce projet de loi : il s’agit d’adosser cette légitimité aux 5, 4 millions de votants dans le cadre de la mesure de l’audience, soit un nombre supérieur à celui des participants à la dernière élection prud'homale de 2008, qui n’a mobilisé que 4, 9 millions d’électeurs.
Quoi de mieux, de plus fort, solide, représentatif, incontestable et démocratique ?
Car, je tiens à le souligner, il y a bel et bien élection à un moment donné du processus.
En tant qu’ancien sénateur, je me sens autorisé à rappeler que la Haute Assemblée est bien placée pour savoir que le suffrage universel direct n’est pas le seul gage de la légitimité démocratique.
Qu’est-ce que la mesure de l’audience ? C’est l’expression consolidée du suffrage, puisqu’elle prend en compte les suffrages exprimés aux élections professionnelles, ceux recueillis lors des élections professionnelles des salariés des TPE et des élections aux chambres d’agriculture. Le suffrage est partout !
La justice prud’homale, pour être l’émanation du monde du travail, se doit d’être le reflet de cette mesure de l’audience. Tel est le sens de la réforme.
Toutefois, si nous connaissons déjà la représentativité des syndicats de salariés, celle des organisations patronales ne sera connue qu’en 2017, le processus ayant débuté avec la loi du 5 mars 2014.
Procéder à l’élection aujourd’hui, ce serait élire pour deux ans les deux collèges selon des mécanismes différents : cela n’aurait guère beaucoup de pertinence.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de proposer une dernière prorogation de deux ans des mandats des conseillers actuels. Ainsi, l’ordonnance pourra fixer le régime définitif des nouvelles modalités de désignation des conseillers, qui s’appliquera en 2017. Ce régime sera fondé sur la représentativité des organisations syndicales et patronales, les deux étant connues en 2017.
Ce dispositif, je le souligne, a franchi l’épreuve de la constitutionnalité : le Conseil d’État a été consulté, ainsi que le Conseil constitutionnel. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus, mais ne le sont plus aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a estimé que la conformité à la Constitution était respectée. À mon sens, il n’y a donc pas de doute sur ce point.
Je voudrais à présent évoquer rapidement le recours aux ordonnances.
Je sais que le Parlement ne les aime guère, et il a raison. Toutefois, en l’occurrence, ce recours se justifie pleinement, et d’abord au regard de la grande complexité technique du sujet : nous n’allions pas, ici, déterminer précisément le nombre de sièges non seulement par conseil prud’homal, mais aussi par collège et par section. La loi instaurera le principe et le cadre, c’est-à-dire ce qui est primordial.
Surtout, il est essentiel de pouvoir construire la réforme en lien direct avec les partenaires sociaux, puisque c’est avec eux qu’ont été adoptées les précédentes évolutions. L’ordonnance est donc le véhicule le mieux adapté.
Si le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, est adopté, nous mènerons, dès publication de la loi, une large consultation associant toutes les parties prenantes, afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et qui sera mis en œuvre lors du renouvellement de 2017.
Cette réforme contribuera au renforcement des moyens de la démocratie sociale. Les élections prud’homales, il n’est pas déplacé de le rappeler, ce sont 100 millions d’euros, sans compter les coûts supportés par chaque organisation syndicale.
Il ne s’agit pas ici de réformer la justice prud’homale pour faire des économies.