Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en procédure accélérée vise à moderniser le mode de désignation des conseillers prud’homaux à travers une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Son objet est parfaitement circonscrit, car il s’agit non pas de réformer les règles de fonctionnement des conseils prud’homaux, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, mais seulement de remplacer l’élection actuelle par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux, qui est désormais mesurée selon des règles rénovées.
Je rappelle, notamment pour nos nouveaux collègues sénatrices et sénateurs, que la commission des affaires sociales a, le 23 juillet dernier, adopté sans modification ce texte, alors rapporté par notre ancien collègue Jacky Le Menn, auquel je souhaite rendre hommage pour la qualité de son travail.
Je ne reviendrai pas sur les enjeux et la généalogie de ce texte, dont les principes sont connus du Sénat depuis pratiquement un an et qui ont été exposés en détail dans le rapport de notre commission rendu public à la fin de juillet et auquel je vous invite à vous reporter si besoin.
Je voudrais en revanche rappeler très brièvement les raisons qui, à l’issue d’une réflexion entamée il y a plus de quatre ans, ont conduit le Gouvernement à proposer ce texte, avant de vous en présenter le contenu.
Vous le savez, cette élection souffre de trois faiblesses récurrentes, comme l’ont très bien montré M. Jacky Richard, conseiller d’État, et M. Alexandre Pascal, inspecteur général des affaires sociales, dans un rapport réalisé à la demande du gouvernement de François Fillon et publié en 2010.
L’élection prud’homale pâtit tout d’abord d’un fort taux d’abstention, qui s’est élevé en 2008 à 74, 3 %, contre 67, 6 % en 2002 et 37, 4 % en 1979. Seulement 4, 7 millions de salariés ont voté en 2008, ce qui affaiblit la légitimité même de l’institution prud’homale, à laquelle nous sommes tous attachés.
Deuxième faiblesse : cette élection est complexe à organiser. Je rappelle, mes chers collègues, que ce sont les communes qui sont chargées de l’organisation du scrutin prud’homal. En 2008, 9 439 d’entre elles ont été concernées. Elles sont notamment chargées d’établir et de vérifier les listes électorales, en collaboration avec les services déconcentrés du ministère du travail.
Compte tenu de la lourdeur de cette mission, l’Association des maires de France a régulièrement saisi les ministres concernés successifs pour proposer notamment que les communes soient déchargées de l’organisation de cette élection, considérant qu’elle ne leur incombe pas.
D’autres acteurs sont également mobilisés, comme les partenaires sociaux, les entreprises et divers prestataires privés.
Enfin, le coût de cette élection n’est pas négligeable. Si la démocratie « n’a pas de prix », elle a en revanche un coût que l’on peut analyser en toute objectivité. À titre d’exemple, l’enveloppe dégagée pour les élections prud’homales en 2008 s’élevait à 91, 6 millions d’euros, soit un peu moins de la moitié du coût de l’élection présidentielle de 2007, mais trois fois le coût du référendum organisé en 2000 sur le quinquennat présidentiel.
Je voudrais couper court à toute polémique inutile. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait été très clair sur ce point devant notre assemblée : le coût de l’élection prud’homale ne justifie pas à lui seul la réforme proposée par le Gouvernement. Vous l’avez rappelé dans votre intervention.
En vérité, ce coût serait acceptable si aucune élection concurrente n’existait pour désigner les conseillers prud’homaux. Or tel n’est pas le cas compte tenu des dispositifs de mesure de la représentativité des partenaires sociaux que différentes lois ont progressivement mis en place depuis 2008.
Du côté des syndicats, les résultats de l’audience des organisations syndicales auprès des salariés ont été présentés pour la première fois en mars dernier au niveau national et interprofessionnel. Au total, 5, 4 millions de salariés se sont exprimés en faveur des organisations syndicales de leur choix, soit 700 000 salariés de plus qu’aux élections professionnelles.
Du côté patronal, la loi du 5 mars dernier a fixé les critères de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, dont les résultats sont attendus en 2017.
C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de remplacer l’élection des conseillers prud’homaux par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux, qu’ils représentent les salariés ou les employeurs. Celle-ci sera effective dès 2017.
Ce faisant, le Gouvernement entend éviter la coexistence de deux tests de légitimité éventuellement discordants et gagner en simplicité.
D’autres scénarios étaient possibles en théorie, comme l’aménagement du système actuel d’élection au suffrage universel direct ou la création d’un système d’élection ad hoc au suffrage universel indirect fondé sur une recomposition substantielle du corps électoral. Mais le Gouvernement a estimé que ces pistes de réflexion comportaient au final plus d’inconvénients que d’avantages.
Venons-en plus précisément au contenu du projet de loi tel que modifié par la lettre rectificative du 16 juillet dernier.
L’article 1er habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance dans les dix-huit mois qui suivent la promulgation de la loi pour remplacer l’élection des conseillers prud’homaux par un dispositif de désignation fondé sur l’audience des organisations syndicales et patronales.
Des protections sont prévues : l’ordonnance devra respecter l’indépendance, l’impartialité et le caractère paritaire de la juridiction prud’homale.
En outre, son périmètre est défini avec précision, à travers neuf items, dont les modalités de répartition des sièges par organisation dans les sections, collèges et conseils, les conditions des candidatures et leurs modalités de recueil et de contrôle, ou encore la procédure de nomination des conseillers prud’hommes.
Le projet de loi de ratification de cette ordonnance devra être déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant sa publication.
La lettre rectificative au projet de loi du 16 juillet dernier a notamment supprimé le dixième item de l’ordonnance, relatif au dispositif transitoire pour la période allant de 2015 à 2017. Celui-ci aurait consisté, d’une part, en une désignation des conseillers du collège salariés en fonction des résultats des élections professionnelles de 2008 à 2012, d’autre part, en une désignation des conseillers du collège employeurs selon des règles transitoires ad hoc, puisque la représentativité de ce collège ne pourra être établie qu’en 2017.
Après concertation avec les partenaires sociaux et par souci de simplicité, le Gouvernement a finalement proposé de proroger une nouvelle fois le mandat actuel des conseillers prud’hommes de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard. Le nouveau système de désignation des conseillers prud’hommes sera alors entièrement fondé sur la représentativité des organisations, y compris du côté patronal.
C’est pourquoi la lettre rectificative a introduit dans le projet de loi un deuxième article tendant à proroger les mandats actuels des conseillers prud’homaux, à fixer le plafond d’autorisations d’absence pour permettre aux conseillers représentant les salariés de suivre des formations liées à leur mandat et à aménager les règles en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d’une section d’un conseil de prud’hommes.
En définitive, ce texte pragmatique prévoit simplement que la désignation des conseillers prud’homaux se fondera sur le mécanisme de mesure de l’audience des partenaires sociaux que le législateur a mis en place, étape par étape, depuis 2008 et qui fonde la légitimité même du dialogue social dans notre pays.
À l’instar de notre ancien collègue Jacky Le Menn, je pense que la réforme proposée par le Gouvernement présente de solides garanties de constitutionnalité. L’assemblée générale du Conseil d’État, lors de l’examen de la lettre rectificative, a en effet estimé que, compte tenu de la nouvelle circonstance de droit que constitue le volet relatif à la représentativité patronale apparue dans la loi du 5 mars dernier, cette deuxième et ultime prolongation du mandat des conseillers prud’homaux était justifiée.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2010-76 QPC du 3 décembre 2010 « M Roger L. », a déclaré constitutionnel un dispositif de désignation des assesseurs des tribunaux des affaires de sécurité sociale très proche de celui que propose le Gouvernement dans le présent projet de loi.
Cependant, certaines difficultés techniques restent à résoudre. Je pense notamment à la nécessité de prendre en compte les rapports de forces spécifiques dans certains ressorts de conseils des prud’hommes, ou encore à l’audience des employeurs du secteur dit « hors champ ». Mais je fais confiance à vos services, monsieur le ministre, pour dégager des solutions dans les mois qui viennent, en concertation avec les partenaires sociaux, ainsi que vous vous y êtes engagé devant la commission.
Il faudra également sensibiliser rapidement les salariés pour qu’ils participent massivement, à l’avenir, dans leurs entreprises, aux élections professionnelles, qui fondent non seulement la légitimité des syndicats dans le dialogue social, mais qui permettront également, grâce à ce projet de loi, de désigner les conseillers représentants les salariés dans les conseils des prud’hommes.
Enfin, je voudrais vous faire part, monsieur le ministre, d’un souhait qui va au-delà du présent projet de loi : il est indispensable à mes yeux que le Gouvernement réserve une suite au rapport remis le 16 juillet par Alain Lacabarats, président de la chambre sociale à la Cour de cassation, à Mme le garde des sceaux sur l’avenir de la juridiction du travail. Dans la mesure où vous-même y avez fait allusion, j’en conclus que vous vous attacherez à ce qu’il en soit ainsi.
En effet, parent pauvre du système juridictionnel français, les conseils des prud’hommes souffrent de nombreux dysfonctionnements qui nécessitent des mesures budgétaires, réglementaires et législatives afin de répondre aux attentes de nos concitoyens, notamment les plus fragiles.
En conclusion, mes chers collègues, dans la continuité de la position adoptée par la commission des affaires sociales le 23 juillet dernier, je vous invite à voter le présent projet de loi.