Intervention de Jean Desessard

Réunion du 14 octobre 2014 à 14h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Nous en convenons, 91, 6 millions d’euros, c’est une somme importante. Toutefois, lorsqu’il y a une dépense, la question est de savoir à quoi elle est destinée : ce n’est pas un grand trou où l’argent tombe ! Derrière une dépense comme celle-ci, monsieur le ministre, combien y a-t-il de personnes embauchées pour l’occasion ? Quelle est l’amélioration du pouvoir d’achat des employés municipaux ? Tout cela doit quand même compter !

Concernant l’abstention, chacun le reconnaît, celle-ci est réelle et importante – 74, 37 % en 2008 –, mais elle ne justifie en rien la suppression de ces élections ! À ce compte, pourquoi ne pas supprimer les élections européennes, qui ne mobilisent pas les foules non plus puisqu’on a enregistré 56, 5 % d’abstention aux élections de 2014 ? Pourquoi ne pas désigner nos représentants européens en fonction du score des partis à l’élection présidentielle ? Je vais reprendre vos termes, monsieur le ministre, qui sont plus élégants, plus technocrates, dirai-je même, que les miens : pourquoi ne pas adosser la représentativité des élections européennes aux scores obtenus à l’élection présidentielle ? §

Il serait plus judicieux de s’interroger aujourd’hui sur les causes de cette abstention : l’éloignement des bureaux de vote, les pressions subies par certains employés pour rester à leur poste au moment du vote ou encore la crise du syndicalisme français. (

Il convient de trouver de nouvelles voies pour susciter l’intérêt des électeurs au lieu d’opter simplement pour la suppression du scrutin.

Enfin, la complexité de l’organisation du scrutin constitue un réel problème, mais il aurait mérité un débat au sein de nos assemblées au lieu du dépôt d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance. Ce sont aujourd’hui les communes qui sont chargées d’organiser le scrutin, d’établir et valider les listes électorales. Plus de 9 400 d’entre elles ont été concernées en 2008. Sans doute la lourdeur de ces procédures ne devrait-elle plus leur incomber. Doit-on transférer l’organisation à d’autres acteurs ? Le Sénat aurait pu en discuter.

La piste de la généralisation du vote électronique aurait pu être abordée, afin de simplifier l’organisation et de permettre à chacun de voter plus facilement, le tout sans surcharger la tâche des communes.

Telles sont les réflexions que m’inspirent les trois arguments invoqués par le Gouvernement pour justifier la suppression de cette élection. Le coût financier n’est pas une bonne raison, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre. L’argument de l’abstention ? Si on l’étend aux élections politiques, on ne va pas être déçu ! Pour ce qui est de la complexité, nous aurions pu en discuter et réformer le mode d’élection des conseillers prud’hommes.

Il est proposé que les élections professionnelles servent de base pour mesurer la représentativité des employés et des employeurs aux prud’hommes. Cette proposition pose de sérieux problèmes de légitimité et de représentativité.

S’agissant de la légitimité, le projet du Gouvernement est en rupture complète avec la tradition de la justice prud’homale qui veut que les juges soient directement élus par leurs pairs. En se fondant sur les élections professionnelles, les magistrats aux prud’hommes seront désignés indirectement, ce qui peut fragiliser la légitimité de leurs décisions.

Avec cette proposition, le Gouvernement mélange les enjeux de deux élections bien distinctes. Les élections prud’homales sont des élections nationales, bénéficiant d’une certaine couverture médiatique, dans lesquelles les candidats mènent une vraie campagne électorale sur leur circonscription, avec des thématiques communes à tous les travailleurs.

Les élections professionnelles, quant à elles, se tiennent dans chaque entreprise, à des dates différentes et mettent en jeu des thématiques principalement internes. Il n’est pas possible de se fonder sur les résultats d’une multitude d’élections très locales pour désigner des conseillers ayant vocation à assurer la représentation et la défense de tous les salariés et de tous les employeurs.

Enfin, de sérieux problèmes de représentativité se posent, aussi bien du côté des salariés, avec les chômeurs et les précaires, que du côté des employeurs, avec les structures de l’économie sociale et solidaire.

Actuellement, les chômeurs involontairement privés d’emploi – il y en a qui cherchent du travail, monsieur le ministre ! – ont la possibilité de voter aux élections prud’homales, s’ils en font la demande. En revanche, ils sont totalement exclus des élections professionnelles, qui ne concernent que les salariés ayant un emploi, et cette mise à l’écart les éloigne encore davantage du monde du travail.

La légitimité des organisations syndicales pourrait également se trouver affaiblie du fait de l’exclusion des chômeurs et des précaires.

Car le même problème se pose pour les précaires : pour voter aux élections prud’homales, il suffit de relever du droit du travail ou, si l’on est chômeur, d’en avoir relevé, tandis que pour les élections professionnelles, il faut avoir travaillé au minimum trois mois dans l’entreprise.

Quant aux employeurs de l’économie sociale et solidaire, comment mesurer efficacement leur représentativité ? Il n’est pas possible de se fonder sur les branches professionnelles, car ces structures sont disséminées dans tous les secteurs. Le présent projet de loi ne répond pas à cette interrogation. Il laisse ainsi planer une incertitude quant à la place de l’économie sociale et solidaire dans la justice professionnelle.

En conclusion, cette réforme, aussi bien par sa justification que par la solution qui est proposée, ne correspond pas à la vision de la démocratie sociale défendue par les écologistes. Nous souhaitons au contraire renforcer la participation et l’implication de tous les travailleurs dans le dialogue social. La suppression d’une élection pour des raisons financières et organisationnelles est clairement incompatible avec cette ambition.

Monsieur le ministre, nous entendons de plus en plus souvent des membres du Gouvernement affirmer qu’il n’y a plus de tabous, …

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