Mais l’abstention ne peut, à elle seule, justifier la suppression d’un scrutin.
La deuxième raison avancée est que l’organisation de cette élection serait trop complexe. L’argument semble également léger : on ne supprime pas un scrutin pour cela ; le cas échéant, on le simplifie ! L’un des scénarios proposés dans le rapport de MM. Richard et Pascal, rendu en avril 2010, tendait d’ailleurs à faire de l’élection prud’homale une consultation entièrement électronique.
Troisième raison : l’élection serait coûteuse. Bien sûr, les chiffres mentionnés par notre rapporteur interpellent : le coût de cette procédure atteint presque la moitié de celui de l’élection présidentielle. Toutefois, il peut paraître choquant de mesurer la démocratie à l’aune de son coût.
Pris isolément, ces motifs n’emportent pas d’emblée la conviction. Cumulés, peut-être un peu plus.
Il nous semble cependant que la justification de la suppression de l’élection prud’homale est à chercher ailleurs : les réformes intervenues en matière de représentativité syndicale depuis 2008 pourraient tout simplement avoir rendu cette élection obsolète.
La représentativité syndicale a été en effet substantiellement démocratisée par trois lois. Pour l’audience syndicale, il s’agit des lois du 20 août 2008 et du 15 octobre 2010. Cette dernière, en particulier, a institué une mesure de l’audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés, qui n’élisent donc pas de délégués du personnel. En application de ces réformes, l’audience des organisations syndicales auprès des salariés a été mesurée pour la première fois au niveau interprofessionnel en mars 2013.
Les scores des centrales syndicales aux élections professionnelles pour les entreprises de plus de onze salariés, ceux des salariés des TPE et des employés à domicile ainsi que ceux des salariés agricoles, notamment aux élections aux chambres d’agriculture, ont été agrégés. Tous les éléments sont ainsi réunis pour disposer d’une bonne mesure de la représentativité syndicale.
Concernant l’audience patronale, c’est la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale qui l’a modernisée. Ce texte a, en particulier, ouvert la voie à une meilleure représentation patronale du secteur dit « hors champ », dont font partie des organisations telles que l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UNAPL, l’Union nationale des professions libérales, ou la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.
Il est donc faux de prétendre que la suppression de l’élection prud’homale porterait aujourd’hui une atteinte fatale à la démocratie sociale. Avant ces réformes, cet argument était sérieux, puisque cette consultation était alors la seule élection professionnelle véritablement universelle, c’est-à-dire ouverte à tous les actifs. Aujourd’hui, il ne vaut plus que pour les demandeurs d’emploi. Cependant, là encore, les faits parlent d’eux-mêmes : en 2008, seuls 5 % d’entre eux ont voté.
Dans ces conditions rénovées, la désignation des délégués prud’homaux par les syndicats peut apparaître comme une sorte d’élection indirecte. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il a été précisé, et ce n’est pas anodin, les candidatures elles-mêmes seront ouvertes à tous les actifs, mêmes les non-syndiqués ; les centrales pourront présenter sur leurs listes des travailleurs qui n’en seront pas adhérents.
Si la réforme semble donc se justifier sur le plan démocratique, restait à en organiser concrètement les modalités. La première mouture du présent projet de loi prévoyait un système transitoire pour la période allant de 2015 à 2017, le temps que la réforme de l’audience patronale entre pleinement en vigueur. Nous ne pouvons que soutenir la lettre rectificative qui a supprimé ce système en proposant de proroger de deux ans le mandat des actuels conseillers. On gagne ainsi en simplicité.
Je ne m’étendrai pas sur l’argument de l’éventuelle inconstitutionnalité de cette disposition, qui semble avoir été écartée tant par le Conseil d’État que par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Demeure l’éternelle question des ordonnances. Vous savez à quel point nous sommes prompts à dénoncer leur utilisation systématique et le dessaisissement du Parlement qu’elles impliquent. Mais rien de tel en l’occurrence : le sujet est à la fois technique et, pour une part au moins, réglementaire. Dans ce cas de figure, le recours aux ordonnances nous semble pouvoir se justifier, ne serait-ce que pour ne pas encombrer inutilement l’agenda du législateur.
En effet, si ce sujet est important sur le plan des principes, il ne figure pas au nombre des réformes prioritaires et vitales pour la France qui mériteront, j’en suis certain, des débats au sein de cette assemblée. Le groupe UDI-UC soutiendra donc le présent projet de loi. §