L’autre question concerne les salariés non syndiqués, qui pouvaient jusqu’à présent constituer des listes.
Le dispositif proposé n’est pas si nouveau puisqu’il existe dans le cadre des tribunaux des affaires de sécurité sociale. En effet, les assesseurs sont désignés par ordonnance du président de la cour d’appel sur une liste établie par la sécurité sociale et la MSA – mutualité sociale agricole –, sur proposition, notamment, des organisations représentatives d’employeurs et de salariés. Nous ne sommes donc pas en terre inconnue !
Saisi en 2010, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs estimé que « le pouvoir de présentation des candidats reconnu aux organisations professionnelles ne méconnaît pas le principe d’égal accès aux emplois publics ». Il a aussi considéré qu’il n’y a pas de risque objectif qu’un justiciable syndiqué soit jugé différemment d’un justiciable non syndiqué dans la mesure où le droit français proscrit tout mandat impératif.
Voilà qui répond clairement, à notre avis, aux inquiétudes exprimées ici ou là, ainsi qu’à cette tribune il y a quelques minutes.
En définitive, ce projet de loi apporte des réponses aux questions urgentes posées par l’abstention massive aux élections prud’homales, aux difficultés et au coût de leur organisation, et ce dans le respect du dialogue social, en prenant appui sur le caractère incontestable des élections de représentativité.
Au-delà de ce texte, c’est vers l’avenir des juridictions prud’homales que nous devons maintenant nous tourner. Les difficultés ne doivent pas être niées. Elles sont d’ailleurs clairement décrites dans le rapport que Mme la garde des sceaux a demandé à M. Lacabarats, président de chambre de la Cour de cassation. Dans sa lettre de mission, Mme Taubira citait notamment « la nécessité d’entreprendre les réformes nécessaires dans leur intérêt pour préserver les particularismes des conseils de prud’hommes ». Dieu sait si le sujet est d’actualité !
Un certain nombre de constats montrent qu’il convient de porter un regard attentif sur cette juridiction.
Le taux de conciliation n’est plus que de 5 %, en lien direct et évident avec la dureté des rapports sociaux dans un contexte de chômage aigu.
Plus problématique, le taux d’appel est de 60 %, ce qui constitue un taux de contestation beaucoup plus élevé que celui qui est enregistré pour les autres juridictions de première instance.
Enfin – et c’est sans doute le point le plus ennuyeux –, les dysfonctionnements de la justice prud’homale, qui sont d’abord préjudiciables aux justiciables, le sont aussi pour l’État, régulièrement condamné à ce titre. En tête des motifs de condamnation, et donc de pénalisation financière, figurent les délais de procédure, qui peuvent atteindre cinq ans dans les conseils les plus sollicités. Il est bien évident que le manque de moyens en est une cause majeure.
Même si cette question n’est pas l’objet direct de notre débat, qui est circonscrit au mode de désignation des conseillers, il semble évident que les greffes doivent être renforcés, que les conseillers doivent disposer d’un temps suffisant pour instruire les dossiers et rédiger les conclusions et que ce temps doit être indemnisé à hauteur du travail accompli.
De plus, la formation des conseillers prud’hommes doit être étoffée, avec la création d’une formation initiale et d’une formation continue sans doute supérieure aux trente-six jours aujourd’hui octroyés sur cinq ans. Ce sujet est central, comme l’ont d’ailleurs souligné les partenaires sociaux lors des auditions menées par notre commission.
C'est la raison pour laquelle je tiens à reprendre ici une proposition du premier rapporteur, Jacky Le Menn, qui avait souhaité explicitement que « les sommes économisées par le remplacement des élections prud’homales par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux servent essentiellement à financer la démocratie sociale » – je préciserai : son fonctionnement plus que sa visibilité – « ou la formation des conseillers prud’hommes ».
Monsieur le ministre, en écoutant votre intervention liminaire, j’ai compris que vous étiez particulièrement réceptif à cette proposition. Nous serons donc attentifs aux suites qui pourraient y être données.
Les moyens et la formation sont des points absolument fondamentaux : ils sont la traduction concrète de notre attachement très profond au paritarisme et à une justice du travail qui conserve toute sa spécificité.
Il n’y a pas lieu aujourd’hui de diminuer le rôle des conseils de prud’hommes. Le contexte social que nous affrontons nous fait, bien au contraire, obligation de veiller à ce que ceux-ci soient en mesure de remplir pleinement leur mission, dans l’intérêt majeur du monde du travail.
Pour conclure, il ne nous semble pas que l’évolution vers la désignation des conseillers prud’hommes porte atteinte à la démocratie. C’est même probablement l’inverse. §La réforme qui nous est proposée constitue un progrès démocratique puisque la loi du 20 août 2008 permet de tenir compte du vote des salariés à des élections qui les concernent au premier chef et qui ont vocation à mesurer la représentativité.
Dès lors, quoi de plus démocratique que d’attribuer les sièges de conseillers prud’hommes, en fonction des résultats, à telle ou telle organisation ?
Selon nous, la démocratie sociale se mesure non pas au nombre d’élections proposées aux salariés, mais à la cohérence d’ensemble de celles-ci. C’est bien parce que cette réforme est cohérente et qu’elle constitue, à nos yeux, un progrès démocratique que le groupe socialiste votera ce projet de loi.