Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour aborder un sujet qui ne souffre aucune polémique partisane – l’adoption à l’unanimité de ce projet de loi d’habilitation par la commission en atteste, et j’en suis heureux.
Oui, le premier projet de loi que j’ai l’honneur de présenter devant vous est un projet de loi d’habilitation. J’aurais préféré qu’il en soit autrement, mais chacun comprend, je le crois, la nature spécifique de ce texte, qui consiste à adapter notre législation nationale au nouveau code mondial antidopage. La voie de l’ordonnance se justifie, parce que nous devons agir vite, avant le 1er janvier 2015, et parce que ce texte technique fait l’objet, me semble-t-il, d’un large consensus.
Il nous faut agir vite, car la France veut se montrer exemplaire dans la lutte contre le dopage, et je sais à quel point le Sénat s’est investi sur ces questions.
Notre pays s’est engagé à respecter les principes du code mondial antidopage en signant la convention internationale contre le dopage dans le sport de l’UNESCO du 19 octobre 2005, dont la ratification a été autorisée à l’unanimité par le Parlement.
Nous voulons évidemment respecter nos engagements internationaux, d’autant plus que Valérie Fourneyron, mon prédécesseur, a été investie, le 1er janvier 2013, par les États parties du Conseil de l’Europe pour les représenter au sein du comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA. Je saisis cette occasion pour saluer l’investissement de Valérie Fourneyron sur ces questions, ainsi que sa récente élection à la présidence du comité santé, médecine et recherche de l’agence.
Outre cette exigence de rapidité, le recours à l’ordonnance se justifie par la nature particulièrement technique de ce texte.
Les modifications apportées au code mondial antidopage ne corrigent pas l’économie générale de la lutte contre le dopage, mais visent à renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions : un équilibre entre prévention et répression. L’absence d’amendement sur ce texte tend d’ailleurs à montrer qu’il n’est pas l’occasion de revoir en profondeur notre législation.
Les dernières modifications du code mondial n’impliquent pas systématiquement de rectification législative, mais elles en entraînent tout de même un certain nombre de corrections – sept principalement – à effectuer en priorité, que je souhaite vous présenter dans les meilleurs délais.
La première priorité est l’aide substantielle à la découverte d’infractions.
La commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, dont le rapporteur était Jean-Jacques Lozach, que je salue, a bien montré que l’avenir de la politique de la lutte contre le dopage résidait dans l’utilisation de modes de preuves non analytiques.
Demain, les témoignages et les échanges d’informations seront au moins aussi importants que les contrôles urinaires ou sanguins. L’affaire Lance Armstrong, que chacun a en mémoire, a montré que ce sportif avait été sanctionné avant tout sur la base de témoignages confondants d’anciens coéquipiers et soigneurs.
Pour faciliter les enquêtes, le nouveau code mondial élargit ainsi les possibilités d’aménager les sanctions des sportifs.
Il s’agit d’encourager les sportifs, mais aussi tous les autres acteurs, à fournir ce que l’on appelle « une aide substantielle » permettant de découvrir une violation des règles antidopage ou une infraction pénale. À cette fin, des sursis seront autorisés en fonction de la nature et de la qualité de la coopération des sportifs. Aujourd’hui, le code du sport ne prévoit pas de disposition mettant en œuvre ces stipulations du code mondial antidopage. Il devra donc être modifié dans ce sens.
La deuxième priorité est la délivrance des autorisations à usage thérapeutique.
Aujourd’hui, seules les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, les ONAD, sont habilitées à délivrer des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques pour les sportifs relevant de leur champ. Avec le nouveau code mondial, les organisations responsables de grandes manifestations auront également cette compétence.
La troisième priorité est l’allongement du délai de prescription. C’est une évolution importante, qui aura des conséquences sur notre code du sport : le délai de prescription des actions disciplinaires, qui était de huit ans, est désormais porté à dix ans. Cela permettra d’utiliser au mieux les nouvelles techniques d’analyse sur les échantillons prélevés dans des compétitions antérieures.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la peur du gendarme, en l’occurrence celui du futur, est l’un des outils pour sécuriser les manifestations au présent. Le CIO s’attache ainsi à conserver de très nombreux prélèvements pour des analyses postérieures régulières.
La quatrième priorité est l’interdiction intimée aux sportifs de solliciter des personnes ayant fait l’objet de sanctions. Le code mondial et notre code du sport identifient les infractions qui peuvent être commises par les sportifs : détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou plusieurs substances ou méthodes interdites ; utiliser ou tenter d’utiliser une ou des substances ou méthodes interdites ; participer ou tenter de participer à un trafic.
Une autre infraction est prévue par le nouveau code mondial : s’associer à une personne qui a fait l’objet d’une sanction prononcée par une fédération ou une organisation nationale de lutte antidopage, ou encore à titre pénal. Là encore, c’est essentiel dans la prévention du dopage.
Trop de sportifs ont encore, dans leur encadrement, des personnes qui font ou ont fait l’objet d’une sanction antidopage. Cela ne peut pas durer et les fédérations doivent pouvoir prévenir ce type d’associations dangereuses entre sportifs et dopeurs. Le code du sport devra être modifié pour intégrer, à l’article L. 232-9, cette évolution.
La cinquième priorité est la création d’une nouvelle infraction : la complicité en matière de trafics de substances ou méthodes dopantes. Le nouveau code mondial antidopage 2015 crée une nouvelle infraction destinée aux personnes qui se seront rendues complices, soit d’un sportif qui a détenu ou tenté de détenir, a fait usage ou tenté de le faire, d’une méthode ou substance interdite, ou s’est soustrait ou a tenté de se soustraire à un contrôle, soit d’une personne qui a participé ou tenté de participer à un trafic.
La complicité est entendue dans le code mondial comme l’assistance, l’incitation, la contribution, la conspiration, la dissimulation ou toute autre forme de relation qui revêt un caractère intentionnel, conduisant à une violation ou une tentative de violation des règles antidopage. La sanction possible est comprise entre deux ans et quatre ans de suspension en fonction de la gravité de l’infraction.
La sixième et avant-dernière mesure à transposer concerne l’implication des fédérations sportives nationales et du personnel d’encadrement du sportif dans les enquêtes menées par l’Agence française de lutte contre le dopage.
Avec le nouveau code mondial, les fédérations internationales sont tenues d’exiger des fédérations nationales qu’elles communiquent à leur organisation nationale de lutte antidopage, ainsi que, naturellement, à la Fédération internationale, toute information sur une violation d’une règle antidopage et qu’elles coopèrent aux enquêtes menées par l’ONAD ou la Fédération internationale.
Le code du sport intégrera, par conséquent, une nouvelle disposition législative imposant aux fédérations sportives de signaler à l’Agence française de lutte contre le dopage et à la Fédération internationale dont elles relèvent tout manquement aux dispositions relatives à la lutte contre le dopage.
Là encore, il s’agit à la fois d’améliorer l’échange d’informations et de protéger le sportif d’un entourage potentiellement dangereux, potentiellement néfaste. La coopération de tous est la clef de la réussite de la lutte contre le dopage.
La septième et dernière mesure concerne les contrôles antidopage effectués au domicile du sportif entre 21 heures et 6 heures du matin. Contrairement à la réglementation en vigueur, le code mondial prévoit désormais que « tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment et en tout lieu ».
Cette disposition implique la possibilité pour les personnes habilitées à procéder aux contrôles d’accéder au domicile du sportif, notamment de 21 heures à 6 heures du matin. L’évolution de l’article L. 232-14 du code du sport qui s’ensuivra devra donc s’opérer dans le respect du principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile.
Ce sujet est délicat juridiquement et nous impose des consultations complémentaires. Dès que celles-ci seront abouties, je m’engage à ce que le projet d’ordonnance soit transmis pour information aux parlementaires.
Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales évolutions qu’entraînera l’ordonnance. Elles ne devraient pas susciter de controverse. En effet, quelle que soit la travée sur laquelle nous siégeons, nous nous accordons pour considérer que le dopage est un danger sanitaire et un fléau moral. Ces dispositions, qui visent à lutter plus efficacement contre cette dérive, vont dans le bon sens. Les sportifs doivent être protégés, du haut niveau jusqu’aux amateurs, des amateurs jusqu’au haut niveau.
D’autres mesures sont prises parallèlement, dans le même objectif.
À la suite des préconisations du rapport d’enquête du Sénat sur l’efficacité de la lutte contre le dopage publié en juillet 2013, les anciens correspondants régionaux sont désormais des correspondants interrégionaux antidopage, ou CIRAD, au nombre de treize.
Ils sont spécialisés et uniquement affectés à la lutte contre le dopage. Ils sont au cœur de l’échange d’informations entre les acteurs de l’antidopage : autorités sportives, de lutte contre le dopage, de police ou de gendarmerie, aux échelons national et international.
En matière de dopage, le sentiment de défiance est un ogre qui se nourrit de chaque affaire, de chaque manquement, de chaque suspicion. Il est insatiable et, plus il mange, plus il forcit ! L’objectif de cette transposition est de le mettre à la diète.
Dans tous les domaines, nous devons mettre en place les règles et les procédures qui rassurent nos concitoyens quant au respect des valeurs de justice et de probité, a fortiori par ceux dont la fonction ou la popularité confie une responsabilité supplémentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous adopterez ce texte à l’unanimité et que je pourrai rapidement revenir devant la représentation nationale avec un projet de loi.