Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a déposé au début du mois de juillet dernier un projet de loi l’habilitant à prendre les mesures relevant du domaine de la loi, mesures nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du nouveau code mondial antidopage.
Ce nouveau code a été adopté lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s’est tenue en novembre 2013 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il s’agit de la troisième version de ce code, qui a été adopté pour la première fois en 2003. Il est prévu qu’elle entre en vigueur le 1er janvier 2015.
Ce projet de loi, que votre commission de la culture, de l’éducation et de la communication a examiné le 16 juillet dernier, pose un certain nombre de questions. En premier lieu, quelle est la portée juridique de cette nouvelle version du code mondial antidopage ? Faut-il la transcrire dans notre droit interne et, dans l’affirmative, dans quel délai ? En deuxième lieu, quels sont les apports de ce nouveau code mondial antidopage ? En troisième lieu, quels sont les éventuels risques que pourrait présenter ce texte ? Enfin, quelles sont les principales dispositions qui devraient figurer dans l’ordonnance et quelle a été la position de votre commission à l’issue de l’examen de ce projet de loi ?
En ce qui concerne, tout d’abord, la portée du nouveau code mondial antidopage et la nécessité de le transcrire dans notre ordre juridique interne, il convient de rappeler que le statut du code mondial antidopage est particulier, puisque, selon les termes mêmes de la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport signée à Paris le 19 octobre 2005 et ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007, « les États parties s’engagent à adopter des mesures appropriées [...] conformes aux principes énoncés dans le code mondial antidopage » et « à respecter les principes énoncés dans le code ». Cela signifie que le texte du code ne fait pas partie intégrante de la convention et ne crée aucune obligation contraignante en droit international pour les États parties.
Concernant les délais de transcription, cela signifie également qu’il n’y a pas d’obligation pour la France de transcrire dans son droit interne les dispositions nouvelles du code mondial antidopage au 1er janvier 2015, date de son entrée en vigueur.
On peut rappeler à cet égard que, dans le passé, le législateur n’a pas hésité à surseoir à la transcription des précédentes versions du code. Ainsi, la version du code entrée en vigueur le 1er janvier 2009 n’est devenue pleinement effective que deux ans plus tard, à la suite de l’adoption de l’ordonnance du 14 avril 2010 et à la publication du décret du 13 janvier 2011.
Si la transcription du nouveau code n’est donc pas une obligation juridique, elle n’en demeure pas moins, à nos yeux, une nécessité politique, et j’oserai même dire éthique, morale, déontologique.
La lutte contre le dopage est devenue une nécessité universelle, ne serait-ce que pour protéger nos propres sportifs à la fois d’une concurrence déloyale et de la tentation de se délocaliser sous des cieux moins regardants. L’exemplarité de la France et de l’Europe dans l’application des règles internationales constitue la meilleure garantie pour inciter l’ensemble des autres pays signataires de la convention de 2005 à être eux-mêmes irréprochables.
La transcription des principes du nouveau code antidopage en droit français apparaît d’autant plus nécessaire que la France accueillera le mois prochain sur son sol le comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, comité auquel appartient, comme représentante de l’Europe, Valérie Fourneyron, ancienne ministre en charge des sports.
Après avoir évoqué la question de la portée du nouveau code et de son délai de transcription, j’en arrive à l’interrogation concernant son intérêt et ses apports. À ce sujet, on peut observer que les modifications apportées au nouveau code mondial ne changent pas l’économie générale du dispositif, mais visent, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité ».
Les modifications apportées sont trop nombreuses pour être toutes citées. La plupart sont d’ailleurs très techniques et ne nécessitent pas de transcription législative.
Mes chers collègues, permettez-moi néanmoins d’évoquer devant vous quelques-unes de ces dispositions, qui illustrent bien, à mon sens, les progrès qui ont été accomplis et l’intérêt de transcrire ce nouveau dispositif.
Concernant tout d’abord les périodes de suspension, un consensus s’est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans. Ce principe prévu par l’article 10.2 devient donc la norme, sauf si le sportif peut établir que la violation des règles n’était pas intentionnelle.
Le nouveau code mondial antidopage met ensuite l’accent sur l’importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage.
Plusieurs articles du nouveau code sont ainsi modifiés pour favoriser la coopération et les échanges d’informations entre les différentes institutions qui concourent à cette lutte. On met en particulier l’accent sur les preuves non objectives, non scientifiques, comme les témoignages, les enquêtes de police et de gendarmerie, le rôle des sportifs repentis, l’action de divers organismes, en particulier celle de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, l’OCLAESP. En bref, il s’agit d’aller bien au-delà des seuls contrôles. Je crois que, en la matière, nous avons su tirer les enseignements de l’affaire Armstrong.
N’oublions pas, en effet, que jamais Lance Armstrong n’a été contrôlé positif, tout au moins officiellement, et que ce sont surtout des témoignages qui ont conduit au dénouement de cette affaire en janvier 2013.
Enfin, le délai de prescription a été porté à dix ans, contre huit ans dans le code actuel, afin de tenir compte du fait qu’il faut aujourd’hui beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.
Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d’encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Le nouveau code sanctionne ainsi les « associations interdites », termes qui désignent le fait pour un sportif de s’associer à des encadrants suspendus ou condamnés pour des faits en lien avec le dopage.
Un point essentiel concerne également la recherche d’un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, les ONAD.
Ce point aurait sans doute mérité des développements plus importants en vue de reprendre, par exemple, les propositions formulées par la commission d’enquête sénatoriale sur le dopage, laquelle a rendu son rapport en juillet 2013. Je remercie d’ailleurs M. le ministre d’avoir mentionné ce rapport à plusieurs reprises.
Dans les faits, les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées.
On peut toutefois mentionner que le nouveau code ouvre la possibilité pour une ONAD d’effectuer des contrôles en dehors des lieux des manifestations organisées par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations. Sur ce point, il existe une réelle marge de progression. Mon sentiment personnel est d’ailleurs le même pour ce qui concerne le secteur de la prévention en général, ainsi que le rôle des organisations nationales antidopage.
Au final, comme je vous le disais, les avancées sont réelles, même si elles ne sont pas révolutionnaires.
Il en est autrement des risques juridiques attachés à ce nouveau code, qui ont été soulignés tant par l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, que par le Conseil d’État. Ces risques constitutionnels, qui justifiaient toute l’attention de notre commission, sont de trois ordres et d’importance différente.
Le premier problème tient à la compétence reconnue par le nouveau code au tribunal arbitral du sport, le TAS. Comme l’indique de manière constante le Conseil d’État, il n’est pas possible de soumettre au contrôle d’une autorité internationale les décisions d’autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu’il s’agisse d’instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l’Agence française de lutte contre le dopage.
Cette difficulté était déjà présente dans les précédentes versions du code et une solution « équivalente » en termes de garanties a été trouvée, consistant à ouvrir à l’Agence mondiale antidopage, l’AMA, et aux fédérations internationales la possibilité de contester, devant la juridiction administrative, les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou par l’AFLD. L’ordonnance ne devrait donc pas transcrire dans notre droit cette disposition concernant la compétence du tribunal arbitral du sport.
La deuxième difficulté est peut-être plus sérieuse, puisqu’elle a trait à l’automaticité des sanctions prévue par l’article 10 du nouveau code mondial antidopage, automaticité qui vient heurter le principe d’individualisation des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour contourner cet obstacle, le Conseil d’État a estimé dans son avis que les dispositions du nouveau code devaient « être lues comme permettant d’instaurer un régime de sanction maximale », ce qui conduit à éviter tout risque d’inconstitutionnalité.
Le dernier problème est le plus considérable, puisqu’il concerne l’obligation faite par le nouveau code à tous les sportifs de se rendre disponibles pour des contrôles « à tout moment et en tout lieu ».
Si l’on comprend bien l’intérêt de ce principe de totale disponibilité pour éviter des pratiques dopantes en dehors des temps de la compétition effective, force est de reconnaître qu’il heurte de front deux principes essentiels de notre droit : l’inviolabilité du domicile, qui est constitutionnellement garantie entre vingt et une heures et six heures, et le droit au respect de la vie privée, lequel est reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme.
L’exposé des motifs, comme le texte même du projet de loi, se contente de mentionner que la transcription devrait se faire dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, une précaution qui a été ajoutée par le Conseil d’État, mais qui reste à notre sens un peu vague. J’ai donc demandé au Gouvernement de plus amples informations sur le dispositif envisagé pour transcrire cette mesure, en laissant entendre que nous ne pouvions nous satisfaire d’un engagement trop flou sur le respect des principes constitutionnels.
Je dois saluer, à cet égard, la qualité des échanges que nous avons eus avec le cabinet du ministre et l’administration du ministère des sports. Ils ont permis que me soit transmis l’avis du Conseil d’État, lequel fixe le cadre précis de la transcription que le Gouvernement s’est engagé à respecter.
Le dispositif qui figurera dans l’ordonnance devrait ainsi prévoir que le contrôle après vingt et une heures ne pourra avoir lieu qu’avec le consentement du sportif. Je rappelle que nous sommes en l’occurrence en dehors de toute procédure judiciaire concernant, par exemple, le trafic de produits illicites ; il s’agit simplement d’un contrôle relatif à la lutte antidopage.
Ce dispositif prévoit également que le contrôle devra se limiter au prélèvement d’échantillons et qu’il devra garantir une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs, par exemple le droit à l’intimité, et les enjeux liés à la lutte contre le dopage.
Cette triple garantie permet, à mon sens, de lever toute inquiétude sur la constitutionnalité du dispositif et, ce faisant, sur l’ensemble de l’ordonnance à venir, les autres dispositions législatives ne posant pas de difficulté particulière.
Par ailleurs, la future ordonnance modifiera également le code du sport afin de prévoir l’extension du champ des institutions susceptibles d’accorder des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques, les AUT, la création d’une nouvelle infraction relative à la complicité en matière de trafics de substances ou de méthodes dopantes, l’implication des fédérations sportives nationales et du personnel encadrant dans les enquêtes menées par les organisations nationales antidopage.
Comme vous pouvez le voir, le nouveau code antidopage comporte un certain nombre d’avancées et les quelques risques, réels, qu’il pouvait comporter sur le plan juridique ont été dûment circonscrits. Votre commission a donc adopté cet article unique et ce projet de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette question du dopage, nous sommes au cœur de la dimension déontologique du sport, donc au cœur d'un ensemble d’enjeux d’équité sportive, d’égalité des chances devant la performance sportive, de santé publique, mais aussi au cœur d’enjeux éducatifs, en particulier dans le domaine de la prévention, et économiques considérables ; je vous rappelle en effet que le sport représente un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de 500 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB de la Suisse ou de la Suède, avec une croissance moyenne de 4 % par an. Enfin, ces enjeux sont également diplomatiques : on voit que le sport est très souvent utilisé, pour ne pas dire instrumentalisé, à des fins géopolitiques.
Face à ces enjeux, il nous faut construire une régulation éthique et financière forte. Il convient de rendre au sport toute sa place dans le débat public et politique, y compris en l’appréhendant à travers ses avatars et ses déviances, comme le dopage.