Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’organisation de ce débat préalable au Conseil européen des 23 et 24 octobre prochains, qui se tiendra à un moment où l’Europe doit faire face à une série de crises.
Des crises internationales, d’abord, en Irak, en Syrie, en Afrique, en Ukraine, qui comportent, pour certaines d’entre elles, des risques pour la sécurité de l’Europe.
Des crises économiques, ensuite : la croissance est à l’arrêt dans la zone euro ; le niveau de l’inflation est exceptionnellement faible ; le chômage est élevé, en particulier parmi les jeunes ; la production manufacturière et la demande interne sont très au-dessous de leur niveau antérieur à la crise de 2008, tout comme l’investissement, qui est de 15 % inférieur. Aucun pays n’est épargné par les difficultés économiques, pas même l’Allemagne dont les indicateurs récents sont mal orientés.
Une crise de confiance, aussi, des citoyens à l’égard de l’Union européenne, de son fonctionnement et de ses résultats, qui peut parfois se transformer en un rejet du projet européen lui-même, ce qui est évidemment le plus grave.
Une crise climatique, enfin, face à la croissance incontrôlée des gaz à effet de serre, qui menace notre planète. Ce sera l’un des sujets majeurs de ce Conseil européen.
Ce Conseil est donc important, car l’Europe est à un moment charnière, un moment de définition. Les nouveaux commissaires ont été auditionnés par le Parlement européen. Le collège sera soumis à son investiture dans les prochaines semaines. Les équipes se mettent donc en place, mais surtout de nouvelles priorités ont été fixées et la France a pris toute sa part dans leur définition, ce qui se reflète aussi bien dans le programme stratégique arrêté par le Conseil européen que dans les orientations proposées par Jean-Claude Juncker pour les cinq prochaines années.
Ce Conseil portera sur l’une de ces grandes priorités stratégiques, l’une de celles dont dépend l’avenir de l’Europe et qui doit devenir un grand projet européen : il s’agit de la politique énergétique et climatique de l’Union.
L’Union européenne est confrontée au double défi d’assurer sa sécurité et son indépendance énergétiques et d’engager une nécessaire transition énergétique à l’échelle du continent, pour répondre, en particulier, aux enjeux du changement climatique.
Les décisions doivent être prises dès ce Conseil européen du mois d’octobre 2014, afin que l’Europe soit elle-même en mesure de contribuer au succès de la conférence sur le climat qui se déroulera à la fin de l’année 2015 à Paris et devra permettre de prendre le relais, vous le savez, du protocole de Kyoto. L’ensemble de la communauté internationale doit en effet apporter une réponse au réchauffement climatique, lequel, s’il dépassait les deux degrés, mettrait en danger l’avenir de la planète.
L’objectif de ce Conseil européen est donc d’aboutir à un accord ambitieux sur la politique en matière d’énergie et de climat reposant sur trois principes : l’efficacité, les efforts devant porter sur les secteurs engendrant les principales émissions de gaz à effet de serre ; la responsabilité, puisque chaque pays devra contribuer à l’effort collectif ; et la solidarité, dans la mesure où la répartition de l’effort devra tenir compte des différences de richesse entre les États.
Tout l’enjeu sera d’obtenir un accord entre États membres sur de grands objectifs que nous défendons pour l’horizon 2030, au-delà, donc, de ce qui est déjà fixé pour 2020, à savoir 40 % de réduction des gaz à effet de serre, 27 % d’énergies renouvelables dans notre consommation finale d’énergie et 30 % d’économies d’énergie, c'est-à-dire d’efficacité énergétique supplémentaire. Tout cela est en cohérence avec notre projet de loi relatif à la transition énergétique, que l’Assemblée nationale a voté aujourd’hui.
Pour parvenir à un tel accord, nous devons trouver des compromis sur différentes dimensions de ce paquet énergie-climat.
Tout d’abord, les efforts des acteurs européens doivent s’appuyer sur un marché du carbone réformé. C’est le sens des propositions actuelles qui visent à réduire progressivement et de façon substantielle le nombre de quotas mis aux enchères. Il convient aussi de créer des dispositifs visant à nous assurer que le prix de la tonne de carbone reste incitatif. Ce marché du carbone devra dans le même temps continuer à prendre en compte les risques de délocalisations liés à ce système – on parle de « fuite de carbone » –, grâce en particulier à l’allocation de quotas gratuits pour les secteurs industriels les plus exposés à la concurrence internationale, et ce de façon plus dynamique, pour tenir compte des évolutions technologiques.
Ensuite, nous devons accompagner la transition énergétique des pays qui ont le plus de retard. C’est pourquoi nous soutenons le recours à une partie des revenus du marché du carbone pour aider à la modernisation des secteurs énergétiques les plus polluants, mais également pour soutenir l’innovation en faveur d’une énergie propre et durable.
Les discussions sur ce paquet comportent par ailleurs des enjeux de solidarité envers les pays dont les mix énergétiques et les trajectoires historiques les éloignent d’une transition rapide. À cet égard, il s’agit de permettre à certains États membres de bénéficier d’une partie réservée des revenus du marché du carbone au titre de la solidarité européenne.
Enfin, si l’ensemble des efforts européens représentera, au niveau de l’Europe, une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, les cibles de réduction seront définies au niveau national. Nous devons donc nous accorder sur les grands principes d’une méthodologie de répartition de l’effort. Dans ces discussions, les autorités françaises ont proposé et soutenu une répartition qui tienne compte des différences de richesse relative entre les États, grâce à un calcul équitable fondé sur le PIB par habitant. Les spécificités des différents secteurs économiques devront également être prises en compte. Il faudra par exemple que l’accord final reconnaisse les particularités du secteur agricole.
Il ne faut pas le cacher, les négociations restent néanmoins difficiles, notamment avec les pays du groupe de Visegrád, qui réunit la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Je me suis moi-même rendu récemment à Bratislava pour échanger et convaincre les membres de ce groupe. Hier encore, j’ai eu des échanges très denses avec mon homologue tchèque, à l’occasion d’une rencontre à Prague, afin d’encourager ces pays à faire mouvement.
Les chefs d’État ou de gouvernement reviendront également sur le sujet crucial de la sécurité énergétique européenne.
Le Conseil européen devrait en effet réaffirmer la nécessité de réaliser des investissements supplémentaires dans le réseau énergétique européen, et singulièrement dans les « projets d’intérêt commun ». L’enjeu sera également de s’assurer des bonnes conditions de négociation avec les pays tiers pour la fourniture d’énergie.
Nous serons particulièrement attentifs à la question des interconnexions énergétiques européennes, et surtout à leurs modalités de réalisation. Il est nécessaire, par exemple, de répondre au problème de la péninsule ibérique ou de l’approvisionnement des pays baltes. La France sera attentive à ce que les objectifs fixés soient réalistes, réalisables et répondent réellement aux besoins.
En effet, le besoin d’investissement au niveau européen est important et incontestable, et la France agit d’ailleurs en ce sens grâce à de nouvelles infrastructures et à des discussions régulières avec ses voisins. Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte les situations nationales et les réalités économiques qui y sont adossées.
En conclusion, il reste encore de nombreux éléments sur lesquels des différences d’appréciation entre États membres persistent. C’est une négociation compliquée, dans laquelle nous devons trouver le point d’équilibre entre notre ambition et le calibrage des paramètres techniques. Il n’en demeure pas moins que l’Europe doit définir très rapidement une position commune. C’est tout l’enjeu des discussions que nous aurons au cours des prochains jours. C’est également tout l’enjeu de nos échanges que de convaincre l’ensemble de nos partenaires que l’intérêt de l’Europe, de ses acteurs économiques, de ses entreprises et, bien évidemment, de ses citoyens est de faire du continent un continent pionnier en matière de transition énergétique.
Le second sujet majeur de ce Conseil européen, c’est la situation de la croissance et de l’emploi. Ce Conseil précédera d’ailleurs un sommet de la zone euro, que la France a souhaité.
Avant même l’entrée en fonction de la nouvelle Commission, un débat est nécessaire sur la situation économique de l’Europe, marquée, je l’évoquais au début de mon intervention, par un ralentissement de la croissance, ainsi qu’un risque de stagnation prolongée, voire de déflation. C’est ce qui a d’ailleurs conduit le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à annoncer des mesures particulièrement audacieuses de réduction des taux et d’injection de nouvelles liquidités. Toutefois, comme il l’a dit lui-même, si la politique monétaire peut apporter une contribution à la sortie d’un risque de récession, il faut que d’autres politiques, en particulier les décisions prises par les États membres en matière de coordination de leurs politiques budgétaires, d’investissement et de réformes structurelles, apportent elles aussi leur contribution.
Notre action doit donc être de deux ordres. Il faut bien évidemment continuer à mobiliser toutes les politiques communes de l’Union au service de la croissance. Cela concerne bien sûr le marché intérieur, le commerce et l’innovation. Cependant, nous devons faire plus, notamment en mettant en place de véritables politiques industrielles, pour renforcer l’attractivité et la compétitivité de l’Europe, pour qu’elle redevienne un lieu de production doté d’une base industrielle solide répartie sur l’ensemble du continent.
Notre priorité doit aussi être le soutien à l’investissement, qui a chuté de 15 % dans l’Union depuis 2008. C’est d’autant plus problématique que les besoins en la matière sont colossaux. Ils sont d’ailleurs reconnus dans tous les pays, en particulier dans des secteurs dont dépendra le potentiel de croissance future de l’Europe, comme l’énergie, qui est au cœur de la problématique que j’ai évoquée précédemment, les transports, le numérique et les télécommunications. Comment redresser la situation ? Nous soutenons fermement la proposition de Jean-Claude Juncker d’un plan de 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés sur les trois prochaines années. Nous appuierons évidemment les propositions visant à sa mise en œuvre rapide.
Dans cette optique, nous devons, d’une part, mobiliser pleinement les acteurs et les ressources existantes. Je pense aux moyens du cadre financier pluriannuel, notamment ceux du mécanisme d’interconnexion, qui permettront de financer de grands projets comme le canal Seine-Nord, le projet ferroviaire Lyon-Turin ou d’autres projets de même ampleur dans l’ensemble de l’Union européenne. Je pense aussi au rôle particulier de la Banque européenne d’investissement, dont la doctrine en termes de prise de risque pourrait évoluer, afin de mieux soutenir les petites et moyennes entreprises. Cette dernière pourrait aussi encourager la coordination entre banques publiques nationales, comme elle le fait, en France, avec la BPI, la Banque publique d’investissement, ou la Caisse des dépôts et consignations.
De même, nous devons pleinement mobiliser les fonds européens pour pérenniser les project bonds. Actuellement, quatre de ces « obligations de projet » – pour le dire en français – ont été mises en œuvre à l’échelle européenne, dont l’une en France visant à permettre l’équipement en réseau à haut débit de plusieurs de nos régions. Au-delà de cette phase pilote, ces mécanismes de financement qui permettent de mobiliser davantage l’investissement privé grâce à la garantie publique offerte par la Banque européenne d’investissement devraient être développés.
Au-delà de ce qui existe, nous devons réfléchir à de nouveaux outils. Je pense à la mise en place d’une capacité additionnelle de financement, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un fonds de garantie au niveau du budget européen, fonds géré par la Banque européenne d’investissement.
En outre, la mobilisation de l’épargne privée, très importante en Europe, par la création de nouveaux véhicules d’investissement de long terme, pourrait être encouragée.
Enfin, le cadre réglementaire entourant le financement de marché pourrait être assoupli pour développer les alternatives au financement bancaire, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises.
C’est dans cet esprit que la France abordera toutes les échéances prochaines qui seront appelées à traiter de ces questions majeures, en particulier après l’investiture de la commission Juncker.
Je ne veux pas éluder, avant de conclure, la question de la trajectoire budgétaire française. Même si elle n’est pas à l’ordre du jour de ce Conseil européen, elle est d’actualité et je ne doute pas que certains d’entre vous l’évoqueront.
Le projet de budget pour 2015 de la France repose sur un équilibre entre le maintien de nos engagements, en termes de maîtrise des dépenses et de poursuite des réformes, et l’adaptation à la situation économique exceptionnelle que nous traversons.
Il ne faut pas spéculer à vide. La Commission européenne n’a pas encore forgé son opinion sur un plan budgétaire qui ne lui pas encore été transmis et qui lui sera communiqué demain 15 octobre, comme c’est le cas pour les autres pays de l’Union.
Nous poursuivons donc le dialogue avec elle comme avec nos partenaires pour expliquer le bien-fondé de notre stratégie et les sensibiliser aux contraintes qui la sous-tendent, mais nous ne demandons ni exception ni changement des règles.
La question des trajectoires budgétaires des États membres doit s’intégrer dans un débat plus large, celui du choix des politiques économiques que nous voulons mener en Europe. On ne peut pas en même temps faire le choix des réformes, du soutien à la croissance, à la compétitivité et à l’emploi et s’engager dans un surcroît d’austérité. Chacun en a tiré les leçons, y compris de grandes institutions internationales comme le FMI ou l’OCDE, qui mettent en garde contre le risque, alors que la croissance commence à repartir ailleurs dans le monde – aux États-Unis, dans les pays émergents –, d’une stagnation qui durerait en Europe et qui finalement handicaperait les possibilités de sortie de crise et de réduction du chômage.
C’est ce débat qui est aujourd’hui posé en Europe. Nous ne voulons donc pas remettre en cause nos engagements, ceux que nous avions transmis à la Commission européenne dans le cadre du plan triennal et qui portent en particulier sur une réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques d’ici à 2017 et de 21 milliards d’euros dès le budget pour 2015, engagements qui portent également – c’est l’objet du pacte de responsabilité et de solidarité – sur une baisse de 40 milliards d’euros des prélèvements fiscaux et sociaux sur nos entreprises pour leur permettre de retrouver de la compétitivité. Ce sera une contribution décisive également à la croissance et à l’emploi, qui est un objectif commun à celui de l’Union européenne. Mais nous ne pensons pas qu’il faille aujourd’hui s’engager dans des politiques de consolidation budgétaire plus forte, dans des politiques d’austérité qui remettraient en cause les conditions de la reprise et de la croissance.
J’observe que le consensus des économistes et les grandes organisations internationales ont plutôt tendance à poser le débat dans les mêmes termes que nous.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire dans ce propos introductif, à la veille d’un Conseil européen particulièrement important.