La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’organisation de ce débat préalable au Conseil européen des 23 et 24 octobre prochains, qui se tiendra à un moment où l’Europe doit faire face à une série de crises.
Des crises internationales, d’abord, en Irak, en Syrie, en Afrique, en Ukraine, qui comportent, pour certaines d’entre elles, des risques pour la sécurité de l’Europe.
Des crises économiques, ensuite : la croissance est à l’arrêt dans la zone euro ; le niveau de l’inflation est exceptionnellement faible ; le chômage est élevé, en particulier parmi les jeunes ; la production manufacturière et la demande interne sont très au-dessous de leur niveau antérieur à la crise de 2008, tout comme l’investissement, qui est de 15 % inférieur. Aucun pays n’est épargné par les difficultés économiques, pas même l’Allemagne dont les indicateurs récents sont mal orientés.
Une crise de confiance, aussi, des citoyens à l’égard de l’Union européenne, de son fonctionnement et de ses résultats, qui peut parfois se transformer en un rejet du projet européen lui-même, ce qui est évidemment le plus grave.
Une crise climatique, enfin, face à la croissance incontrôlée des gaz à effet de serre, qui menace notre planète. Ce sera l’un des sujets majeurs de ce Conseil européen.
Ce Conseil est donc important, car l’Europe est à un moment charnière, un moment de définition. Les nouveaux commissaires ont été auditionnés par le Parlement européen. Le collège sera soumis à son investiture dans les prochaines semaines. Les équipes se mettent donc en place, mais surtout de nouvelles priorités ont été fixées et la France a pris toute sa part dans leur définition, ce qui se reflète aussi bien dans le programme stratégique arrêté par le Conseil européen que dans les orientations proposées par Jean-Claude Juncker pour les cinq prochaines années.
Ce Conseil portera sur l’une de ces grandes priorités stratégiques, l’une de celles dont dépend l’avenir de l’Europe et qui doit devenir un grand projet européen : il s’agit de la politique énergétique et climatique de l’Union.
L’Union européenne est confrontée au double défi d’assurer sa sécurité et son indépendance énergétiques et d’engager une nécessaire transition énergétique à l’échelle du continent, pour répondre, en particulier, aux enjeux du changement climatique.
Les décisions doivent être prises dès ce Conseil européen du mois d’octobre 2014, afin que l’Europe soit elle-même en mesure de contribuer au succès de la conférence sur le climat qui se déroulera à la fin de l’année 2015 à Paris et devra permettre de prendre le relais, vous le savez, du protocole de Kyoto. L’ensemble de la communauté internationale doit en effet apporter une réponse au réchauffement climatique, lequel, s’il dépassait les deux degrés, mettrait en danger l’avenir de la planète.
L’objectif de ce Conseil européen est donc d’aboutir à un accord ambitieux sur la politique en matière d’énergie et de climat reposant sur trois principes : l’efficacité, les efforts devant porter sur les secteurs engendrant les principales émissions de gaz à effet de serre ; la responsabilité, puisque chaque pays devra contribuer à l’effort collectif ; et la solidarité, dans la mesure où la répartition de l’effort devra tenir compte des différences de richesse entre les États.
Tout l’enjeu sera d’obtenir un accord entre États membres sur de grands objectifs que nous défendons pour l’horizon 2030, au-delà, donc, de ce qui est déjà fixé pour 2020, à savoir 40 % de réduction des gaz à effet de serre, 27 % d’énergies renouvelables dans notre consommation finale d’énergie et 30 % d’économies d’énergie, c'est-à-dire d’efficacité énergétique supplémentaire. Tout cela est en cohérence avec notre projet de loi relatif à la transition énergétique, que l’Assemblée nationale a voté aujourd’hui.
Pour parvenir à un tel accord, nous devons trouver des compromis sur différentes dimensions de ce paquet énergie-climat.
Tout d’abord, les efforts des acteurs européens doivent s’appuyer sur un marché du carbone réformé. C’est le sens des propositions actuelles qui visent à réduire progressivement et de façon substantielle le nombre de quotas mis aux enchères. Il convient aussi de créer des dispositifs visant à nous assurer que le prix de la tonne de carbone reste incitatif. Ce marché du carbone devra dans le même temps continuer à prendre en compte les risques de délocalisations liés à ce système – on parle de « fuite de carbone » –, grâce en particulier à l’allocation de quotas gratuits pour les secteurs industriels les plus exposés à la concurrence internationale, et ce de façon plus dynamique, pour tenir compte des évolutions technologiques.
Ensuite, nous devons accompagner la transition énergétique des pays qui ont le plus de retard. C’est pourquoi nous soutenons le recours à une partie des revenus du marché du carbone pour aider à la modernisation des secteurs énergétiques les plus polluants, mais également pour soutenir l’innovation en faveur d’une énergie propre et durable.
Les discussions sur ce paquet comportent par ailleurs des enjeux de solidarité envers les pays dont les mix énergétiques et les trajectoires historiques les éloignent d’une transition rapide. À cet égard, il s’agit de permettre à certains États membres de bénéficier d’une partie réservée des revenus du marché du carbone au titre de la solidarité européenne.
Enfin, si l’ensemble des efforts européens représentera, au niveau de l’Europe, une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, les cibles de réduction seront définies au niveau national. Nous devons donc nous accorder sur les grands principes d’une méthodologie de répartition de l’effort. Dans ces discussions, les autorités françaises ont proposé et soutenu une répartition qui tienne compte des différences de richesse relative entre les États, grâce à un calcul équitable fondé sur le PIB par habitant. Les spécificités des différents secteurs économiques devront également être prises en compte. Il faudra par exemple que l’accord final reconnaisse les particularités du secteur agricole.
Il ne faut pas le cacher, les négociations restent néanmoins difficiles, notamment avec les pays du groupe de Visegrád, qui réunit la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Je me suis moi-même rendu récemment à Bratislava pour échanger et convaincre les membres de ce groupe. Hier encore, j’ai eu des échanges très denses avec mon homologue tchèque, à l’occasion d’une rencontre à Prague, afin d’encourager ces pays à faire mouvement.
Les chefs d’État ou de gouvernement reviendront également sur le sujet crucial de la sécurité énergétique européenne.
Le Conseil européen devrait en effet réaffirmer la nécessité de réaliser des investissements supplémentaires dans le réseau énergétique européen, et singulièrement dans les « projets d’intérêt commun ». L’enjeu sera également de s’assurer des bonnes conditions de négociation avec les pays tiers pour la fourniture d’énergie.
Nous serons particulièrement attentifs à la question des interconnexions énergétiques européennes, et surtout à leurs modalités de réalisation. Il est nécessaire, par exemple, de répondre au problème de la péninsule ibérique ou de l’approvisionnement des pays baltes. La France sera attentive à ce que les objectifs fixés soient réalistes, réalisables et répondent réellement aux besoins.
En effet, le besoin d’investissement au niveau européen est important et incontestable, et la France agit d’ailleurs en ce sens grâce à de nouvelles infrastructures et à des discussions régulières avec ses voisins. Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte les situations nationales et les réalités économiques qui y sont adossées.
En conclusion, il reste encore de nombreux éléments sur lesquels des différences d’appréciation entre États membres persistent. C’est une négociation compliquée, dans laquelle nous devons trouver le point d’équilibre entre notre ambition et le calibrage des paramètres techniques. Il n’en demeure pas moins que l’Europe doit définir très rapidement une position commune. C’est tout l’enjeu des discussions que nous aurons au cours des prochains jours. C’est également tout l’enjeu de nos échanges que de convaincre l’ensemble de nos partenaires que l’intérêt de l’Europe, de ses acteurs économiques, de ses entreprises et, bien évidemment, de ses citoyens est de faire du continent un continent pionnier en matière de transition énergétique.
Le second sujet majeur de ce Conseil européen, c’est la situation de la croissance et de l’emploi. Ce Conseil précédera d’ailleurs un sommet de la zone euro, que la France a souhaité.
Avant même l’entrée en fonction de la nouvelle Commission, un débat est nécessaire sur la situation économique de l’Europe, marquée, je l’évoquais au début de mon intervention, par un ralentissement de la croissance, ainsi qu’un risque de stagnation prolongée, voire de déflation. C’est ce qui a d’ailleurs conduit le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à annoncer des mesures particulièrement audacieuses de réduction des taux et d’injection de nouvelles liquidités. Toutefois, comme il l’a dit lui-même, si la politique monétaire peut apporter une contribution à la sortie d’un risque de récession, il faut que d’autres politiques, en particulier les décisions prises par les États membres en matière de coordination de leurs politiques budgétaires, d’investissement et de réformes structurelles, apportent elles aussi leur contribution.
Notre action doit donc être de deux ordres. Il faut bien évidemment continuer à mobiliser toutes les politiques communes de l’Union au service de la croissance. Cela concerne bien sûr le marché intérieur, le commerce et l’innovation. Cependant, nous devons faire plus, notamment en mettant en place de véritables politiques industrielles, pour renforcer l’attractivité et la compétitivité de l’Europe, pour qu’elle redevienne un lieu de production doté d’une base industrielle solide répartie sur l’ensemble du continent.
Notre priorité doit aussi être le soutien à l’investissement, qui a chuté de 15 % dans l’Union depuis 2008. C’est d’autant plus problématique que les besoins en la matière sont colossaux. Ils sont d’ailleurs reconnus dans tous les pays, en particulier dans des secteurs dont dépendra le potentiel de croissance future de l’Europe, comme l’énergie, qui est au cœur de la problématique que j’ai évoquée précédemment, les transports, le numérique et les télécommunications. Comment redresser la situation ? Nous soutenons fermement la proposition de Jean-Claude Juncker d’un plan de 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés sur les trois prochaines années. Nous appuierons évidemment les propositions visant à sa mise en œuvre rapide.
Dans cette optique, nous devons, d’une part, mobiliser pleinement les acteurs et les ressources existantes. Je pense aux moyens du cadre financier pluriannuel, notamment ceux du mécanisme d’interconnexion, qui permettront de financer de grands projets comme le canal Seine-Nord, le projet ferroviaire Lyon-Turin ou d’autres projets de même ampleur dans l’ensemble de l’Union européenne. Je pense aussi au rôle particulier de la Banque européenne d’investissement, dont la doctrine en termes de prise de risque pourrait évoluer, afin de mieux soutenir les petites et moyennes entreprises. Cette dernière pourrait aussi encourager la coordination entre banques publiques nationales, comme elle le fait, en France, avec la BPI, la Banque publique d’investissement, ou la Caisse des dépôts et consignations.
De même, nous devons pleinement mobiliser les fonds européens pour pérenniser les project bonds. Actuellement, quatre de ces « obligations de projet » – pour le dire en français – ont été mises en œuvre à l’échelle européenne, dont l’une en France visant à permettre l’équipement en réseau à haut débit de plusieurs de nos régions. Au-delà de cette phase pilote, ces mécanismes de financement qui permettent de mobiliser davantage l’investissement privé grâce à la garantie publique offerte par la Banque européenne d’investissement devraient être développés.
Au-delà de ce qui existe, nous devons réfléchir à de nouveaux outils. Je pense à la mise en place d’une capacité additionnelle de financement, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un fonds de garantie au niveau du budget européen, fonds géré par la Banque européenne d’investissement.
En outre, la mobilisation de l’épargne privée, très importante en Europe, par la création de nouveaux véhicules d’investissement de long terme, pourrait être encouragée.
Enfin, le cadre réglementaire entourant le financement de marché pourrait être assoupli pour développer les alternatives au financement bancaire, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises.
C’est dans cet esprit que la France abordera toutes les échéances prochaines qui seront appelées à traiter de ces questions majeures, en particulier après l’investiture de la commission Juncker.
Je ne veux pas éluder, avant de conclure, la question de la trajectoire budgétaire française. Même si elle n’est pas à l’ordre du jour de ce Conseil européen, elle est d’actualité et je ne doute pas que certains d’entre vous l’évoqueront.
Le projet de budget pour 2015 de la France repose sur un équilibre entre le maintien de nos engagements, en termes de maîtrise des dépenses et de poursuite des réformes, et l’adaptation à la situation économique exceptionnelle que nous traversons.
Il ne faut pas spéculer à vide. La Commission européenne n’a pas encore forgé son opinion sur un plan budgétaire qui ne lui pas encore été transmis et qui lui sera communiqué demain 15 octobre, comme c’est le cas pour les autres pays de l’Union.
Nous poursuivons donc le dialogue avec elle comme avec nos partenaires pour expliquer le bien-fondé de notre stratégie et les sensibiliser aux contraintes qui la sous-tendent, mais nous ne demandons ni exception ni changement des règles.
La question des trajectoires budgétaires des États membres doit s’intégrer dans un débat plus large, celui du choix des politiques économiques que nous voulons mener en Europe. On ne peut pas en même temps faire le choix des réformes, du soutien à la croissance, à la compétitivité et à l’emploi et s’engager dans un surcroît d’austérité. Chacun en a tiré les leçons, y compris de grandes institutions internationales comme le FMI ou l’OCDE, qui mettent en garde contre le risque, alors que la croissance commence à repartir ailleurs dans le monde – aux États-Unis, dans les pays émergents –, d’une stagnation qui durerait en Europe et qui finalement handicaperait les possibilités de sortie de crise et de réduction du chômage.
C’est ce débat qui est aujourd’hui posé en Europe. Nous ne voulons donc pas remettre en cause nos engagements, ceux que nous avions transmis à la Commission européenne dans le cadre du plan triennal et qui portent en particulier sur une réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques d’ici à 2017 et de 21 milliards d’euros dès le budget pour 2015, engagements qui portent également – c’est l’objet du pacte de responsabilité et de solidarité – sur une baisse de 40 milliards d’euros des prélèvements fiscaux et sociaux sur nos entreprises pour leur permettre de retrouver de la compétitivité. Ce sera une contribution décisive également à la croissance et à l’emploi, qui est un objectif commun à celui de l’Union européenne. Mais nous ne pensons pas qu’il faille aujourd’hui s’engager dans des politiques de consolidation budgétaire plus forte, dans des politiques d’austérité qui remettraient en cause les conditions de la reprise et de la croissance.
J’observe que le consensus des économistes et les grandes organisations internationales ont plutôt tendance à poser le débat dans les mêmes termes que nous.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire dans ce propos introductif, à la veille d’un Conseil européen particulièrement important.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent également.
Monsieur le secrétaire d'État, vous venez à l’instant de nous détailler les différents éléments qui figurent à l’ordre du jour du prochain Conseil européen : paquet climat-énergie – je vous remercie d’avoir commencé votre propos en évoquant longuement cette question –, situation économique de l’Union européenne et vraisemblablement situation internationale seront les trois chapitres les plus importants qui occuperont les échanges.
Je note par ailleurs que nous avons ce débat au moment où l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2015 et alors que les discussions se font vives avec la Commission et nos partenaires européens sur les questions budgétaires.
Je ne doute pas que mes collègues seront ici nombreux à revenir sur ce sujet.
Pour ma part, vous vous en doutez, c’est à la question climatique et énergétique que je consacrerai l’essentiel de mon intervention, en insistant sur ses fortes implications géostratégiques, une dimension que nous avons trop tardivement commencé à prendre en compte, alors même qu’elle surdétermine toute une partie de nos politiques.
En effet, il est clair désormais que la question des choix énergétiques ainsi que celle des effets engendrés par le dérèglement climatique constituent non plus seulement un problème environnemental, mais représentent aujourd’hui des enjeux géostratégiques d’un type nouveau qui influent sur la stabilité politique de la planète, au même titre que les enjeux militaires classiques.
Depuis plusieurs mois, d’ailleurs, les États-Unis ont commencé à revoir leurs doctrines des risques internationaux en intégrant ces nouveaux éléments.
Hier encore, leur département de la défense a rendu public un rapport soulignant les dangers accrus du fait du réchauffement, depuis la montée des océans jusqu’aux probables pénuries en eau et en nourriture en divers endroits de la planète.
La France s’est également engagée, depuis peu, dans cette réflexion, notamment grâce au travail de notre collègue Leïla Aïchi sur ces sujets.
Mais l’Union européenne, comme c’est trop souvent le cas dans les dossiers qui renvoient à la souveraineté de ses membres et aux questions stratégiques les plus sensibles, peine à définir une philosophie qui permette de prendre tout cela à bras-le-corps.
C’est particulièrement perceptible s’agissant de nos rapports avec la Russie.
À l’échelle globale de l’Union européenne, ce pays constitue un fournisseur énergétique de première importance. En 2013, 39 % des importations européennes de gaz en étaient originaires.
La Russie est même le seul fournisseur extérieur de gaz naturel pour six de nos États membres, le gaz représentant par ailleurs une part importante de leur consommation énergétique finale.
En temps de paix, une telle dépendance n’est déjà pas sans risque. Mais lorsqu’une tension internationale se fait jour, comme c’est le cas depuis plusieurs mois autour de l’Ukraine, cette dépendance devient même franchement problématique.
Dans ces conditions, comment gérer à court terme nos relations avec la Russie ? Pour les uns, il faudrait se montrer plutôt conciliant avec Moscou. Pour les autres, au contraire, il convient de demeurer le plus ferme possible.
Au-delà, comment faire pour diminuer à plus long terme notre dépendance énergétique, alors même que l’Union européenne importe aujourd’hui 53 % de l’énergie qu’elle consomme ?
Là encore, les avis divergent : pour les uns, la nécessité de prendre en compte les tensions énergétiques nouvelles rend légitime l’exploitation de toutes les ressources hydrocarbures, y compris non conventionnelles, que l’on pourrait trouver sur le continent ; pour les autres, ces évolutions sont la preuve de ce que la transition énergétique est plus que jamais d’actualité.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ces questions, il est au moins une chose sur laquelle, je crois, nous pouvons nous mettre d’accord : la souveraineté de l’Europe, et donc sa capacité à peser sur la scène internationale, passe aussi par la mise en place d’une véritable politique énergétique.
Nos politiques tant climatique qu’énergétique et stratégique doivent donc être repensées conjointement. Tant que nous n’accepterons pas de le faire concrètement, tant que nous continuerons à imaginer ces politiques comme si elles n’entretenaient pas de rapports les unes avec les autres ou pis, comme si elles devaient s’opposer les unes aux autres, chacune d’entre elles échouera à atteindre ses objectifs.
Mettre tous ces éléments en cohérence n’est évidemment pas chose facile ; c’est au contraire éminemment complexe. Mais je crois que, quand le choix réside entre la complexité, d’une part, et la fatalité, d’autre part, c’est bien la première qu’il vaut mieux privilégier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le savez sans doute, le mois de septembre qui vient de s’écouler a été le plus chaud dans le monde depuis 1880, date à partir de laquelle des relevés constants ont été effectués. Il s’inscrit dans une tendance lourde et qui va en s’accélérant. Quel que soit l’indicateur considéré, tout laisse penser que les politiques déjà mises en place ont échoué à ralentir cette dangereuse évolution.
J’étais il y a quelques semaines en mission au Groenland pour la commission des affaires européennes du Sénat. Je me suis rendu à cette occasion au Jakobshaven, le plus grand glacier de l’hémisphère nord et l’un de ceux qui fondent le plus vite : il a autant reculé ces dix dernières que durant la totalité du siècle précédent !
Nous faisons face là à une transformation accélérée, qui, par rapport au réchauffement climatique lui-même, tient lieu à la fois de conséquence et de facteur aggravant, car plus les grands ensembles glaciaires de la planète fondent, plus les équilibres qui régulent encore notre climat se dérèglent et plus le réchauffement s’accélère.
Il s’agit là d’une spirale infernale qu’il sera de plus en plus difficile de briser, si nous n’y prenons garde ; d’autant que les ambitions des uns et des autres pour tirer le meilleur parti de ces transformations, notamment via l’exploitation accrue, en Arctique, des ressources naturelles, se font de plus en plus vives et risquent bien d’aggraver encore cette tendance.
Alors, si nous voulons enfin remettre en cause ces évolutions terribles, l’Europe doit se montrer plus ambitieuse et plus cohérente que jamais.
Cela nous amène naturellement aux discussions portant sur le futur paquet climat-énergie lui-même. Or les propositions qui se trouvent sur la table s’agissant de ce dernier sont hélas bien inégales.
Celles de la Commission européenne sont clairement insuffisantes. Celles du Parlement européen sont déjà bien plus ambitieuses.
La question est donc de savoir dans quelle mesure nos gouvernements – et singulièrement le gouvernement français – sauront se montrer à la hauteur de ces ambitions.
En l’occurrence, le Parlement européen propose l’instauration d’un objectif de 30 % d’énergies renouvelables dans la production totale européenne pour 2030, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les écologistes proposent quant à eux un objectif plus élevé de 45 % d’énergies renouvelables, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 60 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Mais, au-delà de ces chiffres, il est absolument primordial que ces objectifs soient contraignants, pays par pays, sans quoi nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’ils ne seront pas tenus.
Au vu des dernières discussions, notamment celles qui ont eu lieu la semaine dernière à Bruxelles, le gouvernement français semble aujourd’hui assez hésitant. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce dernier point et sur la volonté de la France de soutenir cette résolution ?
Au-delà des seules politiques européennes, ce Conseil européen constitue à notre sens une étape essentielle dans la préparation de la COP21, que notre pays accueillera à la fin de l’année prochaine à Paris.
Pour que ce rendez-vous soit réussi, nous devons faire preuve d’une double exemplarité : l’Europe doit être exemplaire face au monde, sinon son influence restera limitée, et la France doit être exemplaire face à ses partenaires européens, pour ne pas risquer de perdre sa crédibilité dans ce dossier.
M. le président de la commission des affaires européennes ainsi que Mmes Michèle André et Delphine Bataille applaudissent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera l’occasion, notamment, de revenir sur la question du climat et de l’énergie, conformément aux conclusions des précédents conseils.
Certes, il est important de définir le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie, voire de prendre quelques mesures supplémentaires afin de renforcer la sécurité énergétique.
Mais permettez-moi de revenir tout d’abord sur un point qui nous paraît essentiel si nous voulons réellement avancer dans tous les domaines, y compris celui de l’énergie : je veux parler de la situation économique de l’Union européenne.
Depuis des mois, et pour cause, ce sujet est au cœur des préoccupations des dirigeants européens. Le futur commissaire européen chargé de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité a même déclaré dernièrement que l’Allemagne, la France et l’Italie doivent privilégier l’investissement pour stimuler la croissance économique.
Pourtant, il nous paraît compliqué d’investir plus alors que, au niveau budgétaire, la Commission européenne demande, en particulier à la France, de réduire encore davantage les dépenses publiques...
C’était sans compter sur la proposition du commissaire européen qui explique que les partenariats public-privé, les PPP, sont la solution pour permettre aux pays d’investir ; il soulignait même : « Notre but est d’attirer de l’argent privé pour de grands projets d’infrastructures dans les secteurs de l’énergie, du transport et du haut débit. Le secteur privé ne peut pas prendre la totalité des risques. »
En théorie, les PPP permettent d’entretenir, de construire et d’améliorer des équipements à moindres frais. Toutefois, la Cour fédérale des comptes en Allemagne doute que ce système revienne moins cher. Elle a pris pour exemple sept grands projets routiers financés par le privé ; cinq d’entre eux auraient été moins coûteux s’ils avaient été financés de manière classique, et 1, 9 milliard d’euros auraient ainsi été économisés.
Pour rester en Allemagne, l’exemple de l’autoroute A1 est tout à fait révélateur. Le ministère des transports pensait que le PPP se traduirait par une économie de 40 %, mais au final cela a coûté un tiers de plus que s’il avait été financé par le contribuable allemand.
Les responsables politiques se déchargent ainsi des missions de service public avec l’argument de la rigueur budgétaire. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, comme le dit le vieil adage… Nous savons tous que certains consortiums sauront tirer avantage de cette situation.
Depuis des mois, voire quelques années maintenant, on nous serine que la rigueur est le remède miracle à tous nos maux. Souvent d’ailleurs, le modèle allemand est cité en exemple, mais depuis quelques semaines, des voix discordantes commencent à se faire entendre. Le directeur du très réputé Institut allemand de recherche économique – le DIW –, Marcel Fratzscher, vient de publier Die Deutschland-Illusion – Allemagne, l’illusion. Cet ouvrage expose les conclusions auxquelles sont parvenus les chercheurs du DIW. Or, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, l’Allemagne n’est pas un si bon modèle... Ce serait même plutôt un modèle qui présente quelques fragilités.
L’investissement public en Allemagne représente 1, 6 % du PIB, quand la moyenne de la zone euro se situe à 2, 1 %. L’évolution du PIB en volume au deuxième trimestre 2014 par rapport au trimestre précédent est de - 0, 2 %, alors que pour la France il est de 0 et pour l’Union européenne à vingt-huit il est de 0, 2 %. Outre une croissance faible, la progression des salaires est moins grande que dans le reste de la zone euro, un enfant sur cinq vivant sous le seuil de pauvreté.
Au début des années quatre-vingt-dix, l’État et les entreprises investissaient 25 % du PIB dans les infrastructures routières, les câbles téléphoniques, les écoles et les usines. Aujourd’hui cette proportion est tombée à 19, 7 %. L’Allemagne n’investit pas dans son avenir, les investissements d’aujourd’hui sont pourtant la prospérité de demain – petit clin d’œil à Helmut Schmidt. Le DIW estime que le déficit d’investissement a représenté 3 % du PIB entre 1999 et 2012, et même 3, 7 % entre 2010 et 2012... L’État et les entreprises devraient dépenser 103 milliards d’euros de plus rien que pour générer une croissance raisonnable et rester au statu quo...
Voilà aujourd’hui où la sacro-sainte rigueur nous conduit : ne plus investir dans l’avenir que ce soit pour les infrastructures, les usines et, encore plus important, l’éducation. Pourtant, si nous voulons être « compétitifs », il faut investir de façon intelligente et cesser de penser que la dette publique est un fardeau, car la dette qui investit a aussi des vertus.
Si l’on prend l’exemple de la France, ce qui cause réellement cette dette n’est pas tant un excès de dépenses, puisque ces dernières n’ont augmenté que de 2 % en trente ans, qu’un déficit persistant de recettes. Les exonérations fiscales et sociales accordées, aux grandes entreprises pour l’essentiel, sur cette période représentent un manque à gagner de 488 milliards d’euros. De plus, depuis quarante ans, les États ne peuvent plus se financer directement auprès des banques centrales et sont donc obligés de passer par les marchés financiers. Ainsi, les intérêts versés représentent 589 milliards d’euros ! Enfin, l’évasion fiscale a coûté à notre pays 424 milliards d’euros depuis 1980...
D’ailleurs, la question de l’énergie, du climat, et plus généralement de la transition énergétique, est certainement un des défis majeurs que nous avons à relever, et il peut nous permettre de relancer l’économie de façon raisonnée en tenant compte de l’ensemble des variables.
Le 23 septembre dernier s’est tenu à New York le sommet sur le climat de l’ONU. Malheureusement, on ne peut pas dire que ce dernier ait été une véritable réussite. Ainsi, le fonds vert de l’ONU n’a récolté pour l’instant que 2, 3 milliards de dollars ; c’est très loin de l’objectif du fonds, qui est de réunir 10 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année, et 100 milliards par an à partir de 2020.
La seule avancée qui a pu être constatée est un accord sur la déforestation signé par vingt-sept États, plusieurs entreprises majeures et diverses ONG, organisations non gouvernementales. La Conférence des Parties se réunira au Pérou, à Lima, en décembre prochain.
En 2015, Paris accueille la prochaine Conférence sur le climat, d’où la nécessité pour l’Europe d’aboutir à une décision formelle visant à construire un accord ambitieux, équitable et juridiquement contraignant. En effet, en mars dernier, si la Commission a retenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle n’a pas posé d’objectifs contraignants en termes d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables. Rappelons simplement que les émissions de CO2 ont atteint 35, 1 milliards de tonnes en 2013, soit presque un tiers de plus qu’il y a dix ans...
C’est pourquoi il importe de parvenir à créer une véritable politique de l’énergie européenne à travers une planification écologique. Les États doivent se réengager dans l’avenir de leur filière industrielle énergétique. C’est dans ce sens que nous portons l’exigence de filières relocalisées, notamment en ce qui concerne le photovoltaïque, qui est une filière d’avenir. C’est également dans ce sens que nous nous opposons résolument à la mise en concurrence et à la privatisation des concessions hydroélectriques, qui constituent en France la première source d’énergie renouvelable non intermittente. Celles-ci figurent parmi nos avantages compétitifs.
C’est, je pense, monsieur le secrétaire d’État, tout l’enjeu que la France devra défendre lors de ce prochain Conseil européen. Toutefois, peut-être pourriez-vous nous expliquer plus particulièrement la position qui sera soutenue à ce propos ?
Enfin, pour terminer, je voudrais juste vous faire part de mon « étonnement » sur la façon dont se sont déroulées les nominations des commissaires européens. Chaque commissaire désigné a été invité à une audition publique devant les commissions parlementaires compétentes pour le portefeuille qui lui a été attribué. Cette nouvelle composition de la Commission est soumise à approbation du Parlement européen. Sur le papier, il est vrai que cela a fière allure et que l’on a l’impression d’un véritable choix démocratique. Néanmoins, la réalité est un peu différente : en fait, cela s’est également soldé par des tractations politiciennes de couloir... Quelle image est renvoyée à nos concitoyens ! Si nous voulons que l’Europe soit une avancée démocratique et humaine, que tous les citoyens s’y intéressent, on ne peut continuer d’agir ainsi.
Souvenez-vous, mes chers collègues : voilà quelques mois, nous débattions avec votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, des déficits démocratiques de la construction européenne. À l’évidence, le débat reste totalement ouvert.
Monsieur le secrétaire d’État, au menu du prochain Conseil européen, vous aurez deux plats de résistance : d’une part, l’énergie et le climat ; d’autre part, l’économie. Néanmoins, vous pourriez ajouter au dessert, entre la poire et le fromage bruxellois, quelques considérations sur diverses questions de politique étrangère.
Aussi, je saisis cette occasion pour revenir sur les difficultés chroniques que connaît l’Europe pour montrer un visage uni dans ce domaine. En effet, malgré les encouragements institutionnels opérés par les différents traités, l’Europe peine à exister sur la scène internationale. Certes, on constate quelques progrès. Je pense en particulier à la crise ukrainienne, pour laquelle, à force de négociations, les États membres de l’Union européenne ont réussi à se mettre d’accord pour établir un régime de sanctions économiques contre la Russie.
S’agissant en revanche de la guerre contre Daech en Irak, même si la coalition internationale s’est progressivement agrandie avec l’inclusion de plusieurs pays européens, la France est venue seule appuyer rapidement les États-Unis par ses frappes aériennes. Pourtant, les pays de l’Union européenne sont tous très concernés par le conflit en Irak ainsi que par celui qui se déroule en Syrie, en raison notamment du recrutement de jeunes européens dans les rangs des djihadistes.
Dans le cas des crises au Mali et en République centrafricaine, l’Union européenne n’avait pas réussi non plus à s’affirmer en tant que puissance politique et militaire. En effet, l’opération Serval a été interprétée par un grand nombre d’observateurs comme un échec de l’Europe de la défense.
À ce jour, une véritable politique étrangère commune n’est donc pas réellement effective, alors que les menaces se précisent à l’est et au sud du continent européen. Il faut bien reconnaître, hélas ! que ce sont avant tout les relations intergouvernementales, et non l’Europe, qui prédominent dans la gestion des conflits.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir enrichi les institutions d’outils destinés à mobiliser une diplomatie et une défense européenne. Comme vous le savez, mes chers collègues, le processus d’intégration européenne s’est accompagné d’une volonté d’harmonisation de la politique étrangère et de défense. Européens convaincus, les radicaux de gauche ont d’ailleurs toujours soutenu les initiatives allant dans ce sens.
L’acte fondateur, c’est bien sûr la création d’un second pilier par le traité de Maastricht, qui jette ainsi les bases de la politique étrangère et de sécurité commune, la fameuse PESC. Il s’agissait d’affirmer l’identité de l’Union sur la scène internationale par l’affirmation de grands principes tels que la sauvegarde de valeurs communes, le renforcement de la sécurité de l’Union, le maintien de la paix, ou encore le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il y a bien sûr aussi le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, qui va bientôt être remplacée par Federica Mogherini. J’espère qu’avec ce changement la rigueur britannique laissera la place au charme latin. §Il convient également de citer le comité de politique et de sécurité. Toutefois, en dépit de tout cela, c’est le Conseil européen qui garde la main en matière de décision. Et avec la règle de l’unanimité, autant dire que c’est bien souvent l’immobilisme qui prévaut.
Je m’inquiète également de l’affaiblissement des capacités militaires des États membres alors que, là aussi, tout reste à faire pour créer une capacité d’action autonome pour l’Europe. L’objectif fixé en 2003 de créer une force de réaction rapide d’environ 60 000 hommes pour une durée d’au moins un an tarde à se réaliser. Pourtant, les traités ont élaboré un cadre de plus en plus volontaire avec la création de l’Agence européenne de défense ou encore l’encouragement aux « coopérations structurées permanentes ».
Néanmoins, tous ces instruments ne suffisent pas à affirmer le potentiel de puissance de l’Europe en matière de politique étrangère. Au moins peut-on se féliciter que le dernier Conseil européen de l’année 2013 ait pris en compte cette problématique, s’agissant en particulier de la défense. Ses conclusions rappellent en effet qu’une « politique de sécurité et de défense commune efficace » contribue « à renforcer la sécurité des citoyens européens » et concourt « à la paix et à la stabilité dans notre voisinage et dans le monde en général ».
Au-delà de ce grand principe déclamatoire, il a été précisé que l’Union européenne devait assumer davantage de responsabilités militaires en améliorant ses capacités de réaction rapide par un accroissement de la flexibilité et des moyens de déployer des groupements tactiques. Un appel à la mutualisation des capacités militaires a été par ailleurs réaffirmé. C’est essentiel dans un contexte de réduction des budgets nationaux de la défense.
Je rappellerai à cet égard que l’effort de défense est consenti à hauteur de 40 % par la France et la Grande-Bretagne, ce qui revient à faire peser sur ces deux pays le poids des interventions militaires, puisque celles-ci ne sont pas supportées par le budget de l’Union, à moins que le Conseil européen n’en décide autrement à l’unanimité.
S’agissant d’ailleurs de cette fameuse règle de l’unanimité, un débat doit être ouvert, car elle est un obstacle majeur à l’émergence d’une politique étrangère commune. Notre pays, monsieur le secrétaire d’État, et l’Allemagne sont favorables à plus de souplesse – nous sommes parfois d’accord avec les Allemands.
Je sais bien que le principe de la majorité qualifiée est un sujet délicat, car en toile de fond il y a la question du lien transatlantique entre la Grande-Bretagne et les États-Unis qui est plus ou moins bien accepté selon les pays.
Mes chers collègues, lors du Conseil européen du 6 décembre 1983 à la veille de la présidence française, le Président François Mitterrand s’exprimait ainsi : « Que l’Europe reste elle-même, c’est vrai dans tous les domaines ; qu’elle soit aussi fidèle à son ambition qui consiste, d’étape en étape, à définir des responsabilités communautaires nouvelles. »
La sécurité dans le monde est encore bien fragile. La France prend toujours ses responsabilités en cas de crise, mais se retrouve souvent à agir de façon isolée, alors que la multiplication des fronts nécessite un engagement collectif puissant. Par son histoire, par son poids démographique et économique, l’Europe est capable d’être un acteur de premier plan sur la scène internationale si elle en affirme la volonté. Il a fallu la crise des dettes souveraines pour avancer davantage en matière d’intégration économique. Faudra-t-il attendre une crise majeure touchant directement à la sécurité des citoyens européens pour mesurer les potentialités stratégiques d’une solidarité forte entre les États membres ?
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je veux compter sur vous et sur le Gouvernement auquel vous appartenez pour contribuer à l’approfondissement de la politique étrangère et de sécurité commune. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen étant aussi riche qu’hétéroclite, je centrerai mon propos sur trois points particuliers : la politique énergétique, le fédéralisme budgétaire et la situation en Ukraine.
Premièrement, la prochaine réunion du Conseil européen sera – une fois n’est pas coutume – consacrée à la question du climat, et notamment à la décision finale sur le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie.
Ces deux questions sont évidemment liées. Toutefois, je m’interroge sur la portée effective d’un tel accord, quand on sait que, dans les faits, la politique énergétique de l’Europe procède avant tout des décisions d’investissement qui sont prises par les États membres. Or, sur ce point, un véritable marché de dupes se joue entre la France et l’Allemagne sur la question du nucléaire.
La France a réalisé des investissements courageux dans ce domaine dès les années cinquante. Ce demi-siècle de politique énergétique a contribué au redressement de notre pays et au bien-être de nos concitoyens.
Outre-Rhin, nos voisins allemands se sont fixé des objectifs ambitieux : produire 80 % d’énergie propre, renouvelable, et cela à l’horizon 2050. Cette inflexion honorable de leur politique énergétique a cependant déstabilisé leur production d’électricité, après la fermeture de plusieurs de leurs centrales nucléaires, de sorte que l’Allemagne importe désormais une partie de son électricité nucléaire de France. Or, parallèlement, plus de 45 % de la production énergétique allemande repose sur l’exploitation du charbon. Si nous étions de mauvais esprits, nous pourrions croire qu’un marché de dupes se joue autour de cette transition alimentée en partie par des pays qui ne sont manifestement pas inscrits dans la même dynamique que l’Allemagne.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous fassiez savoir comment cet accord-cadre européen peut permettre de faire évoluer cette situation.
Deuxièmement, au regard de l’actualité récente, et dans l’éventualité d’une nomination prochaine des membres de la Commission européenne, je ne peux m’empêcher de réagir à la fragilisation de la crédibilité de notre pays sur la scène européenne, notamment en matière économique et budgétaire.
Nous sommes tous au fait de la situation. Après un premier délai accordé en février 2013, la France s’était engagée à revenir dans le giron des 3 % de déficit public à l’horizon de la fin de l’année 2015, en contrepartie de l’accomplissement de réformes structurelles importantes. Malheureusement, il est devenu patent à la lecture du projet de loi de finances pour 2015 que nous ne tiendrons pas nos engagements et que ce projet de budget pour 2015 en son état actuel est d’ores et déjà susceptible de se voir corrigé par la Commission européenne.
Le pacte de responsabilité est un projet intéressant, mais il ne prévoit de fait qu’un effort de 20 milliards d’euros sur le déficit public en trois ans. Les 30 milliards d’euros restants sur les 50 milliards d’euros annoncés seront alloués à la baisse du coût du travail. C’est un grand pas en avant, mais il ne sera pas suffisant pour nous mener au bout de la route de la réforme et de l’adaptation à une économie globalisée dans laquelle nous faisons face, sur les marchés, à de grands blocs continentaux intégrés : il s’agit des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou encore du Brésil.
Cette situation est un signal réellement inquiétant. Elle signe l’affaiblissement de notre pays dans le concert européen et par conséquent de l’ensemble de l’Europe. En effet, l’Union européenne n’est pas concevable sans la France et la France ne peut espérer grand-chose de l’avenir sans l’Union. Le national et le fédéral sont devenus interdépendants. Certains peuvent le regretter. Pour notre part, nous, les sénateurs centristes, nous nous en réjouissons en tant que fer de lance de la construction européenne.
Toutefois, il est bien triste de voir que notre pays ne sait pas se montrer à la hauteur de l’exigence européenne. Les relations entre la France et la Commission se résument depuis deux ans à une course pour gagner le maximum de temps : quelques mois, quelques années de facilités budgétaires supplémentaires.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, tous vos prédécesseurs, qu’il s’agisse de M. Cazeneuve ou de M. Repentin, nous ont toujours fait partager leur souci du renforcement du fédéralisme budgétaire européen. Avons-nous ratifié le pacte budgétaire il y a deux ans pour la forme, ou sommes-nous réellement prêts à nous soumettre à la discipline budgétaire que nous avons tant appelée de nos vœux pour nous extraire de la crise ?
Troisièmement et enfin, j’évoquerai un sujet de politique internationale : les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie dans l’affaire de l’Ukraine.
La sécession de la Crimée au profit de la Russie et la révolte des régions du Donbass et de Donestk ne sont pas que les symptômes d’une simple crise nationale ukrainienne ou russo-ukrainienne. Nous assistons à une véritable crise européenne. C’est une sorte de cancer qui mine les relations entre la Russie et l’Europe.
Pourtant, face à un Vladimir Poutine sourd aux injonctions occidentales de retrait de ses troupes du sol ukrainien, des sanctions ont été mises à exécution dès le 29 juillet dernier, puis renforcées dès les premiers jours de septembre.
Outre les sanctions individuelles et le gel des capitaux privés, des sanctions économiques ont été prises. Ce sont les restrictions à l’accès aux marchés financiers russes. S’y ajoutent des sanctions militaires et industrielles, comme l’interdiction de transferts de matériels de défense, typiquement l’affaire des vaisseaux Mistral. La liste complète serait longue.
La logique des sanctions confine désormais à l’absurde. De son côté, Vladimir Poutine a lui aussi pris des mesures à l’encontre de l’Europe et des États-Unis. Cette escalade de sanctions et de contre-sanctions ne fait que fragiliser notre économie depuis plus de deux mois.
Les exportations agricoles vers la Russie représentent en effet 10 % des exportations agricoles totales de l’Union européenne. Les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne et le Danemark sont les États les plus touchés au regard du poids de la Russie dans leurs exportations. D’après des déclarations récentes de Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand, le récent ralentissement économique de l’Allemagne ne serait pas étranger aux conséquences concrètes des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Ce phénomène se ressent également en France : nos collègues des régions concernées le savent, nos agriculteurs souffrent largement des restrictions à l’exportation.
Surtout, nous incitons de facto la Russie à réorienter ses partenariats stratégiques, notamment sur le plan industriel, vers l’Asie et principalement la Chine et l’Inde. Le projet de production d’un avion long-courrier russo-chinois a déjà conduit à des investissements de plus de 10 milliards de dollars. Il pourrait ouvrir la voie à des partenariats industriels plus stratégiques.
Enfin, on peut s’interroger sur l’impact de ces sanctions sur le processus de dialogue engagé entre Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Le renouvellement des sanctions européennes a eu lieu en même temps que les négociations de l’accord de Minsk du 5 septembre – comme le disait M. Chevènement, il s’agissait bel et bien d’une « logique imbécile ! » –, lequel a jeté les bases d’un mémorandum pour la paix entre l’Ukraine et les séparatistes. Nous n’avons pas compris, vu de Paris ou de Bruxelles, qu’une telle politique ne pouvait qu’envenimer une crise déjà dramatique sur le sol ukrainien.
Or le processus de paix est bien plus avancé que nous ne pouvons le croire à Paris. Je rappelle ainsi qu’une rencontre entre Porochenko et Poutine aura lieu en marge du Conseil européen ce week-end à Milan, entrevue à laquelle notamment Angela Merkel et David Cameron doivent assister.
Les élections législatives du 26 octobre prochain, auxquelles j’assisterai comme observateur électoral, permettront de consolider la légitimité des pouvoirs publics ukrainiens et de clarifier les positions des forces politiques en présence. Elles semblent être une opportunité de parvenir à ramener le calme si le dialogue russo-ukrainien se poursuit sereinement, ce qui n’est pas évident.
Effectivement, cher collègue : aujourd’hui, au sein des réseaux ukrainiens, l’extrême droite tout entière s’en prend à M. Porochenko, et vous le savez très bien !
Vous savez pertinemment qu’aujourd’hui à Kiev l’extrême droite tente de déstabiliser M. Porochenko, qui, de ce fait, a été contraint de renvoyer son ministre de la défense et le gouverneur de Donetsk.
Certes, il y a des Russes, monsieur Leconte, et en nombre !
Dès lors, quel bilan pouvons-nous tirer de ces sanctions après un peu plus de deux mois ? Quel rôle celles-ci ont-elles effectivement joué ? Maintenant qu’un dialogue semble de nouveau possible entre l’Ukraine et la Russie, malgré les difficultés que notre collègue vient de souligner, le temps n’est-il pas venu de les lever ? À nous et à l’Europe d’apporter des gages de sérénité dans cette crise.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle position pourrait être définie au sujet des sanctions et, plus largement, de l’issue de la crise ukrainienne lors de la prochaine réunion du Conseil européen ? §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen comptera trois sujets. Ils ont déjà été rappelés : il s’agit du paquet énergie-climat, de la situation économique et de la situation internationale.
Sur ce dernier chapitre, je tiens d’emblée à formuler un vœu : que le Conseil européen évoque l’épidémie de fièvre Ébola, qu’il mette en œuvre une coordination efficace et marque ainsi la volonté de traduire l’idéal européen. Cet idéal porte sur la protection des personnes et doit trouver, en ce moment de crise sanitaire, une traduction concrète.
Plus précisément, cette coordination pourrait passer, me semble-t-il, par une veille sanitaire aux frontières de l’Union européenne et par des protocoles de détection coordonnés, notamment dans les aéroports. On voit bien que des mesures sont prises, ici ou là, mais que la politique menée n’est pas définie à l’échelle européenne. Or il s’agit là du bon niveau d’intervention, permettant la protection du maillon le plus faible en de telles situations.
J’en viens au premier sujet, à savoir le paquet énergie-climat, que les précédents orateurs ont déjà largement commenté, et alors que le Sénat se penchera, d’ici à la fin de l’année, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.
Dans ce domaine de l’énergie et du climat et, plus globalement, de l’écologie, je tiens à rappeler l’importance de nos engagements européens. On peut considérer que ces derniers représentent environ 80 % du corpus législatif qui s’impose en France. Ces engagements s’inscrivent dans la durée. Bien sûr, notre objectif doit être l’élaboration d’une politique européenne commune de l’énergie, assurant un rôle de coordination, jouant la complémentarité des mix énergétiques nationaux.
Mes chers collègues, reconnaissons qu’en matière environnementale l’Europe a très souvent été un fer de lance et un aiguillon !
À titre d’exemple, on peut rappeler que l’objectif dit « de facteur 4 », c’est-à-dire la réduction par quatre d’ici à 2050 de nos émissions de gaz à effet de serre, trouve son origine dans une décision internationale, d’ailleurs reprise en 2007 dans le Grenelle de l’environnement.
De même, c’est en 2008 que l’Union européenne s’est dotée d’un ensemble de directives et de règlements permettant l’application du fameux paquet « 3 x 20 » à l’horizon 2020, soit 20 % d’énergies renouvelables, 20 % d’efficacité énergétique en plus et 20 % de gaz à effet de serre en moins.
Permettez-moi de remarquer qu’ainsi remis en perspective le projet de loi relatif à la transition énergétique paraît beaucoup moins novateur, notamment quant à ses objectifs pour 2020 : en fait, voilà six ans que ceux-ci s’appliquent à notre pays. Ainsi, ce texte se contente de traduire des objectifs qui nous étaient déjà imposés. Tout cela est bien redondant.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, il n’y a pas assez d’Europe dans nos débats législatifs !
M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.
En revanche, ce que nous attendons, c’est une mise en œuvre concrète de ces objectifs. Nous en reparlerons lors de l’examen à venir du projet de loi relatif à la politique énergétique française. Dans quelques instants, mon collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, abordera de manière plus détaillée le paquet énergie-climat et les objectifs qu’il fixe pour notre pays.
J’en viens à la situation économique de la France par rapport au reste de la zone euro.
Monsieur le secrétaire d’État, dès juillet dernier, lors du débat d’orientation budgétaire, les membres du groupe UMP, que je représente ce soir, s’inquiétaient vivement de l’équation budgétaire pour 2015. Ils dénonçaient des projections de croissance trop optimistes et une baisse hypothétique de la dépense publique. Ils craignaient une réduction des rentrées fiscales et redoutaient de voir notre économie décrocher par rapport à nos partenaires européens.
Je salue votre tentative, en ouvrant nos débats, de répondre par anticipation à ces inquiétudes, qui, vous le savez, sont fortes. Malheureusement, vous le savez également, nos analyses ont été entièrement vérifiées.
Le Gouvernement est au pied du mur. Le pays est entré dans un cercle vicieux et même infernal, par lequel l’accumulation des déficits, la faible compétitivité et un chômage élevé ralentissent le redémarrage de notre économie et le retour à la confiance de ses divers acteurs.
Le Gouvernement tente de se disculper, en se disant victime d’un contexte global ou de l’attitude de nos partenaires. Or, permettez-moi de vous le dire, cela revient tout simplement à refuser de regarder la vérité en face.
Avec 4 % de déficit, il est impossible de prétendre que vous menez une véritable politique d’austérité. Vous demandez à l’Allemagne de lancer une politique d’investissements publics, mais vous ne respectez ni ses choix ni son équation économique nationale. Vous tentez de vous rallier l’Italie, mais celle-ci a d’ores et déjà fait savoir qu’elle prendrait toutes les mesures complémentaires nécessaires pour respecter le ratio de 3% de déficit en 2017. Enfin, vous prenez la mauvaise raison d’une inflation faible pour ne pas réduire la dépense publique à hauteur des engagements et tentez de raisonner en valeur et non plus en volume.
Voilà autant de prétextes qui isolent dangereusement notre pays.
Or, on le constate aujourd’hui, les pays de la zone euro qui redémarrent sont ceux qui, courageusement, parfois douloureusement, ont choisi la voie de la réforme. Ils commencent à en récolter les fruits.
À la veille du Conseil européen, alors que vous allez présenter aux autorités européennes votre projet de budget pour 2015, se pose la question du respect de nos engagements européens. Une fois encore, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la stratégie du Gouvernement à ce sujet ?
Il serait dangereux pour la France comme pour l’Europe que vous renonciez à nos engagements, car, contrairement à ce que vous laissez supposer, l’Europe n’est pas une contrainte. D’abord, vous avez accepté ces règles : votre majorité, avec notre accord, a ratifié le traité de stabilité. Ensuite, ces règles offrent une certaine souplesse : la preuve en est que nous avons déjà bénéficié d’un sursis de deux ans, à l’instar d’autres pays qui ont utilisé ce répit pour se réformer et qui, aujourd’hui, ne demandent pas plus de « souplesse ». Surtout, les décisions collectives prises au niveau européen sont le résultat – naturel, oserais-je dire – de décennies d’interpénétration de nos marchés et de l’organisation nécessaire de la convergence entre stratégies nationales.
Aujourd’hui, à la veille du Conseil et du débat budgétaire, qu’attendons-nous du Gouvernement ? Nous attendons un discours de vérité, notamment sur le contenu de la baisse des dépenses. Nous attendons également un positionnement de prudence, car certaines économies apparentes pourraient ne pas porter leurs fruits. La réduction des dotations des collectivités locales, par exemple, entraînera mécaniquement une baisse de l’investissement public, donc une baisse des recettes de l’État à travers l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales.
Nous attendons en outre des actes et une ligne économique claire, au-delà des déclarations contradictoires.
Dans cette perspective, monsieur le secrétaire d’État, accepteriez-vous d’informer précisément la représentation nationale de la position que va défendre le Gouvernement dans les prochaines semaines à Bruxelles ?
La question n’est pas, si je puis me permettre, que l’Europe respecte la France, pour citer le Premier ministre, mais bien que la France respecte sa parole à l’égard de ses partenaires européens !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat intervient à un nouveau moment clé du processus européen, celui de la définition de son agenda, qui dessinera les contours, les ambitions, les compétences et les capacités de l’Europe pour les cinq années à venir.
Après six années consacrées à juguler la crise financière, l’Europe doit trouver un nouveau souffle.
Le futur président de la Commission a voulu traduire les cinq priorités fixées par le Conseil européen de juin dernier dans une architecture rénovée de la Commission avec autant de vice-présidents chargés de les mettre en œuvre. Cette nouvelle organisation, à la fois transversale et agrégée, était nécessaire. En privilégiant le travail d’équipe, le travail en fonction des projets, la Commission pourrait enfin se redonner les capacités d’une impulsion plus politique et plus efficace.
Cet effort, fruit d’habiles compromis, est louable, mais sa complexité suscite encore des inquiétudes. J’en retiens deux.
La première, c’est le risque que cette structure ne relève que d’un habillage qui ferait l’économie d’une rénovation en profondeur des méthodes de fonctionnement de la Commission européenne et de la manière d’élaborer les politiques européennes. Ce ne serait alors qu’une sorte de coquille vide, paralysée par la multiplication des conflits de compétences, de prérogatives, de périmètre d’action et de pouvoir. Écarter très rapidement ce risque est une condition sine qua non de la crédibilité de cette nouvelle Commission, nécessaire, au vu de la situation économique et sociale qui sévit en Europe.
La seconde inquiétude est liée à la première : si la culture de l’Union européenne est déjà celle du consensus fondé sur l’intérêt commun, en faire la clé de voûte du nouveau fonctionnement de la Commission, comme l’a annoncé Jean-Claude Juncker, pourrait se révéler néfaste à certains projets ambitieux. Le consensus pourrait en effet conduire bien vite soit à des compromis sans relief, privilégiant encore des décisions appuyées sur le plus petit dénominateur commun, en décalage avec la situation et les besoins, soit à une conception trop juridique et technique des projets.
Quoi qu’il en soit, la Commission européenne doit agir vite et fort. Nous attendons donc avec un intérêt tout particulier son programme d’action.
Il me paraît important de rappeler ici les priorités que nous devons défendre.
Nous croyons vraiment qu’une véritable réorientation de l’Europe est nécessaire. Nous devons, en priorité, prendre nos responsabilités et renforcer la solidarité pour la croissance et l’emploi en Europe, j’y insiste.
Notre première responsabilité, c’est celle de l’emploi, en particulier celle de l’emploi des jeunes. Or l’action européenne en leur faveur, la garantie pour la jeunesse, dotée de 6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, peine à être consommée, alors qu’un quart des jeunes sont au chômage en Europe. Retard et faiblesse des avances de paiement, ventilation du cofinancement imprécise, responsabilité de la Commission ou des États : ces points doivent être rapidement clarifiés, et nous devons au plus vite résoudre cette difficulté.
Ainsi que la France et l’Italie l’ont évoqué au sommet européen qui vient de se dérouler à Milan, nous soutenons le principe de pérennisation de la garantie pour la jeunesse, ainsi que sa montée en puissance jusqu’en 2020 afin qu’elle représente in fine 20 milliards d’euros d’investissements consacrés à la lutte contre le chômage des jeunes Européens. Nous espérons que la Commission européenne intégrera cette ambition dans son plan d’investissement, conformément aux propositions émises par le Président de la République.
Alors que la croissance marque le pas dans tous les pays européens, il apparaît évident que son redémarrage est aujourd’hui impossible sans relance à l’échelle européenne. Notre responsabilité est aussi de recréer un cadre économique et financier propice à une croissance rapide et durable. L’achèvement de l’union bancaire, la poursuite de la régulation financière et le soutien aux actions non conventionnelles de la Banque centrale européenne en sont des éléments importants, qui conditionnent le financement de l’économie réelle.
Nous devons également poursuivre le rééquilibrage des objectifs de la zone euro : rééquilibrage du rythme des politiques de réduction des déficits en faveur de politiques de croissance ne se résumant pas aux seules réformes structurelles ; rééquilibrage social, car les politiques de relance ne doivent pas nécessairement remettre en cause les droits sociaux ; rééquilibrage des politiques économiques en faveur des investissements, alors que des institutions comme le FMI et l’OCDE enjoignent désormais les États membres à augmenter les investissements publics. C’est seulement à ces conditions que le plan d’investissement annoncé pourra tenir ses promesses en provoquant un choc de croissance salutaire.
Un consensus semble se dégager sur les secteurs prioritaires de ce plan d’investissement, tels que l’emploi et la formation ou le développement des infrastructures. La plus grande difficulté pour la nouvelle Commission réside toutefois dans l’élaboration d’un plan d’investissement précis relatif aux sources des 300 milliards d’euros annoncés.
Selon les informations dont nous disposons, ce plan sera en partie fondé sur des ressources déjà existantes avec le déploiement, ou le redéploiement, de fonds en provenance de la Banque européenne d’investissement, des fonds structurels ou du budget européen après la révision des perspectives financières à mi-parcours. La Commission a également d’ores et déjà annoncé qu’elle fera appel à des fonds privés, ce qui en dit long sur les capacités actuelles de l’Union et de ses États membres à répondre aux besoins nés d’une crise protéiforme et profonde qui nous conduit à repenser le fonctionnement de nos sociétés, non pas en termes de réformes structurelles mais sur le plan de l’organisation des modes de vie.
Nous devons être plus novateurs et défendre de nouvelles sources de financement. Les études existent, des projets concrets sont sur la table, que nous n’avons pas manqué de promouvoir au Sénat, comme l’attribution d’une capacité budgétaire à la zone euro ou la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.
L’efficacité du plan annoncé dépendra également de son ajustement aux besoins. Il faudrait alors trouver une combinaison équilibrée des financements de court et moyen terme, alors que l’on connaît la tendance naturelle de l’Europe à prévoir en priorité des projets à long terme. Dans la situation où se trouve l’Europe, la rapidité est pourtant essentielle, particulièrement si l’objectif est de déclencher un choc.
Il est également important de favoriser un déblocage des fonds qui, à l’inverse du fonctionnement de la garantie pour la jeunesse, ne relève plus du rythme de l’administration mais se calque sur les besoins. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à des procédures moins nombreuses et moins complexes pour la mise en œuvre de fonds moins centralisés et plus proches des projets, comme ceux que j’ai mentionnés plus haut.
Notre responsabilité, c’est aussi imaginer une Union plus forte et œuvrer à sa réalisation. L’Union européenne ne peut se contenter d’une politique gestionnaire. Elle doit être visionnaire comme elle l’a été avec l’union bancaire, dont on ne mesure pas encore assez l’importance dans les étapes de la construction européenne ; elle doit tracer des perspectives. La construction de cette Union forte passe par un fonctionnement institutionnel rénové, une Union de l’énergie, une politique industrielle utilisant toutes les ressources d’une Europe à la pointe de l’innovation.
La réussite du projet européen dépend également d’une solidarité plus grande, qui doit être placée au cœur de l’action européenne. Nos économies sont interdépendantes et les politiques économiques des uns ont des conséquences non négligeables sur celles des autres, comme nous le montrent des exemples récents. Nous devons poursuivre la mutualisation de nos moyens et de nos efforts.
Il nous faut enfin renforcer notre vision collective de l’action commune, qui passe nécessairement par un renforcement des structures décisionnelles pour la zone euro.
En revanche, cette nécessaire solidarité ne doit pas être conçue comme un partage du fardeau, qui conditionne un accord sur des objectifs communs ou l’organisation d’une politique commune sur les questions relatives à l’asile ou sur la définition du cadre climat-énergie pour 2030, qui occupera le prochain Conseil européen. Si ces sujets doivent faire l’objet d’une démarche de solidarité, cela ne doit pas être toute la solidarité.
Mes chers collègues, relever le défi de la relance du projet européen nous permettra de répondre à une autre nécessité : remédier au déficit démocratique européen en redonnant confiance dans l’action européenne commune pour résoudre les difficultés d’aujourd’hui et construire les projets de demain. Cette question du déficit démocratique relève tout particulièrement de notre responsabilité de parlementaires, c’est-à-dire de notre contrôle de l’action européenne. Le traité de Lisbonne nous a conféré de nouveaux droits que nous avons fait vivre, notamment à travers le contrôle du principe de subsidiarité.
Pourtant, dans une Union européenne toujours plus complexe, il faut faire plus : obtenir un règlement ambitieux de la Conférence interparlementaire prévue à l’article 13 ; être associés à la simplification et à la clarification des législations européennes ; développer le contrôle démocratique de la zone euro, de l’union bancaire, des accords commerciaux, des politiques « justice et affaires intérieures » ; mieux travailler avec le Parlement européen ; soutenir, lorsque cela est légitime, une démocratie participative naissante, notamment à travers la motion citoyenne. Un meilleur contrôle démocratique est indispensable à tout projet d’intégration européenne plus poussée.
Une Europe qui soutient, une Europe qui investit, une Europe qui fédère, voilà trois directions, trois ambitions qui sont à notre portée !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous connaissez tous l’ordre du jour du prochain Conseil européen : prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie, y compris sur des mesures supplémentaires visant à renforcer la sécurité énergétique de l’Europe et sur des objectifs spécifiques en matière d’interconnexion à l’horizon 2030.
Franchement, ce langage est tellement technocratique que l’on se demande où est la volonté d’Europe. Est-ce derrière ces mots que l’on ressent un souffle, en particulier dans un domaine aussi essentiel que celui de l’énergie ? D’ailleurs, je doute fort, malheureusement, qu’il y ait une volonté d’élaborer une véritable politique européenne de l’énergie. Cela tient à une raison simple : le chacun pour soi. Chaque pays édifie une politique dans le domaine de l’énergie en fonction d’abord de ses ressources, de ses capacités industrielles et de ses besoins. Foin du voisin ! Sauf à lui vendre l’énergie à des conditions intéressantes.
Par ailleurs, les directions générales de l’action pour le climat et de l’énergie de la Commission européenne ne se parlent pas vraiment ; c’est un fait connu. Ceux qui s’occupent de l’énergie s’intéressent beaucoup plus au marché de l’énergie, notamment à celui de l’électricité, tandis que les autres tiennent compte de considérations particulièrement importantes : le réchauffement climatique.
Quelles observations puis-je vous adresser, monsieur le secrétaire d'État, vous qui allez participer à ce Conseil européen, cette grande réunion biannuelle ? Ce sont non pas des conseils – je ne me permettrai pas de vous en donner –, mais plutôt des recommandations.
Dans le domaine du climat, il faut le dire très clairement, la France prend des initiatives fortes afin de lutter contre le réchauffement climatique. De ce point de vue, je le démontrerai dans un instant, la France n’a pas de leçons à recevoir ; elle pourrait même en donner.
En outre, à défaut d’avoir une politique, nous devons créer un véritable élan pour donner à l’Europe des moyens particulièrement puissants pour peser face à ses grands rivaux que sont les États-Unis d’Amérique et les pays d’Asie.
Par ailleurs, n’allez pas, monsieur le secrétaire d'État, devant nos partenaires européens avec le sentiment que nous sommes le mauvais élève, car c’est exactement le contraire. À cet égard, je citerai quelques chiffres.
La France émet 7 000 tonnes de gaz à effet de serre par habitant et par an, contre 12 000 tonnes en Allemagne. L’énergie électrique produite en France est carbonée à hauteur de 10 %, contre 58 % en Allemagne. Le rapport est de un à six !
Parlons maintenant d’énergie.
Je formulerai une première recommandation, monsieur le secrétaire d'État : chaque pays doit pouvoir définir son propre bouquet énergétique. Le nôtre – il est connu – comprend une part importante de nucléaire. Protégeons cet acquis, qui a été consolidé par tous les gouvernements qui se sont succédé, même si nous avons un certain nombre de perspectives – certaines raisonnables, d’autres plus audacieuses – pour ce qui concerne les énergies renouvelables. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
À cet égard, je me permets de rappeler un point important : si le nucléaire constitue une composante importante de notre bouquet énergétique, nos voisins allemands consacrent une part considérable aux énergies fossiles. La part d’électricité produite par le charbon – ce combustible étant moins nécessaire aux États-Unis et à l’Amérique du Nord, il traverse aujourd’hui l’Atlantique vers l’Allemagne et les pays du nord de l’Europe, notamment – est telle qu’elle est passée en Allemagne de 30 % à 42 %, à laquelle il faut ajouter la production d’électricité à partir du gaz, qui représente 16 %, soit pratiquement 60 %. J’entends parfois que la France est le pays du tout-nucléaire. Mais parle-t-on du pays du tout-charbon ou du tout-fossile qu’est l’Allemagne ? Pourtant, l’Allemagne deviendrait un modèle…
On nous dit que les Allemands vont diminuer leur consommation d’électricité de 40 % d’ici à 2030 et que nous devrions en faire de même. Or je ne crois pas que la consommation va diminuer. Au contraire, celle-ci va gentiment augmenter, en raison de nouveaux usages, tel le véhicule électrique. Toutes les réflexions qui sont aujourd'hui menées sur les moyens à déployer pour produire de l’énergie doivent donc tenir compte d’un paramètre essentiel : la consommation.
Un autre point important concerne le prix payé. Au sein de votre majorité – non plus ici, monsieur le secrétaire d'État, mais dans une autre assemblée –, un courant de pensée, qui a d’ailleurs pris la forme d’un groupe parlementaire, veut à tout prix que l’énergie soit chère. Les écologistes prétendent avec une grande constance que le prix de l’électricité n’est pas assez élevé et que le coût du pétrole doit augmenter. Sur ce dernier point, ils auront largement satisfaction, car un certain nombre de mesures contenues dans le projet de loi de finances vont conduire, au grand dam des consommateurs français, à l’augmentation du prix du gazole ou du fioul, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles je n’insisterai pas.
Pour ce qui concerne l’électricité, rappelons que le déploiement de tout le potentiel d’énergies renouvelables est supporté par le consommateur au travers de ce qu’on appelle la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui représente aujourd'hui environ 16 euros par mégawatt. En Allemagne, connaissez-vous, mes chers collègues, le montant de l’équivalent de la CSPE ? Le chiffre est certainement déjà dépassé, alors qu’il ne remonte qu’à quelques mois : 53 euros. Avant même d’utiliser un mégawatt, un Allemand paye 53 euros. Cela est notamment dû au fait que l’Allemagne utilise beaucoup d’énergies renouvelables ; le prix est donc très élevé en raison du coût des infrastructures. Savez-vous, par exemple, que, pour ce qui concerne l’éolien, 20 milliards d’euros ont été dépensés pour produire 40 térawatts-heure ? Concernant le photovoltaïque, ce sont 112 milliards d’euros – je dis bien 112 milliards d’euros ! – qui ont été dépensés pour produire 12 térawatts-heure.
En France, le parc électronucléaire de 58 réacteurs aura coûté moins de 100 milliards d’euros pour produire 400 térawatts-heure. Il faut avoir ces chiffres à l’esprit pour arguer du fait que la politique menée en France n’est pas honteuse. Au contraire ! Ce sont des atouts et des acquis que nous devons défendre.
Le temps qui m’est imparti étant déjà écoulé, je conclurai mon propos en évoquant une nouvelle qui nous a beaucoup réjouis ; je veux parler de Jean Tirole, qui s’est vu décerner le prix Nobel d’économie. Ce professeur a réalisé des travaux importants sur la puissance du marché et de la régulation. Or, monsieur le secrétaire d'État, en matière d’énergie, il faut à la fois du marché, de la régulation et de l’ambition !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
La parole est à M. le président de la commission du développement durable.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très heureux de m’exprimer ce soir pour la première fois à cette tribune en tant que président de la commission du développement durable pour évoquer la question essentielle du climat, qui sera l’objet d’une très importante conférence internationale à Paris en 2015 et qui sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
La politique énergétique et climatique fait partie des cinq priorités stratégiques définies par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne pour les cinq prochaines années. Ainsi que le relevait le Conseil européen du 27 juin dernier, « les événements géopolitiques, la compétition mondiale pour l’énergie et les impacts des changements climatiques nous incitent à repenser notre stratégie énergétique et climatique. Nous devons éviter une Europe reposant sur les importations massives de gaz et de combustibles. Pour s’assurer que l’énergie du futur soit pleinement sous contrôle, nous devons construire une Union européenne qui tend vers une énergie abordable, à l’approvisionnement sûr et durable ».
C’est dans ce contexte que, les 23 et 24 octobre prochain, les chefs d’État ou de gouvernement des vingt-huit États membres de l’Union européenne se réuniront pour statuer sur les trois objectifs du paquet énergie-climat pour 2030. Ces trois objectifs, tels que proposés actuellement par la Commission européenne, sont les suivants : 40 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins ; 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 30 % d’efficacité énergétique par rapport aux projections futures de consommation d’énergie, c’est-à-dire un effort substantiel d’économies d’énergie.
Il est intéressant de noter que l’objectif en matière d’efficacité énergétique ne faisait pas partie de la proposition initiale de la Commission européenne et n’a été ajouté au paquet énergie-climat qu’en juillet dernier. On sait en effet que l’efficacité énergétique a un impact significatif sur l’indépendance énergétique, notamment sur la sécurité des approvisionnements et les importations de gaz. Selon les calculs réalisés par la Commission, un objectif de 30 % d’économies d’énergie d’ici à 2030 permettrait de réduire dans la même proportion les importations de gaz par rapport aux chiffres de 2010.
À ce stade des discussions, sur les trois objectifs évoqués, seul celui de 27 % d’énergies renouvelables serait contraignant et, en outre, à la seule échelle de l’Union européenne, sans ventilation par pays. Or chacun sait qu’il existe une grande disparité entre les pays membres, avec plus de 50 % d’énergies renouvelables dans certains pays comme la Suède et moins de 5 % au Royaume-Uni, par exemple.
Les lignes directrices préparées en prévision du Conseil européen évoquent également la nécessité de réformer le marché européen du carbone, en durcissant le plafond annuel de quotas, tout en maintenant des quotas gratuits pour les industries les plus exposées à la concurrence internationale.
La commission du développement durable a déjà eu l’occasion de souligner l’année dernière, assez unanimement d’ailleurs, la nécessité d’engager une réforme structurelle de ce marché d’échange, qui ne permet pas d’atteindre les objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre et qui, de surcroît, pénalise certains secteurs économiques.
Je ne rentrerai pas dans le débat sur les chiffres proposés, qui sont cohérents avec les objectifs retenus jusqu’à présent dans notre pays. Nous aurons largement l’occasion de nous exprimer au cours de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte sur le niveau d’ambition pour la France. La commission du développement durable prendra d’ailleurs toute sa part dans cette discussion déterminante pour l’avenir de notre économie.
Dans le contexte européen actuel, certains pays s’interrogent sur les objectifs proposés. Ils ont même manifesté, pour certains d’entre eux, une claire opposition lors du dernier Conseil européen consacré à ce sujet. C’est la raison pour laquelle des mesures de flexibilité et des mécanismes de soutien ont été prévus. Il s’agit en particulier des pays de l’Est, qui, derrière la Pologne et le groupe de Visegrád, refusent l’adoption d’objectifs contraignants pour 2030, préférant attendre les résultats de la conférence internationale de 2015 sur le climat.
Cette conférence internationale est une priorité de la diplomatie française, et nous nous en réjouissons. Concernant ces questions climatiques, le prochain Conseil européen sera le premier véritable test pour notre pays. À cet égard, pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le secrétaire d'État, dans l’optique de la présidence française des négociations de 2015 ? L’enjeu est en effet, vous en conviendrez, tout à fait considérable.
Trois mécanismes de solidarité sont aujourd’hui en discussion dans le cadre du paquet énergie-climat : la création d’une réserve de 400 millions de quotas pour financer des projets industriels pilotes à bas carbone ; la création d’un nouveau fonds, afin d’aider à moderniser les systèmes énergétiques et l’efficacité énergétique des pays dont le PIB est inférieur à 60 % de la moyenne européenne ; enfin, un transfert de 10 % des quotas destinés à être vendus aux enchères à destination des pays dont le PIB n’excède pas 90 % de la moyenne européenne, à savoir les pays de l’est et du sud de l’Europe.
Ces contreparties permettront-elles d’emporter un accord sur les objectifs européens ? Quelle sera la position de la France sur ces points précis ? Nous aimerions vous entendre sur ces questions, monsieur le secrétaire d'État.
Il s’agit bien à présent pour notre pays de tracer les grands axes de sa politique extérieure en matière de dérèglement climatique, dans la perspective de la conférence de Paris sur le climat. La feuille de route fixée en décembre 2011 lors de la conférence de Durban est claire : tous les pays doivent parvenir en 2015 à un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, afin de respecter l’objectif de contenir le réchauffement climatique à deux degrés que s’est fixé la communauté internationale. Si l’on souhaite voir aboutir la conférence de Paris, il est impératif de pouvoir s’appuyer sur une position commune et forte, portée par tous les pays de l’Union, avant cette échéance.
La commission du développement durable contribuera à la réflexion commune en participant en fin d’année à la conférence préparatoire de Lima ainsi qu’aux différentes rencontres interparlementaires internationales et en reprenant les travaux de son groupe de travail sur les questions climatiques, qui se mobilisera tout au long de l’année 2015. Nous en sommes convaincus, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer dans la définition d’un nouvel accord mondial.
Il nous faut donc donner lors de ce Conseil européen un signal politique fort et clair. Il n’en faut pas moins rester réalistes afin que le signal envoyé soit positif.
Au-delà de l’impérieuse nécessité d’obtenir un accord international en décembre 2015, il est aussi indispensable de fixer une fois pour toutes un horizon clair pour les investisseurs qui ont besoin, en ce domaine comme dans bien d’autres, d’un cadre juridique stable et prévisible. Dans un contexte de crise économique grave, les négociations autour du paquet énergie-climat doivent aussi être l’occasion d’enclencher une politique économique résolument ambitieuse et génératrice d’emplois. De nombreux industriels européens l’ont parfaitement compris. C’est pourquoi ils se mobilisent fortement autour du prochain Conseil européen.
En France, le Conseil national de l’industrie prône un objectif contraignant prioritaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cinquante-sept entreprises et fédérations des secteurs de l’énergie et de la distribution ont appelé, dans une lettre adressée au Conseil européen, à un paquet énergie-climat ambitieux afin de permettre un accord mondial à Paris et de sécuriser les investissements à long terme.
Réussir la transition énergétique, c’est aussi adopter un cadre réglementaire national et européen cohérent et stable afin d’apporter la visibilité essentielle aux acteurs économiques tout en préservant à court terme la compétitivité des entreprises intensives en énergie et des entreprises fortement exposées à la concurrence internationale.
L’objectif à atteindre est clair. La position de la France dans le cadre de ce Conseil européen va largement conditionner sa crédibilité pour les négociations internationales à venir. En mars dernier, le Conseil européen n’était pas parvenu à adopter d’objectifs chiffrés pour 2030. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons désormais plus le droit à l’erreur.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les 23 et 24 octobre prochain, les questions de climat et d’énergie seront en tête de l’ordre du jour du Conseil européen – plusieurs de nos collègues ont développé cet aspect –, mais il y sera aussi examiné la situation économique de l’Union européenne et de ses États membres. C’est pourquoi j’ai souhaité intervenir sur différents aspects de cette situation en la mettant en perspective à la lumière de questions budgétaires.
Pour commencer, je m’interroge sur l’examen annuel de croissance, qui marque le début du semestre européen. En 2014, la première priorité retenue est « d’assurer un assainissement budgétaire différencié propice à la croissance ». Il doit donc s’agir de concilier consolidation budgétaire et croissance. Le gouvernement français est pleinement engagé dans cette voie, mais les autorités européennes et certains de nos partenaires ne semblent pas prêts à dépasser le stade des discours.
À ce sujet, je souhaite précisément évoquer l’évaluation par la Commission européenne des projets de plans budgétaires des États membres de la zone euro, suite au two-pack entré en vigueur le 30 mai 2013. Nous saurons d’ici au 30 octobre si la Commission européenne a décelé dans le budget français un manquement particulièrement grave aux obligations découlant du pacte de stabilité et de croissance et si elle demande qu’un projet révisé lui soit soumis.
Ce Conseil est l’occasion de rappeler qu’un assainissement propice à la croissance n’est pas un assainissement qui étouffe la croissance. Le cas allemand constitue une bonne illustration de ce phénomène : les prévisions de croissance ont été abaissées, et il se pourrait que le dynamisme économique de l’Allemagne marque un ralentissement sur la durée. La crise économique a eu une incidence sur le potentiel de croissance de nos économies, et il ne faut pas l’empêcher de se reconstituer si nous voulons qu’un jour l’Europe contribue à nouveau à la croissance mondiale. L’Eurogroupe envoie des signaux encourageants en débattant des modalités selon lesquelles pourrait être mis sur pied un fonds d’investissement afin, notamment, de mettre en œuvre le plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur les trois prochaines années.
On assiste à de nombreux débats sur les modalités de financement de ces investissements, sur le rôle que pourraient jouer la Banque européenne d’investissement et les banques nationales telles que la KfW allemande ou la Caisse des dépôts française et sur le rôle que pourrait jouer ou ne pas jouer le mécanisme européen de stabilité. Mais on peine à y voir clair sur le type d’investissements visés. On évoque beaucoup les infrastructures. Ce plan portera-t-il essentiellement sur elles ? Je pense, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous donnerez peut-être des indications sur ce débat qui ne fait que commencer.
Enfin, je voudrais revenir sur l’agenda de la zone euro en matière bancaire et financière, point sur lequel la commission des finances est traditionnellement très vigilante. Dans ce domaine, le principal chantier en cours est celui de l’union bancaire. Dans quelques semaines, le premier pilier de l’union bancaire, le mécanisme de surveillance unique, va entrer en vigueur.
Le deuxième pilier est la résolution unique, c’est-à-dire la mise en place d’une architecture et d’un financement commun pour gérer les crises bancaires, afin d’éviter au maximum l’appel au contribuable pour renflouer les banques. Le règlement européen a été adopté et le projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne – dont le sigle « DDADUE » peut prêter à sourire –, que nous examinerons cette semaine, prévoit l’adaptation de notre droit à cette nouvelle architecture.
Cependant, la commission des finances est soucieuse du financement de notre économie. Elle n’oublie pas non plus que le contribuable français sera tout de même indirectement sollicité puisque toutes les sommes versées par les banques au fonds européen viendront réduire le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent et qu’il faudra donc trouver de l’argent ailleurs pour poursuivre la réduction des déficits. C’est la raison pour laquelle nous nous inquiétons de la contribution des banques françaises au Fonds de résolution unique européen de 55 milliards d’euros. Nous avons donc adopté un amendement sur la proposition de notre collègue Richard Yung, rapporteur, qui permet, en quelque sorte, de « surseoir à statuer » sur la participation de la France au mécanisme de résolution unique tant que nous ne connaissons pas le résultat de la négociation sur le financement du Fonds de résolution unique.
Sur le fond, nous voudrions savoir pourquoi les banques françaises devraient payer une part supérieure aux banques allemandes alors que notre économie est de plus petite taille et notre système bancaire réputé moins risqué. Sur le calendrier, nous voudrions comprendre pourquoi la Commission européenne tarde à prendre les « actes délégués » dans lesquels doit figurer la répartition des contributions entre les différents systèmes bancaires de la zone euro.
Par ailleurs, si le fonds de résolution ne suffisait pas à éponger les pertes d’un établissement, quel serait le filet de sécurité ? Lors du lancement de l’union bancaire, l’objectif était de permettre in fine un financement par le mécanisme européen de stabilité, le MES. Cette idée a du mal à aboutir, alors même qu’elle représenterait la véritable intégration et la véritable solidarité à l’échelle de la zone euro. Un accord politique a été obtenu au sein de l’Eurogroupe le 13 juin dernier sur ce sujet, mais il pose de multiples conditions à l’utilisation du MES et nécessite de passer par la procédure lourde de l’accord intergouvernemental. Nous aimerions savoir si cette idée a des chances de prospérer.
Je conclurai en souhaitant que la France ne baisse pas la garde en matière de régulation financière. Le commissaire Jonathan Hill a présenté la régulation du shadow banking – la finance de l’ombre – comme l’un de ses chantiers prioritaires. Encore une fois, à nous de l’aider à passer de la parole aux actes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce premier débat préalable au Conseil européen depuis le dernier renouvellement du Sénat. C’est un moment important auquel nous sommes très attachés. Il est en effet essentiel que le Sénat puisse avoir ce dialogue avec le Gouvernement, et je remercie M. le secrétaire d’État de sa disponibilité. Je remercie également mon prédécesseur, Simon Sutour, qui a veillé lors de la précédente mandature à ce que ce débat soit régulièrement organisé afin de partager auprès d’une majorité de nos collègues les problématiques européennes, problématiques que notre collègue Fabienne Keller a souligné comme étant très clairement imbriquées dans les problématiques nationales.
Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit dans le contexte du renouvellement des institutions européennes. Si le Parlement européen confirme le 22 octobre, dans quelques jours à peine, la nouvelle Commission présidée par Jean-Claude Juncker, le Conseil européen pourra procéder à la nomination du collège.
Les défis sont nombreux. Jean-Claude Juncker les a identifiés. Il propose une feuille de route qui nous paraît pertinente. Il s’agit en effet de se concentrer sur les priorités de l’heure : la croissance et l’emploi, en tout premier lieu ; le climat et l’énergie ; le traité transatlantique ; le numérique ; les questions migratoires. Tels sont les grands sujets sur lesquels l’opinion publique attend l’Europe. Celle-ci ne doit plus se disperser dans des questions de détail. Cela lui a fait beaucoup de mal par le passé. La subsidiarité doit jouer pleinement son rôle. Nous, parlements nationaux, devons être les gardiens vigilants du respect de ce principe !
Le climat et l’énergie, chacun l’a dit, seront les deux sujets majeurs inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Celui-ci devra en effet prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action dans ces domaines. Sa décision devra inclure la sécurité énergétique de l’Europe et les objectifs en matière d’interconnexion à l’horizon de 2030.
Le défi climatique est immense, nous le savons : 2013 a établi un nouveau record pour les émissions mondiales de CO2. Le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, estime qu’en prolongeant la trajectoire actuelle, le réchauffement atteindrait six degrés d’ici à la fin du siècle. Or les conséquences du réchauffement risquent de devenir incontrôlables au-delà de deux degrés. Sans doute la communication sur ces enjeux essentiels a-t-elle été maladroite, voire déficiente. À mes yeux, elle n’a pas suffisamment fait place aux scientifiques. On a trop privilégié une écologie punitive au détriment d’une écologie éducative.
L’Union européenne s’est positionnée comme pionnier de la lutte contre le changement climatique. Le président Juncker a repris les objectifs ambitieux de la Commission sortante. Cependant, il faut veiller à ce que l’Union européenne ne se fragilise pas unilatéralement en cherchant à être la « première de la classe ». Un principe de réciprocité doit s’appliquer. Je rappelle que l’Europe représente aujourd’hui environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De 1990 à 2011, ces émissions ont augmenté de 214 % en Chine, contre 130 % en Inde et 8 % aux États-Unis, alors que, dans le même temps, l’Europe abaissait les siennes de 18 %. Or, à ce jour, aucun engagement international contraignant n’implique l’Inde ni la Chine. C’est la raison pour laquelle la conférence de Paris sur le climat en 2015 revêtira un enjeu crucial.
Soyons aussi conscients des très grandes disparités nationales existant au sein de l’Union. La directive sur l’efficacité énergétique de décembre 2012 n’a été correctement mise en œuvre que par la moitié de ses États membres. En mars 2014, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale ont demandé un « partage équitable du fardeau » pour atteindre les objectifs climatiques à l’horizon de 2030.
Certains secteurs industriels tirent aussi la sonnette d’alarme sur les risques de « désavantages compétitifs ». Des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu. Les secteurs de l’agriculture et des transports sont également exposés. On voit bien que ces questions doivent recevoir, je le répète, des réponses au niveau mondial.
L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais où le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis – le président Lenoir le sait mieux que quiconque. À la recherche de nouveaux moteurs pour sa croissance, l’Europe doit donc réfléchir à une politique véritablement énergétique. Elle doit aussi veiller à sa sécurité énergétique.
On a beaucoup investi dans les énergies renouvelables. Dans un récent rapport sur la coopération énergétique franco-allemande, j’avais fait valoir que l’Union européenne devait financer la transition énergétique tout en soutenant sa réindustrialisation. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer cette évolution. Au-delà, la progression des énergies renouvelables sera inévitablement ralentie dans un avenir proche. En effet, les investissements indispensables n’ont pas été réalisés pour pallier l’intermittence caractérisant la plupart des énergies renouvelables.
Voilà ce que je souhaitais dire concernant le paquet climat-énergie.
La situation économique au sein de l’Union européenne sera aussi un enjeu important de ce Conseil européen.
Chacun peut faire le constat préoccupant de l’atonie de l’économie européenne. Jean-Claude Juncker a annoncé un plan d’investissement de 300 milliards d’euros. Nous pouvons soutenir la démarche. Encore faut-il examiner de près d’où viendront les financements de ce plan. Vous avez commencé à l’évoquer, monsieur le secrétaire d’État. Je veux ici mettre en garde sur une éventuelle utilisation unilatérale des crédits des fonds structurels européens. Ceux-ci sont très attendus dans nos collectivités locales, notamment pour compenser, au moins en partie, la baisse drastique des dotations de l’État. Tout détournement de ces fonds ferait l’effet d’une douche froide dans nos territoires. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos explications à ce sujet.
En toute hypothèse, les débats autour d’une relance européenne ne peuvent dispenser la France de rétablir ses finances publiques et de réaliser les réformes structurelles indispensables.
À cet égard, je rappelle que nous évoluons dans un cadre juridique européen, établi à la suite de la crise économique et financière. C’est en vertu de nos engagements européens que le gouvernement français, comme celui de chaque État membre de la zone euro, doit soumettre à la Commission européenne avant le 15 octobre, c’est-à-dire avant demain, son projet de plan budgétaire. La Commission européenne rendra un avis public sur ce projet avant la fin de novembre ; elle peut, en particulier, requérir d’un État membre qu’il révise son projet sous trois semaines. Si, par hypothèse, ce cas de figure se présentait pour la France, je souhaite que nous demandions à la Commission européenne de venir expliquer sa position devant le Sénat ; la possibilité en est expressément prévue par le TSCG adopté en mars 2012.
Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l'UDI-UC.
Au vu de la situation de récession constatée au début de 2013, notre pays a déjà bénéficié d’un délai supplémentaire de deux ans pour ramener son déficit en dessous des 3 % du PIB. La Commission européenne avait toutefois souligné que la France avait une marge de manœuvre nulle en matière budgétaire. Elle avait aussi pointé un « progrès limité » en ce qui concerne les efforts structurels. En conséquence, elle invitait les autorités françaises à exécuter le budget de manière rigoureuse.
À vrai dire, l’avis plus que réservé rendu le 2 octobre dernier par le Haut Conseil des finances publiques, dont je vous rappelle qu’il est un organisme indépendant, sur le projet de budget augure mal de la position à venir de la Commission européenne. De fait, je doute que la situation de « circonstances exceptionnelles » prévue par les textes européens puisse être utilement invoquée : la France l’a déjà invoquée en mai 2013, pour obtenir un délai au cours duquel sa situation budgétaire s’est encore plus dégradée.
Quant à invoquer des « circonstances exceptionnelles » à l’échelle collective, en arguant de l’atonie de la croissance européenne et du risque de déflation, la France, si elle s’y risquait, pourrait se trouver très isolée en Europe. En effet, ces « circonstances exceptionnelles » n’ont pas été reconnues au plus fort de la crise, en sorte que des États, comme l’Espagne, ont dû consentir de très grands efforts de rigueur budgétaire, qui, du reste, commencent à porter leurs fruits, si j’en crois les propos tenus récemment par le président du comité monétaire et financier international du FMI.
Je le dis clairement : au-delà des clivages politiques, l’heure est au courage politique. Dans ce contexte, la majorité et l’opposition, même si elles ont des divergences d’analyse sur la situation actuelle, doivent rechercher un accord sur des mesures rationnelles propres à remédier aux difficultés présentes, avec le souci, tout simplement, de l’intérêt de la France.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Je tiens avant tout à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés pour la richesse de leurs interventions ; elles ont éclairé dans leurs différentes facettes les enjeux du Conseil européen des 23 et 24 octobre et ont fait valoir l’importance de ce rendez-vous.
Je remercie M. Gattolin pour le travail qu’il mène actuellement afin de sensibiliser la communauté internationale et les dirigeants européens à la situation alarmante de l’Arctique et aux conséquences des bouleversements climatiques dans cette région sur l’élévation du niveau des mers et sur les équilibres climatiques dans le monde, y compris en Europe. Je sais, monsieur le sénateur, que vous vous êtes rendu très récemment sur le terrain.
Dans votre intervention, vous avez souligné le lien très étroit qui unit la politique énergétique et climatique qui sera en discussion au cours du prochain Conseil européen aux enjeux d’indépendance géostratégique pour l’Union européenne. D’autres orateurs ont également insisté sur cette relation. De fait, certains États membres dépendent à 100 % de la Russie pour leurs fournitures de gaz, et plusieurs en dépendent à plus de 50 %, ce qui n’est pas une situation saine.
En réfléchissant aujourd’hui à une nouvelle politique énergétique, nous nous efforçons, tout en respectant les choix des États membres en matière de mix énergétique, de renforcer la solidarité et les interconnections et de réduire notre dépendance aux fournitures extérieures, notamment en développant nos sources propres de production d’énergie, en particulier les sources d’énergie renouvelable, mais aussi en encourageant l’efficacité énergétique, qui est actuellement la principale source d’économies d’énergie.
Telle est la politique que nous menons en France et dont la future loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est l’instrument. En particulier, nous mettons en place des aides fiscales et des mesures de soutien au secteur économique de l’isolation pour que les ménages, comme les équipements publics, bénéficient d’une meilleure efficacité énergétique.
Cette politique, nous voulons qu’elle soit appliquée à l’échelle de l’ensemble de l’Union européenne. Ainsi, nous lutterons contre le réchauffement climatique en même temps que nous travaillerons à assurer notre indépendance énergétique.
Nous pensons aussi qu’il y a là un nouveau secteur d’innovation technologique, de création d’activités et de leadership industriel qui peut être développé au service de l’emploi en Europe. Car si l’Europe est leader dans les domaines de l’énergie, elle pourra proposer ses technologies à l’échelle internationale et verra ses entreprises prospérer dans la mondialisation. Remarquez que je parle de tous les domaines de l’énergie. De notre point de vue, en effet, il ne faut pas opposer l’excellence de notre savoir-faire dans le domaine du nucléaire, qui réalise une grande part de notre production électrique et assure notre indépendance énergétique, au développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique par l’isolation.
Nous voulons que le Conseil européen aboutisse à des objectifs contraignants en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de montée en puissance des énergies renouvelables. Une fois ces objectifs contraignants fixés à l’échelle de l’Union européenne, il faudra déterminer la part de l’effort qui revient à chaque pays, car nous ne partons pas tous du même point. Ainsi, la Pologne produit 90 % de son électricité à partir du charbon : il est évident que sa situation n’est pas la même que celle de la France, où 75 % de l’électricité produite vient du nucléaire.
Dans notre pays, nous voulons que les énergies renouvelables se développent et que la part du nucléaire soit rééquilibrée, sans qu’il s’agisse d’y renoncer. En effet, selon la future loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le nucléaire continuera de représenter 50 % de notre production d’électricité à l’horizon de 2025. Nous allons donc poursuivre l’entretien de notre technologie et de nos savoir-faire dans ce domaine. En particulier, nous remplacerons progressivement les plus anciennes centrales par de nouveaux EPR comparables à celui qui est en construction à Flamanville.
Dans d’autres pays, il est évident que l’évolution du mix énergétique devra être beaucoup plus importante, et même considérable. En Pologne, l’objectif est, à terme, de ne plus produire d’électricité à partir d’une énergie fossile qui émet autant de gaz à effet de serre que le charbon. Sans doute, cela ne se fera pas du jour au lendemain : il faut prendre en compte les réalités de chaque pays, de même qu’il faut respecter la souveraineté des États membres en matière de mix énergétique. Reste que tout le monde doit contribuer à l’effort global : c’est pourquoi, en Pologne aussi, il faut promouvoir d’autres sources d’énergie.
Je répète que, dans ces deux domaines, des objectifs contraignants seront fixés, ainsi qu’une cible en matière d’efficacité énergétique. Nous aurions pu concevoir que, dans ce domaine aussi, un objectif contraignant soit défini, puisque nous allons nous en donner un, en ce qui nous concerne, dans la future loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte ; mais il faut pour cela qu’un accord soit trouvé.
Pour aider chacun des pays à atteindre la cible d’une amélioration de 30 % de l’efficacité énergétique, nous devrons utiliser les fonds européens : le budget européen, mais aussi le prochain plan de soutien aux investissements proposé par Jean-Claude Juncker.
À ce propos, M. Bocquet a insisté, entre autres questions, sur celle du soutien aux investissements, qui se pose aujourd’hui partout en Europe, y compris en Allemagne. Vous avez mentionné, monsieur le sénateur, les travaux récents d’un institut d’économie important, le DIW. Je puis vous dire que, au cours des échanges qui ont eu lieu avec les autorités allemandes à l’occasion du déplacement que le Premier ministre a accompli dernièrement dans ce pays, le ministère allemand de l’économie nous a fait part d’une évaluation, réalisée par différents instituts et par ses propres services, dont il résulte qu’il existe un besoin d’investissement de 80 milliards d’euros par an dans les infrastructures.
Vous avez raison de souligner que, aujourd’hui, pour faire face aux problèmes économiques du continent, il ne faut pas s’attacher seulement à la réduction des déficits et de l’endettement, même si cette tâche est absolument indispensable, parce que l’endettement entraîne des impôts et une dépendance aux marchés financiers qui peut être source de menaces pour la souveraineté des États. Il faut que cette consolidation budgétaire s’accompagne d’investissements dans les infrastructures et dans les projets qui conforteront la croissance immédiate ainsi que le potentiel de croissance future. C’est pourquoi nous avons obtenu que figure dans les conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin denier le principe d’une application du pacte de stabilité et de croissance qui en exploite toutes les flexibilités. Ce principe fait évidemment référence à la situation économique dans laquelle se trouve la zone euro.
En matière de réduction des niveaux de déficit et d’endettement, il y a donc un objectif général et des étapes fixées pour chacun des États membres ; mais il y a aussi une situation dont il faut tenir compte, car il n’est pas équivalent de réaliser ces objectifs lorsqu’il y a 2 % ou 3 % de croissance et lorsqu’il y a une croissance nulle, voire négative, ce qui est le cas dans plusieurs des grandes économies de la zone euro depuis le début de l’année.
M. Bocquet a également voulu souligner que le mécanisme d’audition des commissaires avait pu être contrebalancé par des négociations de couloir. Pour ma part, je ne veux pas porter de jugement sur la manière dont se déroulent les négociations dans un autre Parlement que le Parlement français. Je pense que ces auditions ont tout de même joué leur rôle et que ce mécanisme démocratique permet au Parlement européen, auquel les traités européens reconnaissent le pouvoir d’investir le collège des commissaires, d’entendre les candidats pendant trois heures et d’obtenir d’eux, en leur posant des questions extrêmement précises, des réponses et des engagements sur les questions qu’ils auront à traiter. Grâce à ces auditions, le Parlement européen a pu s’assurer que le futur collège des commissaires s’engageait à mettre en œuvre les priorités stratégiques sur lesquelles le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait été préalablement investi.
Comme le président Bizet l’a signalé il y a quelques instants, nous sommes tout à fait soucieux que l’Europe se concentre sur quelques grandes priorités et qu’elle respecte le principe de subsidiarité ; d’ailleurs, les Parlements nationaux auront un rôle à jouer pour veiller au respect de ce principe. Ainsi, l’Europe pourra être au rendez-vous de l’attente des citoyens sur les grands objectifs essentiels que sont la croissance et l’emploi, la politique énergétique, le numérique, qui est un projet d’avenir crucial, la politique d’immigration et la politique étrangère et de sécurité commune.
Je pense que les auditions ont permis de vérifier que les futurs commissaires étaient bien en phase avec ces priorités, qui viennent d’être mentionnées par les orateurs. Pour certains commissaires, des questions sont apparues qui ont justifié une nouvelle audition, dans un cas, ou une discussion avec le président de la Commission européenne. Une candidate a même été contrainte de renoncer. Autant de preuves qu’il s’agit d’un processus non pas artificiel, mais solide.
Je me réjouis que le commissaire français, Pierre Moscovici, qui a été désigné par le président de la Commission européenne pour occuper la fonction la plus importante en matière de politique économique, celle de commissaire aux affaires économiques et financières et à la fiscalité – cette dernière attribution ayant été ajoutée au portefeuille –, ait réussi son audition et que les commissions compétentes qui l’ont auditionné aient émis un avis positif sur sa nomination.
Jean-Claude Requier a insisté particulièrement sur les enjeux de la politique étrangère et de défense commune. Monsieur le sénateur, vous avez souligné à quel point il était aujourd’hui nécessaire que l’Europe se dote d’outils plus nombreux et d’une cohésion plus grande dans ces domaines.
Pour le Mali comme pour l’Irak, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour que les Européens engagent une action commune. Si nous avons agi sans attendre, c’est parce qu’il y avait urgence. Notre engagement aérien aux côtés des États-Unis d’Amérique pour soutenir le gouvernement irakien et les Peshmergas kurdes a permis de porter un coup d’arrêt à l’offensive de Daech. Ce combat doit continuer, en particulier pour sauver la ville martyre de Kobané.
Ces actions ont permis d’entraîner les Européens. Au Mali, la brigade franco-allemande ainsi que plusieurs pays de l'Union européenne mènent aujourd'hui une opération de formation de l’armée malienne. En République centrafricaine, une mobilisation a également lieu pour l’opération qui s’y déroule. De même, plusieurs pays de l'Union européenne sont engagés à nos côtés et aux côtés des États-Unis dans le cadre de la coalition internationale afin de combattre, de réduire et de faire disparaître ce groupe Daech, qui terrorise la population et tous ceux qui ne partagent pas ses vues.
Vous le savez, cette priorité figurait à l'ordre du jour du Conseil européen de décembre dernier. Nous avons fixé un certain nombre d’objectifs extrêmement précis pour renforcer l’efficacité de la politique de sécurité et de défense commune : coordination en matière d’industrie de défense, mise en place de groupes tactiques, … Dans ce domaine, nous avançons. Il est essentiel pour la France que l’Europe mesure l’importance de se doter d’une véritable politique étrangère et de défense commune. En la matière, nous renforçons en permanence notre coopération avec notre principal partenaire en Europe, l’Allemagne. Même si nous savons que les conditions de sa participation à des opérations extérieures sont parfois plus contraignantes et plus difficiles que pour nous, elle aussi fournit des armes aux Kurdes en Irak. Au reste, l'Allemagne est également présente dans le cadre de plusieurs opérations extérieures auxquelles la France participe – je l’ai rappelé à propos du Mali.
Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez insisté sur la nécessité de respecter la souveraineté de chacun des États en matière de politique énergétique et climatique. Nous partageons ce point de vue. Pour autant, n’opposons pas nos choix, favorables à la réduction des gaz à effet de serre – la montée en puissance des énergies renouvelables combinée à la fourniture de l’énergie nécessaire à notre économie et à notre industrie –, à la coopération européenne. Nous ne parviendrons pas à être efficaces en matière de lutte contre le changement climatique ni à assurer l’indépendance énergétique de l’Union européenne si nous n’approfondissons pas davantage nos objectifs communs.
Je suis d’accord avec vous pour dire que la politique énergétique et climatique est un grand projet pour l'Union européenne. Derrière les mots, les chiffres et les cibles qui seront l’objet de la discussion et de l’accord au Conseil européen, il s'agit d’un grand projet industriel et économique. Sa mise en œuvre suppose une modification de nos modes de transport et d’habitat, qui touchera l’ensemble des citoyens et de notre tissu économique. Notre capacité à mener ce projet à bien sera évidemment plus forte si nous le faisons ensemble, plutôt que sans coordination.
Si nous voulons développer des technologies du futur – le stockage de l’énergie, par exemple –, nous avons besoin d’investir ensemble. Si nous voulons disposer de réseaux permettant l’interconnexion de nos différents systèmes et marché nationaux, il nous faut également investir ensemble. Enfin, si nous voulons demain être leader et faire en sorte que la conférence de Paris sur le climat en 2015 aboutisse à des résultats – comme cela a été dit, c'est une priorité diplomatique pour la France que de parvenir à un accord mondial –, il faut que l'Europe annonce très vite quels sont les objectifs qu’elle s'est fixés et que le Conseil européen d’octobre débouche sur un accord sur l’énergie et le climat.
Monsieur le sénateur, vous avez également abordé la situation en Ukraine, comme d’autres intervenants. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, mais un outil qui s'est avéré indispensable pour que l'Europe et la communauté internationale fassent pression sur la Russie et expriment leur refus de la violation du droit international. La Russie, en annexant la Crimée, en soutenant l’action armée des séparatistes de l’est de l’Ukraine, en fournissant des armes, en installant des soldats à la frontière, s'est placée en contradiction avec les grands principes du droit international. Nous ne pouvions l’accepter. Les sanctions ont été l’un des éléments de notre action commune, qui a permis de rouvrir un dialogue.
Nous en sommes absolument convaincus, il n’y aura de solution que politique à cette crise entre l’Ukraine et la Russie. C'est pourquoi la France a fait en sorte que le dialogue puisse s'instaurer entre le Président Poutine et le Président Porochenko à l’occasion des cérémonies du soixante-dixième anniversaire du débarquement. Ce « format Normandie », avec la Chancelière Merkel, le Président François Hollande et les présidents russes et ukrainiens, a permis au dialogue de se poursuivre à travers plusieurs conférences téléphoniques et des rencontres des ministres des affaires étrangères.
Nous faisons en sorte que soit mis en œuvre et respecté point par point l’accord signé à Minsk le 5 septembre dernier suivi d’un mémorandum d’application le 19 septembre, qui a permis un cessez-le-feu. Malheureusement, celui-ci a été rompu, mais le niveau de violence est quand même retombé par rapport à cet été, lorsque nous avons frôlé la catastrophe, celle d’une confrontation directe entre les armées ukrainiennes et russes.
Aujourd'hui, tous les éléments permettant un apaisement doivent être mis en œuvre. Je pense aux réformes institutionnelles en Ukraine, afin de prendre en considération les populations de l’est du pays ou au respect scrupuleux de la souveraineté et des frontières de ce pays par la Russie. En attendant un Conseil européen ultérieur, les organes de consultation entre les États membres examineront au fur et à mesure l’application du plan de paix signé à Minsk, contrôlée notamment par l’OSCE, et la possibilité d’aller vers une levée ou non des sanctions. Je le répète, les sanctions ne sont pas une fin en soi, elles sont un élément qui a permis de rouvrir le canal du dialogue politique et de la diplomatie.
Mme Keller a évoqué au début de son intervention la crise sanitaire liée à l’épidémie de fièvre Ébola qui frappe l’Afrique de l’Ouest. Or, d’ores et déjà, l'Europe et les États-Unis sont concernés. Sur ce sujet, comme vous le savez, nous souhaitons que la mobilisation et la coordination européennes soient très importantes. La France a déjà contribué à hauteur de près de 40 millions d’euros d’aides bilatérales – 75 millions d’euros avec nos contributions multilatérales – à cette mobilisation internationale, dont une grande partie passe par l'Europe.
Nous sommes en train de mettre en place un centre de traitement à Macenta, en Guinée-Équatoriale, et nous avons accepté – le Président de la République l’a confirmé aujourd'hui au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon – de construire de nouveaux centres de traitement dans ce pays. Nous sommes évidemment convaincus de la nécessité d’une action totalement coordonnée de l'Union européenne pour lutter contre cette pandémie. Nous devons également nous montrer solidaires des pays d’Afrique qui sont aujourd'hui terriblement touchés.
Mme Keller est également revenue sur le projet de budget pour 2015. Je tiens à l’assurer que nous respectons et respecterons nos engagements et nos partenaires européens. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a été conduit à insister sur le fait que les partenaires européens devaient, eux aussi, se respecter. À cet égard, les déclarations du président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem, étaient particulièrement déplacées compte tenu de ce que sont aujourd'hui les efforts accomplis par les pays de la zone euro et les autres États membres de l’Union européenne pour sortir de la crise économique dans laquelle ils sont plongés. D'ailleurs, la présidente Michèle André a insisté sur le fait que, en ce moment même, nous adoptons des mesures qui permettront la mise en œuvre de l’union bancaire, avec en particulier le Fonds de résolution unique et le mécanisme de résolution unique. Ces deux éléments devront permettre d’éviter que ne se reproduise, à l’avenir, la contamination d’une crise bancaire à l’ensemble de l’économie de la zone euro.
Chacun de nos pays, en particulier la France en tant que deuxième économie de la zone euro, est amené à contribuer financièrement à la mise en œuvre de ces instruments de la future union bancaire. La France apporte également sa contribution à l’ensemble des politiques que nous avons évoquées, y compris au travers de son engagement militaire pour la sécurité de l'Europe. Par conséquent, le débat qui aura lieu entre chacun des État membre et la Commission européenne sur la consolidation budgétaire doit aussi prendre en compte cette situation et le fait que chacun s’est engagé à respecter les traités et les objectifs des politiques européennes.
Je crois que personne ne met en doute la crédibilité de la France, et je voudrais d'ailleurs inviter le Sénat – et d’une façon générale le Parlement – à participer au débat qui se poursuivra au cours des prochaines semaines : il s’agit en effet de valoriser la contribution de la France à la résolution de la crise européenne. Cette contribution passe par le respect de nos engagements – le président Bizet y a insisté. Nous sommes tout à fait résolus à respecter les traités et le pacte de stabilité et de croissance. Mais cette contribution passe aussi par le fait que nous soutenons un rythme de consolidation budgétaire et une stratégie de soutien aux investissements qui contribuent à une réorientation de l'Europe vers la croissance et l’emploi. C’est le point sur lequel a particulièrement insisté Simon Sutour. Oui, nous avons besoin d’un rééquilibrage des politiques européennes qui permette véritablement à l'Europe de sortir de cette longue crise, de cette longue période de stagnation, qui s'est notamment traduite par une hausse très grave du chômage !
À cet égard, la garantie pour la jeunesse est un instrument très important. Elle a fait l’objet d’un sommet des chefs d’État ou de gouvernement à Milan la semaine dernière. Il y a été convenu d’accélérer et de faciliter le déblocage de ce fonds doté de 6 milliards d’euros, qui doit servir à aider au retour à l’emploi et à la formation des jeunes dans les pays ou les régions où le chômage des jeunes dépasse 25 %. Il faut aussi que, pour mettre en œuvre nos objectifs essentiels, les procédures concernant nos politiques européennes soient facilitées.
Je voudrais assurer Jean-Claude Lenoir que l'organisation future de la commission en matière d’énergie et de climat permettra de résoudre la contradiction qu’il a soulignée. Il est vrai qu’il y avait auparavant deux commissaires différents. Dorénavant, c’est un même commissaire qui se trouvera en charge de l’énergie et du climat.
J’ai déjà eu l’occasion de lui faire part de notre attachement aux spécificités de notre mix énergétique, même s'il va évoluer, et à cette idée qu’en Europe, tout en respectant les politiques de chacun, nous avons besoin de davantage de solidarité. N’opposons pas la spécificité de chaque pays à la nécessaire cohésion de nos politiques communes.
Le président Maurey a insisté sur le lien entre cette politique énergétique et la préparation de la conférence sur le climat de décembre prochain. Je voudrais lui dire – répondant ainsi à une question soulevée par un autre orateur – que, à la suite du sommet organisé par Ban Ki-moon, la France a pris l’engagement de mettre 1 milliard d’euros à la disposition du futur fonds vert, de même que l'Allemagne. Seule la Norvège, à ce stade, me semble-t-il, a également annoncé une contribution à ce fonds. Nous sommes donc encore très loin du compte, mais, à mon sens, le fait que nous ayons amorcé ce processus va permettre la montée en puissance des engagements internationaux.
Il y a eu malgré tout à New York, lors de la conférence organisée par le secrétaire général de l’ONU en prévision de la conférence de Paris, un certain nombre de signes encourageants de la part de grands émetteurs de gaz à effet de serre, qui, jusqu’à présent, s’étaient tenus à l’écart du protocole de Kyoto et des discussions internationales. Je pense notamment à la Chine, qui, confrontée à un problème de pollution de ses villes, a changé d’approche à l’égard des questions climatiques, mais aussi aux États-Unis : la manifestation massive de 400 000 personnes dans les rues de New York, les engagements d’un certain nombre d’entreprises, de collectivités territoriales de ce pays, mais également le discours du Président Obama sur le sujet ont montré que chacun se préparait à venir à la conférence de Paris de 2015 avec des propositions sérieuses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, je voudrais remercier à mon tour le président Jean Bizet et la Haute Assemblée d’avoir permis ce débat très important en amont du Conseil européen, au début de cette session de ce nouveau Sénat.
Parmi les priorités européennes, nous avons évoqué la mise en œuvre d’une nouvelle politique énergétique, mais l’une de nos plus grandes préoccupations dans le cadre du dialogue avec Jean-Claude Juncker, qui se déroulera dans les semaines qui viennent, sera de mettre en place un véritable plan de soutien aux investissements qui ne soit pas simplement une « relabellisation » des fonds structurels existants, dont nous avons certes besoin pour mettre en œuvre les politiques communes déjà décidées, mais un élément supplémentaire de soutien au projet européen et à la croissance sur le continent.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et de l’UDI-UC.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.
La parole est à Mme Pascale Gruny.
La France ne joue plus actuellement un rôle économique moteur au sein de l’Union européenne. Notre pays n’est plus attractif. Des coûts de production trop élevés, combinés à l’instabilité fiscale et à l’absence de véritable flexibilité inquiètent les entreprises et les investisseurs étrangers, qui n’ont pas de perspectives d’avenir, ce qui pénalise bien évidemment l’emploi. En outre, l’état de nos finances ne nous permet plus une politique de couverture du chômage aussi généreuse qu’avant.
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre prochain, ainsi que le sommet sur l’emploi, qui s’est déroulé à Milan le 8 octobre, sont des rendez-vous majeurs pour l’emploi, en particulier pour l’emploi des jeunes. La proposition du Président de la République de relever de 6 milliards à 20 milliards d’euros les aides européennes consacrées à l’emploi des jeunes traduit l’incorrigible tentation de résoudre les difficultés économiques par toujours plus de dépense publique. Cette initiative n’a d’ailleurs pas été suivie par nos partenaires européens, la France étant de plus en plus isolée dans cette logique de la subvention et de la dépense. L’objectif est pourtant tout à fait louable : offrir à chaque jeune Européen de moins de vingt-cinq ans un emploi, un apprentissage, un stage ou une formation continue. En revanche, la méthode est complètement inefficace : il n’y a qu’à voir l’échec des emplois d’avenir dans notre pays.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Gouvernement va-t-il se rendre compte que sa position l’isole de ses partenaires européens ? Quand mettra-t-il en place une véritable réforme du marché du travail et quand prendra-t-il la question de l’emploi des jeunes par le bon côté ? Il s’agit non pas de leur trouver une occupation et de les sortir des chiffres du chômage, mais de les insérer dans le monde de l’entreprise par une formation adéquate. Reste que, même si les jeunes sont bien formés, les entreprises ne recruteront que si leurs résultats s’améliorent, c’est-à-dire quand la France aura enfin retrouvé une croissance suffisante.
À l’heure où nos voisins européens, notamment l’Italie, mettent en place des réformes structurelles pour contrer le chômage des jeunes, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous comptez faire en la matière. Je vous remercie par avance de votre réponse, qui est très attendue par notre jeunesse.
Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question qui porte sur la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse.
Le sommet des chefs d’État ou de gouvernement portant sur la politique européenne en matière d’emploi des jeunes, qui s’est tenu la semaine dernière à Milan, a confirmé la mobilisation de l’ensemble des États membres, considérant qu’il s’agit non seulement d’un défi social, car il n’est pas acceptable que, dans certaines régions de nos pays, plus de 25 % des jeunes soient sans emploi, mais également d’un enjeu politique, parce que nous ne pouvons pas imaginer l’avenir de l’Europe avec une génération sacrifiée. On ne peut pas accepter de passer de la jeunesse Erasmus à une cohorte de jeunes qui seraient mis à l’écart de la vie économique et sociale.
Il s’agit aussi d’un enjeu purement économique. En effet, qu’une si forte proportion de jeunes sortent du système de formation sans emploi représente un gâchis en termes de capacité de travail et de production pour les pays concernés.
Les dirigeants européens n’ont pas renoncé à ce projet. Ils ont au contraire décidé de le conforter en demandant à la Commission européenne que les fonds soient débloqués plus rapidement.
Je voudrais aussi clarifier un point : l’objectif n’est pas de trouver une occupation aux jeunes. Je suis allé moi-même sur le terrain à plusieurs reprises, notamment la semaine dernière, à Marseille, dans une mission locale qui met en œuvre cette garantie pour la jeunesse, car il faut savoir que la France est le premier pays à avoir signé son programme opérationnel avec la Commission européenne. Je puis vous confirmer qu’il s’agit de prendre en charge des jeunes avec l’objectif de les insérer très rapidement dans une entreprise, de leur permettre de reprendre pied dans la vie active.
Certains de ces jeunes ont un peu travaillé avant de se retrouver au chômage ; d’autres sont sortis du système de formation sans diplôme et n’ont jamais eu de pratique professionnelle ; d’autres encore ont une formation mais ils se voient réclamer une première expérience professionnelle pour être acceptés dans une entreprise. Avec ce dispositif de la garantie pour la jeunesse, ils sont pris en charge et ils réapprennent à être ponctuels et réguliers pour présenter leur projet professionnel à l’occasion d’entretiens d’embauche. Très rapidement, grâce à un partenariat avec les entreprises du bassin d’emploi, ils sont mis en situation de travailler, et c’est ainsi que plusieurs d’entre eux peuvent signer un contrat de travail.
Madame la sénatrice, vous avez raison : nous devons agir efficacement sur le marché du travail pour permettre à ces jeunes, grâce à une formation et à un accompagnement adéquat, de prendre pied dans l’entreprise et d’entrer dans la vie active, en dehors de toute forme d’assistanat. C’est là un objectif sur lequel nous devrions nous rejoindre.
La Commission européenne a récemment publié un rapport indiquant le montant des aides publiques des États en 2012 en faveur des différentes énergies : 120 milliards d’euros au total pour l’Union, avec, notamment, 14 milliards pour l’énergie solaire, 10 milliards pour le charbon, 10 milliards pour l’éolien et 7 milliards pour le nucléaire. Quelle est la position de la France sur la réforme des aides publiques à l’énergie que la Commission envisage pour que ces aides d’État n’aillent plus vers les énergies carbonées ?
Par ailleurs, j’ai relevé que le prix du gaz consenti par les Russes à la Grande-Bretagne pour 1 000 mètres cubes était de 313 dollars, contre 526 dollars à la Pologne, 394 dollars à la France et 379 dollars à l’Allemagne. Comment, avec de telles différences, qui sont souvent plus importantes que celles du coût du travail, peut-on concevoir un marché unique sans écarts de compétitivité ? Comment faire pour que ces écarts de compétitivité ne nous soient plus imposés de l’extérieur ?
Monsieur le secrétaire d’État, l’insécurité énergétique, due à des prix faibles pour l’instant, mais aussi à certains choix énergétiques pour l’avenir, commence à être un problème pour les entreprises en Allemagne. Ayons présent à l’esprit que cette situation pourrait aussi se rencontrer dans le reste de l’Union européenne.
Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est la suivante : comment pouvons-nous avoir une énergie abordable, peu chère, qui soit en même temps conforme à nos objectifs environnementaux, dans des conditions qui ne nous rendent pas trop dépendants de l’extérieur ?
Les pratiques des différents États membres ont montré que la promotion des énergies renouvelables pouvait aussi poser des problèmes de prix. Je le répète, nous respectons le choix fait par chacun de nos partenaires : certains, comme l’Allemagne ou l’Italie, par exemple, ont décidé de renoncer au nucléaire ; d’autres, comme le Royaume-Uni ou la Finlande ont, comme nous, fait le choix de le maintenir dans leur mix énergétique.
Seulement, lorsqu’une économie nationale renonce totalement au nucléaire, l’alternative est la suivante : elle utilise le charbon, pour ne pas être dépendante du gaz, mais elle devient plus polluante, ou alors elle subventionne les énergies renouvelables, qui ont besoin de cet apport pour se développer, mais, dans ce cas, le prix de l’énergie peut devenir un problème soit pour les ménages, soit pour les entreprises.
Si l’on veut que le prix de l’énergie ne soit pas un problème pour la compétitivité des entreprises, c’est pour les ménages qu’il le devient.
Nous sommes soucieux du développement des énergies renouvelables, mais, en ce qui nous concerne, nous souhaitons maintenir une part de production d’électricité par le nucléaire pour précisément pouvoir faire face à ce besoin d’avoir une énergie abondante sans être dépendants de l’extérieur, et compenser le coût inévitablement plus élevé, dans un premier temps, de certaines énergies renouvelables. En effet, le développement de l’éolien ou du solaire, qui nécessite l’importation de matériaux, de panneaux ou de technologies plus innovantes encore comme la biomasse ou les hydroliennes, entraîne un surcoût.
Ce débat existe et nous sommes très satisfaits de la décision qui a été prise par la Commission européenne concernant le projet de construction de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni, à Hinkley Point, lesquels viendront en complément des énergies renouvelables. D’autres pays, comme la Pologne, ont pris une position de principe sur le nucléaire, mais n’ont pas forcément encore fait leur choix industriel.
À notre sens, la contribution du nucléaire au futur mix énergétique européen contribuera à ce que les prix de l’énergie restent abordables et à ce que nous restions indépendants en la matière, tout en nous permettant de respecter nos objectifs climatiques et environnementaux.
Les questions relatives à l’énergie et au climat nous plongent dans le monde de l’environnement. Dans ce cadre, notre agriculture est confrontée à la directive dite « Nitrates », qui pose des problèmes considérables, en particulier à nos éleveurs.
M. le Premier ministre a déclaré, le 6 septembre, que la France souhaitait mettre la révision de cette directive, « dont l’approche normative a clairement montré ses limites », à l’agenda européen. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez nous dire où en est notre pays dans la mise en œuvre de l’engagement pris par M. le Premier ministre. Quel est son calendrier ? À quel moment et sous quelle forme souhaite-t-il poser cette question pour infléchir la position de nos partenaires ? Pouvez-vous nous donner quelques explications et quelques garanties à cet égard ?
Pouvez-vous également nous préciser si la position française visera plutôt les questions de cartographie des zones dites vulnérables ou le niveau de contrainte qui serait imposé à nos éleveurs, avec le risque d’assister à la disparition complète d’un élevage dit extensif au profit d’un élevage intensif ? Il s’agit d’un enjeu qui concerne à la fois les domaines de l’environnement et de l’économie.
Enfin, où en est la mise en œuvre des engagements pris par M. le Premier ministre à l’égard du monde agricole ?
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.
Monsieur Bonnecarrère, le 4 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France pour manquement à ses obligations dans la lutte contre la pollution par les nitrates, en soulevant trois griefs principaux quant à l’application correcte de la directive Nitrates, à savoir les périodes et les zones d’épandage – vous l’avez souligné –, les autorisations de capacité de stockage et le fait que la réglementation actuelle ne permet pas de calculer les quantités d’azote qui peuvent être épandues sur les cultures tout en garantissant une fertilisation équilibrée des sols.
Nous pensons, d’une part, que nous devons respecter nos engagements en matière environnementale et, d’autre part, que la Commission européenne doit, quant à elle, prendre en compte les réalités de l’agriculture. Les programmes établis entre 2009 et 2012 ont été insuffisants pour répondre aux exigences environnementales. Les efforts entrepris depuis pour établir, en concertation avec la profession agricole, les nouveaux programmes d’action ont heureusement d’ores et déjà permis de corriger la plupart des manquements relevés dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour autant, il est important d’éteindre le contentieux sur la délimitation des zones vulnérables. Nous y travaillons donc : le critère de l’eutrophisation des eaux continentales fait l’objet d’un débat. C’est pourquoi le ministre chargé de l’agriculture a demandé qu’une expertise scientifique soit rapidement diligentée afin de déterminer de manière objective les seuils de classement en zone vulnérable.
Les agriculteurs bénéficieront des aides maximales permises par les règles européennes pour effectuer les mises aux normes. Le Gouvernement demandera à la Commission européenne un délai de mise aux normes suffisant pour permettre aux milliers d’agriculteurs de réaliser les travaux nécessaires. Il nous faut combiner les objectifs environnementaux avec le maintien d’une agriculture de qualité, mais qui soit aussi à la portée de toutes les exploitations, y compris les plus petites.
Enfin, l’approche normative de la directive Nitrates a montré ses limites. Par exemple, le plafond de 170 kilogrammes d’azote d’origine animale par hectare et par an ne tient pas compte de la diversité des climats et des sols de nos territoires. Des propositions d’évolution de cette directive seront présentées, en lien avec d’autres États membres concernés par cette problématique, afin de revoir les critères utilisés et de permettre une approche différenciée selon les territoires et les contextes agronomiques, tout en renforçant l’efficacité en termes de résultats.
Nous pensons donc qu’il faut, dans toute la mesure du possible, montrer que nous respectons d’ores et déjà les principaux objectifs fixés par cette directive, mais aussi examiner, avec la Commission européenne, d’éventuelles évolutions qui ne remettront pas en cause les objectifs de protection des eaux et des sols, mais les rendront atteignables par nos agriculteurs.
L’énergie constitue un élément clé d’une croissance durable. Si nous voulons sortir l’industrie européenne de l’ornière, nous devons veiller à la compétitivité des prix de l’énergie.
Alors que le Portugal et l’Espagne procèdent à une remise en cause de leurs programmes dans les énergies renouvelables, alors que l’Allemagne a renoncé unilatéralement à l’énergie nucléaire et se débat dans ses problèmes de réseau et de régulation de la production de ses éoliennes – qui affectent d’ailleurs toute l’Europe –, la France doit aussi faire des choix.
Le chemin de la convergence ou de la complémentarité européenne dans le domaine de l’énergie est difficile. Raison de plus, monsieur le secrétaire d’État, pour défendre une politique de l’énergie qui respecte et coordonne les choix nationaux. Nous devons respecter les choix de nos partenaires, mais nous sommes en droit de leur demander de respecter les nôtres. La France, déjà bonne élève au regard des émissions de gaz à effet de serre, doit poursuivre une stratégie claire de transition énergétique : réduire les émissions de CO2 tout en conservant son avantage compétitif, un tarif de l’électricité parmi les plus bas de l’OCDE.
Le programme nucléaire français est le fruit d’une politique publique de long terme. Il est le garant de notre indépendance et nous met à l’abri des tensions énergétiques à venir. Nous ne pouvons pas dilapider cet acquis en substituant à marche forcée les énergies renouvelables au nucléaire.
La politique énergétique française doit donc reposer sur un mix énergétique complet dont le socle doit demeurer le nucléaire. Dans cette perspective, nous devons faire confiance aux conclusions de l’organisme indépendant qu’est l’Autorité de sûreté nucléaire quand il juge « sûre » la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est double. Comment entendez-vous préserver l’indépendance énergétique de la France dans le cadre du paquet énergie-climat du prochain Conseil européen ? Ma seconde question est évidemment liée à la précédente : comment comptez-vous éviter que les Français, en particulier les entreprises françaises qui croulent déjà sous les impôts, les taxes et les charges, ne voient demain leur facture d’électricité exploser ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le sénateur, j’ai déjà répondu en partie à votre question. Nous sommes très attachés au fait que le paquet énergie-climat respecte le choix de mix énergétique de chaque État membre, puisque les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique peuvent être atteints de plusieurs manières.
La loi de transition énergétique, que l’Assemblée nationale vient d’adopter et que le Sénat examinera bientôt, a bien pour objet d’assurer que, tout en apportant sa contribution à la montée en puissance des énergies renouvelables et en s’engageant dans la transition énergétique pour être plus économe et efficace, la France maintient le nucléaire dans son bouquet de production énergétique, pour les raisons que vous avez indiquées : l’indépendance, la compétitivité et une forme de souveraineté énergétique.
Nous serons très attentifs au respect de ces principes, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour ceux qui voudraient s’inspirer de nos choix énergétiques. C’est pourquoi la décision de la Commission européenne que j’ai déjà évoquée concernant le projet de construction de deux EPR au Royaume-Uni est particulièrement importante : elle donne une indication intéressante et le cadre juridique proposé pour financer la construction de ces réacteurs pourra servir à d’autres pays qui se posent ce type de question.
Je participais hier à une rencontre bilatérale en République tchèque pour préparer ce Conseil européen. Une part importante de l’électricité de ce pays est produite à partir de l’énergie nucléaire et des projets de renouvellement ou de construction de nouveaux équipements sont à l’étude. La décision concernant le Royaume-Uni y est donc examinée avec une extrême attention. Il y va de même en Pologne, comme je l’ai indiqué tout à l’heure.
Nous veillerons donc à ce que, dans le paquet énergie-climat, qui ne mentionnera pas le choix ou non du nucléaire puisqu’il relève de chaque État membre, ce choix reste ouvert à ceux qui veulent utiliser cette technologie à l’instar de la France, qui développe en même temps de nouvelles sources d’énergie, parce qu’elle veut être au premier rang dans tous les domaines de l’énergie.
La transition énergétique, la croissance et l’emploi sont les principaux sujets à l’ordre du jour de ce Conseil européen, auxquels s’ajoute une situation internationale tendue. La France et ses partenaires européens sont entrés dans une nouvelle ère en matière de guerre contre le terrorisme – le Sénat examinera d’ailleurs dès demain le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
Alors qu’ils sont engagés dans une coalition internationale qui intervient en Irak et en Syrie, les pays de l’Union européenne représentent des cibles potentielles majeures et, chaque jour, des projets d’attentat y sont déjoués. Les spécialistes évoquent le chiffre de plusieurs milliers d’Européens engagés dans le djihad au Levant, en Afghanistan et dans la bande sahélo-saharienne. Il s’agit donc pour nous de lutter contre certains de nos ressortissants qui disposent d’une liberté d’aller et venir, compliquant ainsi la tâche des services de renseignement.
Monsieur le secrétaire d’État, en premier lieu, quel sera le champ d’action de la France et quelles mesures proposera-t-elle afin de mieux articuler la lutte contre le terrorisme entre les différents services européens et nationaux ?
En second lieu, je voudrais appeler votre attention sur la politique de l’Union européenne en matière de frontières. L’espace Schengen a été créé en période de paix pour faciliter le développement économique : les pays européens doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux flux qui mêlent immigrants, réfugiés et djihadistes en partance ou de retour des zones de conflit.
Enfin, quelles seront les positions de l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie dont la situation est délicate ? Ce pays est en première ligne, tant en termes de flux de réfugiés que de flux pétroliers clandestins finançant le terrorisme. Les candidats au djihad y circulent facilement pour rejoindre la Syrie. Quant aux combattants kurdes anti-islamistes, ils demeurent peu appréciés d’Ankara pour des raisons de politique intérieure. En quelque sorte, monsieur le secrétaire d’État, Kobané sera-t-elle le Dantzig turc ?
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.
Monsieur le sénateur, nous avons fait de la coordination européenne en matière de lutte contre le terrorisme une de nos priorités. Vous le savez, le ministre de l’intérieur s’est rendu dans plusieurs des pays de l’Union européenne pour proposer, notamment, de prendre des mesures communes concernant les « combattants étrangers », ces citoyens de pays de l’Union européenne qui se sont rendus, ou ont pour projet de se rendre, en Irak ou en Syrie pour participer aux actions terroristes du groupe Daech. Certains d’entre eux pourraient revenir en Europe pour y commettre éventuellement des crimes, comme ce fut le cas de Mehdi Nemmouche, l’auteur de la tuerie du musée juif de Bruxelles, qui revenait de Syrie.
Aujourd’hui, un plan qui a reçu un soutien assez large des autres États membres est proposé ; il va dans le même sens que le projet de loi présenté devant le Parlement. Il vise à rendre plus rapides et automatiques les échanges d’informations entre les États membres, chaque fois que l’un de ces combattants est signalé : son nom devra figurer dans le système d’information de Schengen afin qu’il puisse être arrêté dès le premier signalement.
Nous avons soutenu l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pendant la réunion de l’Assemblée générale, tendant à encourager tous les pays concernés à adapter leur législation pour permettre de poursuivre les personnes qui participent aux activités de ces groupes et d’interdire la sortie du territoire de celles qui, après avoir été contactées par ces groupes grâce à internet, décideraient de se rendre dans les zones de combat. De même, la lutte contre la propagande sur internet est encouragée, car c’est l’un des moyens de recrutement de ces groupes terroristes. Cette coordination européenne est absolument indispensable. Aucun de nos pays ne peut lutter seul contre ce fléau.
Cette lutte doit être menée sur place, en participant, comme nous le faisons, à la coalition internationale, en menant des frappes aériennes quand cela s’avère nécessaire, en soutenant le gouvernement légitime irakien, l’opposition syrienne et les Peshmergas kurdes.
Cette lutte doit aussi être menée sur le territoire des États membres, en renforçant la protection de leurs frontières. De ce point de vue, l’espace Schengen, s’il est un espace de libre circulation pour les citoyens, est aussi un espace de coordination de la surveillance des frontières extérieures de l’Union. Nous devons intensifier cette coordination, mais Schengen est l’outil qui permet aux États membres d’échanger en permanence des informations sur ceux qui franchissent ces frontières extérieures et d’agir plus efficacement dans la lutte contre la criminalité et, en particulier, contre le terrorisme.
Soyez persuadés que tous nos efforts sont aujourd’hui déployés pour que l’Europe renforce son action dans ce domaine. Nous sommes aussi extrêmement attentifs au rôle que peut jouer la Turquie. Il s’agit d’ailleurs de tirer les leçons de ce qui s’est produit lorsque trois de nos ressortissants qui revenaient des zones de combat ont été embarqués dans un avion en Turquie sans que l’information du changement de leur vol ne nous ait été transmise. Le ministre de l’intérieur s’est immédiatement rendu à Ankara pour rencontrer son homologue et les autorités turques en vue d’établir des procédures destinées à éviter que ce genre d’incident ne se reproduise. Par ailleurs, une coopération se fait évidemment aussi en termes de renseignements.
De plus, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons insisté au cours des derniers jours sur la façon dont il importe que l’ensemble de la communauté internationale, y compris la Turquie, se mobilise pour venir en aide à la ville martyre de Kobané, qui ne doit pas tomber aux mains de ce groupe barbare.
Je n’ai pas été totalement rassuré par les réponses de M. le secrétaire d’État aux interpellations des présidents de commission. Je pense à la question de l’Union économique et monétaire, à celle du fonds de solvabilité, à la volonté réelle de la France de réexaminer, comme l’a évoqué la présidente de la commission des finances, les participations à apporter au Fonds de résolution unique. Le président de la commission des affaires européennes, M. Bizet, a, quant à lui, soulevé la question des fonds structurels : alors que ceux-ci sont destinés aux territoires, ils pourraient être utilisés à d’autres fins...
Concernant le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, la France n’a pas encore transmis à Bruxelles le programme opérationnel, ce qui témoigne d’un certain attentisme, alors même que les projets économiques sont nombreux dans les territoires et qu’ils ont besoin d’un cofinancement européen.
Je sais bien que la Commission européenne n’est pas encore en place, mais il serait important que la France présente d’ores et déjà des projets dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, d’autant qu’il en existe, je le sais, notamment en matière numérique et en termes de désenclavement. Tel est le cas en Bretagne, la région que je représente, ici, au Sénat. Il serait donc important que la France puisse, d’ores et déjà, notamment dans le cadre de ce Conseil européen, signifier à la Commission européenne qu’il y a des projets en attente de financement.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Monsieur le sénateur, la France a adopté son accord de partenariat pour la mise en œuvre des fonds structurels le 8 août dernier. Elle a en outre été le premier pays à adopter son programme opérationnel pour la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse. La semaine dernière, nous avons signé le programme opérationnel pour le FSE – 2, 9 milliards d’euros. Pour le reste, comme pour tous les États membres, les discussions avancent : le programme opérationnel pour le FEAMP sera adopté dans des délais normaux.
Nous sommes mobilisés pour bien utiliser, en complément des aides directes, les fonds européens dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de l’agriculture et de la pêche. C’est une priorité pour le Gouvernement. Très grande utilisatrice de la politique agricole commune, la France a un niveau de consommation des fonds européens globalement très élevé. Nous sommes bien sûr absolument déterminés à faire en sorte que nos agriculteurs et pêcheurs bénéficient pleinement des fonds que nous avons fait inscrire dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.
C’est pour nous un acquis très important de la construction européenne que cette politique commune en matière d’agriculture et de pêche. Je sais que vous êtes vous-même très mobilisé sur ce plan. Vous pouvez également compter sur la mobilisation du Gouvernement pour soutenir les pêcheurs et les agriculteurs.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Je remercie notre collègue Michel Canevet, qui semble particulièrement attentif à la question des fonds structurels, d’avoir remis ce sujet sur le tapis. Le Sénat, représentant des collectivités locales, est en effet particulièrement attentif à ce sujet.
Les fonds structurels s’élèvent, de mémoire, à 320 milliards ou 330 milliards d’euros. C’est le deuxième poste budgétaire de l’Union, juste après la politique agricole commune. Nous avons bataillé très fort pendant des années pour faire en sorte qu’un certain nombre de régions soient classées comme régions intermédiaires.
Compte tenu des baisses des dotations de l’État, sur lesquelles nous ne reviendrons pas, il appartiendra aux élus des territoires, avec les régions, qui sont des autorités de gestion de ces fonds, et au Sénat d’être très inventifs pour optimiser la consommation des fonds structurels. Leur dévolution permet aux collectivités locales qui les consomment rapidement d’être ensuite mieux dotées encore, mais, dans le même temps, c’est une arme à double tranchant.
C’est aussi le rôle du Sénat que d’aider les élus locaux à optimiser l’utilisation de ces fonds. Nous sommes en train d’y réfléchir. Je suis persuadé que nous trouverons une solution au sein de la commission des affaires européennes. Je suis également persuadé que M. le secrétaire d’État nous y aidera.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Personne ne demande plus la parole ?...
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 15 octobre 2014, à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n° 807, 2013-2014)
Rapport de MM. Jean Jacques Hyest et Alain Richard, fait au nom de la commission des lois (n° 9, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 10, 2014-2015).
En outre, à quatorze heures trente :
Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 15 octobre 2014, à zéro heure vingt.