Monsieur le secrétaire d'État, vous venez à l’instant de nous détailler les différents éléments qui figurent à l’ordre du jour du prochain Conseil européen : paquet climat-énergie – je vous remercie d’avoir commencé votre propos en évoquant longuement cette question –, situation économique de l’Union européenne et vraisemblablement situation internationale seront les trois chapitres les plus importants qui occuperont les échanges.
Je note par ailleurs que nous avons ce débat au moment où l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2015 et alors que les discussions se font vives avec la Commission et nos partenaires européens sur les questions budgétaires.
Je ne doute pas que mes collègues seront ici nombreux à revenir sur ce sujet.
Pour ma part, vous vous en doutez, c’est à la question climatique et énergétique que je consacrerai l’essentiel de mon intervention, en insistant sur ses fortes implications géostratégiques, une dimension que nous avons trop tardivement commencé à prendre en compte, alors même qu’elle surdétermine toute une partie de nos politiques.
En effet, il est clair désormais que la question des choix énergétiques ainsi que celle des effets engendrés par le dérèglement climatique constituent non plus seulement un problème environnemental, mais représentent aujourd’hui des enjeux géostratégiques d’un type nouveau qui influent sur la stabilité politique de la planète, au même titre que les enjeux militaires classiques.
Depuis plusieurs mois, d’ailleurs, les États-Unis ont commencé à revoir leurs doctrines des risques internationaux en intégrant ces nouveaux éléments.
Hier encore, leur département de la défense a rendu public un rapport soulignant les dangers accrus du fait du réchauffement, depuis la montée des océans jusqu’aux probables pénuries en eau et en nourriture en divers endroits de la planète.
La France s’est également engagée, depuis peu, dans cette réflexion, notamment grâce au travail de notre collègue Leïla Aïchi sur ces sujets.
Mais l’Union européenne, comme c’est trop souvent le cas dans les dossiers qui renvoient à la souveraineté de ses membres et aux questions stratégiques les plus sensibles, peine à définir une philosophie qui permette de prendre tout cela à bras-le-corps.
C’est particulièrement perceptible s’agissant de nos rapports avec la Russie.
À l’échelle globale de l’Union européenne, ce pays constitue un fournisseur énergétique de première importance. En 2013, 39 % des importations européennes de gaz en étaient originaires.
La Russie est même le seul fournisseur extérieur de gaz naturel pour six de nos États membres, le gaz représentant par ailleurs une part importante de leur consommation énergétique finale.
En temps de paix, une telle dépendance n’est déjà pas sans risque. Mais lorsqu’une tension internationale se fait jour, comme c’est le cas depuis plusieurs mois autour de l’Ukraine, cette dépendance devient même franchement problématique.
Dans ces conditions, comment gérer à court terme nos relations avec la Russie ? Pour les uns, il faudrait se montrer plutôt conciliant avec Moscou. Pour les autres, au contraire, il convient de demeurer le plus ferme possible.
Au-delà, comment faire pour diminuer à plus long terme notre dépendance énergétique, alors même que l’Union européenne importe aujourd’hui 53 % de l’énergie qu’elle consomme ?
Là encore, les avis divergent : pour les uns, la nécessité de prendre en compte les tensions énergétiques nouvelles rend légitime l’exploitation de toutes les ressources hydrocarbures, y compris non conventionnelles, que l’on pourrait trouver sur le continent ; pour les autres, ces évolutions sont la preuve de ce que la transition énergétique est plus que jamais d’actualité.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ces questions, il est au moins une chose sur laquelle, je crois, nous pouvons nous mettre d’accord : la souveraineté de l’Europe, et donc sa capacité à peser sur la scène internationale, passe aussi par la mise en place d’une véritable politique énergétique.
Nos politiques tant climatique qu’énergétique et stratégique doivent donc être repensées conjointement. Tant que nous n’accepterons pas de le faire concrètement, tant que nous continuerons à imaginer ces politiques comme si elles n’entretenaient pas de rapports les unes avec les autres ou pis, comme si elles devaient s’opposer les unes aux autres, chacune d’entre elles échouera à atteindre ses objectifs.
Mettre tous ces éléments en cohérence n’est évidemment pas chose facile ; c’est au contraire éminemment complexe. Mais je crois que, quand le choix réside entre la complexité, d’une part, et la fatalité, d’autre part, c’est bien la première qu’il vaut mieux privilégier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le savez sans doute, le mois de septembre qui vient de s’écouler a été le plus chaud dans le monde depuis 1880, date à partir de laquelle des relevés constants ont été effectués. Il s’inscrit dans une tendance lourde et qui va en s’accélérant. Quel que soit l’indicateur considéré, tout laisse penser que les politiques déjà mises en place ont échoué à ralentir cette dangereuse évolution.
J’étais il y a quelques semaines en mission au Groenland pour la commission des affaires européennes du Sénat. Je me suis rendu à cette occasion au Jakobshaven, le plus grand glacier de l’hémisphère nord et l’un de ceux qui fondent le plus vite : il a autant reculé ces dix dernières que durant la totalité du siècle précédent !
Nous faisons face là à une transformation accélérée, qui, par rapport au réchauffement climatique lui-même, tient lieu à la fois de conséquence et de facteur aggravant, car plus les grands ensembles glaciaires de la planète fondent, plus les équilibres qui régulent encore notre climat se dérèglent et plus le réchauffement s’accélère.
Il s’agit là d’une spirale infernale qu’il sera de plus en plus difficile de briser, si nous n’y prenons garde ; d’autant que les ambitions des uns et des autres pour tirer le meilleur parti de ces transformations, notamment via l’exploitation accrue, en Arctique, des ressources naturelles, se font de plus en plus vives et risquent bien d’aggraver encore cette tendance.
Alors, si nous voulons enfin remettre en cause ces évolutions terribles, l’Europe doit se montrer plus ambitieuse et plus cohérente que jamais.
Cela nous amène naturellement aux discussions portant sur le futur paquet climat-énergie lui-même. Or les propositions qui se trouvent sur la table s’agissant de ce dernier sont hélas bien inégales.
Celles de la Commission européenne sont clairement insuffisantes. Celles du Parlement européen sont déjà bien plus ambitieuses.
La question est donc de savoir dans quelle mesure nos gouvernements – et singulièrement le gouvernement français – sauront se montrer à la hauteur de ces ambitions.
En l’occurrence, le Parlement européen propose l’instauration d’un objectif de 30 % d’énergies renouvelables dans la production totale européenne pour 2030, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les écologistes proposent quant à eux un objectif plus élevé de 45 % d’énergies renouvelables, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 60 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Mais, au-delà de ces chiffres, il est absolument primordial que ces objectifs soient contraignants, pays par pays, sans quoi nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’ils ne seront pas tenus.
Au vu des dernières discussions, notamment celles qui ont eu lieu la semaine dernière à Bruxelles, le gouvernement français semble aujourd’hui assez hésitant. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce dernier point et sur la volonté de la France de soutenir cette résolution ?
Au-delà des seules politiques européennes, ce Conseil européen constitue à notre sens une étape essentielle dans la préparation de la COP21, que notre pays accueillera à la fin de l’année prochaine à Paris.
Pour que ce rendez-vous soit réussi, nous devons faire preuve d’une double exemplarité : l’Europe doit être exemplaire face au monde, sinon son influence restera limitée, et la France doit être exemplaire face à ses partenaires européens, pour ne pas risquer de perdre sa crédibilité dans ce dossier.