Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen étant aussi riche qu’hétéroclite, je centrerai mon propos sur trois points particuliers : la politique énergétique, le fédéralisme budgétaire et la situation en Ukraine.
Premièrement, la prochaine réunion du Conseil européen sera – une fois n’est pas coutume – consacrée à la question du climat, et notamment à la décision finale sur le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie.
Ces deux questions sont évidemment liées. Toutefois, je m’interroge sur la portée effective d’un tel accord, quand on sait que, dans les faits, la politique énergétique de l’Europe procède avant tout des décisions d’investissement qui sont prises par les États membres. Or, sur ce point, un véritable marché de dupes se joue entre la France et l’Allemagne sur la question du nucléaire.
La France a réalisé des investissements courageux dans ce domaine dès les années cinquante. Ce demi-siècle de politique énergétique a contribué au redressement de notre pays et au bien-être de nos concitoyens.
Outre-Rhin, nos voisins allemands se sont fixé des objectifs ambitieux : produire 80 % d’énergie propre, renouvelable, et cela à l’horizon 2050. Cette inflexion honorable de leur politique énergétique a cependant déstabilisé leur production d’électricité, après la fermeture de plusieurs de leurs centrales nucléaires, de sorte que l’Allemagne importe désormais une partie de son électricité nucléaire de France. Or, parallèlement, plus de 45 % de la production énergétique allemande repose sur l’exploitation du charbon. Si nous étions de mauvais esprits, nous pourrions croire qu’un marché de dupes se joue autour de cette transition alimentée en partie par des pays qui ne sont manifestement pas inscrits dans la même dynamique que l’Allemagne.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous fassiez savoir comment cet accord-cadre européen peut permettre de faire évoluer cette situation.
Deuxièmement, au regard de l’actualité récente, et dans l’éventualité d’une nomination prochaine des membres de la Commission européenne, je ne peux m’empêcher de réagir à la fragilisation de la crédibilité de notre pays sur la scène européenne, notamment en matière économique et budgétaire.
Nous sommes tous au fait de la situation. Après un premier délai accordé en février 2013, la France s’était engagée à revenir dans le giron des 3 % de déficit public à l’horizon de la fin de l’année 2015, en contrepartie de l’accomplissement de réformes structurelles importantes. Malheureusement, il est devenu patent à la lecture du projet de loi de finances pour 2015 que nous ne tiendrons pas nos engagements et que ce projet de budget pour 2015 en son état actuel est d’ores et déjà susceptible de se voir corrigé par la Commission européenne.
Le pacte de responsabilité est un projet intéressant, mais il ne prévoit de fait qu’un effort de 20 milliards d’euros sur le déficit public en trois ans. Les 30 milliards d’euros restants sur les 50 milliards d’euros annoncés seront alloués à la baisse du coût du travail. C’est un grand pas en avant, mais il ne sera pas suffisant pour nous mener au bout de la route de la réforme et de l’adaptation à une économie globalisée dans laquelle nous faisons face, sur les marchés, à de grands blocs continentaux intégrés : il s’agit des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou encore du Brésil.
Cette situation est un signal réellement inquiétant. Elle signe l’affaiblissement de notre pays dans le concert européen et par conséquent de l’ensemble de l’Europe. En effet, l’Union européenne n’est pas concevable sans la France et la France ne peut espérer grand-chose de l’avenir sans l’Union. Le national et le fédéral sont devenus interdépendants. Certains peuvent le regretter. Pour notre part, nous, les sénateurs centristes, nous nous en réjouissons en tant que fer de lance de la construction européenne.
Toutefois, il est bien triste de voir que notre pays ne sait pas se montrer à la hauteur de l’exigence européenne. Les relations entre la France et la Commission se résument depuis deux ans à une course pour gagner le maximum de temps : quelques mois, quelques années de facilités budgétaires supplémentaires.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, tous vos prédécesseurs, qu’il s’agisse de M. Cazeneuve ou de M. Repentin, nous ont toujours fait partager leur souci du renforcement du fédéralisme budgétaire européen. Avons-nous ratifié le pacte budgétaire il y a deux ans pour la forme, ou sommes-nous réellement prêts à nous soumettre à la discipline budgétaire que nous avons tant appelée de nos vœux pour nous extraire de la crise ?
Troisièmement et enfin, j’évoquerai un sujet de politique internationale : les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie dans l’affaire de l’Ukraine.
La sécession de la Crimée au profit de la Russie et la révolte des régions du Donbass et de Donestk ne sont pas que les symptômes d’une simple crise nationale ukrainienne ou russo-ukrainienne. Nous assistons à une véritable crise européenne. C’est une sorte de cancer qui mine les relations entre la Russie et l’Europe.
Pourtant, face à un Vladimir Poutine sourd aux injonctions occidentales de retrait de ses troupes du sol ukrainien, des sanctions ont été mises à exécution dès le 29 juillet dernier, puis renforcées dès les premiers jours de septembre.
Outre les sanctions individuelles et le gel des capitaux privés, des sanctions économiques ont été prises. Ce sont les restrictions à l’accès aux marchés financiers russes. S’y ajoutent des sanctions militaires et industrielles, comme l’interdiction de transferts de matériels de défense, typiquement l’affaire des vaisseaux Mistral. La liste complète serait longue.
La logique des sanctions confine désormais à l’absurde. De son côté, Vladimir Poutine a lui aussi pris des mesures à l’encontre de l’Europe et des États-Unis. Cette escalade de sanctions et de contre-sanctions ne fait que fragiliser notre économie depuis plus de deux mois.
Les exportations agricoles vers la Russie représentent en effet 10 % des exportations agricoles totales de l’Union européenne. Les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne et le Danemark sont les États les plus touchés au regard du poids de la Russie dans leurs exportations. D’après des déclarations récentes de Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand, le récent ralentissement économique de l’Allemagne ne serait pas étranger aux conséquences concrètes des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Ce phénomène se ressent également en France : nos collègues des régions concernées le savent, nos agriculteurs souffrent largement des restrictions à l’exportation.
Surtout, nous incitons de facto la Russie à réorienter ses partenariats stratégiques, notamment sur le plan industriel, vers l’Asie et principalement la Chine et l’Inde. Le projet de production d’un avion long-courrier russo-chinois a déjà conduit à des investissements de plus de 10 milliards de dollars. Il pourrait ouvrir la voie à des partenariats industriels plus stratégiques.
Enfin, on peut s’interroger sur l’impact de ces sanctions sur le processus de dialogue engagé entre Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Le renouvellement des sanctions européennes a eu lieu en même temps que les négociations de l’accord de Minsk du 5 septembre – comme le disait M. Chevènement, il s’agissait bel et bien d’une « logique imbécile ! » –, lequel a jeté les bases d’un mémorandum pour la paix entre l’Ukraine et les séparatistes. Nous n’avons pas compris, vu de Paris ou de Bruxelles, qu’une telle politique ne pouvait qu’envenimer une crise déjà dramatique sur le sol ukrainien.
Or le processus de paix est bien plus avancé que nous ne pouvons le croire à Paris. Je rappelle ainsi qu’une rencontre entre Porochenko et Poutine aura lieu en marge du Conseil européen ce week-end à Milan, entrevue à laquelle notamment Angela Merkel et David Cameron doivent assister.
Les élections législatives du 26 octobre prochain, auxquelles j’assisterai comme observateur électoral, permettront de consolider la légitimité des pouvoirs publics ukrainiens et de clarifier les positions des forces politiques en présence. Elles semblent être une opportunité de parvenir à ramener le calme si le dialogue russo-ukrainien se poursuit sereinement, ce qui n’est pas évident.