Intervention de Simon Sutour

Réunion du 14 octobre 2014 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 octobre 2014

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat intervient à un nouveau moment clé du processus européen, celui de la définition de son agenda, qui dessinera les contours, les ambitions, les compétences et les capacités de l’Europe pour les cinq années à venir.

Après six années consacrées à juguler la crise financière, l’Europe doit trouver un nouveau souffle.

Le futur président de la Commission a voulu traduire les cinq priorités fixées par le Conseil européen de juin dernier dans une architecture rénovée de la Commission avec autant de vice-présidents chargés de les mettre en œuvre. Cette nouvelle organisation, à la fois transversale et agrégée, était nécessaire. En privilégiant le travail d’équipe, le travail en fonction des projets, la Commission pourrait enfin se redonner les capacités d’une impulsion plus politique et plus efficace.

Cet effort, fruit d’habiles compromis, est louable, mais sa complexité suscite encore des inquiétudes. J’en retiens deux.

La première, c’est le risque que cette structure ne relève que d’un habillage qui ferait l’économie d’une rénovation en profondeur des méthodes de fonctionnement de la Commission européenne et de la manière d’élaborer les politiques européennes. Ce ne serait alors qu’une sorte de coquille vide, paralysée par la multiplication des conflits de compétences, de prérogatives, de périmètre d’action et de pouvoir. Écarter très rapidement ce risque est une condition sine qua non de la crédibilité de cette nouvelle Commission, nécessaire, au vu de la situation économique et sociale qui sévit en Europe.

La seconde inquiétude est liée à la première : si la culture de l’Union européenne est déjà celle du consensus fondé sur l’intérêt commun, en faire la clé de voûte du nouveau fonctionnement de la Commission, comme l’a annoncé Jean-Claude Juncker, pourrait se révéler néfaste à certains projets ambitieux. Le consensus pourrait en effet conduire bien vite soit à des compromis sans relief, privilégiant encore des décisions appuyées sur le plus petit dénominateur commun, en décalage avec la situation et les besoins, soit à une conception trop juridique et technique des projets.

Quoi qu’il en soit, la Commission européenne doit agir vite et fort. Nous attendons donc avec un intérêt tout particulier son programme d’action.

Il me paraît important de rappeler ici les priorités que nous devons défendre.

Nous croyons vraiment qu’une véritable réorientation de l’Europe est nécessaire. Nous devons, en priorité, prendre nos responsabilités et renforcer la solidarité pour la croissance et l’emploi en Europe, j’y insiste.

Notre première responsabilité, c’est celle de l’emploi, en particulier celle de l’emploi des jeunes. Or l’action européenne en leur faveur, la garantie pour la jeunesse, dotée de 6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, peine à être consommée, alors qu’un quart des jeunes sont au chômage en Europe. Retard et faiblesse des avances de paiement, ventilation du cofinancement imprécise, responsabilité de la Commission ou des États : ces points doivent être rapidement clarifiés, et nous devons au plus vite résoudre cette difficulté.

Ainsi que la France et l’Italie l’ont évoqué au sommet européen qui vient de se dérouler à Milan, nous soutenons le principe de pérennisation de la garantie pour la jeunesse, ainsi que sa montée en puissance jusqu’en 2020 afin qu’elle représente in fine 20 milliards d’euros d’investissements consacrés à la lutte contre le chômage des jeunes Européens. Nous espérons que la Commission européenne intégrera cette ambition dans son plan d’investissement, conformément aux propositions émises par le Président de la République.

Alors que la croissance marque le pas dans tous les pays européens, il apparaît évident que son redémarrage est aujourd’hui impossible sans relance à l’échelle européenne. Notre responsabilité est aussi de recréer un cadre économique et financier propice à une croissance rapide et durable. L’achèvement de l’union bancaire, la poursuite de la régulation financière et le soutien aux actions non conventionnelles de la Banque centrale européenne en sont des éléments importants, qui conditionnent le financement de l’économie réelle.

Nous devons également poursuivre le rééquilibrage des objectifs de la zone euro : rééquilibrage du rythme des politiques de réduction des déficits en faveur de politiques de croissance ne se résumant pas aux seules réformes structurelles ; rééquilibrage social, car les politiques de relance ne doivent pas nécessairement remettre en cause les droits sociaux ; rééquilibrage des politiques économiques en faveur des investissements, alors que des institutions comme le FMI et l’OCDE enjoignent désormais les États membres à augmenter les investissements publics. C’est seulement à ces conditions que le plan d’investissement annoncé pourra tenir ses promesses en provoquant un choc de croissance salutaire.

Un consensus semble se dégager sur les secteurs prioritaires de ce plan d’investissement, tels que l’emploi et la formation ou le développement des infrastructures. La plus grande difficulté pour la nouvelle Commission réside toutefois dans l’élaboration d’un plan d’investissement précis relatif aux sources des 300 milliards d’euros annoncés.

Selon les informations dont nous disposons, ce plan sera en partie fondé sur des ressources déjà existantes avec le déploiement, ou le redéploiement, de fonds en provenance de la Banque européenne d’investissement, des fonds structurels ou du budget européen après la révision des perspectives financières à mi-parcours. La Commission a également d’ores et déjà annoncé qu’elle fera appel à des fonds privés, ce qui en dit long sur les capacités actuelles de l’Union et de ses États membres à répondre aux besoins nés d’une crise protéiforme et profonde qui nous conduit à repenser le fonctionnement de nos sociétés, non pas en termes de réformes structurelles mais sur le plan de l’organisation des modes de vie.

Nous devons être plus novateurs et défendre de nouvelles sources de financement. Les études existent, des projets concrets sont sur la table, que nous n’avons pas manqué de promouvoir au Sénat, comme l’attribution d’une capacité budgétaire à la zone euro ou la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.

L’efficacité du plan annoncé dépendra également de son ajustement aux besoins. Il faudrait alors trouver une combinaison équilibrée des financements de court et moyen terme, alors que l’on connaît la tendance naturelle de l’Europe à prévoir en priorité des projets à long terme. Dans la situation où se trouve l’Europe, la rapidité est pourtant essentielle, particulièrement si l’objectif est de déclencher un choc.

Il est également important de favoriser un déblocage des fonds qui, à l’inverse du fonctionnement de la garantie pour la jeunesse, ne relève plus du rythme de l’administration mais se calque sur les besoins. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à des procédures moins nombreuses et moins complexes pour la mise en œuvre de fonds moins centralisés et plus proches des projets, comme ceux que j’ai mentionnés plus haut.

Notre responsabilité, c’est aussi imaginer une Union plus forte et œuvrer à sa réalisation. L’Union européenne ne peut se contenter d’une politique gestionnaire. Elle doit être visionnaire comme elle l’a été avec l’union bancaire, dont on ne mesure pas encore assez l’importance dans les étapes de la construction européenne ; elle doit tracer des perspectives. La construction de cette Union forte passe par un fonctionnement institutionnel rénové, une Union de l’énergie, une politique industrielle utilisant toutes les ressources d’une Europe à la pointe de l’innovation.

La réussite du projet européen dépend également d’une solidarité plus grande, qui doit être placée au cœur de l’action européenne. Nos économies sont interdépendantes et les politiques économiques des uns ont des conséquences non négligeables sur celles des autres, comme nous le montrent des exemples récents. Nous devons poursuivre la mutualisation de nos moyens et de nos efforts.

Il nous faut enfin renforcer notre vision collective de l’action commune, qui passe nécessairement par un renforcement des structures décisionnelles pour la zone euro.

En revanche, cette nécessaire solidarité ne doit pas être conçue comme un partage du fardeau, qui conditionne un accord sur des objectifs communs ou l’organisation d’une politique commune sur les questions relatives à l’asile ou sur la définition du cadre climat-énergie pour 2030, qui occupera le prochain Conseil européen. Si ces sujets doivent faire l’objet d’une démarche de solidarité, cela ne doit pas être toute la solidarité.

Mes chers collègues, relever le défi de la relance du projet européen nous permettra de répondre à une autre nécessité : remédier au déficit démocratique européen en redonnant confiance dans l’action européenne commune pour résoudre les difficultés d’aujourd’hui et construire les projets de demain. Cette question du déficit démocratique relève tout particulièrement de notre responsabilité de parlementaires, c’est-à-dire de notre contrôle de l’action européenne. Le traité de Lisbonne nous a conféré de nouveaux droits que nous avons fait vivre, notamment à travers le contrôle du principe de subsidiarité.

Pourtant, dans une Union européenne toujours plus complexe, il faut faire plus : obtenir un règlement ambitieux de la Conférence interparlementaire prévue à l’article 13 ; être associés à la simplification et à la clarification des législations européennes ; développer le contrôle démocratique de la zone euro, de l’union bancaire, des accords commerciaux, des politiques « justice et affaires intérieures » ; mieux travailler avec le Parlement européen ; soutenir, lorsque cela est légitime, une démocratie participative naissante, notamment à travers la motion citoyenne. Un meilleur contrôle démocratique est indispensable à tout projet d’intégration européenne plus poussée.

Une Europe qui soutient, une Europe qui investit, une Europe qui fédère, voilà trois directions, trois ambitions qui sont à notre portée !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion