Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce premier débat préalable au Conseil européen depuis le dernier renouvellement du Sénat. C’est un moment important auquel nous sommes très attachés. Il est en effet essentiel que le Sénat puisse avoir ce dialogue avec le Gouvernement, et je remercie M. le secrétaire d’État de sa disponibilité. Je remercie également mon prédécesseur, Simon Sutour, qui a veillé lors de la précédente mandature à ce que ce débat soit régulièrement organisé afin de partager auprès d’une majorité de nos collègues les problématiques européennes, problématiques que notre collègue Fabienne Keller a souligné comme étant très clairement imbriquées dans les problématiques nationales.
Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit dans le contexte du renouvellement des institutions européennes. Si le Parlement européen confirme le 22 octobre, dans quelques jours à peine, la nouvelle Commission présidée par Jean-Claude Juncker, le Conseil européen pourra procéder à la nomination du collège.
Les défis sont nombreux. Jean-Claude Juncker les a identifiés. Il propose une feuille de route qui nous paraît pertinente. Il s’agit en effet de se concentrer sur les priorités de l’heure : la croissance et l’emploi, en tout premier lieu ; le climat et l’énergie ; le traité transatlantique ; le numérique ; les questions migratoires. Tels sont les grands sujets sur lesquels l’opinion publique attend l’Europe. Celle-ci ne doit plus se disperser dans des questions de détail. Cela lui a fait beaucoup de mal par le passé. La subsidiarité doit jouer pleinement son rôle. Nous, parlements nationaux, devons être les gardiens vigilants du respect de ce principe !
Le climat et l’énergie, chacun l’a dit, seront les deux sujets majeurs inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Celui-ci devra en effet prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action dans ces domaines. Sa décision devra inclure la sécurité énergétique de l’Europe et les objectifs en matière d’interconnexion à l’horizon de 2030.
Le défi climatique est immense, nous le savons : 2013 a établi un nouveau record pour les émissions mondiales de CO2. Le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, estime qu’en prolongeant la trajectoire actuelle, le réchauffement atteindrait six degrés d’ici à la fin du siècle. Or les conséquences du réchauffement risquent de devenir incontrôlables au-delà de deux degrés. Sans doute la communication sur ces enjeux essentiels a-t-elle été maladroite, voire déficiente. À mes yeux, elle n’a pas suffisamment fait place aux scientifiques. On a trop privilégié une écologie punitive au détriment d’une écologie éducative.
L’Union européenne s’est positionnée comme pionnier de la lutte contre le changement climatique. Le président Juncker a repris les objectifs ambitieux de la Commission sortante. Cependant, il faut veiller à ce que l’Union européenne ne se fragilise pas unilatéralement en cherchant à être la « première de la classe ». Un principe de réciprocité doit s’appliquer. Je rappelle que l’Europe représente aujourd’hui environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De 1990 à 2011, ces émissions ont augmenté de 214 % en Chine, contre 130 % en Inde et 8 % aux États-Unis, alors que, dans le même temps, l’Europe abaissait les siennes de 18 %. Or, à ce jour, aucun engagement international contraignant n’implique l’Inde ni la Chine. C’est la raison pour laquelle la conférence de Paris sur le climat en 2015 revêtira un enjeu crucial.
Soyons aussi conscients des très grandes disparités nationales existant au sein de l’Union. La directive sur l’efficacité énergétique de décembre 2012 n’a été correctement mise en œuvre que par la moitié de ses États membres. En mars 2014, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale ont demandé un « partage équitable du fardeau » pour atteindre les objectifs climatiques à l’horizon de 2030.
Certains secteurs industriels tirent aussi la sonnette d’alarme sur les risques de « désavantages compétitifs ». Des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu. Les secteurs de l’agriculture et des transports sont également exposés. On voit bien que ces questions doivent recevoir, je le répète, des réponses au niveau mondial.
L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais où le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis – le président Lenoir le sait mieux que quiconque. À la recherche de nouveaux moteurs pour sa croissance, l’Europe doit donc réfléchir à une politique véritablement énergétique. Elle doit aussi veiller à sa sécurité énergétique.
On a beaucoup investi dans les énergies renouvelables. Dans un récent rapport sur la coopération énergétique franco-allemande, j’avais fait valoir que l’Union européenne devait financer la transition énergétique tout en soutenant sa réindustrialisation. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer cette évolution. Au-delà, la progression des énergies renouvelables sera inévitablement ralentie dans un avenir proche. En effet, les investissements indispensables n’ont pas été réalisés pour pallier l’intermittence caractérisant la plupart des énergies renouvelables.
Voilà ce que je souhaitais dire concernant le paquet climat-énergie.
La situation économique au sein de l’Union européenne sera aussi un enjeu important de ce Conseil européen.
Chacun peut faire le constat préoccupant de l’atonie de l’économie européenne. Jean-Claude Juncker a annoncé un plan d’investissement de 300 milliards d’euros. Nous pouvons soutenir la démarche. Encore faut-il examiner de près d’où viendront les financements de ce plan. Vous avez commencé à l’évoquer, monsieur le secrétaire d’État. Je veux ici mettre en garde sur une éventuelle utilisation unilatérale des crédits des fonds structurels européens. Ceux-ci sont très attendus dans nos collectivités locales, notamment pour compenser, au moins en partie, la baisse drastique des dotations de l’État. Tout détournement de ces fonds ferait l’effet d’une douche froide dans nos territoires. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos explications à ce sujet.
En toute hypothèse, les débats autour d’une relance européenne ne peuvent dispenser la France de rétablir ses finances publiques et de réaliser les réformes structurelles indispensables.
À cet égard, je rappelle que nous évoluons dans un cadre juridique européen, établi à la suite de la crise économique et financière. C’est en vertu de nos engagements européens que le gouvernement français, comme celui de chaque État membre de la zone euro, doit soumettre à la Commission européenne avant le 15 octobre, c’est-à-dire avant demain, son projet de plan budgétaire. La Commission européenne rendra un avis public sur ce projet avant la fin de novembre ; elle peut, en particulier, requérir d’un État membre qu’il révise son projet sous trois semaines. Si, par hypothèse, ce cas de figure se présentait pour la France, je souhaite que nous demandions à la Commission européenne de venir expliquer sa position devant le Sénat ; la possibilité en est expressément prévue par le TSCG adopté en mars 2012.