Ayant occupé, depuis 2007, les fonctions de directeur de l'énergie à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'écologie et celle de commissaire du Gouvernement de l'Andra, je connais bien les enjeux, les défis et les priorités de cet établissement. Toutefois, je reste modeste : l'une de mes premières tâches consistera à comprendre le fonctionnement de l'établissement de l'intérieur, son organisation et ses métiers, notamment en matière de maîtrise d'ouvrage.
J'ai commencé ma carrière en m'occupant du contrôle des installations classées au sein de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) de Lorraine. J'ai ensuite acquis une compétence dans le domaine économique et financier à la direction générale du Trésor. Mon expérience au cabinet du ministre de la défense en 2002-2007, où je me suis occupé de la conduite des programmes, de la réforme de la délégation générale pour l'armement (DGA) et des restructurations industrielles, m'a familiarisé avec les enjeux industriels. Enfin, au poste de directeur de l'énergie, une part importante de mes activités comprenait une dimension internationale ; j'étais notamment vice-président du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Ma vision de l'Andra s'inscrit dans la continuité de celle de mes prédécesseurs, François Jacques et Marie-Claude Dupuy. L'Andra est un établissement public indépendant au service de l'environnement, chargé de faire face aux enjeux de court et de long terme posés par les déchets radioactifs produits par la filière électronucléaire ou par d'autres filières. Il importe de traiter ces déchets et trouver une solution de gestion sûre pour mettre les générations futures à l'abri d'une exposition involontaire. L'Andra a développé une expertise de recherche, de conception et d'exploitation des centres de stockage. Elle a aussi une mission de collecte pour les déchets diffus, de traitement des sols pollués et d'inventaire et de conseil stratégique pour la gestion des déchets radioactifs.
Je souscris pleinement au choix opéré en 1991, à la naissance de l'agence, d'en faire un établissement indépendant, et non dépendant des producteurs de déchets. L'Andra est un exploitant responsable, détaché des enjeux de court terme et pleinement maître d'ouvrage. Elle a accumulé depuis plusieurs années un capital de crédibilité scientifique, technique et sociétale, développé en interaction étroite avec le Parlement. En cette période de crise, ses dotations restent à la hauteur des besoins ; cette situation représente une chance, mais crée également des devoirs.
L'Andra est l'enfant des parlementaires qui ont fait le choix d'un établissement indépendant et voté, depuis vingt-cinq ans, différentes lois relatives aux déchets. Elle avance grâce à la mobilisation collective des élus, nationaux et locaux. Les élus des territoires qui acceptent d'accueillir un centre de stockage, parce qu'ils sont conscients de la responsabilité collective en la matière, attendent en retour d'être soutenus et reconnus au niveau national et de bénéficier de retombées économiques positives au plan local. Il faut maintenir cette dynamique vertueuse.
L'Andra ne doit pas agir seule mais travailler en lien avec son environnement : les évaluateurs, les ONG, le monde scientifique, ses homologues étrangers et les producteurs de déchets qui, en vertu du principe pollueur-payeur, financent le traitement. Dans cette collaboration, il faut veiller à éviter tant le complexe de supériorité, qui empêche l'écoute, que le complexe d'infériorité, qui conduit au repli sur soi. J'encouragerai aussi l'ouverture à l'international qui s'est développée ces dernières années, notamment avec ses homologues européennes, pour établir des comparaisons, échanger, exposer le résultat de nos recherches et favoriser un développement sûr du nucléaire dans le monde.
La nécessaire ouverture de l'Andra renvoie à la question des générations futures. Les déchets radioactifs s'inscrivent dans une perspective de très long terme et posent la question de la réversibilité. Concrètement, il s'agit de transmettre la mémoire de nos débats, de nos acquis techniques et de nos incertitudes aux générations qui nous suivent directement.
Enfin je souhaite préserver la polyvalence des métiers et des compétences de l'Andra, à la fois établissement de recherche, concepteur et maître d'ouvrage de nouveaux sites de stockage et exploitant de sites industriels en fonctionnement. La recherche est un pilier essentiel. Nous devons continuer à avancer afin de répondre aux nouvelles questions, notamment celles qui se posent dans le cadre du projet du Centre industriel de stockage géologique (Cigeo). En outre, l'Andra est un maître d'ouvrage. Il convient de renforcer sa capacité à conduire des ouvrages, faire des choix stratégiques, à déterminer les paramètres, juger la qualité des travaux extérieurs. Nous devons nous appuyer sur des prestataires extérieurs, ne pas être systématiquement maître d'oeuvre. Notre métier s'inscrit au croisement des métiers du souterrain, mines et tunnels, et de la gestion de déchets nucléaires à très long terme. C'est une originalité technique. Enfin, l'Andra exploite des sites industriels qui accueillent 90 % du volume de déchets produit. Il s'agit d'une source de légitimité en France comme à l'international.
À moyen terme, l'agence devra faire face à cinq défis principaux. Il faudra tout d'abord conforter les fondamentaux de l'établissement, tout en faisant évoluer l'organisation et les métiers. L'Andra a beaucoup évolué ces dernières années. Ses projets ont avancé. Par exemple, dans le projet Cigeo, l'esquisse est terminée, la phase industrielle de conception et de réalisation du stockage a commencé. En quelques années, l'établissement est passé de 350 à 650 salariés ; son budget atteint 300 millions d'euros ; les prestataires extérieurs emploient eux-mêmes plusieurs centaines de personnes. Il faudra renforcer la capacité de maîtrise d'ouvrage grâce à un pilotage stratégique, tout en coordonnant les différents sous-projets : la demande d'autorisation administrative, les dossiers auprès de l'ASN, l'intégration dans le territoire, la réalisation industrielle, etc. Pour cela, il convient de développer un fonctionnement en mode projet transversal et matriciel. L'établissement a déjà engagé une démarche de maïeutique en interne, dans le cadre de « Cap 2016 ». Le nouveau directeur général devra prendre une série de décisions organisationnelles.
Cigeo est un chantier hors normes, tant du point de vue technique qu'au regard de son horizon temporel. À l'issue du débat l'an dernier, le conseil d'administration a adopté une feuille de route progressive et réorganisé le calendrier prévisionnel. Le dossier d'autorisation de création sera remis à l'ASN en 2017. En 2015, il faudra donc présenter les options de sûreté, les propositions techniques de récupérabilité et le plan de gestion industrielle pour la prochaine décennie. Une phase industrielle pilote a été introduite afin de faciliter une montée en puissance progressive, gage de la meilleure appropriation de l'outil. L'évaluation des coûts se déroule en ce moment. La Cour des comptes a néanmoins estimé, sur la base des prévisions les plus pessimistes, que le coût de Cigeo pour le consommateur serait limité. L'Andra travaille avec les producteurs pour évaluer le coût du dispositif sur 150 ans, exercice original, jamais réalisé : quand on a construit le viaduc de Millau, on n'a pas cherché à évaluer la charge de la réfection du goudron, ni celle du personnel d'entretien pendant 150 ans ! L'exercice de prévision à 150 ans comprend bien sûr de nombreuses conventions, qui peuvent donner lieu à débat. Les modes d'approche ne sont pas identiques, entre les producteurs qui ont une logique industrielle et l'Andra qui se fonde sur les critères des évaluateurs. Le processus arrive à son terme. Les dernières incertitudes seront levées dans l'élaboration de l'avant-projet sommaire ou lors des études plus détaillées. Les grandes options de design (sur les galeries, sur la construction d'un funiculaire, etc.) ont été tranchées. Il reste des interrogations sur le coût du béton dans 30 ans, les effectifs requis pour exploiter le site dans 10 ans, etc. L'Andra livrera bientôt son estimation, prudente par construction, et le gouvernement arbitrera. Il conviendra de renouveler périodiquement cet exercice d'évaluation. Le dernier remonte à 2005 ; une périodicité d'environ deux ans me semble plus appropriée pour s'assurer régulièrement du respect des coûts, comme dans les programmes d'armement.
Enfin, le projet Cigeo comporte une importante dimension territoriale. L'État a élaboré un schéma interdépartemental de développement du territoire (SIDT). L'Andra doit jouer un rôle dans ce processus, pour fournir des informations aux collectivités locales. Je sais qu'il existe des frustrations et des impatiences, mais l'agence ne saurait délivrer des données dont elle ne dispose pas encore. Avec l'avant-projet, nous en saurons davantage et pourrons partager ces éléments avec les collectivités pour les aider à se préparer. L'enjeu est le développement endogène du territoire : quelle politique de formation, quelles filières dans les lycées techniques dans les IUT,...
Le deuxième chantier concerne les déchets de faible activité à vie longue (FAVL), intermédiaires entre les déchets à faible activité de vie courte et ceux relevant de Cigeo. En 2008, un appel à candidatures avait été lancé directement auprès des communes. Or les communes candidates ont subi de telles pressions qu'elles ont renoncé. Notre erreur a été de nous adresser à elles seules, en négligeant leur environnement intercommunal. Les communes se sont senties abandonnées. Nous avons repris la procédure à zéro en commençant par cibler les sites existants, tels que Soulaines ou Morvilliers. En 2015, nous proposerons des schémas industriels pour les déchets FAVL, articulant des solutions spécifiques avec des projets de sites, une solution de traitement amont et une collaboration avec d'autres filières pour les déchets non pris en charge par ces dispositifs.
Historiquement l'Andra est un concepteur et un exploitant de centres de stockage. Cela ne suffit plus. Il faut jouer un rôle de conseil stratégique en amont vis-à-vis des producteurs. Avec la montée en puissance du démantèlement, les sites de stockage se rempliront de plus en plus vite. Il importe de réfléchir au recyclage, à la réutilisation des poutrelles d'acier ou des déblais, et au prétraitement, ces défis ne pouvant être relevés qu'au travers de l'innovation. La collaboration avec les producteurs de déchets est essentielle sur ces dossiers particulièrement complexes. Un projet d'investissement d'avenir a déjà été retenu. Le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) a confié à l'Andra une mission de réflexion.
Enfin, l'Andra assume également des missions de service public. Elle prend en charge la collecte des déchets de petits producteurs, hôpitaux par exemple, ainsi que les déchets radioactifs anciens, oubliés, comme les paratonnerres ou les montres au radium. Elle travaille sur des opérations telles que « Diagnostic radium » qui l'a conduite à dépolluer des sites en Île-de-France et dans la région Rhône-Alpes. L'essentiel de ces missions est financé par le ministère de l'écologie et par la cotisation des petits producteurs. Il faut consolider les financements et trouver le bon équilibre entre le traitement proposé et son coût.
Je suis très honoré d'avoir été proposé au poste de directeur général de l'Andra. Je suis conscient des enjeux, des avancées réalisées, comme du chemin à accomplir, et de l'importance de trouver des solutions industrielles sûres et pertinentes.