Intervention de Richard Yung

Réunion du 16 octobre 2014 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Richard YungRichard Yung :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est le quatrième que nous examinons en ce début de session ordinaire. C’est le premier en matière financière. Il porte le doux nom de « DDADUE », lequel évoque certaines références littéraires, mais dissimule un contenu plus aride.

Il s’agit en effet d’incorporer à notre droit national un ensemble de directives et de règlements européens récemment adoptés.

Ces textes interviennent dans le sillage de la crise de 2008, qui avait suscité à juste titre une volonté de réformes et d’encadrement des activités bancaires et financières.

Je dois le dire, les choses ont avancé de manière significative dans ce domaine. Alors que l’on dénonce souvent l’irresponsabilité et l’absence de régulation du secteur financier, les progrès, au cours des cinq dernières années, ont été nombreux.

Michel Barnier, alors commissaire européen au marché intérieur et aux services, a beaucoup œuvré. Une quarantaine de textes importants ont été pris à Bruxelles dans le domaine des services financiers, et nous avons la responsabilité de les transcrire dans notre droit.

Ce travail a concerné tous les secteurs de la régulation, tous les produits : les agences de notation, les hedge funds, le régime prudentiel des banques, les produits dérivés. Hier, j’ai même pu constater que le shadow banking, c'est-à-dire toute cette activité qui échappe encore à la régulation, commence à être concerné par des projets de directive, afin de remédier à cet état de fait.

Certains sujets ont été consensuels, d’autres beaucoup moins. Les discussions avec le Parlement européen ont souvent été difficiles ces derniers mois et ces dernières semaines.

Selon la procédure européenne, les directives doivent être transposées en droit national avant une date fixée par elles – nous reviendrons sur cette question. Les règlements sont, quant à eux, d’application directe, mais, dans un certain nombre de cas, il est nécessaire de recourir à des textes de mise en œuvre.

Dans tous les cas, nous n’avons guère la possibilité de nous écarter des règles posées à l’échelon européen. Certaines directives ouvrent des options, mais l’Union européenne a tendance à être de plus en plus ferme. On appelle cela – jolie formulation – l’« harmonisation maximale » – c'est-à-dire minimale pour nous. C’est l’évolution des choses…

Un premier bloc de textes, comme Mme la secrétaire d’État l’a souligné, porte sur l’union bancaire.

Lancé au mois de juin 2012 par le sommet de la zone euro, le projet d’union bancaire repose sur l’idée d’unification de la régulation du système bancaire de la zone euro afin de briser le lien entre banques et dettes souveraines, lien qui a été un élément important de l’accélération de la crise de 2008.

Il consiste en trois piliers : le mécanisme de surveillance unique, le MSU, le mécanisme de résolution unique, le MRU, et un système unique de garantie des dépôts.

Le premier pilier, le mécanisme de surveillance unique, adopté en 2013, entrera en vigueur le 4 novembre, c'est-à-dire dans trois semaines. Il s’agit de faire surveiller les cent vingt plus grandes banques de la zone euro, dont dix banques françaises, par une unité spéciale de la Banque centrale européenne, la BCE, néanmoins indépendante de celle-ci et dirigée par Danièle Nouy, ancienne secrétaire générale de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Des équipes plurinationales – ce point est très important, car il faut éviter les « liens du sang » – sont d’ores et déjà à pied d’œuvre puisque la BCE a organisé une « revue » du bilan des banques, de leurs actifs et de leurs passifs, en particulier pour apprécier la qualité des actifs. À juste titre, la BCE veut établir sa nouvelle surveillance sur des bases claires.

Le deuxième pilier de l’union bancaire, c’est le mécanisme de résolution unique, c’est-à-dire l’ensemble des règles et des procédures de gestion et de financement des crises bancaires. Que fait-on quand une banque présente des signes de faiblesse et peut ne pas être en position de faire face à ses échéances ? Jusqu’à présent, lorsque le cas s’est présenté, cela a souvent été dramatique. La seule solution qui prévalait, c’était de se tourner vers la banque centrale ou le Trésor pour demander des mallettes de billets, au motif que c’était la seule façon de résoudre le problème. C’est ce qui s’est passé au Royaume-Uni avec Northern Rock et la Royal Bank of Scotland ; en France, nous n’avons pas connu réellement une telle situation.

En tout cas, nous ne voulons plus que le contribuable soit sollicité en premier et dernier ressort, en quelque sorte.

Un système de résolution des crises a donc été élaboré, reprenant différents textes, en particulier la fameuse directive de 2013 dite « BRRD », qui harmonise les procédures de résolution nationales. Au fond, on a introduit des mécanismes de surveillance préalable, d’alerte.

Le point faible est toujours le même : si elles étaient alertées suffisamment à temps, les autorités pourraient prendre des mesures, mais elles découvrent toujours les difficultés au dernier moment. Ainsi, en Espagne, on disait des dirigeants de la banque centrale de ce pays qu’ils étaient des gens formidables, d’une très grande qualité – ce qui est certainement vrai –, mais il n’empêche qu’ils ont été surpris par la crise des caisses d’épargne. Cela a été le cas dans de nombreux autres pays.

Nous espérons que ce mécanisme d’alerte fonctionnera, mais, si les choses empirent – c’est ce point qui est important –, il sera fait appel aux créanciers selon un ordre d’appel bien défini : d’abord les actionnaires, puis les obligataires, puis les créanciers « juniors » – il est plus difficile d’envisager de recourir aux créanciers « seniors ».

Si cela ne suffit pas, on passe au fonds de résolution, dont nous parlerons ultérieurement, et ce n’est qu’à la fin, en espérant que ce ne sera pas utile, qu’il est fait appel au financement public.

Le mécanisme de résolution unique repose sur deux piliers : d’une part, un règlement européen, qui pose l’architecture générale du système – je n’entre pas dans le détail des différents organes puisque nous les évoquerons plus tard, lorsque nous serons appelés à ratifier l’accord intergouvernemental, l’AIG, signé entre les États participants – et, d’autre part, les modalités de répartition de ce fonds – c’est un point un peu douloureux – doté à terme, dans huit ans, de 55 milliards d’euros. La question est de savoir à quelle hauteur les banques européennes contribueront à ce fonds.

L’article 2 bis, inséré dans le présent projet de loi par l’Assemblée nationale, vise à adapter notre droit au règlement relatif au mécanisme de résolution unique. Pour que le MRU soit effectif, l’AIG, dont le projet de loi de ratification a été déposé sur le bureau du Sénat, sera donc encore nécessaire.

Je ne développe pas l’architecture du système, assez complexe. Au fond, la volonté a été de ne pas le laisser entièrement entre les mains de la Commission. De fait, il est le fruit d’un compromis entre celle-ci et les États. Comme tout compromis, il est un peu « couci-couça »… Néanmoins, nous espérons qu’il fonctionnera. On dit – je souhaite que ce soit vrai, car il faut agir vite – que, grâce à ce mécanisme, une décision peut être prise en trente-deux heures. En effet, en général, le président d’une banque appelle le vendredi soir vers dix-sept heures le gouverneur de la Banque de France ; on dispose alors de trente-deux heures pour résoudre le problème, avant la réouverture des marchés financiers le lundi matin.

Une question importante est celle du financement. Elle est en cours de négociation à Bruxelles, une négociation difficile. Il s’agit de trouver une clé intelligente et juste de répartition entre les banques. Pour l’instant, semble-t-il, le critère essentiel retenu est celui du total du bilan. Ce critère n’est évidemment pas favorable à la France puisque, comme vous le savez, en comparaison avec d’autres pays que je ne citerai pas, dont le système est plus décentralisé avec de nombreuses caisses d’épargne, le système bancaire français est concentré, avec de grandes banques.

On peut imaginer d’autres critères. En particulier, il me semble essentiel d’introduire la notion du risque bancaire. Certes, pouvoir présenter un bilan important est appréciable, mais si celui-ci contient nombre de titres discutables, alors cela signifie qu’il est quelque peu entaché.

Dans ses négociations, nous voulons aider le Gouvernement à faire un choix qui permette de pondérer de façon plus raisonnable la part des banques françaises. Selon certaines informations, cette part se monterait à 30 % des 55 milliards d’euros du fonds, faisant de la France, et de loin, le premier pays contributeur. Cela nous paraît beaucoup, même si je ne veux pas faire de comparaison avec les autres pays, car là n’est pas la question.

C’est pourquoi nous avons adopté en commission un amendement visant à prévoir que le Parlement ne ratifiera l’accord intergouvernemental qu’une fois connues précisément ses conditions de financement, au terme des négociations à Bruxelles. Nous espérons qu’elles conviendront au Parlement français, qui, comme les autres parlements, doit jouer pleinement son rôle en la matière.

Enfin, le dernier pilier de l’union bancaire est l’unification des systèmes nationaux de garantie des dépôts. Le Fonds de garantie des dépôts et de résolution en France est doté de plus de 2 milliards d’euros. Il deviendra en partie un fonds communautaire – ce qui me paraît tout à fait logique –, avec différents compartiments.

Madame la secrétaire d'État l’a signalé, le présent projet de loi porte également sur d’autres textes.

Ainsi, la directive Solvabilité II vise à renforcer les fonds propres des banques et à revoir le mode de calcul de leurs risques. Ce texte fort complexe a fait l’objet de très longues négociations avec les différents partenaires, ce qui n’était pas évident. Inévitablement, les assureurs ont poussé de grands cris, mais on est arrivé, selon ce que j’ai entendu dire, à un accord qui satisfait les trois parties, à savoir les assureurs, l’Europe et les autorités françaises.

Le paquet MIF II – « MIF » étant l’acronyme pour « marché d’instruments financiers » – tend à rationaliser et à favoriser la concurrence, et également à faire baisser les prix sur les marchés financiers.

Je reviendrai plus tard sur le paquet « abus de marché ».

Vous avez cité la directive relative au crédit immobilier, madame la secrétaire d'État.

Enfin, l’article 8 du projet de loi porte sur la lutte contre la corruption. Il ne s’agit pas d’un instrument de lutte contre l’évasion fiscale, contrairement à ce qui a pu être dit et écrit ; il s’agit d’un dispositif qui vise à lutter contre la corruption dans le secteur des entreprises extractives, notamment minières et forestières, qui recourent parfois à des techniques discutables en la matière.

Par ailleurs, le présent texte présente une caractéristique importante, puisqu’il contient essentiellement des habilitations à légiférer par ordonnance. Madame la secrétaire d'État, vous savez que le Parlement apprécie moyennement le recours aux ordonnances, puisque cela revient pour lui à se dessaisir de sa compétence de législateur. Bien qu’elle soit habituelle, le Parlement reste toujours sourcilleux face à cette procédure. Je ne vous cache pas que, pour ma part, j’étais a priori réticent eu égard au nombre d’habilitations demandées.

J’ai donc examiné, pour chacune d’entre elles, avec l’aide inestimable des administrateurs du Sénat, l’opportunité des justifications avancées. Je vous proposerai d’ailleurs, lors de l’examen des amendements, de réduire, voire de supprimer, certaines habilitations, ou bien d’en restreindre le délai d’habilitation.

Néanmoins, pour l’essentiel, je pense que les demandes du Gouvernement sont raisonnables et justifiées, car les textes en cause sont très longs et très compliqués.

En outre, pour de nombreux textes, nous attendons toujours les actes d’exécution que doit prendre Bruxelles, qui tarde à le faire, ce qui ne facilite pas le travail de transposition.

J’ajoute que, dans un certain nombre de cas, ces textes sont de simples copiés-collés de la législation communautaire.

Pour terminer, je veux dire un mot sur le travail de la commission des finances, qui a adopté plusieurs amendements. Je reviendrai tout à l’heure sur la question du mécanisme de résolution unique et donc sur la clause de prudence, en quelque sorte, que nous avons introduite à l’article 2.

Comme je viens de l’indiquer, nous avons adopté une série d’amendements visant à restreindre le champ des habilitations. En particulier, nous avons été très vigilants sur les questions des abus de marché et des marchés financiers. Deux amendements ont été adoptés sur le sujet : l’un sur les contrats d’assurance vie et l’autre, proposé par M. le rapporteur général, sur les délais dans lesquels la cour d’appel de Paris rend ses arrêts relatifs aux recours formés contre les décisions de l’AMF, l’Autorité des marchés financiers, en matière d’offre public d’achat. Là encore, j’y reviendrai lors de la discussion des articles.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à adopter le présent projet de loi ainsi modifié. §

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