Intervention de Francis Delattre

Réunion du 16 octobre 2014 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde d’aujourd’hui est multipolaire. Les États-Unis et la Russie ne sont plus seuls : la Chine, mais aussi d’autres grandes puissantes économiques émergentes, parfois même « submergentes », sont des puissances de premier plan avec lesquelles il faut compter.

C’est dans ce contexte que l’Union européenne, toujours première économie du monde, doit progresser et surtout rassurer sur sa capacité à maîtriser notre avenir commun. En effet, force est de le constater, elle est actuellement décriée et fréquemment remise en cause par de forts relents nationalistes, et ce dans tous ses États membres.

Cette cathédrale que nous admirons aujourd’hui a souvent été construite sur des fondations mal ancrées. Nous avons, entre autres, créé l’euro sans union bancaire, ni harmonisation fiscale, ni réelle vision politique et économique commune. En réalité, il a fallu l’électrochoc de la crise financière puis la crise des dettes souveraines pour prendre conscience de la fragilité de l’édifice, qui n’a tenu debout jusqu’à présent que grâce à ses deux piliers : la France et l’Allemagne.

La crise économique et financière majeure que nous traversons a ouvert les yeux non seulement des instances et des dirigeants européens, mais aussi des opinions publiques sur la nécessité de consolider l’édifice pour essayer de parer à tout nouveau soubresaut majeur.

Telle est la finalité de l’union bancaire, dont le projet a été lancé en 2012, les orateurs précédents l’ont indiqué.

Sa mise en place se fait en trois étapes, comme l’a dit excellemment M. le rapporteur : un premier pilier, la surveillance unique, un deuxième, la résolution unique, enfin, un troisième, le fonds de garantie unique. Avec ces trois piliers, la zone euro devrait tenir debout en cas de nouvelle crise bancaire forte, à défaut d’être « systémique » – cet adjectif ne me paraît pas assez évaluatif.

Le mécanisme de surveillance unique a été mis en place en 2013 avec la supervision des cent vingt plus grandes banques de la zone euro par la Banque centrale européenne et la vérification de leur solidité à travers des stress tests réguliers réalisés par l’Autorité bancaire européenne. Avec beaucoup d’humour, M. le rapporteur disait en commission qu’il était plutôt bon que les Hollandais surveillent un peu les Français, les Italiens et les Allemands ! §

Le deuxième pilier, le mécanisme de résolution unique, doit, pour sa part, être mis en place le 1er janvier 2016, après la signature, en mai dernier, d’un accord intergouvernemental dont nous allons examiner dans quelques mois le projet de loi de ratification. On ne parle pas suffisamment de cet accord, qui contient nombre de dispositions utiles pour la suite des opérations.

Ce mécanisme concernera 6 000 banques européennes et sera assuré par un Fonds de résolution unique, alimenté par celles-ci. Il constitue une étape essentielle de la construction d’un cadre commun de gestion du système bancaire de la zone euro qui a été au cœur, sinon à l’origine, de la crise de la dette souveraine de nombreux États membres. Il s’agit aujourd’hui, après l’étape préalable incontournable de la supervision commune, de veiller à ce que l’Union européenne, et non plus chaque État membre, soit en mesure de faire face, financièrement et politiquement, aux défaillances lourdes.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à transposer dans notre droit des directives adoptées ces derniers mois – les négociations ont été longues – à l’échelon européen et qui devront s’appliquer aux États membres d’ici à 2016. Certaines concernent ce mécanisme de résolution.

Ainsi, il nous est proposé de transposer une directive de 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement qui pèsent aussi très lourd dans nos économies. Il s’agit notamment d’adapter nos propres institutions nationales de résolution figurant dans la loi de 2013.

Il s’agit également d’être capable de mobiliser pour la première fois les actionnaires et les créanciers de la banque défaillante, dans le cadre de la procédure dite de « bail-in » : l’idée est que les déposants doivent être l’ultime recours pour renflouer la banque, les actionnaires devant être mis à contribution avant et constituer le premier rempart au défaut de paiement plutôt que les États et les contribuables.

Seraient ainsi appelés, dans l’ordre, les actions et autres instruments de fonds propres, la dette subordonnée, les créanciers « seniors » et, en dernier lieu, les dépôts des PME et des personnes privées au-delà de 100 000 euros.

Par ailleurs, le Gouvernement nous sollicite pour l’habiliter à étendre par ordonnance le mécanisme de résolution aux sociétés de financement. Ces dernières s’occupent, par exemple, de crédit à la consommation, de cautionnement, d’affacturage et de leasing.

Le financement du Fonds de résolution unique repose sur les banques elles-mêmes, qui devront alimenter celui-ci pendant huit ans, pour atteindre un montant total des dépôts de l’ordre de 55 milliards d’euros.

Les États membres de l’Union européenne ont engagé une négociation avec la Commission elle-même qui doit définir, au sein d’un acte délégué, une méthode de calcul de cette contribution des établissements bancaires au Fonds de résolution unique. Or le choix de la méthode de calcul sera primordial.

En effet, une prise en compte du total du bilan en valeur absolue pour le calcul des contributions, sans pondération par les risques, pourrait être très pénalisante pour le secteur bancaire français. M. le rapporteur l’a rappelé, une telle méthode de calcul aurait pour grave conséquence que les banques françaises seraient les premières contributrices, à hauteur de 30 % du total du fonds de résolution, soit environ 17 milliards d’euros sur 55 milliards d’euros sur huit ans et près de 2 milliards d’euros par an. Ce n’est pas rien !

À titre de comparaison, cela a déjà été dit, les banques allemandes ne seraient mises à contribution qu’à moins de 25 % – entre 20 % et 25 % –, alors que le PNB de l’Allemagne, première puissance économique et financière de la zone euro, est supérieur de l’ordre de 30 % à celui de la France. Forcément, nous nous interrogeons !

Une telle contribution de nos banques, qui doivent déjà faire face aux nouvelles règles prudentielles de Bâle II et de Bâle III et contribuer au Fonds de garantie des dépôts résultant de la loi de 2013, pourrait avoir des effets sur leur capacité à financer notre économie. À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que, dans notre pays où il n’y a pas de fonds de pension, où l’épargne utile est plus facilement dirigée vers l’assurance vie, 90 % des investissements des entreprises sont réalisés via des crédits bancaires.

Or nous, maires, avons déjà été confrontés, voilà deux ou trois ans, à l’invitation des banques à attendre pour effectuer des investissements dans nos villes au prétexte que, depuis Bâle III, c’était compliqué. Elles nous expliquaient l’importance de conforter d’abord leurs fonds propres pour ensuite libérer suffisamment de liquidités destinées à alimenter l’économie au travers des prêts aux collectivités. Et c’était hier !

Par conséquent, si nous rendions la situation de nouveau difficile, nous en subirions les mêmes conséquences.

Cela étant, nous rencontrons toujours une difficulté par rapport à nos voisins allemands : en réalité, l’Allemagne, c’est l’industrie et la France, c’est les services. La banque, l’assurance sont une force de l’économie française, qui, on le constate dans toutes les négociations, par le biais de dispositions très élaborées, est quelque peu écornée.

Il apparaît donc indispensable, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement français promeuve clairement une méthode de calcul ne pénalisant pas trop notre économie. Pouvez-vous vous engager aujourd’hui dans ce sens et préciser quel mode de calcul la France défend dans les négociations ? Pouvez-vous également nous faire un point sur l’avancée des négociations avec la Commission européenne, qui, techniquement, aura apporté peu ou prou les solutions ?

La commission des finances a déjà utilement conditionné la publication de l’ordonnance relative au mécanisme de résolution unique à la ratification par le Parlement de l’accord intergouvernemental portant sur le Fonds de résolution unique. D’ailleurs, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, nous avons soutenu cette disposition.

Cela signifie clairement à la Commission le refus du Parlement français d’intégrer le mécanisme de résolution unique si le secteur bancaire français était trop et injustement pénalisé.

Si tel était le cas, nous pourrions alors refuser d’adopter le projet de loi de ratification. Madame la secrétaire d’État, cette prise de position ne serait pas inutile, car, lors des discussions avec nos collègues et amis allemands, nous les voyons régulièrement s’interroger pour savoir si le Bundestag ou la Cour de Karlsruhe les suivront. Peut-être pourrions-nous de temps en temps, nous aussi, recourir à une telle habileté lors des négociations… La signification de notre vote final consiste un peu à rappeler au Gouvernement qu’il peut lui aussi invoquer le Parlement.

Il convient néanmoins de signifier également que le Parlement s’intéresse non pas uniquement à l’accord intergouvernemental, mais également à la négociation avec la Commission, puisque l’accord intergouvernemental renvoie la définition du mode de calcul des contributions à la Commission européenne.

Le Parlement entend donc, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement porte à sa connaissance, afin d’éclairer l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord intergouvernemental, des éléments précis permettant de mesurer l’incidence sur le secteur bancaire français d’une option conduisant au paiement de 17 milliards d’euros sur huit ans et sur la réduction des prêts aux entreprises que cette contribution engendrera forcément. Ainsi seront mis en évidence les risques que cela pourrait faire peser concrètement sur notre économie.

Le texte que nous examinons aujourd’hui ne concerne cependant pas que la régulation bancaire. Il comporte d’autres dispositions intéressantes dont l’adoption par voie d’ordonnance ne soulève, selon nous, aucun problème. Il vise notamment la transposition de plusieurs mesures qui concernent les banques, mais aussi les assurances, les entreprises et les consommateurs, ou l’habilitation à transposer par ordonnance de telles dispositions.

Concernant les banques, le projet de loi vise également la garantie des dépôts. Il est proposé la transposition de la directive de 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts. Sur ce sujet, nous sommes plutôt en avance. Cette nouvelle directive tend à harmoniser le niveau de financement des fonds nationaux de garantie des dépôts et à raccourcir le délai d’indemnisation des déposants, une nouveauté intéressante.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui implique également la transposition de la directive Solvabilité II, applicable aux organismes d’assurance. Ce travail va nécessiter une révision importante des codes des assurances, de la sécurité sociale, de la mutualité et du code monétaire et financier. Compte tenu de la grande technicité du texte et du délai assez court de transposition – elle doit intervenir avant le 31 mars 2015 –, le Gouvernement propose une habilitation par voie d’ordonnance.

Néanmoins, il s’agit d’un texte important, dont on peut regretter que le Parlement se dessaisisse : il s’inscrit en effet dans le cadre de l’harmonisation et de la redéfinition par l’Europe des règles prudentielles applicables aux établissements financiers, afin d’en limiter les aspects procycliques et de prévenir les failles systémiques.

À cet égard, la directive Solvabilité II entraîne une refonte globale du régime prudentiel encadrant l’exercice des activités d’assurance et de réassurance en Europe. Elle renforce les exigences en matière de solvabilité et de gouvernance.

Le présent projet de loi vise également l’information financière des entreprises, étant donné qu’il comporte la transposition de la directive Transparence. Celle-ci permettra de porter de deux à trois mois le délai de publication des rapports financiers semestriels, ce qui évitera une surcharge d’information en fin d’été, situation conduisant les investisseurs à ne se focaliser que sur les grosses entreprises au détriment des PME et ETI. Ce changement devrait permettre d’attirer l’attention du marché et des investisseurs, à l’aide d’un éclairage un peu nouveau, et ainsi d’aider ces entreprises à accéder réellement à d’autres financements.

De même, l’obligation de produire une information financière trimestrielle est supprimée.

Par ailleurs, le présent projet de loi prévoit une autre transposition de directive importante : cette dernière permettra de renforcer la responsabilité sociale des entreprises du secteur extractif et d’exploitation des forêts. Elle tend à imposer chaque année un rapport détaillé, projet par projet, des sommes que ces sociétés versent aux gouvernements des pays où elles exercent leurs activités. Ainsi, les citoyens et la société civile pourront être informés des revenus dégagés par l’exploitation et vérifier l’usage qui en est fait par les autorités. Cette obligation de publier ces informations sera inscrite dans le registre du commerce et des sociétés et sur le site internet des firmes concernées.

Ce projet de loi concerne également la protection des consommateurs, avec la transposition de la directive relative au crédit immobilier, qui améliore l’information des consommateurs et introduit des règles de bonne conduite pour les prêteurs en matière de crédit immobilier. Nous avons déjà accompli d’importantes avancées en la matière, et ces mesures complètent de manière intelligente les dispositifs existants.

Dans ce domaine, une autre directive à transposer a trait au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. C’est une très bonne chose de privilégier la médiation par rapport à des procédures juridiques souvent coûteuses et longues.

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