Intervention de André Gattolin

Réunion du 16 octobre 2014 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les lois de transposition du droit européen, que l’on rassemble sous l’acronyme DDADUE, sont toujours d’un abord assez ardu, en particulier en matière économique et financière.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui rassemble un important volume de directives et de règlements visant à améliorer la régulation mise en place par l’Union européenne à la suite de la crise financière de 2008.

Ce texte est, pour une large part, d’habilitation du Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance.

Il est toujours difficile pour un parlementaire de se dessaisir de son pouvoir législatif au profit d’ordonnances. Mais, force est de le reconnaître, en l’espèce, la grande technicité et le nombre des dispositions à transposer justifient globalement cette démarche.

Pour autant, le Parlement ne doit pas se démettre complètement de ses prérogatives. Au reste, ce principe s’applique à la fois en France et au plan européen, où l’on a vu, au cours des dernières années, le recours aux actes délégués croître dans des proportions beaucoup trop grandes. Or cette procédure, qui permet à la Commission de compléter ou de modifier directement certains actes européens, est supposée ne viser que des éléments limités et non essentiels de la législation de l’Union.

Sur cette question, je vous renvoie à l’excellent rapport que notre collègue Simon Sutour a consacré, au mois de janvier dernier, à cet abus des actes délégués par l’Union européenne et par la Commission.

À cet égard, on peut savoir gré à notre cher rapporteur, Richard Yung, de sa vigilance. En effet, il a proposé que nous refusions certaines habilitations ou modifions le cadre de certaines autres, comme celle de l’article 23 ter, portant sur les abus de marchés, à propos desquels le Sénat a déjà engagé une réflexion devant bientôt aboutir.

Par ailleurs, étant personnellement on ne peut plus sensible à la question du numérique, je me félicite que nos collègues députés aient supprimé l’habilitation contenue à l’article 21, qui portait sur la réutilisation des informations du secteur public. Ce sujet, qui soulève d’importants enjeux pour la qualité de notre démocratie à l’ère du numérique, pourra ainsi faire l’objet d’un véritable débat parlementaire à l’occasion d’un projet de loi à venir sur le numérique.

L’autre apport majeur des travaux de notre rapporteur et de notre commission a été de différer la publication de l’ordonnance relative au mécanisme de résolution, afin de peser sur la négociation concernant la clef de calcul des contributions au fonds de résolution. En effet, nombreux sont ceux qui, en France notamment, considèrent qu’elle serait trop défavorable au secteur bancaire français si le chiffre de 30 % actuellement avancé comme quote-part de notre pays était confirmé.

Je souscris tout à fait à l’amendement de M. le rapporteur : il s’agit simplement de ne pas signer tant que toutes les données ne sont pas sur la table. La répartition des contributions est, en effet, une question très politique, qui ne se résume pas à un calcul d’experts.

Quant au fond du problème, je serai plus nuancé. S’il faut évidemment être attentif à l’enjeu diplomatique d’une telle négociation, qui pourrait inciter les États à favoriser leurs banques nationales, il ne faut pas non plus se dissimuler le fait que le système bancaire français, par son extrême concentration, présente a priori un profil de risque particulièrement élevé.

Rappelons que parmi les vingt plus grandes banques mondiales figurent neuf banques européennes. Parmi ces dernières, une est espagnole, une est allemande, trois sont anglaises et quatre sont françaises. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires, que nous avons votée en 2013, n’a malheureusement pas totalement permis de remédier à cette situation. À cet égard, il me semble qu’il serait déplacé de revendiquer pour la France un taux de contribution global sans tenir compte de la structuration du paysage bancaire et de sa participation au risque systémique.

De plus, l’esprit de ce fonds de résolution est d’éviter que les finances publiques ne soient mises à contribution pour réparer les erreurs d’établissements bancaires ou assurantiels privés. Or, du fait de la déductibilité de ces contributions au titre de l’impôt sur les sociétés, le budget de l’État va, dans les faits, assumer à hauteur d’un tiers, par le biais de recettes qu’il ne percevra pas, le financement de ce fonds, pour sa partie française. J’aurai l’occasion de défendre un amendement sur ce point au cours de la discussion des articles.

J’en viens à la question de la transparence des industries extractives, évoquée à l’article 8 du présent projet de loi.

L’exploitation des ressources naturelles implique, trop souvent, des atteintes majeures à l’environnement, des spoliations économiques des peuples ou des conflits armés violents. Afin de mettre fin à la corruption et aux détournements de fonds accompagnant souvent ces marchés, diverses initiatives ont été menées ; elles aboutissent à instaurer davantage de transparence. Ainsi, l’article 8 vise à transposer une directive imposant aux industries extractives la publication des paiements effectués au profit des autorités publiques des États où elles opèrent. C’est là une avancée substantielle.

Toutefois, la formulation proposée dans le projet de loi reste ambiguë. Surtout, elle ne respecte pas totalement la loi Canfin, pourtant explicite, que nous avons votée au printemps dernier. J’aurai, là aussi, l’occasion d’y revenir en défendant divers amendements.

Enfin, en tant qu’écologiste, je me dois de dire un mot de l’article 5, qui porte sur la responsabilité civile des exploitants nucléaires.

Même si tel n’est pas l’objet de cet article, je profite de cette occasion pour rappeler que la responsabilité des exploitants nucléaires est limitée à 91 millions d’euros. Un protocole désormais vieux de dix ans prévoyait de la porter à 700 millions d’euros, mais il n’est jamais entré en vigueur. Ces montants, il faut le rappeler, sont cependant dérisoires au regard du coût d’un accident.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, qui fait figure d’autorité en la matière, évalue le coût d’un accident modéré à 70 milliards d’euros et celui d’un accident de l’ampleur de celui de Fukushima entre 600 et 1000 milliards d’euros. C’est donc en réalité l’État qui est l’assureur de fait, ce qui ne va pas sans poser certaines questions : la garantie implicite de l’État accordée aux exploitants nucléaires est-elle compatible avec le droit européen de la concurrence ? Est-elle seulement compatible avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui, par son article 34, affirme que les garanties d’État sont octroyées en loi de finances ? C’est là une grave question.

Madame la secrétaire d’État, il y a là de délicats problèmes, à propos desquels j’aimerais connaître votre analyse, et dont la commission des finances pourrait se saisir.

Pour conclure, je rappelle que, selon les écologistes, les solutions à apporter à la crise qu’a déclenchée la financiarisation de l’économie sont, bien sûr, européennes. C’est pourquoi nous nous réjouissons, malgré les manques que j’ai pu relever, que le processus de régulation soit en marche à l’échelle européenne, et nous apporterons donc notre plein soutien à ce texte.

Pour autant, comme l’a illustré le processus ayant conduit à la mise en œuvre du reporting pays par pays pour les banques, l’Europe n’avance que par le volontarisme de ses États membres, notamment celui de la France. J’espère donc, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que vous réserverez un sort favorable aux amendements que je présenterai tout à l’heure. §

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