Intervention de Jacques Chiron

Réunion du 16 octobre 2014 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

D’une part, cela entraîne la spoliation des ressources et le maintien des pays concernés dans le sous-développement. À titre d’exemple, le PIB par habitant de la Guinée équatoriale est comparable à celui de la Pologne. Pourtant, les deux tiers de sa population vivent avec moins de 1, 25 dollar par jour. D’autre part, la corruption générée détourne ces pays de la démocratie, alimente l’instabilité politique, ainsi que des circuits financiers dont les liens avec l’évasion fiscale sont aujourd’hui établis.

Sur une série de points sensibles, la directive européenne et sa traduction dans le projet de loi ne vont pas assez loin. Certains observateurs sont ainsi naturellement déçus par le seuil fixé à 100 000 euros quand d’aucuns espéraient des mailles plus fines, ou par les sanctions, qui ne vont pas jusqu’à l’engagement de la responsabilité de l’entreprise en cas de données erronées.

Ce n’est pas un secret, les réticences britanniques et allemandes sur ces questions ont freiné la démarche européenne pour un standard ambitieux au niveau, a minima, des exigences américaines.

Je salue cependant la position de la France, qui a bataillé à l’échelle européenne, avec le commissaire Barnier, pour un texte ambitieux excluant des dérogations. Le texte européen est, par exemple, applicable aux sociétés cotées ou non cotées, quand le texte américain ne concerne que les premières. De même, contrairement à la législation américaine, il s’applique également aux ressources forestières, ce qui est fondamental pour contribuer à une exploitation durable, en particulier dans les zones menacées de déforestation.

Je me félicite également que le projet de loi de transposition complète le texte initial en verrouillant, notamment, l’interprétation de certaines dispositions qui auraient pu mener au contournement des règles. Je pense en particulier à l’exigence de lisibilité des données fournies par les compagnies ou à la double publication des informations, non seulement auprès du greffe du tribunal de commerce, mais aussi sur les sites internet des entreprises.

À l’occasion des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, cette demande avait été formulée de façon récurrente par les ONG, dans leur rôle de lanceurs d’alerte.

Globalement, et comme souvent lorsque l’on intervient dans un secteur quasiment non-régulé, ce premier cadre réglementaire ne suffira pas à éradiquer toutes les formes de corruption.

Il est probable que les moyens de contrôle de la qualité des données soient insuffisants et que les sanctions prévues dans le projet de loi se révèlent peu dissuasives. Toutefois, il faut savoir se satisfaire de ce texte, qui témoigne avant tout d’une prise de conscience grandissante que ces pratiques ne doivent plus être tolérées.

Il constitue à la fois une première pierre et un cap à tenir pour la suppression des angles morts concernant l’établissement de nos compagnies à l’étranger. Il instaure la transparence comme idéal et comme vertu cardinale, parce que les agissements sont toujours plus exemplaires quand leurs auteurs se savent sous surveillance. Il entre aussi dans le cadre plus global de la lutte contre les comportements de certaines multinationales « hors sol », qui s’organisent de façon à se dispenser des obligations qu’implique la création de richesses sur un territoire.

Ce texte, enfin, contribue à l’objectif de transparence accrue tout au long de la chaîne de production de richesses, préalable indispensable à une fiscalité plus juste.

Mes chers collègues, cet impératif de transparence produit ses effets au-delà de ce que nous aurions pu imaginer en 2011 lors des travaux de la commission d’enquête précitée.

Mais nous avons tout de même appris dernièrement quelques bonnes nouvelles, que j’évoquerai pour terminer.

Ainsi, en matière d’optimisation, le gouvernement irlandais vient d’annoncer la fin, d’ici à 2020, de son système fiscal, qui faisait de l’Irlande un paradis fiscal pour les multinationales, spécialement dans l’industrie du numérique.

De même, la Suisse vient d’annoncer qu’elle acceptait de supprimer cinq régimes fiscaux très avantageux pour les entreprises étrangères.

Et les pays les plus réfractaires à l’abolition du secret bancaire cèdent un à un face à la pression internationale et acceptent le principe de l’échange automatique des données : le Luxembourg et le Liechtenstein adhéreront à ce principe en 2017, l’Autriche et la Suisse en 2018. Je crois savoir que la France est en train de négocier pour que la Suisse applique ce principe plus rapidement. Monaco et Andorre devront suivre.

Ces deux dernières années témoignent du retour du politique au premier plan en matière financière et fiscale. Les lignes bougent à une vitesse inédite !

La coalition d’États précurseurs, d’organisations internationales telles que l’Union européenne, l’OCDE ou encore le G20, mais aussi d’organisations non gouvernementales, alignés sur un discours fort et cohérent, a permis un volontarisme efficace, dont la vocation est de susciter une plus grande transparence avec, pour objectif final, davantage de justice.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste votera ce texte, tout en félicitant le rapporteur d’avoir œuvré avec compétence sur un dossier très complexe.

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