Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 21 octobre 2014 à 14h30
Débat sur le bilan du crédit d'impôt compétitivité emploi

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, est entré en vigueur le 1er janvier 2013. L’adoption de cette mesure faisait suite au rapport Gallois sur la situation de notre industrie. Son objectif était de restaurer la compétitivité de nos entreprises, compte tenu de la baisse de leur taux de marge et de la dégradation de notre balance commerciale.

Il s'agit au demeurant d’un dispositif simple, puisqu’il représente 6 % – au départ, c’était 4 % – de la masse salariale jusqu’à deux fois et demie le SMIC. Contrairement aux autres mesures de la politique de l’emploi, le CICE n’est donc pas un complément d’allégement des cotisations sociales, mais une sorte de « super-niche fiscale » accordée aux entreprises, qu’elles soient assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.

Toutefois, comme les exonérations de cotisations sociales, le CICE repose sur le postulat que le coût du travail est trop élevé. À aucun moment ne sont analysés les coûts du capital, qu’il s’agisse de la rémunération des actionnaires ou des services financiers et bancaires.

Cette niche fiscale a été accordée alors que l’on constatait une hausse de la contribution des redevables de l’impôt sur le revenu qui sont imposés au titre des salaires, traitements, retraites et pensions, ainsi que de la TVA, dont le taux normal est aujourd’hui de 20 %. Ces deux hausses ont été décidées dans le but de réduire les déficits et de redresser les comptes de la nation. Le CICE devait quant à lui restaurer la « compétitivité » de nos entreprises et « rétablir leurs marges », conditions sine qua non de leurs futurs investissements ; c’est en tout cas ce qui nous avait été annoncé.

Pour la première fois, peut-être, l’argent public est ouvertement et effectivement utilisé pour « restaurer les marges » de nos entreprises. À dire vrai, les éléments assez fragmentaires fournis par le comité de suivi mis en place autour des services de France Stratégie et de M. Pisani-Ferry ne donnent pas d’outils de mesure des investissements et des créations d’emplois dans les entreprises bénéficiant du CICE. Le document de suivi de France Stratégie ne fournit, pour l’heure, qu’un suivi des « intentions » d’embauche et d’investissement des bénéficiaires.

Il aura ainsi fallu environ un an pour que les entreprises fassent « l’apprentissage » – selon la formule utilisée – du CICE, et six à huit mois supplémentaires pour que cet apprentissage se traduise, virtuellement, par des intentions d’investissement, dans un premier temps, ou d’embauche, dans un second temps, en réponse à l’enquête de conjoncture de l’INSEE. On peut donc se demander combien de temps il faudra pour que les intentions deviennent réalité et se traduisent par une relance de l’investissement productif et des créations d’emploi !

Dans son numéro du mois d’octobre 2014, le mensuel Alternatives Économiques démontre qu’au moins l’un des objectifs du Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, expliquant son soutien au CICE, a été atteint. En effet, au second trimestre de 2014, les entreprises françaises ont, malgré leur faible taux de marge et leur compétitivité chancelante, distribué rien de moins que 40, 7 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires ! Un montant en hausse de 30 % par rapport à l’exercice précédent, nous précise le mensuel, ce qui prouve que nos entreprises ont, sinon retrouvé leur rentabilité, du moins tenu leurs promesses vis-à-vis de leurs actionnaires.

Cette situation est préoccupante à plus d’un titre. Il semble bien que, si investissements et efforts il y a eu, ce fut pour capter la clientèle disponible des marchés dits « émergents », au détriment du marché domestique. Cela signifie que le mouvement de délocalisation des productions continue. Le jeu sur les prix de transfert qui en découle renforce encore la nécessité d’exiger de nos grands groupes à vocation internationale qu’ils fassent preuve de transparence sur leur activité dans chacun des pays où ils sont implantés.

Mes chers collègues, il y a beaucoup de non-dits autour du CICE, de ce qu’il représente, de ce à quoi il tend, de sa quotité, de son affectation et de son poids dans les finances publiques. Il me semble que nous devons nous efforcer de comprendre en quoi la mesure est discutable et pourquoi elle doit être abandonnée.

Ce que nous dit le comité de suivi est assez éclairant, quand bien même – nous ne pouvons que le souligner à nouveau – son rapport ne comporte qu’un faible nombre d’appréciations très évaluatives. Le CICE ne semble pas avoir coûté autant que prévu aux finances publiques. Cependant, il me paraît quelque peu limitatif de calculer son coût pour les finances publiques en s’appuyant seulement sur le montant de la créance d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu imputable.

En réalité, avec un budget de l’État dont le montant de dépenses budgétaires et fiscales atteint environ 375 milliards d'euros et qui est marqué par l’émission de 180 milliards d'euros de titres de dette publique destinés à amortir l’existant ou à financer le déficit budgétaire, que constate-t-on ? Que, pour deux euros de CICE, il faut lever un euro de ressources extrabudgétaires, et que la moitié de cette somme se trouve imputée sur le déficit budgétaire constaté.

En pratique, selon le comité de suivi, ce sont quelque 17, 4 milliards d'euros qui seront mobilisés en 2015 pour financer le CICE. L’État va donc émettre 8 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires pour verser le CICE aux entreprises bénéficiaires, et le déficit public s’en trouvera majoré de 3 à 3, 5 milliards d'euros. Le coût du CICE pour les finances publiques, tant à court qu’à moyen terme, implique que nous nous interrogions sur son efficacité, en particulier en matière d’emploi.

Prenons quelques exemples. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, 19 654 entreprises disposaient de 242, 2 millions d’euros – j’ai du mal à prononcer ce chiffre, à cause de son ampleur… – de créance de CICE en 2014, soit une moyenne de 12 320 euros par entreprise. Pour beaucoup, c’est de « l’argent de poche », mais pour d’autres, c’est un vrai pactole !

D’après l’enquête réalisée en 2014 par Pôle emploi sur les besoins de main-d’œuvre dans cette région, les entreprises font état de 80 511 projets d’embauche, dont 28 % de projets saisonniers. Quel est le « top 5 » des professions les plus demandées ? Animateur socioculturel, agent d’entretien de locaux, aide à domicile, employé de libre-service et aide-soignant, ces cinq professions représentant plus de 23 % des offres d’emploi potentielles de l’année. Il s’agit d’emplois non délocalisables. Le nombre de projets d’embauche a augmenté de 2 700 en un an.

Dans la région Lorraine, 12 039 entreprises se sont partagé une créance de 143, 8 millions d'euros. L’enquête sur les besoins de main-d’œuvre comptabilise 44 282 offres d’emploi potentielles, dont, là encore, plus de 28 % de projets saisonniers. Cela représente 6 600 projets d’embauche en plus, après trois années de baisse consécutives. Les deux tiers de ces projets relèvent du domaine des services et concernent des emplois peu ou pas qualifiés.

Dans la région Bretagne, le nombre de projets d’embauche s’élève à 90 213, dont près de 47 % pour des emplois saisonniers. La part des offres de contrat saisonnier est même de 50 % dans les Côtes-d’Armor et de presque 55 % dans le Finistère ; elle atteint ou dépasse les 70 % dans les bassins d’emploi de Quimperlé, Concarneau, Auray ou encore Lannion. Cependant, 16 864 entreprises bretonnes ont bénéficié d’une créance de CICE, pour un montant total de 212, 9 millions d’euros. Les abattoirs Gad ou le volailler Doux ont probablement profité du CICE…

À ce stade, je ne peux manquer de souligner la situation d’une entreprise de ma région, la société Radiall, implantée notamment dans mon département, l’Indre-et-Loire, ainsi que dans l’Isère. Cette entreprise est spécialisée dans la production de composants électroniques. C’est une entreprise dite « de taille intermédiaire », créée par Yvon Gattaz et reprise depuis par son fils Pierre, actuel président du MEDEF, comme son père fut président du Conseil national du patronat français, le CNPF.

Cette année, Radiall va payer en France 202 000 euros d’impôt sur les sociétés, alors que le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 235 millions d’euros et dégagé un bénéfice de près de 25 millions d’euros. L’entreprise bénéficie de 876 000 euros de créance de CICE à « épuiser » d’ici à 2017.

Une telle situation appelle la réflexion, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’elle signifie que Radiall bénéficiera d’une créance reportable sur les exercices ultérieurs, de la même manière qu’elle a pu, ces dernières années, alléger ses obligations fiscales françaises du coût de son expansion à l’étranger dans des pays aux cieux fiscaux plus cléments et aux obligations sociales moins pesantes.

Pierre Gattaz est un habile chef d’entreprise : si l’essentiel de son chiffre d’affaires demeure réalisé en France, où travaille également la majorité de ses salariés, la plus grande partie de sa plus-value est transférée à l’étranger. Merveille de l’optimisation fiscale – c’est un sujet cher à notre collègue Éric Bocquet, ici présent –, qui permet d’imputer les pertes liées aux coûts de délocalisation des productions sur les profits ultérieurs et de se servir de ses bases à l’international pour distribuer au mieux les profits et éviter les impositions trop élevées !

Le CICE ne paiera peut-être pas les 2, 8 millions d’euros de dividendes que s’accordent les actionnaires de Radiall – 87 % des parts appartiennent à la famille Gattaz –, mais il leur permettra de les financer encore plus aisément.

Notons, pour l’anecdote, que Pierre Gattaz lui-même s’est vu accorder 247 000 euros de dividendes, …

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