Séance en hémicycle du 21 octobre 2014 à 14h30

Résumé de la séance

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  • CICE
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La séance

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La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, notre session est maintenant commencée. La semaine passée, nous avons examiné un texte important sur la lutte contre le terrorisme ; nous l’avons adopté. La semaine prochaine, nous entamerons l’examen en deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions. Nous voici à la tâche !

Le 28 septembre dernier, c’est une nouvelle majorité que les délégués sénatoriaux ont choisie pour notre Haute Assemblée. Pour moi, leur vote est l’expression d’une confiance dans le Sénat. Et cette confiance, mes chers collègues, nous oblige tous, sénatrices et sénateurs, majorité comme opposition, car, au-delà de nos différences, de nos divergences et de nos parcours, c’est le même constat que nous partageons.

Il faut relever le Sénat et agir concrètement pour faire vivre le bicamérisme. C’est l’esprit de la feuille de route que je vous propose de suivre ensemble, nous, les 348 sénateurs. Elle peut se résumer en un mot : confiance.

Le Sénat est le reflet de nos territoires. Toutefois, au-delà, il incarne la Nation, avec ses différences et sa diversité, mais aussi ses valeurs et son unité. Pour moi, la Nation est un tout.

Vous le savez, la France doute, la politique est en crise, mais je n’en rajouterai pas, même si c’est la mode, y compris littéraire. Notre responsabilité est collective, car, quand il s’agit de la France, c’est l’intérêt du pays qui, seul, doit guider notre action. Ce n’est donc pas l’affaire d’un seul camp ! Il est l’impératif de tous. Majorité et opposition doivent se retrouver sur cet objectif. Nous devons être l’assemblée de l’élan collectif et agir ensemble.

L’opposition est essentielle à la vie d’une démocratie, mais elle n’est bien entendu utile au pays que si elle s’inscrit dans une démarche de construction. Les Français nous observent et ils nous jugeront sur notre capacité à nous mobiliser face à l’ampleur des réformes à accomplir. Les Français attendent que leurs représentants aient le courage d’assumer des choix, des choix qui peuvent être difficiles ou bousculer les clivages, qui dépassent les seuls rendez-vous électoraux et qui appellent à préférer l’intérêt national plutôt que, parfois, l’intérêt corporatiste. Notre assemblée doit être le lieu de la confiance retrouvée entre élus et citoyens.

Oui, le Sénat doit redonner du sens à la politique ! Il doit tracer des perspectives d’espoir. Il doit, face aux tentations du repli communautariste, consolider notre pacte républicain et réaffirmer les valeurs de laïcité auxquelles nous sommes tous attachés.

Nous, sénateurs, nous puisons notre force dans notre ancrage territorial. Nous puisons notre crédibilité nationale à la source de l’expérience locale. Et le pouls de la République bat dans nos territoires.

Le quinquennat a changé le rythme de notre démocratie.

La Ve République fonctionne autour d’un bloc quelque peu monolithique : l’Élysée, Matignon, l’Assemblée nationale. Ces trois institutions avancent d’un même rythme, dont le tempo est donné par le sommet. Le seul frein institutionnel à ce « rouleau compresseur », c’est le Sénat. Il est le balancier stabilisateur des institutions. Il est la voix de la différence, car il n’est pas dans le temps du quinquennat. Il permet de prendre en compte, entre deux élections présidentielles, les expressions démocratiques locales. C’est ce que nous avons vécu en mars dernier et le 28 septembre.

Toutefois, notre légitimité démocratique n’est pas limitée à la seule démographie. Nous représentons les Français à travers leur lieu de vie : le territoire. Nous ressemblons à la France.

Nous sommes même le principal représentant, mes chers collègues, des territoires les plus faiblement peuplés, des « pauvres en démographie ». Sans nous, que pèseraient-ils en termes d’aménagement ou de solidarité budgétaire ? De ce point de vue, le Sénat, garant de la cohésion territoriale, me paraît être un garant de l’unité nationale.

Le critère démographique, mes chers collègues, est-il le critère exclusif de représentativité ? La démocratie du nombre et celle du territoire doivent se combiner pour améliorer la représentation des citoyens.

Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le Sénat représente la ruralité et les espaces urbains et périurbains. Il est l’assemblée des territoires, ceux de métropole et ceux d’outre-mer. Il aura d’ailleurs une responsabilité particulière de souveraineté avec le rendez-vous législatif sur la Nouvelle-Calédonie au cours des trois prochaines années.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous sommes les porteurs de la diversité territoriale française.

Il nous faut, mes chers collègues, imaginer ensemble un Sénat qui soit aussi hors les murs, un Sénat qui aille au-devant des réalités de terrain et dont une part des travaux pourrait se dérouler, en fonction des sujets, dans nos départements, nos régions, ainsi qu’en outre-mer. C’est là aussi que nous sommes attendus ! C’est là que nous démontrerons la proximité de notre assemblée avec les Françaises et les Français.

Mes chers collègues, je souhaite être un président qui, avec vous tous, rassemble, un président fédérateur de la majorité sénatoriale, attentif à chacune et à chacun de ceux qui la composent, mais aussi un président à l’écoute de toutes les sénatrices et tous les sénateurs, quel que soit leur engagement, un président attentif aux droits de l’opposition dans sa diversité.

C’est maintenant, mes chers collègues, qu’il nous faut être imaginatifs et réactifs. Il nous faut être ambitieux pour le Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’utilité de notre assemblée, nous la prouverons en allant au-devant des difficultés qu’affrontent les élus du territoire et nos compatriotes.

Je pense, en premier lieu, à l’emploi. Je sais que chacun d’entre vous, dans son territoire, dans sa propre famille, est confronté au fléau du chômage. Ce sont nos petites et moyennes entreprises, nos très petites entreprises et bien sûr nos grandes entreprises qui, s’enracinant dans nos communes, créent les emplois. Il nous faut être à leur écoute, alléger leurs contraintes. Je vous ai proposé dans mon projet une nouvelle délégation dédiée aux entreprises. Sa création devrait être à l’ordre du jour d’un prochain Bureau.

Je pense également à l’empilement normatif qui étouffe la créativité, décourage l’initiative dans nos communes et nos départements et pèse fortement sur nos finances publiques. Là aussi, je vous ferai des propositions extrêmement concrètes et précises pour que nous passions du discours, de l’incantation, des rapports ou des moratoires à des décisions concrètes.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La France ne peut plus attendre.

L’organisation territoriale, mes chers collègues, va constituer l’un des tout premiers enjeux de nos travaux. Sur ce dossier, le message que je porte est simple : on ne peut pas raisonnablement réformer l’organisation territoriale en ignorant notre assemblée !

C’est ce que j’ai dit au Président de la République lorsqu’il m’a accueilli après mon élection à la présidence du Sénat. Je lui ai fait des propositions pour que nous ayons, nous, les sénateurs, les moyens de débattre sereinement et de manière constructive sur les textes territoriaux, dans l’intérêt général du pays.

Le Premier ministre, conformément à l’article 50-1 de la Constitution, fera donc la semaine prochaine devant notre assemblée une déclaration sur la réforme territoriale. Elle sera suivie d’un débat qui précédera l’indispensable deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions.

Le texte sur la nouvelle organisation territoriale de la République, que le Sénat devait initialement examiner au début du mois de novembre prochain, sera quant à lui programmé lors de la seconde quinzaine de décembre. Nous aurons le temps de travailler sans excès de lenteur ni de vitesse. C’est cela aussi cette forme d’opposition constructive que j’appelle de mes vœux. C’est elle qui devra désormais guider nos rapports avec l’exécutif et l’Assemblée nationale.

Il nous incombera d’apporter à ces textes la « plus-value territoriale » du Sénat. C’est d’ailleurs pour accroître notre aptitude à créer cette plus-value que je vous propose de rétablir, par redéploiement de moyens, des prestations d’expertise et de conseil vous permettant de répondre aux questions des élus locaux qui vous saisissent de leurs problèmes.

Relever le Sénat, c’est aussi donner plus de lisibilité à notre action. Cela passe par une révision de nos méthodes de travail et de nos outils.

Je vous propose de mettre en place rapidement un groupe de travail pluraliste pour faire le bilan des réformes du règlement de 2009 et de 2011, ainsi que pour ouvrir des perspectives. Ce groupe devra réfléchir notamment à un meilleur équilibre entre travail en commission et travail en séance publique, ainsi qu’à une meilleure coordination de nos travaux.

Il faut que nous puissions établir des agendas plus cohérents. Nos actions sur les politiques publiques et la législation doivent être plus compréhensibles pour l’opinion. Il nous faudra imaginer aussi de nouveaux modes de votation, qui nous permettront de nous retrouver régulièrement en nombre pour manifester quels sont nos choix finaux sur des textes importants.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Une autre mesure pourrait également être mise en œuvre rapidement : le remplacement des questions cribles thématiques par des questions cribles ministérielles portant sur l’ensemble des politiques publiques conduites par un membre du Gouvernement. J’ai saisi à cette fin les présidents de groupes, qui devront nous faire des propositions.

En ces matières, la conférence des présidents et le Bureau auront à débattre des préconisations, mais c’est au Sénat, dans son ensemble, qu’il appartiendra de prendre les décisions finales, dès lors qu’il s’agira d’adapter, donc de modifier, notre règlement.

À l’heure où l’avenir du monde repose sur des forces économiques globalisées, notre rayonnement en Europe doit être une priorité. Pour moi, cela suppose un dialogue renforcé avec le Parlement européen et les parlements nationaux des principaux États membres de l’Union européenne. Cependant, l’Europe ne sera plus puissante que si la collaboration franco-allemande est renforcée, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. … une voie dans laquelle le Sénat s’engagera pleinement.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Quant à la parole du Sénat au-delà des frontières européennes, je la porterai avec notre commission des affaires étrangères et nos autres commissions, en m’appuyant sur nos collègues représentant les Français établis hors de France.

Une gouvernance responsable et une bonne gestion collective participent aussi de notre ambition. Nous adapter à ces temps de contraintes est nécessaire : nous devons être exemplaires.

Nous l’avons déjà montré et nous le montrerons encore. Je ne laisserai pas caricaturer le Sénat et les sénateurs ! Je vous le dis, mes chers collègues, et je le dis aussi à nos différents cadres de fonctionnaires, à nos collaborateurs et aux collaborateurs des groupes politiques : servir le Sénat de la République doit être – est – une fierté. De ce point de vue, notre administration, placée sous l’autorité des questeurs et de l’ensemble du Bureau, doit symboliser une fonction publique innovante, exigeante, ouverte sur l’extérieur.

La confiance retrouvée de l’opinion implique d’améliorer notre communication, notamment institutionnelle. Je pense que le Sénat gagnerait à se doter d’un comité exécutif pluraliste afin de mieux structurer nos actions de communication. Je pense que nos travaux devront avoir une résonnance plus importante sur les réseaux sociaux et internet, notamment en valorisant l’open data du Sénat, une avancée remarquable qui doit être mieux connue.

Notre action peut emprunter de multiples canaux. Sachons oser ! Nous gagnerons la bataille pour le Sénat par l’écoute du pays, la qualité de nos initiatives et la force de nos idées.

Parmi les réflexions que nous pouvons avoir, pourquoi ne pas imaginer – ce sujet reste très ouvert –, en partenariat avec les professions du droit, une « Fondation de la loi », dont la mission serait d’expliquer de manière pédagogique ce qu’une nouvelle législation change dans l’ordre juridique préexistant ?

Mes chers collègues, l’image du Sénat doit être le reflet de ce que notre institution est en réalité. C’est comme cela aussi que nous prouverons son rôle essentiel pour une République apaisée et que nos engagements seront tenus. Mes chers collègues, oui, je le crois : la République a besoin du Sénat.

Nous avons une responsabilité en cette période de gros temps politique. Nous devons être capables de nous rassembler et de ressembler à la France. Nous devons être l’assemblée de la France qui se sent oubliée, abandonnée, mais aussi celle de la France de l’innovation, des créateurs, de l’excellence et des réussites locales.

Le peuple français doit retrouver confiance, confiance en ses élus. Nous sommes dépositaires de la légitimité nationale. Les valeurs de la République sont au cœur de mon engagement. Je suis sûr qu’elles sont aussi au cœur de l’engagement de chacune et de chacun d’entre vous.

Le Sénat peut tant apporter à la République, mes chers collègues ! Et nous allons en donner la preuve, tous ensemble.

Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement . – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, au nom du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, est entré en vigueur le 1er janvier 2013. L’adoption de cette mesure faisait suite au rapport Gallois sur la situation de notre industrie. Son objectif était de restaurer la compétitivité de nos entreprises, compte tenu de la baisse de leur taux de marge et de la dégradation de notre balance commerciale.

Il s'agit au demeurant d’un dispositif simple, puisqu’il représente 6 % – au départ, c’était 4 % – de la masse salariale jusqu’à deux fois et demie le SMIC. Contrairement aux autres mesures de la politique de l’emploi, le CICE n’est donc pas un complément d’allégement des cotisations sociales, mais une sorte de « super-niche fiscale » accordée aux entreprises, qu’elles soient assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.

Toutefois, comme les exonérations de cotisations sociales, le CICE repose sur le postulat que le coût du travail est trop élevé. À aucun moment ne sont analysés les coûts du capital, qu’il s’agisse de la rémunération des actionnaires ou des services financiers et bancaires.

Cette niche fiscale a été accordée alors que l’on constatait une hausse de la contribution des redevables de l’impôt sur le revenu qui sont imposés au titre des salaires, traitements, retraites et pensions, ainsi que de la TVA, dont le taux normal est aujourd’hui de 20 %. Ces deux hausses ont été décidées dans le but de réduire les déficits et de redresser les comptes de la nation. Le CICE devait quant à lui restaurer la « compétitivité » de nos entreprises et « rétablir leurs marges », conditions sine qua non de leurs futurs investissements ; c’est en tout cas ce qui nous avait été annoncé.

Pour la première fois, peut-être, l’argent public est ouvertement et effectivement utilisé pour « restaurer les marges » de nos entreprises. À dire vrai, les éléments assez fragmentaires fournis par le comité de suivi mis en place autour des services de France Stratégie et de M. Pisani-Ferry ne donnent pas d’outils de mesure des investissements et des créations d’emplois dans les entreprises bénéficiant du CICE. Le document de suivi de France Stratégie ne fournit, pour l’heure, qu’un suivi des « intentions » d’embauche et d’investissement des bénéficiaires.

Il aura ainsi fallu environ un an pour que les entreprises fassent « l’apprentissage » – selon la formule utilisée – du CICE, et six à huit mois supplémentaires pour que cet apprentissage se traduise, virtuellement, par des intentions d’investissement, dans un premier temps, ou d’embauche, dans un second temps, en réponse à l’enquête de conjoncture de l’INSEE. On peut donc se demander combien de temps il faudra pour que les intentions deviennent réalité et se traduisent par une relance de l’investissement productif et des créations d’emploi !

Dans son numéro du mois d’octobre 2014, le mensuel Alternatives Économiques démontre qu’au moins l’un des objectifs du Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, expliquant son soutien au CICE, a été atteint. En effet, au second trimestre de 2014, les entreprises françaises ont, malgré leur faible taux de marge et leur compétitivité chancelante, distribué rien de moins que 40, 7 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires ! Un montant en hausse de 30 % par rapport à l’exercice précédent, nous précise le mensuel, ce qui prouve que nos entreprises ont, sinon retrouvé leur rentabilité, du moins tenu leurs promesses vis-à-vis de leurs actionnaires.

Cette situation est préoccupante à plus d’un titre. Il semble bien que, si investissements et efforts il y a eu, ce fut pour capter la clientèle disponible des marchés dits « émergents », au détriment du marché domestique. Cela signifie que le mouvement de délocalisation des productions continue. Le jeu sur les prix de transfert qui en découle renforce encore la nécessité d’exiger de nos grands groupes à vocation internationale qu’ils fassent preuve de transparence sur leur activité dans chacun des pays où ils sont implantés.

Mes chers collègues, il y a beaucoup de non-dits autour du CICE, de ce qu’il représente, de ce à quoi il tend, de sa quotité, de son affectation et de son poids dans les finances publiques. Il me semble que nous devons nous efforcer de comprendre en quoi la mesure est discutable et pourquoi elle doit être abandonnée.

Ce que nous dit le comité de suivi est assez éclairant, quand bien même – nous ne pouvons que le souligner à nouveau – son rapport ne comporte qu’un faible nombre d’appréciations très évaluatives. Le CICE ne semble pas avoir coûté autant que prévu aux finances publiques. Cependant, il me paraît quelque peu limitatif de calculer son coût pour les finances publiques en s’appuyant seulement sur le montant de la créance d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu imputable.

En réalité, avec un budget de l’État dont le montant de dépenses budgétaires et fiscales atteint environ 375 milliards d'euros et qui est marqué par l’émission de 180 milliards d'euros de titres de dette publique destinés à amortir l’existant ou à financer le déficit budgétaire, que constate-t-on ? Que, pour deux euros de CICE, il faut lever un euro de ressources extrabudgétaires, et que la moitié de cette somme se trouve imputée sur le déficit budgétaire constaté.

En pratique, selon le comité de suivi, ce sont quelque 17, 4 milliards d'euros qui seront mobilisés en 2015 pour financer le CICE. L’État va donc émettre 8 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires pour verser le CICE aux entreprises bénéficiaires, et le déficit public s’en trouvera majoré de 3 à 3, 5 milliards d'euros. Le coût du CICE pour les finances publiques, tant à court qu’à moyen terme, implique que nous nous interrogions sur son efficacité, en particulier en matière d’emploi.

Prenons quelques exemples. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, 19 654 entreprises disposaient de 242, 2 millions d’euros – j’ai du mal à prononcer ce chiffre, à cause de son ampleur… – de créance de CICE en 2014, soit une moyenne de 12 320 euros par entreprise. Pour beaucoup, c’est de « l’argent de poche », mais pour d’autres, c’est un vrai pactole !

D’après l’enquête réalisée en 2014 par Pôle emploi sur les besoins de main-d’œuvre dans cette région, les entreprises font état de 80 511 projets d’embauche, dont 28 % de projets saisonniers. Quel est le « top 5 » des professions les plus demandées ? Animateur socioculturel, agent d’entretien de locaux, aide à domicile, employé de libre-service et aide-soignant, ces cinq professions représentant plus de 23 % des offres d’emploi potentielles de l’année. Il s’agit d’emplois non délocalisables. Le nombre de projets d’embauche a augmenté de 2 700 en un an.

Dans la région Lorraine, 12 039 entreprises se sont partagé une créance de 143, 8 millions d'euros. L’enquête sur les besoins de main-d’œuvre comptabilise 44 282 offres d’emploi potentielles, dont, là encore, plus de 28 % de projets saisonniers. Cela représente 6 600 projets d’embauche en plus, après trois années de baisse consécutives. Les deux tiers de ces projets relèvent du domaine des services et concernent des emplois peu ou pas qualifiés.

Dans la région Bretagne, le nombre de projets d’embauche s’élève à 90 213, dont près de 47 % pour des emplois saisonniers. La part des offres de contrat saisonnier est même de 50 % dans les Côtes-d’Armor et de presque 55 % dans le Finistère ; elle atteint ou dépasse les 70 % dans les bassins d’emploi de Quimperlé, Concarneau, Auray ou encore Lannion. Cependant, 16 864 entreprises bretonnes ont bénéficié d’une créance de CICE, pour un montant total de 212, 9 millions d’euros. Les abattoirs Gad ou le volailler Doux ont probablement profité du CICE…

À ce stade, je ne peux manquer de souligner la situation d’une entreprise de ma région, la société Radiall, implantée notamment dans mon département, l’Indre-et-Loire, ainsi que dans l’Isère. Cette entreprise est spécialisée dans la production de composants électroniques. C’est une entreprise dite « de taille intermédiaire », créée par Yvon Gattaz et reprise depuis par son fils Pierre, actuel président du MEDEF, comme son père fut président du Conseil national du patronat français, le CNPF.

Cette année, Radiall va payer en France 202 000 euros d’impôt sur les sociétés, alors que le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 235 millions d’euros et dégagé un bénéfice de près de 25 millions d’euros. L’entreprise bénéficie de 876 000 euros de créance de CICE à « épuiser » d’ici à 2017.

Une telle situation appelle la réflexion, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’elle signifie que Radiall bénéficiera d’une créance reportable sur les exercices ultérieurs, de la même manière qu’elle a pu, ces dernières années, alléger ses obligations fiscales françaises du coût de son expansion à l’étranger dans des pays aux cieux fiscaux plus cléments et aux obligations sociales moins pesantes.

Pierre Gattaz est un habile chef d’entreprise : si l’essentiel de son chiffre d’affaires demeure réalisé en France, où travaille également la majorité de ses salariés, la plus grande partie de sa plus-value est transférée à l’étranger. Merveille de l’optimisation fiscale – c’est un sujet cher à notre collègue Éric Bocquet, ici présent –, qui permet d’imputer les pertes liées aux coûts de délocalisation des productions sur les profits ultérieurs et de se servir de ses bases à l’international pour distribuer au mieux les profits et éviter les impositions trop élevées !

Le CICE ne paiera peut-être pas les 2, 8 millions d’euros de dividendes que s’accordent les actionnaires de Radiall – 87 % des parts appartiennent à la famille Gattaz –, mais il leur permettra de les financer encore plus aisément.

Notons, pour l’anecdote, que Pierre Gattaz lui-même s’est vu accorder 247 000 euros de dividendes, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Mme Marie-France Beaufils. … une somme supérieure à l’impôt payé par son groupe, et qu’il bénéficiera pour cela – il ne le signale pas sur son site personnel, mais cette information doit à mon sens être portée à la connaissance de tous

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Pour le reste, il faut rappeler que l’essentiel de la créance de CICE est concentré sur les plus grandes entreprises. La Direction des grandes entreprises et la Direction des résidents à l’étranger et des services généraux ont inventorié des entreprises qui représentent 0, 7 % des bénéficiaires du CICE, mais qui ont capté pour leur compte 42, 6 % de la créance, soit plus de 3, 5 milliards d'euros au total ! Je ne sais si les entreprises ont eu un temps d’ « apprentissage » ou d’adaptation au CICE, mais, en tout cas, certaines apprennent apparemment plus vite que les autres…

Pour les grandes entreprises, la créance moyenne se monte à un million d’euros. Si l’on en croit le mensuel économique que je citais précédemment, cette somme semble avoir été mise à profit pour assurer le respect des décisions des assemblées générales d’actionnaires en matière de distribution de dividendes et de « retour sur investissement », comme on dit avec élégance.

Doit-on en conclure que le CICE n’a provoqué aucune inflexion significative des politiques d’embauche de nos entreprises ? Il semble bien, malheureusement, que tel soit le cas, puisque le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dit « rapport Carré », met en évidence que nous n’avons pas résolu la quadrature du cercle.

Le CICE n’a eu qu’un effet directement constaté : la modération de la progression d’un nouvel indice, à savoir celui du coût du travail. Ce dernier ne fait pas la une des médias grand public, sa modération signifiant tout simplement que les salaires ont tendance à stagner dans notre pays !

Cette situation n’est pas nouvelle en France, puisque, depuis que l’État gèle le point d’indice des fonctionnaires, il semble inspirer bien des politiques salariales dans le secteur dit « concurrentiel ». Doit-on en conclure que le redressement de la rentabilité de nos entreprises, de leurs marges, passe par une nouvelle contraction de la masse salariale ?

Tel pourrait être le cas, car il y a, dans le débat sur le CICE, une réelle hypocrisie. Alors même que les coûts de production ne se limitent aucunement au seul coût du travail, c’est bel et bien sur ce seul élément que portent, depuis plus de vingt ans, tous les efforts des politiques publiques dites « de l’emploi ».

Si l’on excepte les lois Aubry sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, le traitement du problème de l’emploi n’est envisagé qu’à l’aune de la contraction des coûts salariaux, et la compétitivité de notre industrie n’est vue qu’à travers ce prisme.

Ce n’est pas, comme nous l’avons vu, en développant l’emploi saisonnier, l’emploi précaire et les emplois dans les secteurs peu qualifiés que nous monterons en gamme et que nos produits seront compétitifs à l’exportation.

Au demeurant, comme chacun l’aura constaté à la lecture tant du rapport Carré que du rapport du comité de suivi, les secteurs bénéficiaires du CICE ne sont pas plus exposés à la concurrence internationale que les autres.

Ainsi, lors du séminaire de la commission des finances en région Centre, les services fiscaux nous ont confirmé que les principaux bénéficiaires du CICE dans cette région étaient les sociétés de travail temporaire et les groupes de la grande distribution.

Quant à la fameuse compétitivité du service aux entreprises en Allemagne, régulièrement présentée comme une véritable réussite, elle est fondée, vous le savez, sur des pratiques de dumping social forcené : aujourd’hui, 20 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiel, pour des rémunérations inférieures à cinq euros de l’heure.

Est-ce cela le modèle de compétitivité qu’on veut nous vendre, coûte que coûte, même s’il semble, ces temps derniers, légèrement en panne ? Pour nous, il s’agit malheureusement d’une illustration de plus des principes de concurrence libre et non faussée à la mode européenne.

Évoquons quelques instants les perspectives offertes, sur le moyen terme, par le CICE. Comme le rappelle le rapport Carré, trois modèles macroéconomiques ont été conçus pour évaluer les effets du CICE en termes d’emploi, de croissance ou encore d’échanges extérieurs.

Sans surprise, le modèle le plus optimiste est celui de la direction générale du Trésor, qui tente d’expliquer que la perte de ressources fiscales causée par le CICE, soit 17, 5 milliards d’euros en 2015, serait compensée par une progression du PIB située entre 0, 9 % et 1, 1 % sur la période 2017-2022, soit une somme comprise entre 22 milliards et 25 milliards d’euros. Il est évident que ni le Trésor ni M. Macron, alors conseiller à l’Élysée, n’avaient intérêt à minorer les effets positifs attendus par la mise en œuvre du crédit d’impôt, même si l’effet de levier se révèle faible…

En termes d’emplois, le modèle du Trésor évoque 396 000 créations à l’horizon 2017. Or, avant d’être parlementaire, j’ai été, enseignante en école élémentaire. J’ai fait faire beaucoup de calcul mental, contrairement à ce que j’entends dire sur ce qui se passe dans les classes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. Jean-Claude Gaudin. Vous êtes prête alors pour la réforme des rythmes scolaires !

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Faisons une simple division : si 66, 1 milliards d’euros de créance CICE prévus à l’horizon 2017 sont divisés par 396 000 emplois créés attendus, nous aboutissons à une charge unitaire de près de 167 000 euros par emploi créé !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Il s’agit non plus d’emploi aidé, mes chers collègues, mais d’emploi privé sous perfusion d’argent public, et ce à fonds perdus !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

À ce niveau de coût, il vaut peut-être mieux assurer l’équilibre de l’assurance chômage et créer des emplois publics, car cela coûtera moins cher aux finances publiques !

Et Martine Aubry, dans le Journal du dimanche, ne me semble pas loin de faire la même analyse quand elle affirme que « 20 milliards d’euros peuvent être libérés » pour « un soutien à la croissance, qui touche les ménages et les collectivités locales ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Il est par ailleurs à craindre qu’un autre effet pervers n’accompagne le CICE.

Comme le montrent nombre de réponses fournies par les professionnels des différents secteurs d’activité interrogés, tant par le comité Pisani-Ferry que par la mission Carré, les entreprises utilisent d’abord le CICE pour investir.

Ainsi, la créance peut fort bien servir à l’autofinancement de certaines acquisitions, mais également, c’est à craindre, à des investissements substituant le capital matériel au travail humain, c’est-à-dire la machine à l’emploi. En clair, le CICE permettrait d’accélérer les processus dits « de modernisation », accompagnés de suppressions de postes de travail.

L’évaluation beaucoup plus modeste retenue par l’OFCE sur l’incidence du crédit d’impôt, pointant notamment son faible impact sur la croissance, montre clairement que les arbitrages de dernier ressort n’ont pas forcément vocation à développer la production de chaque entreprise.

Pour Mathieu Plane, concepteur du modèle OFCE, le CICE devrait conduire à la création de 150 000 emplois au terme de cinq ans de mise en œuvre et provoquer un gain de croissance de 0, 1 point de PIB en 2018. Ce dispositif ne sert peut-être tout simplement qu’à réduire les coûts salariaux pour accroître la rémunération du capital... C’est en tout cas le choix, nous semble-t-il, que certaines sociétés ont fait.

C’est pourquoi, à tout le moins, madame la secrétaire d’État, nous devrions connaître en toute transparence les sommes dont chaque entreprise bénéficie pour mieux apprécier l’utilisation des fonds publics qu’elle reçoit. En tant qu’élus, nous le demandons bien aux associations dans nos collectivités !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

D’aucuns s’interrogent cependant sur la possibilité de modifier la nature du CICE pour le transformer en allégement complémentaire de cotisations sociales. L’hypothèse est avancée dans le rapport Carré, ses auteurs y voyant l’occasion de réduire les cotisations sociales et de financer, par exemple, la disparition des cotisations dites « patronales » destinées à la branche famille.

Vous aurez constaté que, avant de réduire définitivement les cotisations, c’est aux prestations de cette branche que l’on s’attaque.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Toutefois, l’hypothèse du rapport Carré n’est rien d’autre qu’une idée défendue par le parti même de l’intéressé, à savoir l’UMP, en matière de politique publique.

Dès le 15 décembre 2012, date du débat parlementaire au Sénat sur l’article créant le CICE, que nous avions rejeté par scrutin public, nos collègues MM. Arthuis, Delahaye, de Montgolfier et Delattre intervenaient tous pour légitimer le remplacement du crédit d’impôt par ce qu’ils appellent les « allégements de charges », financés au demeurant par la hausse de la TVA, et que nous appelons, pour notre part, des baisses de salaire.

Plutôt que de s’interroger sur le bien-fondé d’une dépense de 17 milliards à 22 milliards d’euros pour alléger la légitime contribution fiscale des entreprises – ne bénéficient-elles pas, elles aussi, de la dépense publique ? –, les porte-parole que je viens de citer préféraient voir dans le CICE un levier de plus pour mener leur action de longue haleine contre le financement solidaire de la protection sociale.

Que le CICE tende à permettre la restauration des marges des entreprises, leur compétitivité, ou que les allégements de cotisations sociales aient pour but d’alléger le coût du travail, il ne s’agit que des deux faces de la même médaille. Que l’on réduise le salaire socialisé en supprimant des cotisations sociales ou que l’on restaure les marges des entreprises, on vise, dans tous les cas, à accroître les profits, quelle que soit, d’ailleurs, la réalité de la production.

Dans toutes les hypothèses, le partage de la valeur ajoutée, créée de manière exclusive par le travail des salariés, est chaque fois plus défavorable à ces derniers, puisqu’il s’agit de payer la rente des banquiers ou de rémunérer les actionnaires.

La société que nous voyons s’esquisser derrière ces choix est encore plus dure que celle d’aujourd’hui : le travail y sera toujours plus mal rémunéré, toujours plus précarisé ; la formation des travailleurs y sera toujours méprisée, leur qualification toujours moins reconnue, pendant que les actionnaires percevront toujours plus de dividendes dans une course au maintien d’une haute rentabilité des investissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

En effet, j’ai dépassé le temps qui m’était imparti.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. Jean-Claude Gaudin. Plus encore qu’Hélène Luc en son temps !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Mme Marie-France Beaufils. Non, tout de même pas !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Faut-il que nous dépensions des sommes fort importantes pour créer, selon les estimations, de 152 000 à 396 000 emplois dans les cinq années qui viennent, ce qui, je le rappelle, ne représente que de 1 % à 2, 5 % de l’emploi privé ? Nous ne le pensons pas !

Il est grand temps que les politiques de soutien aux entreprises et à l’activité sortent de l’ornière des allégements de fiscalité ou de cotisations sociales, pour aller au cœur des enjeux, à savoir la qualité de financement de l’investissement productif, la progression des rémunérations et des qualifications, la réduction du temps de travail rendue possible par les évolutions technologiques. Voilà ce qui devrait guider l’action publique en direction des entreprises, particulièrement l’action de la BPI, qui devrait être réévaluée à cet effet.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur le CICE est pertinent, à condition qu’il soit replacé sur des bases saines en regardant la réalité économique en face. Quelle est-elle ?

La réalité, c’est que le CICE est, sinon une perte, du moins un sacrifice pour les finances publiques. En effet, on peut se demander pourquoi l’État sacrifie de la ressource fiscale qui pourrait, qui devrait financer ses missions régaliennes sur lesquelles les Français l’attendent, notamment la sécurité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… puisque, en France, aujourd’hui, ce sont les écoles qui brûlent, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… ou encore la défense nationale, dont le budget sera de nouveau raboté cette année, alors que notre armée est engagée en plusieurs points du globe.

Il s’agit bien d’un sacrifice pour payer, sans aucun doute, les pots cassés du « sans-frontiérisme » bruxellois, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… qui mine notre compétitivité en faisant de notre pays un espace ouvert à tous les vents, en particulier aux vents mauvais de la concurrence déloyale.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

D’un côté, on assomme nos entreprises avec la concurrence déloyale venue de pays qui ne respectent aucune norme, qu’elle soit sociale, économique, environnementale, sanitaire ou syndicale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… mais aussi avec la hausse de la TVA, qui les oblige à réduire leurs marges pour ne pas augmenter leurs prix, tout en reversant davantage à l’État. De l’autre, on leur rend quelque argent, mais sans cible de secteur en particulier.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le CICE n’atteigne pas ses objectifs. Non seulement nous sommes loin des 13 milliards promis aux entreprises, mais, surtout, le système profite davantage aux emplois non délocalisables qu’à l’industrie ou à la construction, qui continuent de perdre du terrain dans notre pays, avec respectivement 8 100 et 8 800 postes perdus au premier semestre de 2014.

La solution est ailleurs. Elle ne réside pas dans le repli sur soi ou la fermeture des frontières, car personne, ici, n’a pour ambition de faire de notre pays la Corée du Nord de l’Europe…

L’orateur se tourne vers les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Il faut simplement protéger enfin de façon intelligente nos intérêts économiques, donc nos entreprises, comme le font toutes les grandes démocraties du monde, ailleurs qu’en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Dès lors, nous n’aurons plus besoin d’une usine à gaz coûteuse comme le CICE.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis décembre 2012, nous n’avons guère eu l’occasion d’évoquer spécifiquement le dispositif de CICE en séance publique. Je souhaite donc remercier nos collègues du groupe communiste d’avoir demandé ce débat sur le bilan de son application.

Nous le savons, les conditions de la création de ce crédit d’impôt ont été particulièrement confuses. Le rapport de Louis Gallois était à peine publié, en novembre 2012, que le Gouvernement souhaitait en prendre immédiatement acte en introduisant dans la troisième loi de finances rectificative pour 2012 un amendement portant création de ce nouveau dispositif.

Un amendement à 20 milliards d’euros, c’est rarissime, et même historique, je crois, même si je n’ai pas vérifié ! Et heureusement, d’ailleurs, car cette méthode est bien avantageuse pour le Gouvernement : pas d’étude d’impact, peu de débats en commission et, pour nous, sénateurs, le sentiment d’être placés devant le fait accompli en séance publique, lorsque nous constatons que l’Assemblée nationale a introduit un tel dispositif dans le projet de loi de finances. Démocratiquement, le procédé était un peu léger, madame la secrétaire d’État, pour un crédit d’impôt reposant sur une enveloppe de 20 milliards d’euros !

Dans ces conditions de présentation et – il faut bien le dire – d’improvisation, il était logique à l’époque que le Sénat, dans sa grande sagesse, rejette ce crédit d’impôt. J’étais d’ailleurs, à titre personnel, cosignataire de l’amendement de suppression, avant que le Sénat ne finisse par rejeter l’ensemble du projet de loi de finances rectificative de décembre 2012.

Au-delà des arguments de forme, trois motifs de fond justifiaient ce rejet, il y a deux ans : les conditions de financement du CICE, les faibles effets prévisibles du dispositif et son caractère moins avantageux, surtout si on le compare à la TVA sociale. Il me semble trop tôt aujourd’hui pour établir un bilan complet du dispositif et de ses retombées macroéconomiques. On peut néanmoins avoir une première idée de son efficacité à venir en examinant les modalités de son lancement. Qu’en est-il donc du CICE après deux années d’application ?

Tout d’abord, quels ont été les effets perceptibles du dispositif pendant ces deux dernières années ?

Dès l’origine, l’analyse à laquelle les sénateurs du groupe UDI-UC ont soumis le CICE et ses modalités d’application leur a permis de percevoir qu’il s’agissait non pas d’un outil d’amélioration de la compétitivité des entreprises, comme il aurait dû l’être, mais plutôt d’un outil de conservation de l’emploi dans les grands groupes de services.

En effet, le CICE ne consiste pas en une baisse des charges sociales, mais en un crédit d’impôt sur les bénéfices – pour les entreprises qui en font, du moins ! –, que ces derniers soient assujettis au régime de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu. Ce crédit est assis sur l’évolution de la masse salariale, en ne prenant en compte que les salaires inférieurs à 2, 5 SMIC.

Aussi, plus une entreprise est grande, plus elle emploie de salariés, plus la rémunération moyenne y est basse, plus elle est bénéficiaire du CICE. Inversement, une start-up ou une petite entreprise qui emploie des ingénieurs de haut niveau rémunérés au-delà de 2, 5 SMIC est de facto exclue de l’assiette du crédit d’impôt.

L’exemple de La Poste est particulièrement représentatif de ce phénomène, car cette entreprise est l’une des premières bénéficiaires de ce dispositif, alors qu’elle ne semble pas être la cible première du CICE : l’emploi industriel n’est pas concerné ici, et, a fortiori, ce n’est pas en soutenant ce type de groupes que la France va résoudre son problème de compétitivité.

Ce dispositif semble donc avoir plutôt pour effet principal de récompenser les grands groupes qui font un effort pour dynamiser leur masse salariale, plutôt que les entreprises soumises à la compétition mondiale qui se battent à l’export.

Le rapport d’information de l’Assemblée nationale indique que plus de 1, 2 million d’entreprises ont bénéficié en moyenne d’une dizaine de milliards d’euros au titre du CICE. Or il apparaît dans ce même document que les PME ne bénéficient que de la moitié des sommes versées, alors qu’elles représentent plus de 95 % des entreprises. Il est donc manifeste qu’une poignée de grands groupes accapare près de la moitié des fonds versés.

Cette dichotomie entre les grands groupes et les entreprises de taille plus modeste n’est pas non plus sans effets structurels dans le paysage entrepreneurial. Si l’on prend l’exemple du secteur du bâtiment, le CICE a renforcé la différence entre les grands groupes qui en bénéficient et leurs sous-traitants, de taille plus modeste, parfois des artisans, des indépendants ou des autoentrepreneurs, exclus de fait du champ d’application du dispositif.

En matière d’emploi industriel ou de renforcement des entreprises tournées vers l’exportation, cibles privilégiées, à juste titre, du rapport de Louis Gallois, le constat est sans appel. Près de 35 % des montants versés au titre du crédit d’impôt sont destinés à des secteurs non exposés à la concurrence internationale : la restauration, l’hôtellerie, mais aussi le spectacle, l’enseignement et même l’administration publique, voire les associations ! L’emploi industriel et les secteurs exposés ne sont donc pas la cible unique du CICE.

Dans tous les cas, le CICE demeure sous-employé. D’après le rapport, il faudrait attendre 2018 pour que la créance du CICE dépasse la barre des 20 milliards d’euros, objectif annuel initial. D’après les chiffres fournis par le rapport d’information de l’Assemblée nationale, près de 14, 8 milliards d’euros n’auront pas été alloués au financement du CICE pendant quatre ans : ce sont autant d’efforts supplémentaires demandés à nos concitoyens, sans contrepartie.

Tous ces éléments nous amènent donc à poser la question du financement du dispositif.

En effet, le crédit d’impôt a été financé par une enveloppe prévisionnelle de 20 milliards d’euros, qui devait initialement être compensée par la hausse de la TVA, c’est-à-dire le passage du taux principal de 19, 6 % à 20 % et du taux intermédiaire de 7 % à 10 %, par un effort sur les dotations aux collectivités territoriales et par la mise en place d’une nouvelle fiscalité écologique. Rétrospectivement, ces annonces prêtent à sourire, sauf pour ce qui concerne les collectivités territoriales !

En effet, le financement partiel du CICE par la hausse de la TVA signifie qu’un crédit d’impôt ciblé sur les grands groupes est financé par l’ensemble de la population et l’ensemble des entreprises.

Dans le secteur du bâtiment, ce mode de financement renforce une fois de plus la différence entre les grands groupes et leurs sous-traitants, puisque, de fait, le CICE s’apparente alors à un transfert net de fonds des petits groupes vers les grands, ce qui ne peut que favoriser, à terme, les concentrations dans ce secteur.

Pour le reste, la fiscalité écologique est au point mort avec la polémique interminable sur l’écotaxe et ses avatars. Quant à l’effort des collectivités territoriales, il est désormais dédié au financement des baisses de charges sociales annoncées dans le cadre du pacte de responsabilité qui sont complémentaires.

Il n’en demeure pas moins que le mode de financement est surdimensionné par rapport aux demandes réelles d’accès au CICE. Cela signifie donc que, sous couvert d’un effort en faveur de la compétitivité des entreprises, le Gouvernement a subrepticement fait passer une hausse de TVA dédiée à l’assainissement des finances publiques, moins de six mois après avoir supprimé la TVA compétitivité proposée en février 2012 par le gouvernement de François Fillon, lors de la première loi de finances rectificative pour 2012.

Cette astuce est renforcée par la logique du préfinancement. En effet, le CICE est préfinancé par la Banque publique d’investissement et les banques commerciales et par la créance des entreprises sur le budget de l’État. Concrètement, les entreprises constatent à la fin de l’année N qu’elles détiennent une créance sur le budget de l’État. Or la dette correspondant à cette créance n’est pas prise en compte dans le budget de la même année. Le procédé est effectivement très astucieux, mais peu respectueux du principe de sincérité des comptes publics, madame la secrétaire d’État.

Encore aujourd’hui, le passage à un régime de TVA sociale nous paraît plus efficace que l’actuel CICE, pour trois raisons au moins.

Premièrement, le CICE introduit une forme d’injustice dans la politique fiscale à l’égard des entreprises.

En effet, tout le monde contribue à son financement, mais tous n’en bénéficient pas. J’ai déjà évoqué les distorsions dont le CICE pourrait être la cause dans certaines branches ; je n’y reviendrai donc pas. La TVA sociale, quant à elle, est universelle et concerne tout le monde, dès lors qu’elle permet de baisser les charges sociales qui pèsent sur toutes les entreprises, de l’autoentrepreneur à la multinationale.

Deuxièmement, le CICE est complexe.

N’en déplaise au rapport de l’Assemblée nationale qui vante sa simplicité, ce dispositif demande une déclaration, une procédure d’attribution et un suivi national et régional, sans oublier les conditions particulièrement lourdes et complexes de son préfinancement. En revanche, la TVA sociale est claire, simple et lisible : on augmente son taux, on affecte le produit supplémentaire à la sécurité sociale tout en baissant à due concurrence les charges sociales, le tout sur une même année.

Troisièmement, la TVA sociale a des effets plus sensibles sur l’emploi et sur la compétitivité.

En effet, en ciblant une baisse des charges, en lieu et place d’un simple crédit d’impôt, financé par une hausse sensible du taux principal de TVA, ce mécanisme permet de taxer la consommation de produits importés tout en favorisant la production nationale. Il s’agit ainsi de financer le redressement de notre capacité de production et de notre protection sociale en renchérissant les prix de nos compétiteurs étrangers. Cette logique vertueuse est un vecteur de croissance, de développement de nos entreprises et de baisse du coût du travail ; elle stimule l’offre nationale, donc l’emploi de nos concitoyens.

N’aurait-il pas été plus simple, madame la secrétaire d’État, d’amplifier le dispositif de la TVA compétitivité votée en février 2012, plutôt que de perdre une année à mettre en place le CICE et d’annoncer, un an plus tard, un nouveau plan de baisses des charges, via le pacte de responsabilité, sans lier le financement des deux ? D’un côté, la hausse de la TVA est sous-employée ; de l’autre, la promesse d’une baisse de la dépense publique reste hypothétique, sauf pour les collectivités territoriales qui vont vraiment voir leurs ressources diminuer.

En conclusion, dans le contexte de tension fiscale actuelle et de dégradation de la compétitivité de nos entreprises, tout ce qui va dans le sens du soutien au secteur marchand est une bonne nouvelle. Le CICE est ainsi la seule véritable mesure fiscale intéressant le fonctionnement de l’économie réelle qui ait été adoptée depuis mai 2012. Malheureusement, ce crédit d’impôt a raté une partie de sa cible, et c’est bien dommage.

Le diagnostic et les propositions de Louis Gallois étaient clairs : notre économie et nos entreprises avaient besoin – et ont toujours besoin – d’un dispositif clair et efficace pour soutenir l’innovation, l’exportation, la compétitivité, donc l’emploi industriel. À l’arrivée, à vouloir respecter une attitude trop œcuménique à l’égard de l’industrie et des services, vous avez produit un crédit d’impôt dont l’effet d’entraînement économique est finalement trop faible pour stimuler la compétitivité, la croissance et l’emploi.

En dépit de ses réticences initiales, le groupe UDI-UC a essayé de modifier ce mécanisme. Nous avons, par exemple, déposé à de nombreuses reprises des amendements visant à ouvrir le CICE aux indépendants et aux artisans. Pourtant, le constat s’impose avec une certaine évidence : il aurait été plus simple, plus rapide, plus lisible et plus efficace de mettre en œuvre une véritable TVA sociale. Le Premier ministre Manuel Valls avait jadis vanté ses mérites ; nous attendons donc qu’il soit, enfin, fidèle à ses premières convictions.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de cette semaine de contrôle, le groupe communiste a eu la bonne idée de nous proposer un débat sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE.

Cette initiative correspond tout à fait à l’actualité, puisque nous disposons depuis quelques jours du premier bilan de ce dispositif, vingt mois après son entrée en vigueur, ce qui nous permet de procéder à une première évaluation. Parallèlement, je tiens à mentionner le travail très intéressant de nos collègues députés, réalisé dans le cadre d’une mission d’information présidée par notre collègue Olivier Carré.

Bien entendu, je gage que nos collègues communistes, pour des raisons qui nous séparent profondément, ont choisi d’aborder ce sujet sous l’angle de la distribution des dividendes et des profits détournés, quand ils n’évoquent pas des questions de personne… Disons qu’ils vont bien au-delà des dispositions de la législation relative au CICE.

Certes, on constate que quelques grandes entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire, par exemple La Poste ou la SNCF, bénéficient ou ont bénéficié largement du CICE, alors qu’elles ont une politique de distribution de dividendes généreuse, voire un faible niveau d’embauche, il faut le reconnaître.

Cependant, en y regardant de plus près, les trois quarts du CICE bénéficient, à ce jour, à des PME ou à des entreprises de taille intermédiaire, qui effectuent l’essentiel de leur activité en France, contrairement aux grandes entreprises cotées, dont nous sommes également très fiers.

Permettez-moi de citer à cette tribune certains éléments de réflexion datant de juin 2013 et émanant de M. Christian Eckert, élu comme moi du département de Meurthe-et-Moselle. « Rapporteur de la commission des finances, je ne devrais sans doute pas écrire les lignes qui suivent. Quoique... Ce qui me frappe, depuis un an presque jour pour jour que je travaille avec le Gouvernement sur les questions budgétaires, c’est le nombre de contradictions auxquelles nous devons faire face ». En ce qui concerne le CICE, il évoquait les « effets d’aubaines garantis, mais aussi [les] effets pervers assurés ! » « Les artisans sans salariés regarderont passer le train, ajoutait-il, alors que les grosses entreprises du BTP verront leur impôt diminuer. » A-t-il vu juste ? Toujours est-il que le secteur du BTP souffre aujourd’hui terriblement.

Toutefois, l’enjeu du CICE est ailleurs assurément, et le débat sur son utilisation relève pour nous d’une approche qui doit embrasser un horizon plus large.

Le CICE est une mesure à la disposition des entreprises. Il doit être utilisé en fonction de leurs besoins, de la conjoncture et de leurs perspectives économiques. Il doit créer une dynamique qui sert l’entreprise, contribue à la restauration de ses marges et favorise l’emploi, même si, là encore, on a pu constater un énième revirement de la part du Gouvernement, avec le rétropédalage – exercice devenu habituel, mais ô combien périlleux ! –, de M. Michel Sapin. Celui-ci a déclaré, au début de ce mois, que l’objectif premier du CICE était non de créer des impôts, mais d’aider les entreprises à « retrouver les marges qu’elles avaient perdues. » Or nous sommes en 2014, moins de deux ans après l’annonce de la création du CICE !

Il faut donc accepter de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés, même si, avouons-le, la confusion règne largement et s’il serait utile d’avoir une politique économique d’encouragement aux entreprises. Une politique de l’offre serait un bon objectif, mais, assurément et malheureusement, le Gouvernement a toutes les difficultés à la mettre en œuvre.

À ce titre, permettez-moi, mes chers collègues, un petit rappel historique, car je ne compte plus les bricolages ni les improvisations gouvernementales, que ce soit en matière de fiscalité, de cotisations sociales ou de compétitivité.

À son arrivée au pouvoir, la majorité de gauche – votre majorité – s’était empressée, par pure idéologie, j’oserai même dire par dogme, de supprimer la TVA compétitivité – cela a d’ailleurs été rappelé par M. Vincent Delahaye. Ce dispositif avait pourtant le mérite de la simplicité et de l’efficacité : il s’agissait d’augmenter la TVA pour compenser les baisses directes de charges sociales.

Vous avez ensuite décidé et mis en œuvre une politique d’augmentation massive des impôts, à contretemps de nos partenaires européens, ce qui a immanquablement et profondément déstabilisé et pénalisé nos entreprises.

Dois-je rappeler le pic historique atteint cette année, avec un taux des prélèvements obligatoires qui dépasse désormais 56, 5 % du produit intérieur brut ?

Cependant, contraints et forcés par ce que le ministre, issu de vos rangs, M. Pierre Moscovici, avait alors qualifié de « ras-le-bol fiscal », vous avez pris conscience des limites de cette politique économique et fiscale. En effet, elle n’a, finalement, au-delà de la crise, fait qu’aggraver la situation de notre économie et de nos entreprises.

Nous le savons tous, nos entreprises souffrent d’un handicap de compétitivité. C’est d’ailleurs ce qui légitime une politique de l’offre. Sur ce point, je citerai – une fois n’est pas coutume – une personne dont la compétence est reconnue de tous, M. Thomas Piketty : « Il n’est ni juste ni efficace de faire reposer l’excès de financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé ».

Madame la secrétaire d’État, même si l’analyse ne fait pas l’unanimité dans votre majorité – cela a été rappelé par notre collègue Marie-France Beaufils à l’ouverture du débat – sachez que, avec nos collègues de l’UMP et bien d’autres, d’ailleurs, je partage les considérants de ce diagnostic.

Ainsi, après avoir perdu plus d’une année, vous avez décidé la mise en place d’un ersatz de TVA compétitivité : le CICE. Je parle d’ersatz car il s’agit non pas d’une baisse directe des charges sociales, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Gallois, mais d’une forme de crédit d’impôt qui est, en fait, un tour de passe-passe budgétaire, puisque l’État crédite les entreprises avec une année de décalage.

À ce stade, permettez-moi de faire deux observations. Premièrement, le CICE est un soutien aux entreprises dont la valeur correspond aux augmentations d’impôts qu’elles ont subies. Deuxièmement, vous baissez les charges sociales par un crédit d’impôt imputé sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu. Avouez que, en termes de simplicité, vous auriez pu faire mieux ! Les entrepreneurs nous le disent et nous le répètent. Ainsi, le patron de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, de mon département et de la Lorraine déclare que « le système est compliqué, il coûte cher en gestion et il n’a pas l’effet qu’aurait pu avoir une simple baisse des charges sociales. »

Aucun cap, une série d’improvisations, une complexité accrue... Ne sommes-nous pas là face à une nouvelle usine à gaz bien éloignée du choc de simplification ?

Examinons maintenant le premier bilan du CICE. Il nous conduit à dresser le constat d’une situation que je qualifierai de mitigée. La montée en charge du dispositif est lente et le décalage avec vos prévisions – oserais-je dire avec vos espoirs ? – est surprenant quand on en fait la mesure objective.

La prévision initiale pour 2013 était de 13 milliards d’euros, et nous devions passer à 20 milliards en 2014. Or, au début du mois de septembre dernier, la consommation constatée était à peine supérieure à 5 milliards d’euros.

Certes, il manque des déclarations d’entreprises en exercice fiscal différé, mais ces dernières sont le plus souvent de petite taille. Le CICE pouvant être utilisé sur trois ans, il faut aussi tenir compte de ce décalage. Cependant, comment expliquer une telle frilosité ? Vous nous dites que le dispositif est – ou serait – encore mal connu. Je veux bien vous accorder encore à cet instant le bénéfice du doute, mais, sachez-le, je ne me fais aucune illusion !

En effet, en écoutant les chefs d’entreprises, on constate qu’ils sont en fait partagés sur la pertinence du CICE et que sa première utilité est de compenser, autant que faire se peut, je le répète, une partie des hausses d’impôts supplémentaires qu’ils ont subies.

C’est aussi une compensation d’autres mesures que vous avez prises et qui ont contribué à augmenter le coût du travail : la réforme des retraites, les hausses de salaires, notamment du SMIC, la suppression des exonérations d’heures supplémentaires, le compte pénibilité...

Surtout, ce dispositif apparaît complexe et le coût de son préfinancement élevé, en particulier pour les très petites entreprises.

Madame la secrétaire d'État, dois-je enfin vous signaler que les chefs d’entreprises craignent, d’une certaine manière, la recrudescence des contrôles fiscaux ou sociaux, comme c’est le cas pour le crédit impôt recherche ?

Si certains entrepreneurs voient, malgré tout, dans le CICE une forme de « bouffée d’oxygène » pour leur trésorerie, on peut d’ores et déjà constater que les objectifs que vous avez assignés au CICE ne sont pas tous atteints, de quelque point de vue que l’on se place : malgré ce dispositif, les marges des entreprises continuent de se détériorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les marges sont maintenant passées sensiblement en dessous de 30 % : 29, 4 % en 2014, 29, 8 % en 2013. C’est, sinon une descente aux enfers, du moins une baisse inexorable !

L’investissement des entreprises ne s’est pas non plus amélioré : il a reculé de 0, 6 % et 0, 7 % aux deux premiers trimestres de 2014.

Enfin, l’emploi – le « E » du CICE – ne s’améliore pas non plus. Oserais-je rappeler que vous aviez annoncé, en 2012, la création de 300 000 emplois en deux ans grâce à ce dispositif ? L’inversion de la courbe du chômage nous avait été promise pour la fin de 2013 par le président Hollande… Ce n’est même plus une plaisanterie – la parole du chef de l’État a été discréditée et la situation est trop grave pour pouvoir en sourire –, mais il faut la rappeler pour rendre à chacun ses responsabilités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

La présidente du MEDEF de mon département, la Meurthe-et-Moselle, s’interroge. Certes, une entreprise peut espérer toucher en moyenne 1 000 euros par salarié, soit 10 000 euros pour dix collaborateurs. Toutefois, pour embaucher quelqu’un, il faut au strict minimum 20 000 euros ! Comment peut-on faire dans la situation actuelle pour embaucher autant de personnels ?

Je souhaite simplement rappeler une évidence : c’est d’abord et avant tout le carnet de commandes qui fait l’emploi dans notre économie.

Enfin, à terme, le financement de ce dispositif n’est pas assuré. Vous avez d’abord annoncé qu’il serait neutre pour le budget de l’État. Cela a été rappelé, cette dépense devait, en effet, initialement être financée par la hausse de la TVA, l’introduction d’une taxe environnementale et une baisse de la dépense publique. Vous avez donc annulé la hausse de la TVA, pour mieux la remettre en vigueur au 1er janvier 2014. Belle cohérence ! La fiscalité environnementale – est-ce dû au passage des cinq ministres du quinquennat qui, à ce jour, ont eu la charge de l’environnement ? – s’est perdue dans les limbes ! Reste la baisse de la dépense publique, qui demeure, à notre avis, hypothétique, et ce pour plusieurs raisons :

Tout d'abord, nous estimons que la réduction de 50 milliards d’euros que vous envisagez en trois ans, notamment pour financer la baisse des charges et l’équilibre des dépenses publiques, n’est pas réalisable. En effet, elle ne répond pas aux objectifs que vous vous êtes fixés et nous avons un véritable doute sur votre capacité à la réaliser !

Vous allez donc très probablement être confrontés à un effet de ciseaux : la montée en charge du CICE, alors que, dans le même temps, la dépense ne baissera pas à due concurrence. De notre point de vue, tant que les dépenses publiques ne seront pas réduites substantiellement, nous ne pourrons pas financer une politique favorable à l’investissement, ce qui est regrettable.

Aujourd’hui, les chefs d’entreprises nous le demandent : l’État doit d’abord se réformer courageusement et réaliser effectivement un important programme d’économies. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau lors de l’examen de la prochaine loi de finances.

En fait, en dressant ce premier bilan du CICE, force est de constater que, s’agissant de la politique de l’offre, vous êtes, en quelque sorte, restés au milieu du gué. Le CICE sera, au mieux, un ballon d’oxygène, mais il ne constituera pas un élément fort d’une politique de compétitivité. Sa montée en charge est lente. Sa possible consommation sur trois exercices en fonction des résultats des entreprises ne répond pas à la situation d’urgence de nos entreprises. Nous aurions préféré une mesure générale, simple et à effet rapide.

Priorité doit donc être donnée à la logique économique : restauration des marges, politique d’investissement et politique de créations d’emplois. Si j’osais, je dirais qu’il ne suffit pas de déclarer : « J’aime l’entreprise ». Mieux vaut aujourd’hui en apporter des preuves concrètes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est sur ce sujet que nous serons collectivement jugés.

Que n’avez-vous, d’ailleurs, suivi les préconisations du rapport Gallois préconisant, quant à lui, une baisse des charges sociales directe et massive ! A contrario, nous allons, en 2015, nous retrouver avec trois dispositifs : les exonérations sur les bas salaires, le CICE et les mesures du pacte de responsabilité. Est-ce lisible pour les entreprises ? Non ! Est-ce cohérent ? Non ! Est-ce efficace ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

J’en doute fortement !

Votre CICE demeure donc ainsi une mesure isolée. Restera-t-il, comme certains le disent – je cite de nouveau Thomas Piketty –, « le symbole de l’échec du quinquennat ? Une verrue incarnant jusqu’à la caricature l’incapacité du pouvoir en place à engager une réforme ambitieuse de notre modèle fiscal et social, qui se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Parfois, il est douloureux d’entendre certains des siens témoigner, cher collègue !

Le CICE ne permet pas la constitution d’un écosystème favorable à l’entreprise sur le long terme. Il n’est pas, de notre point de vue, à la hauteur pour recréer un climat de confiance avec le monde de l’entreprise.

Dans cette perspective, d’autres mesures nous paraissent indispensables, et j’en citerai six pour conclure mon intervention.

Premièrement, une simplification de la vie des entreprises et la fin des contrôles intempestifs, des normes diverses et des formalités inutiles.

Deuxièmement, des accords offensifs pour l’emploi au niveau des branches et des entreprises.

Troisièmement, la relance d’une politique active et audacieuse de l’actionnariat salarié.

Quatrièmement, une politique fiscale qui favorise l’investissement. Je me permettrai d'ailleurs de rappeler que, tous prélèvements confondus, les entreprises de taille intermédiaire et les PME françaises paient 60 % de plus d’impôts que leurs homologues allemandes ! Le Lorrain que je suis, frontalier de ce pays, souhaite rappeler ces différences, qui portent préjudice dans nos territoires à la compétitivité des entreprises entre les pays.

Cinquièmement, et c’est un élément important, abordé dans certaines lois récentes, la flexisécurité sur le marché du travail.

Sixièmement, et enfin, une véritable réforme de l’État.

Ce sont ces mesures, madame la secrétaire d’État, que nous appelons de nos vœux au-delà du seul CICE. En effet, il est temps aujourd’hui de redonner confiance à nos entrepreneurs et de créer, d’abord et avant tout, une dynamique favorable à l’investissement et à l’emploi.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, peut-être émettrai-je un avis d’une tonalité plus favorable sur ce dispositif...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Cela va être difficile !

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

Dans le rapport Gallois, présenté le 5 novembre 2012, était préconisé un « pacte pour la compétitivité de l’industrie française », largement accepté dans notre pays, à la fois par les entrepreneurs et par tous ceux qui travaillent sur ce sujet.

Ce rapport décrivait, notamment, la situation d’urgence que connaît notre pays, son manque de compétitivité, sa perte de « muscle économique ». Y était donc proposé le transfert d’une partie des charges sociales pour faire baisser le coût du travail, donc pour faire vendre moins cher et pour restaurer la marge des entreprises, qui est trop faible, en vue de permettre la réalisation de meilleurs investissements.

Quelques jours plus tard, à la suite d’un séminaire gouvernemental consacré au Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, le Premier ministre annonçait un allégement de 20 milliards d’euros du coût du travail, étalé sur trois ans et portant sur les salaires compris entre 1 et 2, 5 SMIC, ce qui représenterait, à terme, une baisse de 6 % de ce coût. Cette réforme prenait la forme d’un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour les entreprises, financé à parts égales par des économies supplémentaires dans les dépenses publiques, et par des modulations de la TVA et de la fiscalité écologique.

Le premier constat qui peut être dressé à la suite du rapport Gallois et du séminaire gouvernemental, constat sur lequel tout le monde n’est pas d’accord, mais que nous partageons pour notre part, est que le poids des cotisations patronales pesant sur les salaires est excessif en France ; il est donc urgent de les alléger, non pas pour faire un cadeau aux patrons, mais parce qu’il n’est ni juste ni efficace de faire reposer à l’excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

De fait, lorsque l’on compare la France aux pays disposant d’un secteur social d’ampleur comparable, notre principale particularité est le poids de nos cotisations patronales : le taux global est supérieur à 40 %. Pour verser 100 euros de salaire brut, l’employeur paie plus de 140 euros en salaire « superbrut », dont une moitié pour les cotisations retraite et chômage et l’autre pour les cotisations maladie, famille, construction, formation, etc. Ces deux moitiés aux objectifs très différents pèsent sur le coût du travail. Les faits sont têtus ! Il faudra donc bien continuer à travailler sur cette question.

Deux rapports viennent d’être remis, dressant un bilan d’étape du CICE : le premier établi par le comité de suivi du CICE, institué par la loi et présidé par Jean Pisani-Ferry, et le second à l’issue d’une mission parlementaire présidée par Yves Blein.

La mission parlementaire dresse « un premier constat positif » : la communication autour du dispositif a permis une appropriation rapide par les entreprises, le montant de la créance est « globalement conforme » aux prévisions, le préfinancement fonctionne, l’utilisation est « conforme aux objectifs » et permet notamment de « stabiliser le coût du travail », ainsi que de « contribuer au redressement du taux de marge des entreprises ».

Le rapport de l’Assemblée nationale, aux pages 95 et suivantes, indique que toutes les personnes consultées, parmi lesquelles les représentants des entreprises, sont globalement satisfaites par ce dispositif, même si celui-ci, comme tous les dispositifs, peut encore être amélioré.

Le rapport du comité de suivi permet par ailleurs d’écarter certaines incertitudes qui ont pu être soulevées au cours des dernières semaines, notamment concernant l’impact sur les finances publiques et l’utilisation que font les entreprises de cette ressource.

Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, le montant du CICE acquis au titre de 2013 est fixé à 10, 8 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2015. Ce montant, il est vrai, se révèle inférieur aux dernières prévisions réalisées par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, sur la base de la masse salariale de 2013, lesquelles estimaient le montant pour 2013 à 12, 3 milliards d’euros.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart : imprécision des prévisions initiales fondées sur des données sociales et non fiscales, non-recours si le montant de CICE paraît insignifiant, rejet par certains entrepreneurs des formalités administratives. L’effet de nouveauté a pu jouer aussi, conduisant certaines entreprises à oublier de remplir la déclaration du CICE. Elles ont, dans ce cas, trois ans pour réclamer leur dû. La nouvelle convention de comptabilité nationale impose cependant d’enregistrer la totalité de la créance en dépense, et non plus en moindre recette, pour l’année de sa formation.

Concernant l’utilisation que font les entreprises du CICE, l’analyse fondée sur les enquêtes de conjoncture de l’INSEE montre qu’elles comptent utiliser cette ressource, d’abord, pour l’investissement et, ensuite, pour l’emploi. Il convient toutefois d’avoir une lecture prudente de ces chiffres : la question posée par l’INSEE tendait à savoir si le CICE contribuait à augmenter le résultat d’exploitation et si ces sommes seraient affectées majoritairement à l’investissement. Entre 52 % et 58 % des entreprises ont répondu par l’affirmative.

Le CICE peut tout aussi bien favoriser l’amélioration des conditions de travail, des dépenses de formation ou la prospection commerciale, ce que ne teste pas l’INSEE, mais ce que laissent penser d’autres enquêtes plus restreintes, lesquelles confirment la priorité donnée à l’investissement.

En ce qui concerne l’effet sur l’emploi, le rapport du comité de suivi indique qu’il s’agit souvent de préserver des emplois, plutôt que de recruter de nouveaux salariés. Toutefois, l’investissement a également un impact indirect sur l’emploi, non pris en compte dans ces enquêtes.

S’agissant des bénéficiaires du CICE, il apparaît que les PME et les TPE bénéficient pleinement du dispositif : les rémunérations moyennes étant plus faibles dans les petites entreprises, celles-ci ont une part plus importante de leur masse salariale inférieure à 2, 5 SMIC. On observe donc bien que, plus l’entreprise est petite, plus la part de l’assiette CICE par rapport à la masse salariale brute totale est importante.

M. Roland Courteau opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

En tout, les entreprises de moins de 50 salariés recueillent environ 39 % de la créance totale du CICE, soit légèrement davantage que celles de plus de 500 salariés.

Par ailleurs, le commerce et l’industrie manufacturière sont les deux secteurs bénéficiant le plus du CICE en proportion du montant total versé, et cette part est légèrement supérieure à leur poids économique en termes de masse salariale : ces secteurs étant potentiellement les plus exposés à la concurrence internationale, le dispositif semble être en mesure d’améliorer la compétitivité de la France.

Enfin, le préfinancement mis en place pour permettre aux entreprises de bénéficier immédiatement de l’apport en trésorerie se met en place progressivement. Bpifrance réalise l’essentiel du préfinancement des PME et des ETI, notamment grâce à la gratuité des frais de dossier sur les demandes de faible montant.

Plus des deux tiers des entreprises concernées par le préfinancement font état d’une solvabilité faible : le dispositif a donc bien trouvé sa cible. C’est en particulier le cas du secteur de la construction, qui concentre près de 10 % des bénéficiaires du préfinancement par Bpifrance. Une plus grande implication des banques commerciales pourrait toutefois être recherchée avec la montée en puissance du dispositif.

La mission parlementaire formule des propositions pour améliorer le CICE selon trois axes : le renforcement de la communication autour du dispositif, le perfectionnement du mécanisme de suivi et des propositions d’évolution.

Les deux premiers axes comportent des propositions bienvenues pour améliorer la compréhension et l’utilisation de l’outil, notamment pour mieux atteindre l’objectif politique d’affichage des contreparties au CICE, et plus généralement au pacte de responsabilité : renforcer la communication auprès des TPE et PME ; mieux appliquer les dispositions relatives au suivi de l’utilisation du CICE dans les comptes annuels des entreprises ; encourager le dialogue social sur l’utilisation du CICE.

Il apparaît par ailleurs urgent d’installer les comités de suivi régionaux du CICE, qui sont notamment « indispensables à la pleine mise en œuvre des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi ». Ces comités devraient se mettre en place rapidement.

Trois évolutions de court terme sont également proposées : permettre l’imputation du CICE sur les acomptes d’impôt des sociétés afin d’éviter des mouvements de trésorerie dans les entreprises ; autoriser les redevables non imposés au réel à revenir sur cette option normalement valable dix ans, afin d’être soumis à un régime réel donnant droit au CICE ; étudier la possibilité d’accorder au secteur non lucratif un avantage fiscal similaire au CICE de manière à égaliser les conditions d’accès aux marchés publics.

Enfin, la mission propose, à terme, de transférer le CICE sur un allégement de cotisations sociales. Il convient d’être prudent sur cette évolution, mais nul doute que nous en reparlerons lors d’un prochain débat.

Le CICE est l’un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement. Cette dernière repose sur trois éléments : réduire le déficit public et assainir nos comptes publics ; restaurer la compétitivité de l’économie, et ainsi renouer avec plus de croissance et d’emplois de manière durable ; réformer notre économie, comme nous le faisons depuis deux ans, en amplifiant encore nos efforts. Enfin, des propositions sont formulées sur l’évolution du dispositif à moyen terme.

Les patrons de PME tiennent au CICE, et ils l’ont indiqué. D’après le baromètre KPMG-CGPME, ils sont 66 % à craindre une remise en question prochaine de ce dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

« La mesure est aujourd’hui plébiscitée par les dirigeants, qui commencent à mesurer les premiers bénéfices financiers. Ils craignent d’autant plus sa remise en cause que le degré d’inquiétude face à la situation économique atteint un niveau record depuis 2009 », souligne le baromètre.

Pour un dispositif qui vient de se mettre en place et qui monte en puissance, je pense, mes chers collègues, que le CICE a atteint une grande part des objectifs qui lui étaient fixés.

Les entreprises ont besoin d’un message de stabilité, et il convient de ne pas les inquiéter. Les entrepreneurs rencontrés sur le terrain s’interrogent souvent sur la pérennité du CICE. Nous devons les rassurer en leur expliquant l’importance de notre politique destinée à soutenir la compétitivité. Enfin, toute évolution doit être compatible avec notre engagement à réduire le déficit public.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, je suis de ceux qui considèrent que le CICE est positif. Nous ne devons donc pas inquiéter les entreprises en évoquant sa possible suppression. Il faut simplement dire qu’il sera amélioré. §

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’annonce de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la position des écologistes – peut-être vous en souvenez-vous ? – avait été clairement critique.

Sur la forme, tout d’abord, nous avions regretté qu’un tel dispositif soit voté sous forme d’amendements à une loi de finances rectificative, alors que son importance appelait à davantage de débat et de réflexion, ainsi qu’à la production d’une véritable étude d’impact.

Sur le fond, ensuite, ses finalités nous paraissaient beaucoup trop floues et son financement, reposant à la fois sur une baisse des dépenses publiques, une hausse de la TVA et les revenus de ce que l’on annonçait alors comme une nouvelle fiscalité écologique, nous semblait bien mal calibré.

Deux ans plus tard, et alors que nous disposons désormais d’un certain recul, force est de constater que nos réticences n’étaient pas tout à fait infondées !

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de condamner en bloc la notion même de crédit d’impôt ni de profiter de ce débat pour revenir à un antagonisme désormais classique, celui qui oppose les partisans d’une politique de l’offre à ceux d’une politique de la demande.

Il s’agit, dans le contexte de tensions budgétaires et de crise globale que nous connaissons, de déterminer les formes d’actions les plus efficaces et les plus efficientes qui s’offrent à nous et, lorsque c’est nécessaire, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs d’appréciation que nous avons pu commettre.

Avec l’expérience du CICE qui est la nôtre aujourd’hui, je crois que deux erreurs de conception peuvent désormais être confirmées.

La première, c’est d’avoir mal estimé les effets éventuellement contreproductifs de certaines mesures prises au cours des deux dernières années et de la complexité de la mise en place du CICE lui-même.

Le rapport du comité de suivi indique ainsi clairement que ce dispositif, dont on sait qu’il est encore en phase de montée en charge, est nettement moins utilisé cette année par les entreprises que ce que prévoyait le Gouvernement : 13 milliards d’euros de versements étaient initialement attendus en 2014 au titre du CICE de l’année 2013 ; la prévision révisée retenue pour le projet de loi de finances n’est finalement que de 10, 8 milliards d’euros.

Même si l’on peut y trouver quelques motifs de satisfaction – après tout, cela représente moins de dépenses pour l’État ! –, il est difficile de ne pas s’interroger sur ce constat. Ne serait-ce pas là, au moins partiellement, le résultat du mode de financement du CICE lui-même, comme d’autres mesures prises depuis lors, dont l’effet récessif a déjà été largement évoqué ? Je pense, par exemple, à la hausse de la TVA intervenue dans des secteurs tels que les transports en commun, la rénovation des bâtiments et la culture.

Ne faudrait-il pas remettre enfin tout cela à plat et évaluer clairement les effets croisés de toutes ces politiques ? En effet, il est, en l’état, bien difficile d’en percevoir les effets positifs, alors que les effets les plus négatifs sont beaucoup plus visibles.

Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’absence de répercussion de la hausse de la TVA de 19, 6 % à 20 % sur les prix finaux pratiqués par certains secteurs masque un effet pervers – la très faible inflation que nous observons depuis le début de l’année en témoigne –, qui contribue, lui aussi, à diminuer les effets promis du CICE pour les entreprises. Cela peut notamment se traduire par une rétractation des marges, non pas tellement celles des distributeurs eux-mêmes, mais celles de leurs fournisseurs, les producteurs, parmi lesquels on compte de nombreuses PME qui auraient pourtant bien besoin d’un surplus d’oxygène pour investir et embaucher !

La seconde erreur, qui découle en partie de la première, c’est justement le flou qui entoure le CICE quant à sa finalité en matière de création d’emplois. J’en veux pour preuve l’évolution du discours du Gouvernement lui-même sur la question.

Au moment de son lancement, le CICE devait, nous disait-on, permettre de créer 300 000 emplois à terme. On a ensuite évoqué un ordre de grandeur plus proche des 150 000 emplois. Récemment, le ministre des finances est allé jusqu’à laisser clairement entendre qu’il n’y avait pas de lien direct entre CICE et emploi…

En outre, parce que le bénéfice du CICE est limité aux salaires ne dépassant pas l’équivalent de 2, 5 fois le SMIC par an, il ne facilite en rien les embauches dans les secteurs les plus qualifiés, alors que ceux-ci auraient bien besoin d’être dynamisés pour renforcer la France sur la scène internationale et relancer son économie. Ainsi, au final, le rapport annuel du comité de suivi reste très prudent quant aux résultats du dispositif sur les créations d’emploi.

Ce document indique bien, en reprenant l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE parue au mois de juillet dernier, que 48 % des entreprises de services et 34 % des entreprises de l’industrie affirment que ce dispositif aura un impact sur leurs embauches. Cependant, il s’agit de données déclaratives et, de fait, des plus imprécises. De manière plus générale, force est de constater que nous manquons de visibilité quant à l’utilisation réelle qui est faite du CICE par les entreprises qui y ont recours.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe écologiste est favorable non pas à des mesures qui viendraient soutenir l’ensemble des acteurs économiques, quels que soient leur poids, leur modèle, leur santé réelle, mais à des mesures de soutien sectoriel, qui donneraient à l’État un véritable rôle de stratège et permettraient de soutenir nos entreprises les plus concernées par la concurrence internationale, nos entreprises véritablement innovantes et, surtout, les acteurs d’une transition écologique et d’une mutation technologique que nous appelons tous de nos vœux.

Michel Sapin indiquait récemment que le CICE était là pour permettre aux entreprises de retrouver leurs marges, donc d’investir, d’embaucher ou de former, en tout cas de préparer l’avenir.

Il est vrai qu’un crédit d’impôt peut effectivement être fort utile dans cette perspective et qu’il est des entreprises et des industries qui ne demandent qu’à se développer et à embaucher. Cependant, nous ne pourrons pas les aider avec des outils aussi généraux, imparfaitement et précipitamment conçus. De tels outils dépensent trop d’argent public sans permettre de financer assez de telles entreprises !

Et que l’on ne vienne pas nous opposer l’Europe qui, aux dires de certains, avec ses directives et ses règlements, nous empêcherait de mettre en place pareille démarche. C’est tout simplement faux : elle laisse en réalité de véritables marges de manœuvre en la matière, sans compter que c’est aussi à nous de nous emparer des politiques européennes pour mieux les orienter avec nos partenaires, alors que les institutions européennes terminent justement leur renouvellement.

Les difficultés du CICE, comme, plus généralement, celles de notre économie et de l’Europe tout entière, nous démontrent que c’est d’une utilisation précise, articulée et stratégique des moyens publics que nous avons besoin aujourd’hui. À nous de bien en tirer les conséquences. §

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, le CICE a été institué par l’article 66 de la loi de finances rectificative pour 2012 et il est entré officiellement en vigueur le 1er janvier 2013. Il fait partie du pacte de responsabilité du Gouvernement, très largement inspiré du rapport Gallois.

Pour rappel, la Haute Assemblée avait rejeté cette proposition, mais, du fait de la navette parlementaire, celle-ci a été réintroduite à l'Assemblée nationale. Le CICE existe donc à présent depuis 21 mois : une durée certes insuffisante pour juger de la pleine efficacité du dispositif, mais assez longue pour avoir un premier retour d’expérience.

Un constat s’impose, celui des incertitudes mêmes du CICE en ce qui concerne son efficacité économique et sociale, c’est-à-dire en termes d’activité, de croissance et d’emploi. Et quand 17, 5 milliards d'euros sont en jeu en 2015, il nous paraît essentiel que les parlementaires que nous sommes puissent, autant que les citoyennes et les citoyens, avoir des informations claires sur les réalités d’un tel dispositif.

Pour financer le CICE, on a augmenté la TVA, on a haussé le rendement de l’impôt sur le revenu, on va accroître la fiscalité dite « écologique », on a réduit et on réduit encore les dépenses publiques !

Le CICE apparaît de plus en plus comme un « chèque en blanc » accordé aux entreprises, sans contrepartie visible. Sinon, nous n’aurions pas la situation de l’emploi que nous connaissons. Le CICE prétend muscler l’offre, alors que celle-ci souffre notamment d’une insuffisance de la demande – et pour cause ! – face à un pouvoir d'achat en berne dont la première conséquence est la baisse de la consommation des ménages.

Ce dispositif est en quelque sorte la quintessence d’une politique assumée : largesse et laxisme pour certains ; rigueur et austérité imposées au plus grand nombre !

Comment ne pas s’interroger sur l’essence même de ces milliards d’euros accordés depuis des années aux entreprises, dont le CICE n’est qu’une forme parmi d’autres, une de plus – songeons aux exonérations de cotisations sociales, aux niches fiscales, au régime des groupes, à la niche Copé, à la suppression de la taxe professionnelle, et j’en passe. Le CICE, c’est en quelque sorte la « cerise sur le gâteau » – un gâteau déjà bien garni –, si je puis m’exprimer ainsi, avant la baisse programmée du taux de l’impôt sur les sociétés !

Du fait de ce que vous appelez le « coût du travail », qui en fait prend en compte les salaires sous toutes leurs formes, on postule depuis trop longtemps que les entreprises ne sont pas compétitives. Le rapport de la mission d’information menée par notre collègue Michelle Demessine démontre que les allégements de cotisations sociales et d’impôts n’ont pas suffi à enrayer le chômage, bien au contraire ! J’y reviendrai notamment avec des chiffres issus de mon département.

Tout aussi grave, cette politique d’exonérations de cotisations sociales met à mal depuis des années le financement de la protection sociale... Financée à 80 % par des cotisations, notre protection sociale ne l’est plus aujourd’hui qu’à environ 60 %. Notons d’ailleurs ensemble, mes chers collègues, que plus la sécurité sociale est « fiscalisée », plus elle est en déficit !

Les exonérations de cotisations, non ciblées, ne vont ni aux entreprises qui en ont le plus besoin ni aux secteurs les plus exposés à la concurrence. Elles favorisent au contraire les entreprises du CAC 40, et ce sont de véritables primes aux bas salaires et aux secteurs les plus abrités.

En conséquence, devons-nous continuer dans cette voie, madame la secrétaire d'État ?

Je reviens à présent spécifiquement au CICE et aux premières évaluations que le comité de suivi a pu faire, après une année et demie de mise en œuvre. Le rapport du comité de suivi est très évasif – c’est le moins que l’on puisse dire ! – sur les effets de la mesure.

Néanmoins, j’aimerais ici vous livrer quelques chiffres, qui viennent compléter ceux de ma collègue Marie-France Beaufils. Ce sont des exemples locaux et concrets qui interrogent les parlementaires communistes que nous sommes, mais aussi, je pense, tous les sénateurs ici présents.

Le groupe Mulliez, bien connu dans le Nord, perçoit depuis deux ans 127 millions d'euros. Or ce même groupe va supprimer 300 postes en trois ans.

D’après les chiffres que m’a communiqués mon collègue Dominique Watrin, 61, 4 millions d’euros auraient été distribués à 6 000 entreprises du Pas-de-Calais. Pour combien d’emplois créés et combien d’emplois sauvés ?

PSA Peugeot Citroën va liquider 8 000 emplois en fermant l’usine d’Aulnay et en réduisant la production à Rennes. Avec le CICE, le Gouvernement offre en quelque sorte au groupe une récompense de plus de 100 millions d’euros pour avoir mené cette politique.

La Poste va, quant à elle, récupérer 270 millions d’euros et entend supprimer encore des milliers d’emplois d’ici à l’an prochain.

Par ailleurs, Total, dont on vient d’apprendre la disparition tragique du PD-G, touchera 80 millions d'euros, alors que ce groupe pétrolier organise volontairement son déficit en France.

Je poursuis avec un dernier exemple issu du département dont je suis l’élue. L’entreprise Ricoh, qui appartient à un groupe mondial, déclare avoir obtenu une aide publique de 1 million d’euros au titre du CICE pour l’année 2013, tout en faisant part de son intention de supprimer 328 emplois en France, dont 200 sur son site de Rungis.

Dans le Val-de-Marne, ce sont donc 65 millions d’euros qui ont été distribués à 9 817 entreprises de ce territoire. Pourtant, comme partout, le chômage n’a pas baissé. Faut-il rappeler qu’il a même augmenté de 7, 9 % en 2013 à l’échelle nationale ? On ne peut pas vraiment parler d’effets bénéfiques, même minimes, du CICE.

Madame la secrétaire d'État, je crains que ces exemples ne soient pas isolés. Est-ce à dire que les aides publiques financent des licenciements et, parfois, des délocalisations ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour que ce type d’entreprises ne puisse obtenir une nouvelle mesure de crédit d’impôt au titre du CICE pour l’année 2015, si des licenciements sont programmés ?

Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le fait que seize des plus grandes entreprises françaises, faisant partie du CAC 40, cumulent une réduction d’impôt de 823 millions d’euros en 2013, qui devrait atteindre 1, 24 milliard d’euros en 2014 ? Là aussi, la politique de ces groupes en matière d’emploi nous laisse plus que dubitatifs. Air France ou Sanofi, pour ne citer que deux autres exemples, ne brillent guère par leurs créations d’emplois, mais se distinguent, hélas, par leurs plans sociaux.

Mes chers collègues, quelle collectivité aujourd’hui accorde des subventions ou des avantages sans aucun engagement en retour ? Outre mon mandat de sénatrice, je suis conseillère régionale d’Île-de-France. Cette région, comme beaucoup d’autres, n’accorde pas de crédits aux entreprises qui ne mènent pas une politique « vertueuse » en termes d’emplois et d’égalité professionnelle notamment.

L’argent public ne peut être distribué sans un minimum de contrôle. N’est-ce pas aux parlementaires que nous sommes de s’en assurer, d’autant que les efforts demandés reposent toujours sur les mêmes, à savoir nos concitoyens et les collectivités ?

Vous l’avez remarqué, mes chers collègues, au sein du groupe CRC, nous sommes plus que critiques sur ce dispositif, mais nous voulons une fois de plus être constructifs dans l’intérêt de nos concitoyens.

Dans cet esprit, complétant les propos de notre collègue Marie-France Beaufils, je formulerai deux propositions supplémentaires, qui, je l’espère, trouveront de l’écho auprès de vous, madame la secrétaire d'État.

Premièrement, il faudrait créer un indice du coût du capital pour inciter véritablement au réinvestissement des dividendes dans l’entreprise.

Deuxièmement, il conviendrait de créer rapidement un observatoire national, avec des déclinaisons départementales, sur l’utilisation du CICE, afin d’évaluer de façon objective sa pertinence et d’en dégager ensuite les conclusions. C’est notamment la demande que nous avons formulée, Christian Favier et moi-même, auprès du préfet du Val-de-Marne.

Mes chers collègues, je crois que ce débat est essentiel aujourd’hui. À quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2015, il est utile de rappeler que le montant du CICE correspond peu ou prou au montant entretenu, pour ne pas dire fabriqué, du déficit de la sécurité sociale. Tirons-en ensemble les conclusions qui s’imposent !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Selon la publicité, « le CICE a pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manœuvre pour investir, prospecter de nouveaux marchés innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail. » Stimulation de l’investissement et de la compétitivité dans les secteurs porteurs d’avenir, développement de l’emploi : difficile de dire mieux !

Après les intentions – forcément excellentes –, examinons la réalité, à tout le moins les enseignements de la première année complète de mise en œuvre du CICE, soit 2013.

Nous constatons d’abord que le rapport du comité de suivi du CICE, publié au mois de septembre 2014, dont l’importance du contenu informatif est inversement proportionnelle à la longueur – 115 pages avec les annexes –, nous est d’un maigre secours.

Essentiellement rédigé au conditionnel, pauvre en données factuelles précises, il se contente d’une évaluation de l’emploi du CICE – évolution du taux de marge des entreprises, de l’investissement, de l’emploi – à partir des seules « intentions exprimées » par les entreprises. D’ailleurs, ces dernières ne diront pas autre chose que ce que l’on attend d’elles : leur intention ne peut être que d’utiliser le CICE d'abord pour l’investissement, et ensuite pour l’emploi. Le rapport n’en note pas moins que l’on observe rarement un impact du CICE sur les prix, éléments pourtant essentiels de la compétitivité.

À regarder les choses de plus près, la réalité, telle qu’elle ressort de l’examen de l’exercice 2013, est sensiblement différente, s’agissant en tout cas des grandes entreprises du CAC 40 – elles aussi massivement éligibles au CICE, comme on vient de le dire –, lesquelles, en 2013, ont augmenté le versement de leurs dividendes et réduit leurs investissements. Autour de 40 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été versés par ces entreprises, soit une augmentation de 5, 5 %, ce qui place la France dans le peloton de tête européen pour cette discipline internationale. Leur taux de distribution médian, c'est-à-dire la part du bénéfice revenant aux dividendes, atteint 48 %, contre 46 % en 2012. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires.

Dans le même temps, les investissements des entreprises non financières du CAC 40 ont reculé de 5 % en 2013, dégradation qui, d'ailleurs, s’est poursuivie à peu près au même rythme au premier semestre 2014. Le fameux théorème d’Helmut Schmidt, selon lequel « les profits d’aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », est donc loin de se vérifier, au point que François Hollande lui-même, en août 2014, a cru bon de rappeler aux patrons leur devoir d’utiliser « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher et non distribuer des dividendes ». On ne doute pas que les chefs d’entreprise seront sensibles à un conseil aussi paternellement délivré…

Côté intéressés, on nous explique benoîtement que « les entreprises font de l’investissement lorsqu’elles ont des projets de croissance rentables, pas simplement parce qu’elles ont des cash flows abondants. La décision d’investir dépend avant tout des perspectives futures. Or, elles ne sont pas trop optimistes pour l’heure en Europe ». Cette analyse est celle de Fabrice Théveneau, analyste à la Société générale interrogé par Les Échos, le journal de M. Bernard Arnault – première fortune française selon Forbes –, une référence donc.

Une référence qui dit clairement qu’en l’absence de demande une politique de l’offre est vouée à l’échec. Un entrepreneur n’investit et n’embauche que s’il a l’espoir de vendre, quels que soient les cadeaux fiscaux dont il pourra bénéficier. D’ailleurs, cette conclusion, bien qu’exprimée dans le langage amphigourique de rigueur, ressort aussi du rapport du comité de suivi du CICE – ne prêtez pas garde au niveau de français utilisé par ses auteurs – : « Ces résultats, bien que partiels, confirment ceux des précédentes vagues d’enquête : l’affectation du CICE en 2014 semble fortement dépendante de la situation conjoncturelle de l’entreprise, de ses contraintes et de ses perspectives. L’utilisation du CICE semble venir conforter des décisions qui répondent prioritairement à la dynamique conjoncturelle des entreprises. » En un mot, et en clair, la réussite de la politique de l’offre est suspendue à l’apparition d’une demande. Comment précisément faire apparaître cette demande ? Là est la vraie question !

En changeant l’angle de vision, en considérant ce qui se passe au niveau d’une entreprise particulière, la cohérence de la politique économique du Gouvernement apparaît-elle mieux ?

Parmi les entreprises publiques largement bénéficiaires du CICE, l’exemple de La Poste, qui aura reçu de l’ordre de 300 millions d’euros de CICE en 2013 et 357 millions d’euros en 2014, m’a fait douter. Certes, on peut se réjouir que cet argent ait permis à La Poste de réaliser 627 millions d’euros de bénéfices en 2013, soit une hausse de 31 %, malgré une chute de 30 % de son résultat d’exploitation. Toutefois, si le but du CICE est d’améliorer notre balance extérieure, on devrait pouvoir trouver d’autres entreprises plus exposées à la concurrence !

Le constat est le même s’agissant de la politique de l’emploi, La Poste poursuivant la réduction de ses effectifs, comme cela a été dit tout à l'heure : 4 500 emplois y ont ainsi été supprimés en 2013, après 2 500 en 2012. Le processus est engagé depuis longtemps.

Entendons-nous bien : je ne critique absolument pas l’aide publique à La Poste, qui remplit des missions de service public que personne d’autre n’assume, notamment par sa présence sur l’ensemble du territoire national. J’ai simplement un peu de mal à saisir la cohérence de la politique du Gouvernement à son égard : en 2013, alors que La Poste reçoit 300 millions d’euros d’aide publique par le biais du CICE, elle est, dans le même temps, ponctionnée de 171 millions d’euros de dividendes – 23 millions d’euros de plus qu’en 2012 –, tout en continuant, d'ailleurs, à assumer la charge des réductions tarifaires accordées à la presse, de l’ordre de 500 millions d’euros. Comprenne qui pourra…

En matière de cohérence et de clarification, on devrait pouvoir faire mieux, de même qu’en matière de politique fiscale, autre versant de notre affaire : si l’on en croit Thomas Piketty, le CICE « se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop. »

C’est d'ailleurs à Thomas Piketty que j’emprunterai ma conclusion

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons été invités par nos collègues du groupe CRC à aborder aujourd'hui la question du CICE.

Le CICE a à peine quatorze mois. Bien sûr, nous disposons d'ores et déjà, à son sujet, d’éléments d’évaluation, de rapports parlementaires et d’enquêtes de conjoncture, mais je pense que, pour juger une politique publique, pour juger de la pertinence d’un dispositif, il nous faut plus que quatorze mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Au reste, les informations que nous avons à notre disposition sont encore très parcellaires, puisque le dispositif est précisément en train de monter en charge.

Pourtant, le débat que nous avons aujourd'hui est important. Pour compléter l’intervention de mon ami Jean Germain, j’interviendrai plutôt sur la question économique et industrielle.

Tout d’abord, il faut rappeler le double objectif du CICE. Premièrement, il vise à accompagner l’ensemble du tissu économique vers une montée en gamme nécessaire à sa compétitivité, combinée à un allégement de charges. Deuxièmement, sa stratégie économique consiste à donner la priorité aux PME et aux TPE, surtout dans l’industrie.

Nous sommes dans une économie ouverte. Dès lors, nous ne pouvons ignorer la compétitivité des entreprises, sauf à devoir inévitablement les condamner.

Le premier bilan de l’investissement des PME et des TPE ayant bénéficié du dispositif – au total, 704 000 entreprises ont bénéficié du CICE – est positif. Je peux vous dire que les 400 entreprises présentes sur ma commune ont apprécié cet allégement et cette possibilité nouvelle, dont elles se sont saisies soit en se dotant d’une marge de manœuvre un peu accrue, soit en investissant.

En septembre 2014, la créance fiscale correspondant au CICE se montait à 8, 7 milliards d’euros. Autrement dit, elle s’approche des 10, 8 milliards d’euros prévus pour cette année et des 18 milliards d’euros prévus pour l’année prochaine. Le CICE, en vitesse de croisière, peut donc réduire de 50 % l’écart de compétitivité constaté entre l’Allemagne et la France, cet écart dont les membres de cet hémicycle débattent depuis des années. Nous parlons d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros. Ce n’est pas rien !

En ce qui concerne la destination du CICE, comme cela a été dit tout à l'heure, de grands groupes pourvoyeurs d’emplois émargent à ce dispositif, mais nous savons aussi que de nombreuses PME en bénéficient, et il faut s’en réjouir pleinement.

Nous n’avons pas d’évaluation plus précise, mais je pense, madame la secrétaire d’État, que vous nous donnerez des renseignements à ce sujet. Cela étant, concernant la conservation et la création d’emplois, nous en aurons surtout dans les années à venir – je pense qu’il est vraiment trop tôt pour disposer aujourd'hui de ces évaluations.

En revanche, je suis vraiment très satisfait d’apprendre que plus de la moitié des entreprises ayant bénéficié du CICE prévoient de le consacrer à l’investissement. C’est là que se situe le grand défi de l’économie française, notamment de son industrie. Il faut drainer le CICE vers l’investissement et dans l’industrie.

Mais, si je suis satisfait, nous devons aller beaucoup plus loin. Alors que 19 % des entreprises du secteur industriel ont bénéficié du crédit d’impôt, nous avons le devoir de faire augmenter ce taux l’année prochaine. Pourquoi ? Au nom de l’écart entre nos appareils productifs en matière d’investissement industriel, au-delà du différentiel de charges entre la France et l’Allemagne que j’évoquais voilà quelques instants. Je pense, par exemple, à la robotisation de nos entreprises : la France a quatre fois moins de robots que l’Allemagne et deux fois moins que l’Italie. Le CICE doit justement servir à combler cet écart. Si nous y parvenons, notre compétitivité pourra être comparée avec celles d’autres pays, en Europe et au-delà.

Je crois qu’un meilleur ciblage est possible. Je sais que Bercy n’est pas fermé à cette perspective.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Toutefois, pour cela, un effort majeur de traçabilité des créances doit être réalisé dans les documents comptables, avec l’aide des professions du chiffre, de manière que les partenaires sociaux puissent s’en saisir, mais aussi que nous, les élus, disposions de l’ensemble des informations.

La question posée est celle de la montée en gamme de nos entreprises et de leurs produits. Cette question doit être débattue dans l’ensemble des conseils d’administration ainsi qu’au Parlement.

Cependant, madame la secrétaire d’État, les garde-fous prévus par la loi doivent aussi être effectifs ! Ici et là, on constate que des entreprises tentent de profiter du CICE pour délocaliser, pour supprimer des emplois et investir ailleurs. En la matière, l’effectivité de notre contrôle doit être totale.

Au reste, le CICE n’est pas le seul levier économique. Au-delà de toutes les interrogations et de toutes les remarques qui ont été formulées dans l’hémicycle, je rappelle que le rapport Gallois ne contient pas moins de trente-cinq mesures pour la compétitivité. Parmi ces mesures figure, par exemple, la réduction des délais de paiement : les sous-traitants des grands groupes ont 13 milliards d’euros de retards de délais de paiement par an, et ces délais s’aggravent.

Lorsque nous discutons du CICE, nous devons également aborder les questions de l’innovation, des écosystèmes productifs, de la simplification administrative. Ce sont tous ces éléments qui, mis bout à bout, contribuent à renforcer l’attractivité de notre secteur industriel. Nous ne devons donc pas isoler un dispositif parmi les autres : nous devons en considérer la totalité.

Mes chers collègues, la France compte 5 millions de demandeurs d’emploi.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Cette situation n’est plus tenable. Nous devons nous attaquer à la question de notre système productif. Depuis trente ans, nous regardons notre France se désindustrialiser. Il faut avoir cette volonté de redresser l’économie de la France, notamment notre industrie. On ne peut plus demeurer les bras ballants et répéter toujours les mêmes choses. Posons les vrais problèmes et apportons-y de vraies solutions !

Pour finir, je ferai remarquer au lecteur assidu de Thomas Piketty que deux des questions posées dans son ouvrage n’ont pas été abordées aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Premièrement, faut-il continuer à mener des politiques déflationnistes quand la déflation est proche ? Deuxièmement, pourquoi les revenus des actionnaires augmentent-ils plus vite que la croissance ? Ces deux questions mériteraient un vrai débat dans cette assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe Crc

C’est sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi constituait l’une des trente-cinq décisions concrètes du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, annoncé à la suite de la présentation du rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de l’industrie française. Comme cela a été rappelé, son objectif est d’améliorer la compétitivité de nos entreprises, en particulier à travers des efforts en matière de recrutement, d’investissement, de recherche ou encore d’innovation.

Alors que les premiers versements de ce crédit d’impôt parviennent aux entreprises depuis quelques mois, il nous appartient – c’est précisément le but du débat de ce jour – de réaliser un point d’étape sur cette mesure, centrale dans la politique de relance économique du Gouvernement.

Examinons les chiffres dont nous disposons aujourd’hui, notamment ceux que le comité de suivi du CICE a publiés dans son rapport du 30 septembre dernier.

À ce jour, 8, 7 milliards d’euros ont été déclarés et 5, 2 milliards d’euros ont d’ores et déjà été restitués. Ce sont tout de même 713 000 entreprises, sur le million d’entreprises concernées, qui ont ainsi demandé à bénéficier du dispositif : 11 % sont des micro-entreprises, 31 % des PME et 25 % des entreprises de taille intermédiaire.

Certes, le Gouvernement avait escompté que les entreprises déclarent 10, 8 milliards d’euros. Mais, bien évidemment, le temps n’est pas venu de tirer un bilan définitif du CICE ; il est encore trop tôt pour voir ses effets sur le comportement des entreprises, et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, au moment de l’enquête réalisée par le comité de suivi, un quart des entreprises n’avaient pas encore arrêté leurs comptes. Le montant de 8, 7 milliards d’euros ne concerne donc que les structures ayant clos leur exercice entre janvier et avril 2014.

Deuxièmement, la créance ultime au titre de 2013 ne sera connue qu’en 2017, à échéance du droit au crédit d’impôt, puisque les entreprises disposent de trois ans pour l’utiliser.

Troisièmement, pour mesurer la réelle efficacité du CICE sur notre économie, il faut attendre les effets de la baisse des cotisations, qui ne seront pas mesurables avant deux ou trois ans au minimum.

La montée en puissance du dispositif est donc, par nature, progressive et nous pouvons aisément mesurer le décalage, normal, entre les annonces et les tout premiers effets. Mais nous savons, depuis quelque temps déjà, mes chers collègues, que le temps économique n’a rien à voir avec le temps politique, et encore moins avec le temps médiatique.

Toutefois, il est dès à présent possible de tirer quelques enseignements du rapport du comité de suivi, ainsi que d’une enquête réalisée par l’INSEE, auprès de 5 000 entreprises, sur la manière dont elles comptent utiliser le CICE.

Tout d’abord, cette enquête nous apprend que la connaissance du dispositif progresse de manière notable chez les dirigeants, par rapport à son lancement en 2013.

Interrogées sur leur future utilisation, 34 % des entreprises du secteur de l’industrie estiment que le CICE leur permettra d’embaucher, et ce chiffre grimpe à 48 % dans le secteur des services.

Par ailleurs, 58 % des entreprises du secteur de l’industrie et 52 % du secteur des services indiquent destiner le CICE à de l’investissement. Son rôle premier semblerait donc rempli, ce qui démontre que, dans les services comme dans l’industrie, la mesure répond à un besoin.

Compte tenu de ces éléments, toute analyse sur le CICE et ses effets nécessite prudence et humilité.

Le retour sur l’année écoulée est extrêmement instructif sur la façon dont sa mécanique a été progressivement assimilée et sur les obstacles que cette assimilation a pu logiquement rencontrer. Mais cette année ne peut être considérée comme véritablement représentative des comportements à venir. Lorsque les acteurs se seront appropriés le dispositif et que sa stabilité sera considérée comme acquise, certaines adaptations devront être envisagées. D’autres méritent sûrement de ne pas attendre…

Je souhaiterais revenir sur quelques points ayant créé la polémique, à savoir l’utilisation du CICE par certains grands groupes en vue d’augmenter les dividendes.

Il est évident que le CICE ne doit pas être détourné de son objet initial : la sauvegarde et la création d’emplois, ainsi que la modernisation de l’appareil productif. C’est pourquoi je soutiens tout ce qui vise à demander aux entreprises de rembourser les aides versées, dès lors que celles-ci servent à augmenter les dividendes ou la rémunération des actionnaires, ou qu’elles accompagnent la fermeture d’entreprises ou de succursales rentables.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Tout comme Martial Bourquin dans son département, j’ai connaissance d’un tel cas de figure sur mon propre territoire. La Seita, qui a bénéficié du CICE, y a fermé un établissement pour délocaliser l’activité en Pologne.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Il est bien évidemment choquant que les dividendes versés en France aient progressé de 30, 3 % par rapport au deuxième trimestre 2013 pour atteindre près de 41 milliards d’euros. Notre pays est aujourd'hui le leader européen dans ce domaine ! Vu l’état de morosité de notre économie, je ne peux que comprendre ceux qui se sont élevés pour souligner la contradiction !

Mais le principe même du CICE n’est pas à mettre en cause du fait du comportement déplacé de certaines grandes entreprises, même si celui-ci est parfaitement condamnable. Encore faut-il avoir des dispositifs pour contrôler, et sanctionner si nécessaire !

Rappelons que les trois quarts du CICE bénéficient, dans la réalité, à des PME ou des entreprises de taille intermédiaire, qui, a priori, ne sont pas cotées en bourse. Globalement, le dispositif a donc plus servi à reconstituer objectivement la trésorerie des PME, leur permettant de redresser leur marge et de se désendetter, qu’à gonfler les dividendes des grands groupes.

Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, dont fait partie le CICE, a donc été conçu pour préparer l’avenir de notre pays. C’est une impérieuse nécessité. Les résultats ne se feront pas sentir en un jour et nous pouvons comprendre que cela prenne du temps. En revanche, et ceci est vrai pour le CICE comme pour toute forme d’aide aux entreprises en général, la conditionnalité est un impératif si nous voulons nous inscrire dans un rapport gagnant-gagnant non seulement sur le plan économique, mais aussi au niveau de l’indispensable pédagogie politique à mettre en œuvre.

Nous aurions collectivement tout à gagner de voir chaque chef d’entreprise indiquer très simplement aux salariés ce qui a été fait avec l’argent du CICE. Cette nécessaire transparence serait une simple initiative de bon sens. Les salariés–citoyens seraient en toute logique informés de l’utilisation par leur entreprise des deniers publics, donc de l’effort collectif.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Il est aussi important, madame la secrétaire d’État, d’affiner le dispositif, afin que ce soit véritablement les secteurs économiques en ayant le plus besoin qui en bénéficient – notamment l’industrie –, avec un effort de transparence, profitable à tous et permettant d’éviter les dérives constatées.

Au bout du compte, si le CICE peut incontestablement aider à renforcer la compétitivité de nos entreprises, il ne peut et ne doit pas être mis en œuvre sans transparence, sans nécessaire contrôle et sans information des salariés concernés. Tout cela serait, j’en suis persuadé, mes chers collègues, le gage d’une plus grande efficacité. §

Debut de section - Permalien
Carole Delga

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je souhaite, dans mon propos, évoquer un contexte plus général, celui dans lequel nous avons inscrit la politique du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et les perspectives qui sont les nôtres en matière de soutien aux entreprises.

Il est clair, comme le rappelait Michel Crozier, qu’« on ne change pas la société par décret ».

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Cela étant, il est nécessaire que, dans le temps législatif et dans le temps réglementaire, nous soyons attentifs aux évolutions à impulser pour améliorer la compétitivité des entreprises.

Rappelons que nous avons hérité, en 2012, d’une situation très complexe : l’industrie était très abîmée et beaucoup de nos entreprises avaient perdu leur compétitivité.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Nous avons donc souhaité mettre en œuvre une politique qui leur permette de retrouver des marges et de restaurer cette compétitivité. Il s’agissait de soutenir notre tissu industriel, mais aussi de renforcer les capacités à recréer de l’emploi, puisque, comme vous le savez, le niveau très élevé du chômage dans notre pays constitue une forte problématique.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

C’est malheureusement le cas, mais nous déployons des politiques coordonnées…

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

… pour promouvoir l’emploi et reconstituer des services publics, tels que ceux de l’éducation nationale ou de la justice, qui avaient été précédemment laminés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Informez donc M. Peillon qu’il ne faut pas réformer par décret !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Si vous le voulez bien, monsieur le sénateur, je vous propose de l’en informer directement.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Je rappellerai la philosophie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : il s’agit de recréer un cercle vertueux à travers l’investissement, l’innovation et la compétitivité pour l’emploi.

Le CICE est un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement, laquelle repose sur trois éléments.

Premier élément, la réduction du déficit public et l’assainissement des comptes publics.

Sous le quinquennat précédent – la présidence de Nicolas Sarkozy –, la progression de la dette s’élevait à 5 % par an. Depuis 2012, cette progression a été réduite et n’est plus que de 3 %.

Eu égard à la responsabilité qui nous incombe en tant que membres du Gouvernement, nous avons également souhaité un important ralentissement de la dépense publique, mais compatible avec un soutien à l’économie. C’est ainsi que nous avons prévu de réduire la dépense publique de 50 milliards d’euros sur trois ans, quand d’autres nous proposent de la réduire de 100 milliards d'euros :…

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Ah oui ! Et même de 150 milliards d’euros !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

… je ne vois pas comment il serait possible de réaliser de telles économies…

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

… sans casser le modèle républicain !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

L’effort de réduction de la dépense publique est sans précédent, mais adapté à notre situation économique. Les ministères et collectivités locales sont, bien sûr, mis à contribution. Toutefois il me semble me rappeler que la suppression de la taxe professionnelle a privé les collectivités locales d’un impôt dynamique et, par la même occasion, les carnets de commande des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics ont commencé à refléter certaines difficultés…

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Très bien ! Il est bon de le rappeler une fois encore !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Nous avons également demandé au réseau consulaire de réaliser un effort.

La France doit être redressée ! Ce but appelle la mobilisation de toutes et de tous !

Deuxième élément, la restauration de la compétitivité de l’économie, afin de renouer avec la croissance et l’emploi de manière durable.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et le pacte de responsabilité et de solidarité redonnent des marges aux entreprises pour investir, consolider leurs hauts de bilan – les budgets de nos entreprises présentent une faiblesse intrinsèque –, embaucher et exporter, grâce à une baisse des prélèvements de 40 milliards d'euros à l’horizon 2017.

Troisième élément, la réforme de notre économie.

C’est ce que nous mettons en œuvre depuis deux ans, notamment à travers la simplification des procédures de paie ou l’allégement des dossiers de candidatures aux marchés publics, nos TPE et nos PME ayant aussi vocation à répondre à ces appels d’offre. Nous avons signé un décret en ce sens, voilà quinze jours, avec Emmanuel Macron.

Comme l’a annoncé M. le Président de la République, nous réalisons également des efforts en matière d’accès des TPE et PME à la trésorerie. Ainsi, la Banque publique d’investissement se portera garante auprès du réseau bancaire pour permettre à nos petites entreprises d’obtenir la trésorerie susceptible de leur offrir un effet de levier.

La question des délais de paiement a aussi été abordée. Dans la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, nous avons voté un dispositif permettant de réduire ces délais de paiement, qui pèsent lourdement sur la trésorerie de nos TPE et de nos PME. M. le Président de la République l’a également précisé, un contrôle accru sera mis en place et les grands donneurs d’ordre seront incités à proposer à nos entreprises des délais de paiement plus corrects.

Il faut aussi rappeler la politique de soutien au pouvoir d’achat, avec la diminution de l’imposition sur le revenu. La suppression de la première tranche du barème vient d’être votée à l’Assemblée nationale. C’est une mesure de soutien des classes modestes et moyennes, qui pourront consommer des biens de première nécessité.

En 2012, le déficit budgétaire était énorme, la dette avait explosé puisqu’elle avait doublé en dix ans, et le déficit du commerce extérieur pénalisait fortement la compétitivité de la France.

Le soutien aux entreprises s’accompagne donc d’un soutien à l’ensemble des salariés dont les ressources sont moyennes ou modestes.

Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est dans un premier temps un « ballon d’oxygène » qui permet à des centaines de milliers d’entreprises de diminuer directement le coût du travail.

Deux rapports ont été remis récemment pour dresser un bilan d’étape du CICE, cela a été rappelé : le premier par le comité de suivi du CICE présidé par Jean Pisani-Ferry et le second par le parlementaire Yves Blein. À travers ces deux rapports, tous les acteurs économiques, politiques et sociaux ont été consultés. Ces deux rapports dressent un bilan positif du CICE.

Il est nécessaire de poursuivre, d’approfondir et d’améliorer le travail d’évaluation qui est mené sur le CICE, mais il est avant tout indispensable de créer des conditions stables pour nos entreprises. La stabilité est l’une des composantes de la confiance, et nous devons savoir redonner confiance à nos entreprises comme nous devons savoir redonner confiance à notre pays.

Ces deux rapports démontrent que l’utilisation du CICE par les entreprises est en ligne avec les objectifs du dispositif, à savoir soutenir l’investissement et l’emploi.

Nous avons donc un premier bilan particulièrement encourageant pour un dispositif dont il faut souligner la nouveauté. Rappelons que les entreprises de moins de 50 salariés constituent 39 % de la créance totale du CICE, c’est-à-dire légèrement plus que celle des entreprises de plus de 500 salariés. Notre cœur de cible, ce sont bien les entreprises de moins de 50 salariés, qui bénéficient du CICE car la structuration de leur masse salariale correspond bien à des salaires inférieurs à 2, 5 fois le SMIC.

Nous devons également convenir que le commerce et l’industrie manufacturière sont les deux secteurs les plus concernés par ce crédit d’impôt.

Le dispositif vient de se mettre en place et doit monter en puissance. Dès 2015, au titre de 2014, le taux sera porté à 6 % de la masse salariale. Dès 2014, nous aurons un préfinancement plus fort puisque les entreprises ont commencé à toucher le CICE en mai ou en juin dernier. Elles ont ainsi pu constater qu’il s’agit d’un dispositif réel, opportun. Elles pourront encore amplifier le mouvement de préfinancement au niveau de la Banque publique d’investissement. Nicolas Dufourcq, que j’ai rencontré récemment, m’a indiqué que des préfinancements de plusieurs milliers d’euros – jusqu’à 7 000 euros pour certaines entreprises – pouvaient être réalisés par la BPI en région. C’est cela être adapté et adaptable aux besoins de nos entreprises !

Il a également été question d’aider toutes les entreprises, y compris les entreprises indépendantes. Je tiens à rappeler que, dans le pacte de responsabilité et de solidarité, dans les dispositifs votés dans le projet de loi de finances rectificative au mois de juillet 2014, une disposition concerne les indépendants. Nous avons décidé un allégement de charges pour les cotisations famille de 60 % à partir du 1er janvier 2015. Des mesures sont donc destinées aux artisans et indépendants. De nombreuses chambres de métiers et de l’artisanat se sont félicitées de ce dispositif de baisse des charges qui va toucher le secteur de l’artisanat et des indépendants, important pour la vitalité de nos territoires.

Je suis très étonnée d’entendre dire que le système est très complexe. Vous n’êtes certainement pas allés sur le site internet consulter les modalités…

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Je vais également très souvent sur le terrain, monsieur le sénateur, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Je n’en doute pas, madame la secrétaire d’État !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

… au moins un jour par semaine !

Sur le site, vous pourriez constater que les modalités de déclaration sont très simples pour le CICE. J’ai visité, la semaine dernière, la chambre de commerce et d’industrie de Montpellier. Lors d’une réunion publique, des représentants de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, la CGPME, sont intervenus pour faire part de leur contentement sur ce dispositif à la fois opérationnel et simple. Lors d’un déplacement à Reims, j’ai également pu discuter avec des chefs d’entreprise qui, s’ils avaient effectivement eu écho d’une certaine complexité, avaient pu constater, en remplissant les documents nécessaires, la réactivité, la lisibilité et l’effectivité du dispositif.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Outre le CICE, le pacte de responsabilité et de solidarité, les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics peuvent également bénéficier de dispositifs particuliers, parce que nous savons que les entreprises, dans ces secteurs, souffrent particulièrement.

Pour le secteur du bâtiment, la réhabilitation de l’ancien est une opération primordiale. Le prêt à taux zéro a ainsi été étendu à la réhabilitation du logement ancien et n’est plus limité au logement neuf. Le crédit d’impôt a par ailleurs augmenté significativement, jusqu’à 30 %, pour tous les travaux de rénovation énergétique.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

L’ensemble des entreprises du secteur du bâtiment sont donc concernées, les très petites entreprises comme les grands groupes du bâtiment pour la production de logement social.

Concernant les travaux publics, les dotations prévues en matière d’infrastructures dans les contrats de projets État-région ont été revalorisées. Là aussi, nous sommes conscients de la nécessité de soutenir l’investissement. Comme vous le savez, à l’échelle européenne, Michel Sapin et Emmanuel Macron sont en train de négocier un investissement fort en particulier sur les nouvelles technologies et les infrastructures.

Nous avons besoin d’un message rassurant pour les entreprises ; nous avons besoin de stabilité pour pouvoir recréer de la confiance, de la volonté d’investir à moyen et à long terme.

Alors, je m’étonne que l’on nous dise que ce dispositif de soutien aux entreprises ne convient pas. Je m’étonne d’entendre dire qu’il existe des difficultés d’application et qu’il aurait fallu mettre en place d’autres solutions. J’aurais voulu que l’on puisse me rappeler quelles ont été les actions de soutien aux entreprises mises en place durant le précédent quinquennat…

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Il me semble qu’elles n’ont pas été si nombreuses…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Si on conduit la même politique, on se demande ce qu’on fait là !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

La désindustrialisation de la France ne date pas de deux ans. La dégringolade remonte à plus de dix ans.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Étant précisé, monsieur le sénateur, que le phénomène s’est amplifié depuis le début des années 2000 !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Non, c’est 60 000 emplois par an depuis 1980 !

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Nous allons donc continuer à travailler sur le sujet dans les mois à venir. Nous engagerons une communication plus forte sur le CICE, comme cela a été suggéré dans les rapports, ainsi que sur son impact dans tous les territoires. Son montant a parfois permis de soutenir la trésorerie dans les petites entreprises, dans un contexte de crise économique. De nombreux investissements ont également été engagés à ce titre, mais aussi des politiques salariales plus favorables.

Concernant les faux procès sur les contrôles fiscaux et la comparaison avec le crédit d’impôt recherche, ou CIR, je voudrais rappeler que le crédit d’impôt recherche est fondé sur une déclaration fiscale, contrairement au CICE, qui est basé sur la masse salariale. §

Lorsque des contrôles sont effectués sur l’utilisation du CIR, il est procédé à un examen de la déclaration fiscale, mais c’est lié à la base du CIR.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

Il n’y a aucun contrôle fiscal lié au CICE. Il faut être rassurant pour les entreprises.

Limiter le dispositif à certains secteurs comme les entreprises exportatrices ne me paraît pas constituer une bonne idée. Nous devons disposer d’une vision complète des entreprises capables d’exporter, qui ne se limitent pas à l’industrie. Nous devons également être conscients qu’il existe de nombreux sous-traitants d’entreprises exportatrices, qui doivent aussi pouvoir bénéficier du CICE.

Il faut que notre système soit souple, corresponde aux besoins des entreprises et permette de soutenir l’emploi, comme c’est le cas pour le CICE. Le système doit en outre être lisible pour les entreprises mais aussi visible pour nos concitoyens. À cet égard, nous devons développer des outils de communication.

Le CICE est un levier qui met la compétitivité au service de tous. Toutes ces mesures sont engagées pour redresser notre pays. Nous souhaitons que nos entreprises se développent, investissent, innovent et embauchent. Avec ces mesures, nous refusons la fatalité ! Nous sommes volontaristes, pragmatiques

M. Jean-François Husson s’exclame.

Debut de section - Permalien
Carole Delga, secrétaire d'État

« La fatalité triomphe dès lors que l’on croit en elle ! », écrivait Simone de Beauvoir. Je vous demande, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, de croire en la France et de ne surtout pas croire en la fatalité !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du c du 2 de l’article 39 duodecies, du j du 6 de l’article 145 et du a sexties–0 ter du I de l’article 219 du code général des impôts combinées à celles de l’article 238–0 A du même code (Législation fiscale et État ou territoire non coopératif) (2014–437 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires sociales et du groupe écologiste, le débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante (rapport d’information n° 668 [2013–2014]).

La parole est à Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des collègues membres du comité de suivi « amiante », ainsi qu’Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, d’avoir mis en place cette structure qui témoigne de la préoccupation constante du Sénat, depuis 2005, sur la question de l’amiante.

Je voudrais également remercier Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, d’avoir bien voulu associer notre commission à la demande du groupe écologiste pour organiser aujourd’hui ce débat en séance plénière.

En 2005, la mission commune d’information du Sénat présentait son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

Après avoir analysé les raisons de ce drame, la mission, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et rapportée par Gérard Dériot, Jean Pierre Godefroy étant rapporteur adjoint, présentait pas moins de vingt-huit propositions pour mieux indemniser les victimes et tirer des leçons pour l’avenir.

En février 2013, la commission des affaires sociales a souhaité créer en son sein un comité de suivi « amiante » afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Le comité, que j’ai l’honneur de présider, a alors identifié deux sujets essentiels : l’indemnisation des victimes et les enjeux du désamiantage.

Le comité de suivi a tout d’abord mené un cycle d’auditions sur l’indemnisation des victimes, d’avril à novembre 2013. Ensuite, de janvier à mai 2014, il a poursuivi sa réflexion sur les enjeux du désamiantage, à travers des auditions, des tables rondes et un déplacement sur le campus de Jussieu de l’université Pierre et Marie Curie. Sur cette seconde problématique, nous aurons au total rencontré trente-six organismes.

L’objectif de notre comité est simple : les pouvoirs publics doivent tirer les leçons du drame de l’amiante et relever le défi du désamiantage dans les décennies à venir.

Vous connaissez comme moi l’ampleur de ce drame. Selon la direction générale de la santé, la DGS, qui s’appuie sur les récents travaux de l’Institut national de veille sanitaire, l’INVS, le nombre de décès par mésothéliome oscillera entre 18 000 et 25 000 d’ici à 2050, tandis que le nombre de décès causés par un cancer broncho-pulmonaire en lien avec une exposition à l’amiante devrait être compris entre 50 000 et 75 000 sur la même période.

Il faut donc tout faire pour qu’à ce premier drame ne s’ajoute pas un second, lié aux conditions du désamiantage.

L’amiante n’est en effet pas un sujet réglé une fois pour toutes. Déclaré cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, en 1977, il n’a été interdit en France qu’en 1997. Il restera malheureusement d’actualité pendant encore plusieurs décennies, compte tenu du grand nombre d’établissements et autres objets contenant encore de l’amiante.

Comme l’indique le Guide des déchets de chantier du bâtiment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, il restait en France, en 1998, environ 200 000 tonnes d’amiante non lié – flocage et calorifugeage – et 24 millions de tonnes d’amiante-ciment.

Je crois pouvoir affirmer que le comité de suivi a évité deux écueils. D’une part, nous avons veillé à ne jamais empiéter sur les compétences du juge judiciaire, au nom de la séparation des pouvoirs. D’autre part, nous formulons des propositions très opérationnelles, pragmatiques, sans vouloir susciter un sentiment de panique parmi nos concitoyens, mais avec le souci de faire bouger les lignes et de nous appuyer sur de nombreuses ressources et volontés, certes existantes, mais très dispersées.

Sur les vingt-huit propositions présentées en 2005, la majorité a été mise en œuvre – dix-sept, pour être précise. Elles concernaient principalement les mesures à prendre pour la protection des travailleurs.

Cependant, sept propositions relatives à l’indemnisation des victimes et à son financement sont restées lettre morte à ce jour. Faute de moyens, sans doute, mais aussi parce que l’idée de faire payer les entreprises ayant produit des matériaux amiantés ne fait pas consensus. Les différents rapports de nos collègues ont déjà abordé plusieurs fois ces questions.

Par ailleurs, une proposition concernant la qualification des diagnostiqueurs doit encore connaître une véritable mise en œuvre et trois propositions, relatives à la constitution de bases de données, sont toujours en cours de réalisation neuf ans plus tard.

En ce qui concerne le désamiantage, force est de constater que le cadre réglementaire en matière de protection contre le risque amiante, qui comprend essentiellement un volet « santé publique » et un volet « protection des travailleurs », est globalement satisfaisant.

Sans entrer dans le détail d’un sujet extrêmement technique, deux décrets méritent d’être signalés.

Le décret du 3 juin 2011 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis n’a pas bouleversé le volet « santé publique », mais l’a clarifié et consolidé. Ainsi, selon la nature du bâtiment et l’existence ou non d’une vente, le propriétaire doit faire réaliser des repérages et diagnostics. Trois listes sont définies selon la nature des matériaux, en fonction desquelles on établit ce qu’il reste à faire.

Seuls des laboratoires accrédités sont autorisés à effectuer les prélèvements et les analyses. Les préconisations du diagnostiqueur varient selon la nature de la liste – A, B ou C – et l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante, allant de la simple évaluation périodique à la réalisation de travaux de retrait ou de confinement, en passant par de nouvelles mesures.

Enfin, le seuil de déclenchement des travaux, fixé à cinq fibres par litre d’air, n’a pas été modifié.

En revanche, le décret du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a modifié en profondeur le volet « code du travail », suite à la révolution qu’ont entraînée les résultats de la « campagne Meta » menée par l’Institut national de recherche et de sécurité, l’INRS, en 2009.

Retenons, à ce stade, deux grands changements : d’une part, le contrôle de l’empoussièrement en milieu professionnel selon la méthode Meta, plus performante que l’ancienne méthode, qui devient obligatoire ; d’autre part, la valeur limite d’exposition professionnelle, qui passera de cent fibres à dix fibres par litre d’air au 1er juillet 2015.

En définitive, le volet « code du travail » semble être, par la conjugaison de ses deux mesures emblématiques, l’un des plus ambitieux et protecteur en Europe, comme en témoignent la majorité de nos interlocuteurs, ainsi que l’étude comparative que nous avons sollicitée auprès de la division de législation comparée du Sénat.

Mais ce satisfecit accordé à la réglementation actuelle ne saurait occulter quatre critiques de fond faites par notre comité : premièrement, un défaut de pilotage des politiques publiques au niveau national ; deuxièmement, la mauvaise qualité du repérage fragilisant la portée du dossier technique « amiante » ; troisièmement, le manque de contrôle des services de l’État pour assurer la protection des travailleurs ; quatrièmement, enfin, l’existence de règles très complexes, instables et parfois insuffisamment mises en œuvre en matière de protection de la population.

Ce sont ces constats qui nous ont amenés à présenter, dans un consensus total, une trentaine de propositions, rassemblées autour de quatre axes.

Le premier de ces axes – je laisserai mes collègues présenter les trois autres – vise à faire de la prévention du risque amiante une grande cause nationale.

Nous demandons tout d’abord au Gouvernement de mettre en place une mission interministérielle temporaire qui aurait un triple objet : élaborer une méthodologie pour estimer le coût global du désamiantage par secteur et ainsi permettre que soient fixées des priorités, étalées dans le temps, selon la dangerosité des situations ; identifier les faiblesses de la réglementation ; enfin, et surtout, évaluer l’organisation et l’implication des services administratifs.

Au cours des auditions, nous avons en effet constaté l’absence d’évaluation consolidée du coût du désamiantage depuis 1997, ainsi que l’absence d’évaluation globale pour les années à venir. Tous les bâtiments construits avant le 1er juillet 1997 sont potentiellement concernés, qu’ils soient publics ou privés, sans compter les navires, les canalisations, certains équipements industriels et des enrobés routiers, etc.

Les évaluations partielles sur le coût du désamiantage démontrent pourtant l’ampleur de la tâche qui s’annonce : l’Union sociale pour l’habitat a ainsi évalué, après un travail minutieux que nous reproduisons dans notre rapport, à environ 2, 3 milliards d’euros hors taxes le surcoût annuel lié à la présence d’amiante dans les logements sociaux collectifs. On mesure l’ampleur de la tâche !

Or l’évaluation du coût global implique une certaine coordination entre les services ministériels pour cartographier ce risque, ce qui est loin d’être le cas. Je ne donnerai qu’un exemple : lors de son audition, le représentant du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a indiqué qu’il n’avait pas eu connaissance des résultats d’une initiative du ministère de l’intérieur ayant permis de recueillir les diagnostics techniques amiante des établissements scolaires gérés par les collectivités territoriales.

Après cette audition, nous savons que le ministère a saisi officiellement le directeur général des collectivités locales afin d’engager un travail commun de cartographie du risque amiante dans les écoles, collèges et lycées, ce qui prouverait – et c’est encourageant – que la simple existence de notre comité de suivi a déjà permis de rouvrir certains dossiers.

Une coordination et une impulsion gouvernementale, interministérielle, sont absolument indispensables et urgentes, madame la secrétaire d’État. Elles n’existent pas aujourd’hui, ou vraiment très peu ; nous l’avons tous constaté lors des auditions. Je crois qu’il s’agit de l’un des messages essentiels de nos conclusions.

Nous proposons donc surtout la création d’une structure de coordination interministérielle rattachée au Premier ministre, un peu sur le modèle du Comité interministériel de la sécurité routière, qui traiterait de l’amiante et pourrait, par la suite, voir ses missions élargies à d’autres produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.

Une telle structure comporterait différents collèges, regroupant les directions centrales – sur le modèle du groupe de travail national amiante et fibres, le GTNAF, qui existe déjà –, les partenaires sociaux, les experts médicaux, mais aussi les associations de prévention et de défense des victimes.

En effet, le GTNAF, malgré l’implication de certains de ses membres et de son président, ne peut répondre seul aux défis de l’amiante et à la dimension, par nature interministérielle, du sujet.

Lors de son premier mandat, entre 2008 et 2012, ce groupe de travail, qui a failli ne pas être renouvelé, a surtout assuré une coordination technique entre services administratifs, sans pouvoir décisionnel ni effectifs dignes de ce nom. Vous l’aurez compris, nous insistons sur la nécessité de mettre rapidement en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage – l’ampleur du travail à faire requiert une action sur la durée –, fondée sur des critères objectifs, transparents, actualisés et publics, en dialogue permanent avec les professionnels, les partenaires sociaux, les médecins, les experts et diverses associations.

Cette stratégie devrait disposer de financements pérennes pour affronter ce qu’un interlocuteur a appelé un « Everest financier ». L’idée est d’étaler notre action dans le temps, de prioriser les tâches et d’engager les travaux les plus urgents en fonction de la dangerosité.

Plusieurs pistes ont été proposées : mobiliser le grand emprunt, des fonds structurels européens, ou encore faire contribuer les entreprises qui ont produit les matériaux amiantés, au nom du principe pollueur-payeur.

Nous souhaitons également la création d’une véritable filière de désamiantage à l’échelle nationale. Cette filière regrouperait notamment les diagnostiqueurs, les entreprises de désamiantage, les déchetteries, mais aussi les fabricants d’équipements de protection ou de détection. Il est clair que des acteurs de taille suffisante seront beaucoup plus aptes à répondre aux exigences réglementaires.

Notre déplacement sur le campus de Jussieu nous a par ailleurs convaincus de la nécessité d’instituer une mission d’appui pour les maîtres d’ouvrage publics confrontés à des chantiers de désamiantage. Cette mission pourrait être composée de personnes ayant acquis une expérience approfondie dans les chantiers de désamiantage. Cette expérience, acquise « sur le tas », existe ; il est dommage qu’elle ne soit pas utilisée.

Trop souvent, c’est ce qui nous a été dit, les donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage publics se retrouvent bien seuls pour gérer le problème de l’amiante. À titre d’illustration, les directeurs d’hôpitaux ou d’établissements médico-sociaux ne peuvent pas s’appuyer sur la direction générale de l’offre des soins, ou DGOS, qui est pourtant leur tutelle. Si la DGOS finance intégralement les chantiers de désamiantage d’envergure et complexes dans des cas exceptionnels, comme dans les CHU de Caen ou Clermont-Ferrand, son assistance technique demeure limitée. C’est pourquoi l’équipe de huit personnes chargée des chantiers de désamiantage du CHU de Caen est de facto devenue un interlocuteur privilégié pour de nombreux directeurs d’hôpitaux en France. Il y a là quelque chose à organiser et à valoriser.

Faute de temps, j’indiquerai seulement qu’une gestion immobilière plus rationnelle pourrait également être adoptée. J’en veux pour preuve le chantier sur le campus de Jussieu, qui, comme vous le savez, a duré très longtemps. Le président de l’université nous a indiqué que la location de locaux extérieurs, visant à assurer la continuité des activités de recherche des enseignants et des étudiants pendant les travaux de désamiantage, avait coûté 580 millions d’euros. Rétrospectivement, il eût été plus rationnel pour l’État d’acheter des locaux puis de les revendre à l’issue de ces opérations, plutôt que de louer des locaux en pure perte.

Par ailleurs, le comité de suivi plaide pour un fléchage des crédits vers la recherche et le développement, qui pourrait concerner plusieurs sujets.

Je pense, d’abord, à la détection de l’amiante. Cela permettrait, par exemple, d’évaluer l’efficacité du pistolet PhazIR, qui constitue une aide à la décision intéressante, mais que, nous l’avons constaté, beaucoup de nos interlocuteurs ne connaissent pas.

Je pense également à la création de nouvelles techniques de désamiantage, comme la robotisation, ou encore à la réalisation d’études spécialisées relatives à la mesure des fibres d’amiante pour certaines professions particulièrement exposées – plusieurs médecins nous ont alertés sur ce point –, les électriciens, les peintres, les maçons ou bien les diagnostiqueurs. Ce dernier point est capital, car une étude de l’INRS, publiée en octobre 2013, a montré que 40 % des plombiers-chauffagistes exposés pensaient ne jamais avoir été en contact avec des fibres d’amiante.

Le comité de suivi souhaite également la création d’une plateforme internet unique déclinant les informations à l’usage des particuliers, des parents d’élèves, des collectivités publiques maîtres d’ouvrage, des donneurs d’ordre, des entreprises, etc. Régulièrement mise à jour, elle renverrait ensuite vers les sites appropriés existants.

La communication sur le risque amiante, et surtout sur la façon de procéder quand on veut s’en débarrasser, constitue aujourd’hui un point faible évident. L’information est éclatée entre plusieurs sites peu pédagogiques, peu connus et inadaptés ; beaucoup d’acteurs nous ont confié être démunis.

Nous estimons que le travail de synthèse et de diffusion de l’information appartient à la direction générale de la santé, en lien avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES.

Nous proposons en outre l’organisation d’assises nationales de l’amiante, placées sous l’égide du Premier ministre, avant 2016, année au cours de laquelle la lutte contre les risques liés à l’amiante devrait, selon nous, être déclarée grande cause nationale, vingt ans après la publication du décret interdisant l’amiante en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Je conclus, madame la présidente.

Enfin, nous insistons sur la nécessaire stabilisation du cadre normatif sur l’amiante, afin de laisser le temps aux différents acteurs de s’approprier les règles en vigueur.

Mes chers collègues, je laisse désormais la parole à Catherine Deroche et Dominique Watrin, qui vont vous présenter la suite des propositions du comité. Je ne doute pas, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement répondra aux défis relevés par notre comité de suivi. Nous le répétons : il y a urgence ; nous faisons donc appel à votre esprit de responsabilité. §

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

La parole est à Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe de travail, ainsi que l’a indiqué sa présidente, a identifié – c’est là le deuxième axe de son rapport – l’amélioration de la qualité du repérage amiante comme l’un des enjeux essentiels des années à venir. C’est à nos yeux le maillon faible sur les chantiers de désamiantage. Il importe également de faire du dossier technique amiante, ou DTA, un document de référence.

Selon des informations communiquées au comité de suivi, seuls 25 % à 30 % des DTA étaient réalisés en 2009–2010. Ce dossier, obligatoire uniquement pour les parties communes d’immeubles collectifs et les immeubles à usage commercial ou professionnel, constitue pourtant une véritable « carte d’identité amiante », comprenant les repérages, l’historique des travaux et des mesures d’empoussièrement, une fiche récapitulative et des recommandations générales. Quant aux DTA existants, ils sont rarement actualisés et, surtout, ils sont peu demandés par les entreprises intervenantes. Qui peut se satisfaire d’une telle situation ?

C’est pourquoi nous souhaitons, avant toute chose, que l’État joue pleinement son rôle pour contrôler la réalisation des DTA.

En particulier, les corps de contrôle relevant de la compétence de la direction générale de la santé, ou DGS, doivent être plus présents sur le terrain, contrôler la réalisation des DTA et, si besoin, sanctionner les propriétaires récalcitrants. Lors de l’audition des représentants de la DGS, nous avons ainsi appris que seuls seize emplois équivalents temps plein étaient mobilisés au niveau national dans les agences régionales de santé, ou ARS, pour contrôler la réglementation relative à l’amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux. Surtout, le contrôle par les services de l’État des obligations relatives au DTA dans les autres bâtiments semble quasiment inexistant.

Le Gouvernement doit aussi rapidement élaborer une circulaire pour rappeler aux préfets leurs prérogatives en matière de protection de la population contre le risque amiante en cas de carence du propriétaire, la dernière circulaire remontant au 14 juin 2006.

L’État doit se montrer exemplaire, par la création d’une base de données internet, régulièrement mise à jour, comprenant tous les DTA de ses établissements publics. Cette base de données pourrait s’inspirer du site www.cadastre.gouv.fr, et être étendue par la suite aux établissements publics relevant de la compétence des collectivités territoriales. Nous reprenons ainsi une proposition formulée dès 1998 par le professeur Claude Got et défendue par le Sénat en 2005.

Nous proposons qu’à terme le DTA devienne un document unique et obligatoire, quelle que soit la nature du bâtiment, afin de mieux protéger la santé des salariés et des artisans qui y interviennent.

Nous souhaitons également que le repérage de l’amiante pour les locations, rendu obligatoire par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », soit ambitieux et vise les listes A et B, comme c’est le cas aujourd’hui pour les appartements ou les maisons en cas de vente.

Enfin, la DGS doit rapidement mettre en place un système informatique de recueil des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs amiante et exploiter les données ainsi obtenues.

Venons-en justement à la mauvaise qualité des repérages et des diagnostics amiante, qui est relevée et dénoncée par quasiment toutes les personnes que nous avons auditionnées.

Insuffisamment formés, peu contrôlés par les organismes certificateurs, victimes, parfois, de pressions économiques dans l’exercice de leurs missions, les diagnostiqueurs sont aujourd’hui sous le feu de la critique.

Les enjeux sont majeurs : un repérage insatisfaisant entraîne des risques d’exposition à l’amiante pour les travailleurs et la population, une dévalorisation parfois dramatique des biens immobiliers, ainsi qu’un allongement de la durée du chantier accompagné de surcoûts souvent considérables.

Le comité de suivi invite par conséquent le Gouvernement à refondre totalement et rapidement l’arrêté « compétences amiante » du 21 novembre 2006, en prenant comme base de travail le projet d’arrêté modificatif d’octobre 2011, qui n’a jamais abouti.

Ce projet, qui visait à faire monter en gamme les compétences des diagnostiqueurs amiante, reposait sur deux axes : une certification avec mention, d’abord, pour réaliser des diagnostics dans les grandes copropriétés qui regroupent plus de cinquante lots, les immeubles de grande hauteur, les principaux établissements recevant du public et les diagnostics avant démolition ; une certification moins exigeante, ensuite, pour réaliser les repérages avant-vente et les immeubles de taille moindre.

En outre, la détention d’un diplôme de niveau égal à bac+2 dans le domaine du bâtiment et une expérience de cinq ans devenaient obligatoires ; à défaut de diplôme, le candidat devait présenter une expérience de dix ans. Par ailleurs, une formation de trois jours était imposée pour les diagnostiqueurs qui souhaitaient devenir certifiés sans mention.

Le comité de suivi souhaite cependant aller plus loin que ce projet d’arrêté modificatif : en obligeant les organismes certificateurs à procéder à plusieurs contrôles sur place inopinés pendant la période de surveillance des diagnostiqueurs ; en instaurant des stages de formation continue rigoureux, qui exploiteraient une base de données informatique regroupant des retours d’expérience significatifs de diagnostiqueurs ; en rendant obligatoire, par voie réglementaire, l’application de la norme de repérage amiante publiée en 2008 pour tous les types de repérage, afin d’uniformiser l’activité des diagnostiqueurs.

Par ailleurs, le comité de suivi souhaite mettre un terme au flou juridique actuel en inscrivant dans le code du travail le repérage obligatoire avant travaux, quelle que soit la nature de l’objet concerné – navires, enrobés de route, canalisations, par exemple –, comme le prévoit d’ailleurs la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail, toujours en attente d’examen à l’Assemblée nationale.

Nous espérons donc que ces mesures pourront être prises rapidement, afin de renforcer les connaissances sur la présence réelle d’amiante dans les immeubles. C’est peut-être contraignant, mais il s’agit d’un vrai sujet de santé publique. §

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

La parole est à M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les troisième et quatrième axes de nos propositions, qui tendent à mieux protéger les travailleurs et la population face au risque amiante.

Mieux protéger les travailleurs passe d’abord par une formation spécifique obligatoire à ce risque pour tous les maîtres d’œuvre au sens large, formation pouvant s’inspirer en partie des règles prévues par l’arrêté du 23 février 2012 pour les salariés des entreprises de désamiantage.

Nous souhaitons également une véritable sensibilisation des organisations professionnelles des métiers particulièrement exposés au risque amiante. L’enjeu est considérable, puisque près d’un million de travailleurs dans le secteur du bâtiment seraient concernés par ce risque.

Parallèlement, nous espérons que la négociation actuelle des partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel aboutira à un renforcement du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en matière de prévention du risque amiante.

Mais il faut surtout renforcer l’action de l’inspection du travail, qui est en première ligne pour défendre les droits des salariés exposés à l’amiante.

L’augmentation du nombre d’agents de contrôle de l’inspection du travail est la condition sine qua non pour protéger les salariés. Qui peut croire un seul instant que les 743 inspecteurs et 1 493 contrôleurs en section d’inspection peuvent assurer sereinement leurs missions ? Un agent de contrôle peut-il vraiment suivre en moyenne 8 130 salariés ?

La création d’une cellule nationale d’appui « amiante » à la direction générale du travail, la DGT, et de cellules régionales dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, permettra de mieux accompagner les agents et d’élaborer une doctrine cohérente, sans remettre en cause, bien évidemment, leur liberté pour ce qui concerne les suites qu’ils comptent réserver à leurs contrôles.

Dans ce cadre, les efforts récents pour clarifier la distinction entre les travaux relevant de la sous-section 3, qui désigne les travaux de retrait, le confinement et la démolition, et ceux qui relèvent de la sous-section 4, regroupant les travaux limités dans le temps et l’espace, doivent être poursuivis.

Il convient également d’encourager la coopération systématique avec d’autres services, comme les agents de prévention de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAM, dans le respect des compétences de chaque corps. Il serait d’ailleurs très utile de lancer une grande campagne de contrôle sur les chantiers de désamiantage au niveau national pilotée entre la direction générale du travail, l’INRS et le réseau prévention, à l’image de celle qui avait été menée au début des années 2000. Mais l’inspection du travail ne peut pas et ne doit pas être seule face au risque amiante ; chaque ministère doit jouer son rôle en amont ou en appui pour protéger nos concitoyens.

Le comité de suivi est également favorable à un élargissement de l’arrêt de chantier amiante à tous les secteurs d’activité et à tous les risques liés à l’amiante.

Enfin, le comité plaide pour que la direction générale du travail accentue ses efforts à l’égard des laboratoires de prélèvement et d’analyse, qui sont l’objet de nombreuses critiques. Des réunions de travail ont été organisées sous l’égide du ministère du travail depuis le début de l’année, mais elles doivent déboucher sur un véritable plan d’action.

J’en viens maintenant au dernier axe de nos propositions visant à mieux protéger la santé de la population.

Le comité a proposé d’abaisser le seuil déclenchant des travaux de désamiantage à 0, 47 fibre d’amiante par litre d’air, mais nous constatons que le Haut Conseil de la santé publique, dans un rapport rendu public le 14 août dernier, propose un seuil à deux fibres par litre à compter de 2020. Cet abaissement du seuil est subordonné à la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations très ambitieuses du Haut Conseil, lesquelles rejoignent pour la plupart celles qui ont été formulées par notre comité de suivi.

L’amiante présente un risque important pour les particuliers qui y sont confrontés dans leur environnement, notamment lors d’activités de bricolage. Or il existe un fossé entre les mesures de prévention prévues par les textes et la réalité du terrain. Il convient donc de mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l’amiante et de réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d’organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables.

Un autre enjeu important est le suivi post-professionnel des personnes exposées au cours de leur activité à des produits cancérigènes comme l’amiante.

Le mécanisme actuel demeure, hélas ! bien trop complexe, car il impose une démarche volontaire des personnes exposées. Dans son rapport de 2005, la mission commune d’information avait pourtant placé comme première recommandation l’amélioration de l’information des salariés susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante au cours de leur carrière. Notre comité de suivi ne peut que réitérer cette recommandation.

Certaines avancées ont eu lieu, il est vrai.

Ainsi, grâce notamment à la mobilisation de syndicats, comme le Syndicat national des personnels techniques des réseaux et infrastructures, ou SNPTRI-CGT, une circulaire a récemment prévu la mise en place d’un suivi post-professionnel des personnels des travaux publics. Par ailleurs, un décret du 12 décembre 2013 relatif au suivi post-professionnel des agents hospitaliers et sociaux de l’État fait obligation aux établissements employeurs d’informer ceux-ci de leur droit à un tel suivi lors de leur cessation d’activité. Mais le comité de suivi considère que cette obligation doit être étendue à l’ensemble des employeurs publics et reposer également sur les employeurs privés.

Le comité de suivi souhaite également interpeller le Gouvernement sur les graves difficultés que rencontrent les services de l’université Pierre et Marie Curie pour assurer le suivi post-professionnel des personnels ayant travaillé sur le site de Jussieu entre 1966 et 1996. Sur 6 790 personnes identifiées, 1 700 personnes n’ont pas pu être contactées, faute d’une adresse à jour. Le service des pensions de l’État, contacté par l’université, n’a pas donné suite à leur demande d’information. Madame la secrétaire d’État, pareil cloisonnement administratif est particulièrement regrettable. Il convient, nous semble-t-il, d’y remédier très rapidement, à travers la création d’une cellule d’aide aux employeurs publics qui recherchent les agents publics susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante.

Nous regrettons également que la réforme du statut des médecins du travail engagée en 2011 n’ait pas permis de faire le lien entre suivi professionnel et suivi post-professionnel. Nous recommandons que la promotion de l’accès à ce dernier soit un des axes du futur plan de santé au travail 2015–2019, qui est actuellement en cours d’élaboration.

Par ailleurs, il apparaît indispensable de renforcer le suivi épidémiologique dans les zones à affleurement naturel d’amiante et pour les populations exposées au traitement de l’amiante et au désamiantage. Il est essentiel de mener des études de santé publique sur tous les anciens sites industriels contaminés par l’amiante, comme le démontre l’exemple du Comptoir de minéraux et matières premières, jadis implanté à Aulnay-sous-Bois. Dans cette optique, nous appelons à un renforcement des effectifs de l’Institut national de veille sanitaire, et notamment de son département santé-travail.

Tel est le fruit des réflexions du comité de suivi de la mission d’information sur l’amiante. De notre point de vue, cette instance a pleinement joué son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, tout en formulant des propositions concrètes, que mes deux collègues et moi-même venons de rappeler. La tâche est grande et le chantier est immense ; nous en sommes pleinement conscients.

C’est pourquoi je vous invite, madame la secrétaire d’État, à répondre aux défis relevés par notre comité de suivi sur l’amiante. §

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’impact de l’amiante sur la santé des travailleurs est terrible : chaque année, 3 000 décès sont recensés par l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA. À titre de comparaison, cela représente 200 morts de moins que les accidentés de la route ! L’amiante est responsable de 9 % des maladies professionnelles et de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle en 2011.

La question de l’amiante est l’un des scandales sanitaires les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. N’oublions pas que la France a été l’un des plus importants importateurs d’amiante dans le monde.

Le Centre international de recherche sur le cancer a classé dès 1977 toutes les variétés d’amiante comme cancérigènes pour l’homme. Or cette fibre a seulement été interdite dans notre pays en 1997, alors que le Danemark l’interdisait dès 1986, l’Allemagne et la Suisse, dès 1990.

Je ne relancerai pas la polémique sur les décisions prises alors. Cependant, il n’en demeure pas moins que l’héritage est lourd. Nous devons donc nous mobiliser encore davantage.

Comme cela figure dans l’excellent rapport du comité de suivi, présidé par Mme Archimbaud, il faut « éviter qu’au drame de l’amiante né de son interdiction tardive en 1997 ne s’ajoute un nouveau drame lié aux conditions du désamiantage ».

C’est pourquoi le Parlement s’est saisi du sujet. L’amiante est la preuve même de l’importance de l’action parlementaire dans notre pays, et en particulier de l’action sénatoriale. C’est sur un sujet tel que celui-ci que le pouvoir de contrôle du Parlement prend tout son sens.

Pendant la campagne pour les élections sénatoriales, combien d’articles programmant la fin inévitable de la Haute Assemblée ou dénonçant son inaction et son inutilité avons-nous lus ! Or le travail mené par le Sénat au sujet de l’amiante est, à ce titre, remarquable.

Le 20 octobre 2005, une mission commune d’information du Sénat présentait, après plus de soixante-dix auditions, son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

Après avoir analysé les raisons du « drame de l’amiante en France », les auteurs ont avancé vingt-huit propositions pour répondre aux attentes des victimes et régler le problème de l’amiante.

Au mois de février 2013, la commission des affaires sociales a créé en son sein un comité de suivi de l’amiante, afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Son travail s’est achevé au mois de juin dernier avec la publication de son rapport.

Il en ressort que les propositions formulées en 2005 ont été majoritairement suivies : près de dix-sept sur vingt-huit, notamment pour la protection des travailleurs. Le comité a approfondi la réflexion sur deux sujets : d’une part, l’indemnisation des victimes, sachant que sept des propositions du rapport de 2005 sur le sujet n’ont pas été appliquées ; d’autre part, les enjeux du désamiantage.

Cependant, nous pouvons aujourd'hui affirmer sans crainte que la réglementation française est d’un bon niveau, au regard de la protection contre le risque de l’amiante. Elle s’articule sur deux volets : la protection de la population relevant du code de la santé publique et la protection des travailleurs inscrite dans le code du travail.

Cette protection en deux volets, rendue possible par les décrets du 3 juin 2011 et du 4 mai 2012, est relativement unique en Europe, parce que plus protectrice. En effet, les réglementations italienne, allemande, britannique et espagnole concernent principalement les travailleurs et l’environnement. Il n’existe pas dans ces pays une réglementation pour la population exposée, comme en France.

Enfin, je me félicite du rôle important que ma famille politique a joué dans ce travail. Notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’est très tôt investi sur ce sujet difficile. Et c’est naturellement qu’il a présidé la mission commune d’information formée en 2005, dont le travail fait référence encore aujourd’hui.

Par ailleurs, dans la suite de cette politique, nous ne pouvons que saluer la formation, au mois de février 2013, du comité de suivi, dont les conclusions sont lourdes d’enseignements. J’en profite pour féliciter une nouvelle fois Mme Archimbaud pour l’excellence du rapport, qui a le mérite d’exposer clairement le chemin parcouru, ainsi que les pistes à approfondir pour en finir avec le drame de l’amiante.

Je ne puis que le noter, si près des deux tiers des propositions de la mission commune d’information de 2005 ont été appliqués, des lacunes ou défaillances persistent encore. Onze mesures n’ont pas été mises en œuvre : sept sont relatives à l’indemnisation des victimes et son financement et quatre concernent la qualification des diagnostiqueurs et la constitution de bases de données.

Ainsi, deux axes prioritaires se dégagent : d’une part, la réparation en faveur des victimes ; d’autre part, la prévention et l’identification de l’amiante.

J’évoquerai d’abord l’indemnisation des victimes. La faiblesse des avancées est justifiée par le manque de moyens mis en œuvre. Pourtant, les solutions sont connues ; il ne reste plus qu’à les appliquer.

Le rapport de 2005 préconisait de revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Or son montant ne progresse pas. Il reste proche du SMIC.

M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Dans l’un de ses derniers rapports, la Cour des comptes estimait que les graves difficultés liées au contentieux de l’indemnisation des victimes de l’amiante rendent nécessaire une harmonisation. Or le Gouvernement demeure inactif. Selon une avocate qui s’exprimait dans le journal Les Échos, les contentieux liés à l’amiante « sont depuis longtemps un véritable laboratoire qui teste tous types de recours ».

Enfin, il s’agit de doter les fonds d’indemnisation d’un réel financement pérenne, d’un échéancier et d’un suivi régulier, dans une optique de bonne gestion des comptes publics.

Or, neuf ans après, les propositions n° 10 et 11 de la mission commune, destinées à permettre un financement pérenne du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ou FIVA, sont restées lettre morte. Il me semble pourtant nécessaire que la contribution de l’État dans la dotation du FIVA soit revalorisée de manière significative. Cet engagement doit se traduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le deuxième axe prioritaire que je souhaite évoquer dans ce débat est la question centrale de l’identification et de la prévention de l’amiante. Nous ne pourrons pas éradiquer les dangers de l’amiante tant que notre système de prévention et de repérage de cette fibre ne sera pas renforcé.

L’identification et la prévention de l’amiante doit s’effectuer en trois temps.

Tout d’abord, il est primordial de flécher des crédits vers la recherche et le développement en ce qui concerne la détection amiante – une cartographie exhaustive est primordiale, notamment dans les établissements sanitaires, éducatifs, administratifs et médico-sociaux –, les techniques de désamiantage, avec la mise en place d’une méthodologie d’aide à la décision et à l’acceptation des travaux, ainsi que les études sur les mesures des fibres d’amiante. C’est la proposition n° 7 du rapport du comité de suivi.

Ensuite, l’accent doit être mis sur la qualification des diagnostiqueurs et la pertinence des contrôles. Comme l’indique le comité de suivi, la qualité du repérage et du diagnostic amiante est le point faible de la réglementation actuelle.

Les diagnostiqueurs sont trop souvent pointés du doigt, car insuffisamment formés et contrôlés, mais également soumis à des normes peu exigeantes.

Or le diagnostic amiante est la pierre angulaire de la protection des populations face à l’amiante. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ce point.

Enfin, un contrôle plus rigoureux mené par les services de l’État compétents sur la réalisation des dossiers techniques amiante est nécessaire. Il s’agira, en parallèle, de sensibiliser les notaires et les entreprises pour obtenir et demander des DAT actualisés.

Nous pourrions même étudier l’opportunité d’inscrire dans le code du travail une obligation générale de repérage et de diagnostic de l’amiante avant travaux pour tous les donneurs d’ordre et les propriétaires.

La création d’une base de données internet permettrait in fine de rationaliser la collecte d’information et d’aboutir à une cartographie précise.

Ce dernier volet reprend les propositions n° 11, 14, 15 et 19 du comité de suivi.

Face à l’inflation des normes, je salue la volonté du comité de suivi de ne pas alourdir le cadre actuel. En effet, bien souvent, la complexité entraîne malheureusement le rejet ou le contournement des règles.

Si notre réglementation relative à l’amiante s’est considérablement renforcée en moins de vingt ans, c’est notamment grâce à l’action volontariste du Sénat, qui a su mobiliser des hommes et des femmes de toutes tendances politiques au service d’un même but.

Je suis fière d’avoir pu participer à ce débat qui, j’en suis sûre, permettra de faire émerger des solutions constructives et efficaces pour mieux indemniser les victimes de l’amiante et pour mieux appréhender le désamiantage. Je remercie la commission des affaires sociales et le groupe écologiste d’avoir demandé la tenue de ce débat.

Une grande cause mérite des financements exceptionnels. C’est pourquoi, en l’occurrence, ils doivent mobiliser une pluralité d’acteurs : les fonds structurels européens, l’ensemble des niveaux de l’État, les collectivités territoriales ainsi que les industriels ayant fabriqué des produits et des matériaux contenant de l’amiante.

Il est temps, mes chers collègues, de prendre conscience de nos intérêts communs à agir, chacun à notre échelle. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, l’amiante est un sujet qui préoccupe l’humanité depuis très longtemps.

Au Ier siècle, Pline l’Ancien mentionne les dangers de l’amiante chez les esclaves Romains. L’utilisation intensive de l’amiante par le tissage remonte à la guerre de Sécession, lors de la pénurie de coton. Des industries de textile se reconvertissent alors dans le tissage de l’amiante. C’est notamment le cas, dans ma région, à Condé-sur-Noireau, ville martyre de l’amiante puisqu’elle a reçu le triste nom de « vallée de la mort ». S’ensuit un usage intensif de ce produit en raison de ses qualités d’isolation.

En 1906, le ministère du travail est créé. Denis Auribault, jeune inspecteur du travail de trente-deux ans, rédige un rapport sur la surmortalité des ouvriers de l’usine de textile de Condé-sur-Noireau. Ce rapport, publié dans le bulletin de l’inspection du travail, est classé par l’administration et reste sans suite.

Il faudra attendre 1997 pour que l’amiante soit interdit en France, même si des dispositions concernant l’habitat avaient été prises en 1977.

En 2005, sous la présidence de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, Gérard Dériot et moi-même avons préconisé dans notre rapport des recommandations dont un bon nombre ont été mises en application. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Je rappelle également que, en 2006, nos collègues de l’Assemblée nationale Jean Le Garrec et Jean Lemière remettaient leur rapport intitulé « Ne plus perdre sa vie à la gagner ».

Le débat qui nous occupe aujourd’hui permet de revenir sur l’une des catastrophes sanitaires les plus dramatiques du XXe siècle. Les hypothèses officielles prévoient, d’ici à 2050, entre 68 000 et 100 000 décès en France dus à des mésothéliomes et à des cancers broncho-pulmonaires.

Encore ne s’agit-il là, mes chers collègues, que des affections directement liées à une profession exposant les travailleurs à l’amiante. Nos concitoyens ont en effet tendance à penser que cette catastrophe est derrière nous.

De plus, le sujet essentiel de ces dernières années a été l’indemnisation des victimes, avérées et potentielles. Il aura fallu de nombreux débats, assez durs, pour obtenir réparation. Néanmoins, comme le souligne le rapport de la commission des affaires sociales, si les préconisations de la mission sénatoriale de 2005 ont été majoritairement satisfaites, l’indemnisation demeure insuffisante et partielle.

Ainsi, la mise en œuvre de notre proposition n° 4 visant à « officialiser une voie d’accès au FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, sur une base individuelle, pour les salariés exposés à l’amiante dont l’entreprise ne figure pas sur une liste » grâce à « des comités de site permanents, rassemblant toutes les parties concernées, afin de déterminer les droits de chacun », bien qu’elle soit évoquée chaque année lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, est toujours retardée au profit d’évaluations et d’expertises répétées, dont on se demande si elles ne sont pas dilatoires.

Aucune base de données recensant les salariés des entreprises de désamiantage ainsi que les bâtiments amiantés et les travaux de désamiantage en cours n’a été mise en place.

Une autre proposition était d’ouvrir aux fonctionnaires l’accès au FIVA, réservé à certaines catégories de personnel. Je rappelle que l’extension de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante aux agents publics ayant développé une maladie professionnelle reconnue en lien avec l’amiante n’est acquise que depuis le 28 février dernier.

Notre proposition n° 7 pour le versement par le FIVA des sommes dues au titre de la faute inexcusable de l’employeur, sur le modèle du mécanisme existant dans la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, a été reprise par la Cour des comptes dans son rapport public de 2014. Elle a toutefois été écartée par les ministres de la sécurité sociale, du travail et de l’économie dans une lettre adressée le 13 janvier 2014 en réponse à la Cour. Je pense que ce débat doit être rouvert.

De même, les propositions en vue de doter le FIVA et le FCAATA de financements pérennes n’ont pas été reprises. Il est pourtant nécessaire, mes chers collègues, de fixer la contribution de l’État à 30 % de la dotation du FIVA, comme nous l’avons dit lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale. C’était l’objet de la recommandation n° 11 de notre rapport de 2005. Or, depuis deux ans, la dotation de l’État au FIVA est de zéro euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

L’harmonisation des barèmes d’indemnisation est aussi un sujet non résolu. L’État doit prendre ses responsabilités, car je rappelle qu’il a tout de même été condamné pour faute inexcusable !

Sur ces questions relatives à l’indemnisation du préjudice, il faut reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas fait preuve dans notre pays de la célérité nécessaire – c’est un euphémisme –, et cela s’adresse à tout le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Je tenais à rappeler ces quelques données, même si, bien entendu, l’indemnisation n’est pas le seul aspect de ce dossier. Le suivi post-professionnel des personnes exposées devrait ainsi être automatique et généralisé à tous les employeurs, publics ou privés.

Le mérite des travaux de la mission, madame la présidente, est qu’ils ont porté sur ce que j’appellerai « le jour d’après ». La complexité et la gravité des difficultés à venir sont démontrées par le nombre important de propositions ; propositions auxquelles nous souscrivons, bien sûr, entièrement.

La question qui se pose aujourd’hui, et que les pouvoirs publics doivent impérativement résoudre, porte sur quatre axes principaux : l’information du public dans un souci de prévention, les compétences des entreprises qui procèdent au désamiantage, les moyens de contrôle et, enfin, les moyens financiers à mettre en œuvre.

Depuis le 1er juillet 2014, les couvreurs et autres professionnels doivent être titulaires d’une certification spécifique. Au 1er juillet 2015, la valeur limite d’exposition doit être divisée par dix. Ce sont des décisions satisfaisantes, bien qu’il ait fallu attendre trop longtemps. Du reste, ce sont leurs impacts réels qui doivent être mesurés.

Je rappelle tout de même que le problème du nombre de fibres d’amiante que l’on peut absorber par litre d’air a fait l’objet de longs débats, notamment au sein du fameux Comité permanent amiante, et que c’est justement les dérogations qui ont été accordées en la matière qui sont une des causes de la multiplication, aujourd’hui, des mésothéliomes et des cancers broncho-pulmonaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

La communication publique est trop peu orientée vers la population. Pourtant, la diffusion de connaissances sur les risques liés à l’amiante et sur les précautions à prendre pour un particulier faisant chez lui des travaux pourraient encourager des comportements plus prudents.

À cet égard, il faut réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés, sans oublier le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d’amiante est onéreux, ce qui aboutit à la création de décharges sauvages en milieu rural, d’une dangerosité considérable.

C’est pourquoi la création d’un portail internet dédié aux précautions à prendre par le grand public, qui fait l’objet de notre proposition n° 8, est tout à fait judicieuse. D’autres sites fournissant des informations sur les précautions à prendre et la réglementation applicable existent déjà sur des sujets analogues. Ils sont largement consultés, y compris par les salariés des entreprises et des collectivités qui craignent d’être en contact avec tel ou tel produit ou organisme toxique.

Nous sommes fermement convaincus que c’est grâce à la prise de conscience et à la diffusion la plus large de l’information et grâce aussi à la pression qui en résultera sur les entreprises et sur les pouvoirs publics que les choses pourront évoluer favorablement.

S’agissant des entreprises, si l’information par les organisations professionnelles est primordiale, elle ne peut être exclusive d’un renforcement du rôle des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans ce domaine comme dans d’autres. Il est clair qu’une occasion s’offre aux partenaires sociaux dans le cadre de la négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel. Des CHSCT élus directement dans toutes les entreprises de plus de vingt salariés constitueraient un progrès réel pour garantir une meilleure prise en compte de la santé des travailleurs sur les sites.

Considérons, par exemple, le cas des enrobés routiers. Nous savons déjà que les vapeurs de goudron inhalées par les travailleurs des entreprises de travaux publics sont d’une grande toxicité ; a fortiori lorsqu’il s’agit d’enrobés fabriqués à partir d’agrégats bitumeux parfois amiantés, dont le rapport évalue la production, madame la présidente, à 70 000 tonnes par an.

Nous sommes là devant une situation certes illégale, mais à laquelle sont pourtant soumis des milliers de travailleurs, qui n’ont pas connaissance des dangers auxquels on les expose.

L’information et la formation tant des chefs d’entreprise que des personnels sont donc des exigences fondamentales.

L’arrêté « formation » du 23 février 2012 définissant les modalités de la formation des travailleurs à la prévention des risques liés à l’amiante a constitué une avancée décisive. Ces avancées doivent maintenant être renforcées en direction des maîtres d’œuvre et aussi des artisans.

Le rôle de l’inspection du travail doit aussi être renforcé. La réforme de l’inspection du travail est en cours et c’est peu dire qu’elle ne fait pas consensus. Nous attendons maintenant la proposition de loi de notre collègue député Denys Robiliard en discussion à l’Assemblée nationale. Je rappelle que cette proposition de loi prévoit l’extension de l’arrêt de chantier aux travaux susceptibles d’émettre des fibres d’amiante.

Je vais à présent vous soumettre quelques réflexions sur l’amiante.

Nous souscrivons pleinement à la recommandation formulée à la page 66 du rapport. On y lit en effet : « Les agents de l’inspection du travail, malgré des effectifs restreints et une charge de travail très importante, se retrouvent en première ligne en matière de prévention des risques liés à l’amiante. Beaucoup de personnes auditionnées indiquent que les agents de prévention de la Cnam et de l’OPPBTP […] ne sont pas suffisamment nombreux et présents sur les chantiers. Selon le ministère du travail, on compte aujourd’hui 790 sections d’inspection, animées par 743 inspecteurs, 1 493 contrôleurs […] et 796 agents administratifs. Un agent de contrôle suivait en 2011 en moyenne 8 130 salariés. C’est pourquoi votre comité de suivi souhaite un renforcement des effectifs de l’inspection du travail. »

La clarté des chiffres est aveuglante sur la situation du contrôle du respect de la législation du travail, singulièrement en matière de risques professionnels et d’exposition à des produits toxiques.

Au-delà des chiffres, qui appellent une augmentation des effectifs que nous demandons avec persévérance, il est nécessaire de mettre en place une coordination entre les différents organismes de prévention, de contrôle et prestataires afin de disposer d’une doctrine homogène sur l’ensemble du territoire.

Sur le délicat sujet des diagnostics, le rapport de notre mission est tout à fait complet et les propositions très précises. Je n’y reviendrai donc pas plus longuement. Il est surtout important que le Gouvernement s’attache rapidement à la refonte de l’arrêté « compétence amiante » pour de meilleures formations et des garanties de compétences plus exigeantes. Mais il faut aussi compter avec les pressions subies par les diagnostiqueurs pour minimiser la présence d’amiante.

La question des coûts ne peut être esquivée. Dans ma région, le CHU de Caen fait figure d’exemple, mais avec des coûts très élevés. Depuis 1997, 25 millions d’euros ont été dépensés pour retirer 5 % de l’amiante total, il est vrai le plus dangereux. Le reste devrait être retiré d’ici au mois d’août 2016.

Pour comparaison, le coût de démolition s’élève à 100 millions d’euros et celui de construction du nouveau CHU est de 500 à 600 millions d’euros. Je pense que les chiffres du chantier de Jussieu doivent être à peu près identiques, voire plus élevés.

Comme vous l’avez dit, l’Union sociale pour l’habitat, ou USH, estime que 3 millions d’appartements de son parc comportent de l’amiante. Le désamiantage multiplie par deux les budgets de réhabilitation et un projet sur quatre est abandonné pour cette raison.

L’USH estime le coût annuel de désamiantage à 2, 3 milliards d’euros par an. Elle demande la création d’un fonds spécifique, via le grand emprunt ou les fonds structurels européens. Je pense qu’il faut persévérer dans cette voie.

Les coûts évoqués par le rapport comme par l’ensemble des partenaires sont considérables. Je n’ai cité ici comme exemples que deux organismes susceptibles de faire appel à des fonds publics ou à des partenariats. Qu’en est-il des particuliers et des collectivités locales ? Les devis de désamiantage de bâtiments sont impressionnants, en hausse de 50 % depuis 2012, comme presque tous les élus en ont fait l’expérience.

En réalité, nous sommes en présence d’un choc entre les exigences de protection des personnes et de l’environnement et les capacités financières à les assumer.

Résumons, en quelques mots : les maîtres d’ouvrage doivent faire établir un diagnostic amiante par des bureaux de contrôle, puis ils doivent s’assurer que l’entreprise de désamiantage à laquelle ils ont recours est couverte par une assurance responsabilité civile d’atteinte à l’environnement et intervient avec du personnel formé et des matériels conformes, notamment sas de décontamination et combinaisons intégrales dotées de bonbonnes d’oxygène. Tout cela sans oublier la zone de confinement autour du chantier, avec bâches étanches, échafaudages, etc.

Une entreprise auditionnée indiquait, comme le précise « notre » rapport – j’étais en effet membre de la mission d’information –, que le seul diagnostic pour une grange de 80 mètres carrées revient à 2 300 euros. Le chef d’entreprise ajoutait : « Dans un tiers des cas, on s’arrête à cette étape, les collectivités locales n’ayant pas les moyens d’aller plus loin. »

La tentation est alors grande de faire appel à un moins-disant, qui ne prendra sans doute pas toutes les mesures de précaution indispensables pour les salariés, la population et l’environnement.

Pour les particuliers, le recours au travail au noir ou au bricolage persiste malheureusement.

Certes, il faut une amélioration de la réglementation et il faut que celle-ci soit claire, lisible, compréhensible par tous, largement diffusée et qu’elle demeure applicable.

À partir de là, l’ensemble des personnes concernées à un moment donné, à un titre ou à autre, peuvent s’informer, prendre conscience du danger réel et agir en conséquence. S’agissant de tels risques, les contrôles par la puissance publique doivent être suffisants pour garantir la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement.

Nous devons néanmoins être conscients que la question des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour éradiquer l’amiante dans des conditions sanitaires correctes, et sur la durée, est la base de tout. L’amiante est non seulement une catastrophe sanitaire, mes chers collègues, mais aussi une calamité financière de longue portée pour la collectivité. Elle est le symptôme des drames que peut provoquer l’utilisation sans scrupules, en toute connaissance de cause, de produits dangereux pour la santé.

Il serait bon que notre débat d’aujourd’hui contribue à cette réflexion et à d’éventuels progrès dans ces domaines. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Aline Archimbaud pour la qualité de son travail et son implication au sein du comité de suivi sur l’amiante. Je salue également notre collègue Gérard Dériot, à l’origine de la mission d’information dont il fut rapporteur avec Jean-Pierre Godefroy consacrée au drame sanitaire de la contamination par l’amiante et à ses répercussions sur le plan humain, social et financier.

Qualifié durant des décennies de « matériau miracle », l’amiante a été massivement utilisé par l’industrie française en dépit de nombreuses études dénonçant sa toxicité dès les années soixante. Comme cela a été souligné, il faudra attendre 1997 pour qu’elle soit interdite en France.

En 2005, dans son rapport Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir, Gérard Dériot évoquait une épidémie à venir inéluctable et irréversible de cancers. Encore aujourd’hui, l’amiante fait partie de notre environnement quotidien et est à l’origine de près de 3 000 décès par an. Dix-sept ans après son interdiction, le risque existe et l’apparition de nouveaux cas de contamination sont à craindre dans l’avenir. Le Haut Conseil de la santé publique a d’ailleurs estimé que l’amiante pourrait provoquer entre 68 000 et 100 000 décès en France d’ici à 2050.

Si la majorité des propositions préconisées par le rapport de 2005 ont été mises en œuvre, force est de constater aujourd’hui encore que la situation n’a pas évolué sur certains points, comme les orateurs précédents l’ont noté. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré, au sein du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante, vingt-huit propositions sur les enjeux du désamiantage.

Le travail de désamiantage est colossal, dangereux et particulièrement coûteux, comme Jean-Pierre Godefroy vient de le souligner. Ainsi, les chantiers de retrait d’amiante doivent être réalisés par des sociétés habilitées et sont soumis à des dispositions techniques très contraignantes. Or, nous le savons, de nombreux chantiers de désamiantage sont réalisés dans de très mauvaises conditions, souvent par des entreprises sous-traitantes ne respectant pas les obligations de sécurité et au mépris de la santé de leurs employés. En 2006, pour la troisième année consécutive, une campagne nationale de contrôle des chantiers de retrait d’amiante a été menée par les inspecteurs du travail : dans 76 % des cas, des anomalies ont été constatées.

Or, Aline Archimbaud l’a rappelé, « si des mesures rapides ne sont pas prises par les pouvoirs publics, le désamiantage sera fait dans des conditions catastrophiques et c’est une seconde épidémie qui pourrait se développer, concernant notamment un million de salariés du bâtiment, dont les petits artisans, les salariés des entreprises de désamiantage, mais aussi les riverains ».

Tous les bâtiments publics et privés construits avant 1997 sont susceptibles, en effet, de contenir de l’amiante. L’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, estime à 20 millions de tonnes les matériaux contenant de l’amiante encore en place dans les usines, les immeubles, les établissements scolaires ou encore les hôpitaux, sous diverses formes d’ailleurs.

Pourtant, les inspecteurs du travail, trop peu nombreux certes, n’ont pas les moyens de contrôler tous les chantiers. C’est la raison pour laquelle nous demandons un renforcement des effectifs et des pouvoirs de l’inspection du travail ainsi que le lancement d’une nouvelle campagne nationale de contrôle sur les chantiers de désamiantage.

En outre, le comité de suivi estime nécessaire de mettre en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage assortie de financements pérennes.

Même si nous ne disposons pas de données précises sur le coût global du désamiantage pour les acteurs publics et privés d’ici à 2050, nous savons qu’il est considérable. Des évaluations ont été réalisées : il faudra consacrer plusieurs milliards d’euros par an à ce problème. Mme la ministre du logement a annoncé le mois dernier la mise en place d’un prêt « amiante » : les organismes d’HLM pourront emprunter à des taux très bas auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à 10 000 euros par logement, dans la limite de 40 000 logements par an. Si cette mesure va dans le bon sens, je crains malgré tout qu’elle ne réponde pas suffisamment à l’ampleur des enjeux. En effet, l’Union sociale pour l’habitat estime que trois millions de logements sociaux sont gangrenés par l’amiante, et que le coût du désamiantage de la totalité du parc s’élèverait à près de 15 milliards d’euros. Nous sommes donc loin du compte.

Pour finir, je rappelle la nécessité de renforcer la veille sanitaire et l’importance d’améliorer le suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l’amiante. Moins d’un salarié sur dix bénéficie aujourd’hui d’un suivi médical.

Madame la secrétaire d’État, parce qu’il est nécessaire d’éradiquer l’une des plus importantes catastrophes sanitaires que la France ait connue, nous serons particulièrement vigilants quant à la prise en compte de nos propositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, la catastrophe sanitaire qu’a connue la France, comme bien d’autres pays, avec l’amiante est un sujet sur lequel je me suis particulièrement mobilisé. Profondément attaché à la défense des victimes contaminées par l’amiante, je me réjouis que nous soit donnée aujourd'hui l’opportunité de débattre de nouveau de ce sujet au sein de notre assemblée.

Qu’il me soit permis de féliciter les membres du comité de suivi et particulièrement sa présidente, sous la houlette de laquelle a été effectué un travail de qualité. J’aurais dû assister à vos réunions, mais j’en ai malheureusement été souvent empêché, durant toute cette période, par mes autres fonctions.

Le rapport que j’ai eu l’honneur de rédiger en 2005 dans le cadre de la mission commune d’information, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe et avec mon collègue Jean-Pierre Godefroy, pour établir le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante visait à comprendre, à mieux réparer et à tirer les leçons pour l’avenir du drame sanitaire que constitue l’amiante. Il avait été préparé dans un cadre de réflexion serein, la question faisant relativement consensus par-delà les clivages politiques. Ce rapport présentait vingt-huit propositions pour tirer les leçons du scandale de l’amiante et indemniser ses victimes.

Depuis qu’elle s’est saisie de la question de l’amiante, les travaux de la commission des affaires sociales du sénat sur le sujet, je l’ai souligné, ont plutôt fait l’unanimité : nous ne pouvons qu’espérer que l’État mette en œuvre ses propositions. Le consensus se traduit encore aujourd'hui, comme l’atteste la présence de bon nombre de nos collègues ici présents, qu’il s’agisse de Michelle Demessine, d’Annie David, de Jean-Pierre Godefroy, de Marie-Christine Blandin, de Gilbert Barbier et de bien d’autres. C’est la preuve que ce sujet nous a tous énormément préoccupés.

Aussi, neuf ans après la remise du rapport de la mission commune d’information en 2005, le travail du comité de suivi revêt un intérêt particulier et une importance singulière s’inscrivant dans le cadre de la mission du Parlement d’évaluation de l’action du Gouvernement. Ses travaux sont riches d’enseignements : la majorité des propositions émises en 2005 par la mission commune d’information ont été retenues – ce point a déjà été signalé – puisque dix-sept propositions concernant la protection des travailleurs ont été mises en œuvre, et on ne peut que s’en réjouir.

Malgré ces avancés incontestables, nous devons relever, comme l’a fait Mme la présidente du comité de suivi dans son propos liminaire, que les sept propositions concernant l’indemnisation des victimes du drame de l’amiante sont restées lettre morte, certainement en raison de leur coût financier, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Ma première remarque porte donc sur ce point.

Le financement des dépenses au titre de la prise en charge des victimes de l’amiante est assuré, pour l’essentiel, par la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, de la sécurité sociale. Pour 2015, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une contribution totale de la branche à ces fonds de 1, 073 milliard d’euros. Ces dépenses et leur impact sur l’équilibre financier de la branche AT-MP justifient que l’on engage une réflexion sur la gestion de ces dispositifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Pour autant, le souci de maîtriser les dépenses engagées au titre de l’amiante ne doit pas se traduire par une moindre indemnisation des victimes. La solidarité nationale doit garantir à chaque victime de l’amiante une indemnisation satisfaisante, quelle qu’ait pu être l’origine de la contamination.

Je regrette que, dans ce domaine, les progrès opérés par l’État restent insuffisants. Une proposition du rapport de 2005 visait à permettre au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, d’accorder aux victimes le bénéfice qui s’attache à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur afin que ces dernières ne soient plus incitées à emprunter la voie judiciaire.

Cette proposition a été malheureusement écartée par le Gouvernement. La proposition tendant à revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, n’a pas non plus connu d’application, son montant demeurant proche du SMIC mensuel.

La question de la pérennité des fonds d’indemnisation n’a également pas été réglée. La situation financière du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, et du FIVA demeure relativement fragile, et les propositions destinées à permettre un financement pérenne du fonds n’ont pas connu de suite.

La contribution de l’État au FIVA a été inexistante en 2013 et en 2014. Bien que le projet de loi de finances pour 2015 prévoie une dotation, son montant de 10 millions d’euros demeure faible et ne permet pas de retrouver le niveau d’avant 2012, qui était de 50 millions d’euros.

Ce désengagement est d’autant plus préoccupant que la commission des affaires sociales du Sénat a, à plusieurs reprises lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, jugé nécessaire – de Catherine Deroche à Jean-Pierre Godefroy, tout le monde est tombé d’accord – que l’État prenne sa part de responsabilité en contribuant pour un tiers à la dotation globale du FIVA. Cet impératif a été rappelé et doit être maintenu : nous devons y arriver.

Si des avancées significatives sur ce point sont toujours attendues, il est regrettable que les employeurs directement responsables ne participent pas davantage à l’effort d’indemnisation. La condamnation d’un employeur pour faute inexcusable l’oblige en principe à rembourser les sommes engagées au titre de l’indemnisation, mais le délai de latence très long des maladies de l’amiante conduit souvent le juge à constater a posteriori que l’entreprise responsable n’existe malheureusement plus.

Ainsi, la prise en charge des risques professionnels repose principalement sur la collectivité, ce qui n’est pas de nature à encourager forcément les entreprises à mettre en œuvre des politiques ambitieuses de prévention.

Ces considérations sur l’indemnisation des victimes de l’amiante soulèvent la question des modalités de réparation de l’ensemble des risques professionnels. En effet, si des considérations politiques, associées à la pression de l’opinion publique et des médias, ont permis d’introduire des règles d’indemnisation intégrale favorables pour les victimes de l’amiante, je rappelle que les salariés victimes d’autres substances chimiques toxiques ou d’accidents graves doivent se contenter, eux, de l’indemnisation forfaitaire traditionnellement versée par la branche AT–MP de la sécurité sociale.

On peut donc légitimement plaider, de ce fait, en faveur d’une réparation intégrale des préjudices causés par l’ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le coût d’une telle réforme serait effectivement très élevé et pourrait atteindre 3 milliards d’euros pour le seul régime général. La question de l’effort financier que la collectivité est prête à engager pour assurer une meilleure indemnisation des risques professionnels se trouve ainsi posée.

Pour conclure, je souhaite abonder dans le sens du comité de suivi concernant les nouveaux défis qui s’ouvrent à nous : le désamiantage, la prévention et le suivi post-professionnel. J’adhère pleinement aux propositions du comité, et j’espère que le Gouvernement les mettra en œuvre rapidement.

Je tiens à vous féliciter de nouveau, madame la présidente Archimbaud, ainsi que l’ensemble des membres du comité, pour le travail effectué sur un sujet qui, comme je le disais à l’instant, a toujours fait consensus. L’amiante demeure un des grands scandales que notre pays a connus. Il est indispensable que nous restions tous unis pour trouver des solutions et que l’État nous accompagne.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a produit un rapport d’investigation en 2005 pour comprendre et décrire comment l’État avait été « anesthésié par le lobby de l’amiante ». Les sénateurs Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe.

Ce rapport consensuel et exigeant préconisait déjà de prévenir les futures contaminations, de s’intéresser aux entreprises de désamiantage et aux intervenants de second œuvre sur site amianté. Au passage, il recommandait l’interdiction des fibres vitrocéramiques. Le ministre du travail de l’époque, Gérard Larcher, ne disait-il pas dans son audition à propos de ces fibres qu’elles étaient considérées comme potentiellement cancérigènes et qu’il fallait recenser les produits de substitution moins dangereux ? Je vous renvoie à la page 309 du rapport. Où en sommes-nous, madame la secrétaire d’État ?

Les écologistes remercient Aline Archimbaud et ses collègues de la commission des affaires sociales d’avoir, par leur travail de grande qualité et leur nouveau rapport, actualisé et documenté l’alerte, et permis cet important débat. Car il y a urgence ! Le nombre de chantiers de désamiantage se multiplie, beaucoup apparaissent à l’occasion de la rénovation thermique, d’autres sont en attente car difficiles à entreprendre, comme certains centres hospitaliers universitaires. Mais, d’une part, la réglementation exigeante concernant les travailleurs est mal suivie et, d’autre part, il y a carence pour ce qui concerne les riverains et en particulier le suivi des déchets enlevés.

Beaucoup ayant été dit par les intervenants précédents, je me contenterai d’insister sur cinq points

Premièrement, le diagnostic des locaux vendus ou loués doit être plus précis et s’accompagner impérativement d’un plan des lieux investigués. Il faut un meilleur décret et des exigences accrues pour le DTA. La mémoire du lieu est en permanence un outil qualitatif qui peut sauver des vies. Tel plombier, tel électricien perçant des cloisons peut voir sa santé compromise du simple fait que le relevé soigneux des gaines encore amiantées lui aura été ou non communiqué. Coût d’un nouveau décret ? Zéro euro !

Deuxièmement, à propos des chantiers de réhabilitation, il nous faut tirer les leçons des aléas rencontrés. Afin d’éviter tout arrêt intempestif du chantier ou toute tentation d’occulter le risque en raison de surcoûts, c’est avant les appels d’offres de l’État, des collectivités et des maîtres d’ouvrage qu’il faut diagnostiquer la présence d’amiante. Coût de l’opération ? Zéro euro !

Troisièmement, la protection des salariés doit être mieux garantie par une formation ad hoc des CHSCT concernés, par des pauses compatibles avec le port d’équipements protecteurs oppressants et par des contrôles plus réguliers, en particulier pour l’usage illicite d’intérimaires ou de travailleurs non francophones qui signent à l’aveugle la note de mise en garde, écrite uniquement en français.

Au sujet des travailleurs, si une bonne traçabilité des expositions nous semble indispensable pour leur suivi sanitaire, il est impératif de veiller à ce que ces données ne soient en aucun cas utilisables par de futurs employeurs pour les tenir à l’écart de l’embauche. Coût de cette protection ? Zéro euro !

Quatrièmement, les contaminations environnementales périphériques sont une vraie source d’inquiétude pour les riverains. Les pouvoirs publics doivent garantir leur bonne information et la mise en œuvre de toute mesure protectrice, allant des vérifications de l’intégrité des bâches d’étanchéité du chantier aux arrosages réguliers des lieux susceptibles de véhiculer des fibres. Vous allez me dire que ce dispositif représente un coût. Je vous répondrai qu’en évitant de futurs malades vous réaliserez une économie de plusieurs millions d’euros.

Cinquièmement, une véritable traçabilité des déchets enlevés doit être instaurée, et le choix du lieu de la mise en décharge – déchets dangereux, inertes ou non – doit tenir compte des manipulations brutales qui font que des matériaux d’amiante prétendument « liée » deviennent des sources d’amiante friable après transport et casse.

Enfin, une étude indépendante de valorisation de l’amiante vitrifiée devrait permettre de baisser les coûts en suspendant une TGAP – la taxe générale sur les activités polluantes – liée au manque d’usages possibles. Faute de clarification, de suivi et de coût acceptable du traitement de l’amiante, nous risquons de voir encore de nombreux sacs d’amiante « tomber du camion » pendant les trajets.

Le débat d’aujourd’hui permet de reposer solennellement la question de l’expertise et des conditions de fabrication et de mise sur le marché des nanomatériaux. Ne répétons pas, par manque de règles et de précaution, un scandale sanitaire. Comme l’amiante, certains nanomatériaux sont en fibre à forte pénétration. Comme l’amiante, ils peuvent s’accumuler, être inflammatoires et carcinogènes. Cependant, du fait de leur taille, mille fois plus petite qu’une fibre d’amiante, ils vont beaucoup plus loin dans les tissus, dans les cellules, jusque dans leur noyau. Cette petite taille accroît les effets surface et les contacts toxiques. Dans un gramme de nanoparticule, il y a 100 à 1000 mètres carrés de surface de contact.

Si les articles 37 et 73 du Grenelle 2 ont un peu amélioré les exigences de transparence, le temps est venu, pour l’Europe comme pour la France, de combler ce non-lieu de l’encadrement sanitaire et de la protection des consommateurs comme des salariés.

Madame la secrétaire d’État, que ce soit pour l’éradication de l’amiante, le suivi des désamiantages ou l’encadrement des nanomatériaux, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Ce message aurait pu s’adresser à Marisol Touraine pour la santé, à François Rebsamen pour le travail, à Sylvia Pinel pour le logement, à Ségolène Royal pour l’environnement, mais je ne doute pas qu’avec toutes vos compétences et votre engagement vous aurez la force de leur faire entendre que personne, demain, ne pourra dire qu’il ne savait pas.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde l’a rappelé, longtemps loué pour ses qualités de matériau extrêmement résistant et son faible coût, l’amiante a connu un très grand succès parmi les industriels avant son interdiction en 1997. C’est pourquoi, malgré des avertissements répétés sur ses effets désastreux sur la santé de leurs salariés, les industriels en ont usé et abusé – notamment dans les secteurs industriels qui ont fait la richesse de notre pays, tels que la sidérurgie, la métallurgie, les chantiers navals et autres grandes industries – pour fabriquer des faux plafonds, des portes coupe-feu, des appareils électroménagers ou encore prévenir le risque incendie dans les immeubles, les collèges et les hôpitaux.

Cet appât du gain des industriels pourrait causer la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025, comme l’avait dénoncé la mission commune d’information du Sénat dont notre groupe avait demandé la création et à laquelle j’avais activement participé en 2005 aux côtés de Gérard Dériot, Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Godefroy et Marie-Christine Blandin. Ce rapport, il faut le rappeler, a eu un grand retentissement et continue à être, aujourd’hui encore, un point d’appui sérieux pour les débats et délibérations sur ces questions de santé et de conditions de travail révélées par le drame de l’amiante.

Face à ce constat extrêmement préoccupant, révélé par notre rapport, les sénateurs communistes républicains et citoyens n’ont depuis cessé d’interpeller les gouvernements successifs. Les sujets ont été rappelés, je ne les détaillerai pas de nouveau. C’est pourquoi mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen se sont une nouvelle fois pleinement investis dans ce comité de suivi de l’amiante, mis en place par mon amie Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, et présidée par Aline Archimbaud, dont je salue l’excellent travail, comme je salue celui de ses collègues Dominique Watrin et Catherine Deroche. En effet, l’amiante est actuellement responsable de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle, et dans la région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, sept cancers d’origine professionnelle sur dix lui sont imputables.

La lutte contre l’amiante doit donc être une priorité pour le Gouvernement dans la prévention des maladies professionnelles. Il est nécessaire pour cela, comme le préconise le rapport, de renforcer la prévention des risques de l’amiante, d’assurer une meilleure protection des travailleurs et des citoyens par une réglementation contraignante avec un pilotage de l’État au niveau ministériel. À cet égard, la création d’une plateforme internet pourrait être un outil formidable et pas seulement pour le risque amiante mais pour l’ensemble des maladies professionnelles. Lorsque plusieurs salariés déclarent une même maladie en travaillant à un même poste, les risques deviennent alors évitables et peuvent être éliminés ; en s’interrogeant sur la nocivité dudit poste et en le faisant évoluer, on peut éliminer le risque.

L’assurance maladie a tout en mains pour le faire, je veux le rappeler aujourd’hui. Elle collecte et enregistre depuis des années la liste des postes de travail ayant causé des maladies professionnelles reconnues. Elle dispose également de la liste des postes assainis après indemnisation. Mais, contrairement aux statistiques sur les types de maladies professionnelles qui ne disent rien de l’activité qui en est la cause, ces données ne sont pas rendues publiques, alors qu’elles permettraient de dresser un cadastre des risques réels et constitueraient un indicateur fondamental de l’efficacité des actions mises en œuvre pour éliminer le risque de maladie professionnelle lié à un poste de travail identifié à risques.

L’association médicale pour la prise en charge des maladies éliminables a réalisé un tel site – à la suite d'ailleurs des propositions du professeur Claude Got – à l’échelle du bassin d’emplois de l’étang de Berre. Cette initiative est soutenue par les mutuelles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les résultats sont éloquents : là où le réseau a identifié une vingtaine de cancers directement imputables à la cokerie de Fos-sur-Mer parmi le personnel et les sous-traitants, les statistiques de l’assurance maladie n’en recensent aujourd’hui plus aucun.

Ce cadastre du risque avéré, visible via Google Maps, est aujourd’hui inscrit dans le plan régional santé environnement PACA 2009-2013. Je voulais citer cette expérience, car elle nous conduit à réfléchir de manière beaucoup plus concrète à ce recensement.

Par ailleurs, alors que 25 millions de tonnes d’amiante se trouvent encore dans les bâtiments en France, l’État doit, comme l’indique à juste titre le rapport, prendre ses responsabilités en établissant une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage qui comprend, avec des financements pérennes, un échéancier et un suivi régulier du désamiantage.

Un investissement doit être réalisé dans la recherche et le développement sur les techniques de désamiantage, comme l’ont souligné un grand nombre de mes collègues, car le diagnostic amiante demeure le principal point noir dans la mise en œuvre de la réglementation actuelle. Ce diagnostic est pourtant indispensable pour déclencher la procédure de désamiantage. Il implique donc de la part de l’État et de la sécurité sociale le renforcement de leurs corps de contrôle et une coordination des interventions. De la même manière, il est indispensable de créer une filière professionnelle de désamiantage dont les compétences seraient reconnues par tous.

Comme l’indique le rapport, il est aussi prioritaire de renforcer les effectifs et les pouvoirs de contrôle, notamment de l’inspection du travail. En effet, comment contrôler l’application de la réglementation amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux lorsque les agences régionales de santé disposent au niveau national de seulement 16 équivalents temps plein ?

Enfin, l’examen des préconisations de cette mission de suivi est également, selon moi, l’occasion de faire le point sur l’indemnisation de ceux qui ont perdu leur vie à essayer de la gagner au contact de l’amiante.

À cet égard, la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété par la Cour de cassation, le 11 mai 2010, est une grande avancée pour toutes les personnes qui ont travaillé dans les entreprises listées comme ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et qui vivent avec la crainte que l’épée de Damoclès ne leur tombe sur la tête, si on leur découvrait une maladie grave. Néanmoins, on peut regretter l’absence d’une voie individuelle pour bénéficier de l’ACAATA, de même que le refus de la mission d’aller plus loin dans ses préconisations pour revaloriser le montant de cette allocation par une contribution des entreprises. De plus, nous aurions souhaité qu’il soit recommandé que la gestion de l’ACAATA, actuellement assurée par la Caisse des dépôts et consignations, soit simplifiée et transférée aux caisses de la sécurité sociale.

Enfin, nous regrettons aussi que la mission n’ait pas donné suite à la recommandation de la commission formulée en 2005 visant à sanctionner le refus de certains employeurs de délivrer l’attestation d’exposition à l’amiante à laquelle les salariés ont pourtant légalement droit. On ne parvient pas à résoudre cette situation inadmissible qui dure depuis des années. C'est pourtant le minimum de ce que les employeurs pourraient faire.

Reste que ce rapport de suivi, pour lequel je réitère mes félicitations à ses auteurs, a le mérite de démontrer que, malgré l’interdiction tardive de l’amiante en 1997, la mission de 2005 a permis de créer un cadre juridique de protection des travailleurs. Il a mis en exergue les limites actuelles de la réglementation quant au repérage de l’amiante et aux faibles moyens dont disposent les services de l’État pour contrôler le désamiantage. Nous soutenons donc ce rapport et suivrons attentivement l’application des propositions du comité de suivi.

Je ne peux achever mon propos sans rendre hommage aux associations de victimes qui, il y a quelques jours encore, défilaient dans les rues de la capitale. Je tiens à saluer devant vous leur détermination sans faille à faire reconnaître et prendre en considération ce qu’elles appellent un « crime social » et à accroître les moyens financiers dédiés, comme l’ont rappelé nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy. Elles animent un mouvement social admirable qui réclame justice, mais qui assure aussi un rôle de solidarité sans relâche auprès des victimes, dont le nombre ne cesse de s’amplifier.

Il est toujours difficile d’entendre, à l’ouverture des assemblées générales, la liste des adhérents et responsables disparus d’une année sur l’autre. Mais, comme dans Le Chant des partisans, quand un soldat tombe, un autre se lève à sa place. Voilà pourquoi, depuis 1997, ce mouvement n’a jamais faibli, car, au-delà d’eux-mêmes, un seul espoir les anime, le « plus jamais ça ».

Pour conclure, je veux citer les mots de cette veuve de Dunkerque, car ils ont toute leur place dans notre débat. Son époux venait de disparaître, mort à cinquante-quatre ans d’un mésothéliome fulgurant, dans d’atroces souffrances. Elle interpellait dans une lettre le Président de la République : « Ce crime social ne connaît ni coupable ni responsable pénalement. Nous voulons que la justice passe et ne trépasse pas. »

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Ségolène Neuville

Madame la présidente, madame la présidente du comité de suivi, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser la ministre de la santé, Marisol Touraine, qui est actuellement retenue à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, c’est le Gouvernement tout entier qui est mobilisé sur la question de l’amiante. Sachez que votre rapport a d’ores et déjà été étudié par plusieurs ministères, le ministère de la santé bien entendu, celui du travail, mais également le ministère du logement et celui de l’écologie.

Vous l’avez dit, les maladies liées à l’amiante représentent aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail, hors accidents du travail. Chaque année, entre 4 000 et 5 000 maladies professionnelles liées à l’amiante sont reconnues, dont environ 1 000 cancers. Nous ne voulons plus répéter les erreurs du passé, ni connaître les drames humains qui résultent des contaminations. C’est pourquoi il s’agit d’une priorité pour l’amélioration de la santé au travail.

Je tiens à saluer le travail de votre comité, qui a analysé méticuleusement les suites données aux 28 propositions formulées en 2005 par la mission commune du Sénat. Votre rapport souligne d’abord que ces propositions ont été majoritairement suivies. En effet, la réglementation actuelle a nettement progressé, en particulier dans son volet relatif à la protection des travailleurs, même s’il reste encore des progrès à faire.

Ainsi, le décret de 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a abaissé la valeur limite d’exposition professionnelle de 100 fibres à 10 fibres par litre au 1er juillet 2015. J’ai bien entendu que des questions subsistaient à ce sujet, mais le progrès est très net. Je pense également à la nouvelle méthode de contrôle de l’empoussièrement, que vous avez citée, et aux moyens de prévention gradués en fonction de la situation, avec les trois niveaux d’empoussièrement.

Ce décret a supprimé la différence entre amiante friable et non friable et a généralisé la certification des entreprises intervenantes. Il a enfin revu les règles de protection et d’organisation du travail des travailleurs exposés à l’amiante, afin de tenir compte de la pénibilité et des contraintes particulières, liées notamment au port des équipements de protection individuelle. Il est également venu compléter la réforme de la médecine du travail de 2011, qui a permis d’améliorer l’organisation des services de santé au travail et de prévoir un suivi médical spécifique des salariés exposés aux agents chimiques dangereux et aux produits cancérogènes. Un bilan intermédiaire de cette réforme est en cours, dont nous aurons prochainement les résultats.

En outre, le décret du 21 mars 2014 a réformé l’organisation du système d’inspection du travail en créant des unités de contrôle ainsi que, dans chaque région, des référents, « personnes ressources » sur les risques particuliers, parmi lesquels en premier lieu l’amiante. Un groupe national de contrôle est également créé : il aura pour mission de coordonner les agents qui interviendront dans le suivi des entreprises intervenant sur des chantiers. La protection des travailleurs exposés à l’amiante est l’une des priorités affichées de l’inspection du travail depuis 2011. Elle examine les plans de retrait ou de confinement et se rend régulièrement sur les chantiers où elle constate, malheureusement, un nombre encore trop important d’infractions à la réglementation.

En complément des contrôles, le plan de santé au travail 2010-2014 a fixé comme priorité la prévention du risque professionnel lié à l’amiante. Ainsi, de nombreuses actions d’information ont été mises en place par les acteurs de prévention régionaux à destination des entreprises et des maîtres d’ouvrage publics et privés. Un bilan du plan de santé au travail et des plans régionaux est en cours et permettra de donner de la visibilité à ces actions.

Aujourd’hui, votre groupe de suivi rend un rapport comportant une vingtaine de recommandations qui visent à améliorer la gestion du risque amiante.

Tout d’abord, figurent dans ce rapport des propositions concrètes pour faciliter et sécuriser le désamiantage. Il est ainsi proposé de faire de la prévention des risques liés à l’amiante une grande cause nationale avec, comme ambition première, la coordination de l’action de l’ensemble des acteurs impliqués. Le rapport prévoit également de rendre plus efficaces les actions sur le terrain, en créant une filière du désamiantage ou en renforçant les crédits vers la recherche et le développement.

Ensuite, vous recommandez d’améliorer le repérage de l’amiante par la création de toute une série d’outils pratiques qui pourront aider les professionnels sur le terrain.

De même, vous suggérez d’accroître la protection des travailleurs que l’on sait exposés à l’amiante, en renforçant notamment l’action de l’inspection du travail.

Par ailleurs, vous proposez de mieux protéger la population contre les risques liés à l’amiante.

Toutes ces recommandations retiennent l’attention du Gouvernement.

Le Gouvernement souhaite coordonner son action en finalisant une feuille de route interministérielle.

Au vu de tous ces éléments, du dernier rapport paru du Haut Conseil de la santé publique et compte tenu de la transversalité de la problématique, le Gouvernement a décidé d’élaborer une feuille de route interministérielle sur l’amiante, rassemblant les ministères du logement, de l’écologie, de la santé et du travail. L’objectif de cette feuille de route est d’améliorer la prévention des risques liés à l’amiante par l’application de la réglementation dans un contexte économique difficile. Bien entendu, d’autres ministères pourront s’associer à ce travail.

Les actions que comporte cette feuille de route sont organisées autour de cinq axes.

Premier axe : agir pour l’information de tous en mettant en place une communication universelle, en mutualisant les supports de communication ou encore en développant les partenariats avec les distributeurs de matériel de bricolage. Cela a notamment été évoqué pour l’information au grand public.

Deuxième axe : agir pour la professionnalisation des acteurs de la filière amiante. Que ce soient les diagnostiqueurs, les laboratoires, les maîtres d’œuvre ou les entreprises, tous ont besoin d’être accompagnés dans le cadre de cette politique de désamiantage. C'est la raison pour laquelle cette professionnalisation est importante.

Troisième axe : agir pour l’accompagnement des acteurs et pour une mise en œuvre facilitée de la réglementation. En partant des expériences de terrain qui fonctionnent, notamment en Rhône-Alpes ou dans les Pays de la Loire, un guide des bonnes pratiques pourra être édité à l’attention des maîtres d’ouvrage. De même, les entreprises publiques pourront être accompagnées dans la mise en œuvre de la réglementation.

Quatrième axe : réaliser des études et mettre en place des outils et des méthodes destinés à mieux prendre en compte les problématiques techniques et scientifiques émergentes. Il s’agit d’encourager la recherche et le développement pour soutenir l’innovation, ce qui peut permettre, entre autres résultats, d’améliorer les méthodes de repérage de l’amiante, qui sont actuellement souvent difficiles à appliquer par les professionnels peu ou pas informés.

Cinquième et dernier axe : développer les outils permettant à l’État de disposer des données nécessaires au pilotage – vous avez évoqué le manque de pilotage – et faciliter la mise en œuvre des obligations réglementaires des parties prenantes. Nous souhaitons mettre en place des outils de cartographie et d’information nécessaires pour améliorer notre efficacité. Une partie de ces travaux sont d’ores et déjà engagés.

Je veux terminer mon propos en disant que le Gouvernement a en permanence à l’esprit la situation des victimes. Le Président de la République s’est engagé à ouvrir à l’ensemble des fonctionnaires l’accès à la préretraite amiante, qui était jusqu’à présent réservée à certaines catégories. Les décrets sont en cours de finalisation.

Debut de section - Permalien
Ségolène Neuville, secrétaire d'État

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le devoir – j’y insiste – d’être exemplaires dans le désamiantage, dans la prévention, et vous pouvez compter sur le total engagement du Gouvernement dans les années qui viennent.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Gérard Dériot applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.