Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de cette semaine de contrôle, le groupe communiste a eu la bonne idée de nous proposer un débat sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE.
Cette initiative correspond tout à fait à l’actualité, puisque nous disposons depuis quelques jours du premier bilan de ce dispositif, vingt mois après son entrée en vigueur, ce qui nous permet de procéder à une première évaluation. Parallèlement, je tiens à mentionner le travail très intéressant de nos collègues députés, réalisé dans le cadre d’une mission d’information présidée par notre collègue Olivier Carré.
Bien entendu, je gage que nos collègues communistes, pour des raisons qui nous séparent profondément, ont choisi d’aborder ce sujet sous l’angle de la distribution des dividendes et des profits détournés, quand ils n’évoquent pas des questions de personne… Disons qu’ils vont bien au-delà des dispositions de la législation relative au CICE.
Certes, on constate que quelques grandes entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire, par exemple La Poste ou la SNCF, bénéficient ou ont bénéficié largement du CICE, alors qu’elles ont une politique de distribution de dividendes généreuse, voire un faible niveau d’embauche, il faut le reconnaître.
Cependant, en y regardant de plus près, les trois quarts du CICE bénéficient, à ce jour, à des PME ou à des entreprises de taille intermédiaire, qui effectuent l’essentiel de leur activité en France, contrairement aux grandes entreprises cotées, dont nous sommes également très fiers.
Permettez-moi de citer à cette tribune certains éléments de réflexion datant de juin 2013 et émanant de M. Christian Eckert, élu comme moi du département de Meurthe-et-Moselle. « Rapporteur de la commission des finances, je ne devrais sans doute pas écrire les lignes qui suivent. Quoique... Ce qui me frappe, depuis un an presque jour pour jour que je travaille avec le Gouvernement sur les questions budgétaires, c’est le nombre de contradictions auxquelles nous devons faire face ». En ce qui concerne le CICE, il évoquait les « effets d’aubaines garantis, mais aussi [les] effets pervers assurés ! » « Les artisans sans salariés regarderont passer le train, ajoutait-il, alors que les grosses entreprises du BTP verront leur impôt diminuer. » A-t-il vu juste ? Toujours est-il que le secteur du BTP souffre aujourd’hui terriblement.
Toutefois, l’enjeu du CICE est ailleurs assurément, et le débat sur son utilisation relève pour nous d’une approche qui doit embrasser un horizon plus large.
Le CICE est une mesure à la disposition des entreprises. Il doit être utilisé en fonction de leurs besoins, de la conjoncture et de leurs perspectives économiques. Il doit créer une dynamique qui sert l’entreprise, contribue à la restauration de ses marges et favorise l’emploi, même si, là encore, on a pu constater un énième revirement de la part du Gouvernement, avec le rétropédalage – exercice devenu habituel, mais ô combien périlleux ! –, de M. Michel Sapin. Celui-ci a déclaré, au début de ce mois, que l’objectif premier du CICE était non de créer des impôts, mais d’aider les entreprises à « retrouver les marges qu’elles avaient perdues. » Or nous sommes en 2014, moins de deux ans après l’annonce de la création du CICE !
Il faut donc accepter de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés, même si, avouons-le, la confusion règne largement et s’il serait utile d’avoir une politique économique d’encouragement aux entreprises. Une politique de l’offre serait un bon objectif, mais, assurément et malheureusement, le Gouvernement a toutes les difficultés à la mettre en œuvre.
À ce titre, permettez-moi, mes chers collègues, un petit rappel historique, car je ne compte plus les bricolages ni les improvisations gouvernementales, que ce soit en matière de fiscalité, de cotisations sociales ou de compétitivité.
À son arrivée au pouvoir, la majorité de gauche – votre majorité – s’était empressée, par pure idéologie, j’oserai même dire par dogme, de supprimer la TVA compétitivité – cela a d’ailleurs été rappelé par M. Vincent Delahaye. Ce dispositif avait pourtant le mérite de la simplicité et de l’efficacité : il s’agissait d’augmenter la TVA pour compenser les baisses directes de charges sociales.
Vous avez ensuite décidé et mis en œuvre une politique d’augmentation massive des impôts, à contretemps de nos partenaires européens, ce qui a immanquablement et profondément déstabilisé et pénalisé nos entreprises.
Dois-je rappeler le pic historique atteint cette année, avec un taux des prélèvements obligatoires qui dépasse désormais 56, 5 % du produit intérieur brut ?
Cependant, contraints et forcés par ce que le ministre, issu de vos rangs, M. Pierre Moscovici, avait alors qualifié de « ras-le-bol fiscal », vous avez pris conscience des limites de cette politique économique et fiscale. En effet, elle n’a, finalement, au-delà de la crise, fait qu’aggraver la situation de notre économie et de nos entreprises.
Nous le savons tous, nos entreprises souffrent d’un handicap de compétitivité. C’est d’ailleurs ce qui légitime une politique de l’offre. Sur ce point, je citerai – une fois n’est pas coutume – une personne dont la compétence est reconnue de tous, M. Thomas Piketty : « Il n’est ni juste ni efficace de faire reposer l’excès de financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé ».
Madame la secrétaire d’État, même si l’analyse ne fait pas l’unanimité dans votre majorité – cela a été rappelé par notre collègue Marie-France Beaufils à l’ouverture du débat – sachez que, avec nos collègues de l’UMP et bien d’autres, d’ailleurs, je partage les considérants de ce diagnostic.
Ainsi, après avoir perdu plus d’une année, vous avez décidé la mise en place d’un ersatz de TVA compétitivité : le CICE. Je parle d’ersatz car il s’agit non pas d’une baisse directe des charges sociales, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Gallois, mais d’une forme de crédit d’impôt qui est, en fait, un tour de passe-passe budgétaire, puisque l’État crédite les entreprises avec une année de décalage.
À ce stade, permettez-moi de faire deux observations. Premièrement, le CICE est un soutien aux entreprises dont la valeur correspond aux augmentations d’impôts qu’elles ont subies. Deuxièmement, vous baissez les charges sociales par un crédit d’impôt imputé sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu. Avouez que, en termes de simplicité, vous auriez pu faire mieux ! Les entrepreneurs nous le disent et nous le répètent. Ainsi, le patron de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, de mon département et de la Lorraine déclare que « le système est compliqué, il coûte cher en gestion et il n’a pas l’effet qu’aurait pu avoir une simple baisse des charges sociales. »
Aucun cap, une série d’improvisations, une complexité accrue... Ne sommes-nous pas là face à une nouvelle usine à gaz bien éloignée du choc de simplification ?
Examinons maintenant le premier bilan du CICE. Il nous conduit à dresser le constat d’une situation que je qualifierai de mitigée. La montée en charge du dispositif est lente et le décalage avec vos prévisions – oserais-je dire avec vos espoirs ? – est surprenant quand on en fait la mesure objective.
La prévision initiale pour 2013 était de 13 milliards d’euros, et nous devions passer à 20 milliards en 2014. Or, au début du mois de septembre dernier, la consommation constatée était à peine supérieure à 5 milliards d’euros.
Certes, il manque des déclarations d’entreprises en exercice fiscal différé, mais ces dernières sont le plus souvent de petite taille. Le CICE pouvant être utilisé sur trois ans, il faut aussi tenir compte de ce décalage. Cependant, comment expliquer une telle frilosité ? Vous nous dites que le dispositif est – ou serait – encore mal connu. Je veux bien vous accorder encore à cet instant le bénéfice du doute, mais, sachez-le, je ne me fais aucune illusion !
En effet, en écoutant les chefs d’entreprises, on constate qu’ils sont en fait partagés sur la pertinence du CICE et que sa première utilité est de compenser, autant que faire se peut, je le répète, une partie des hausses d’impôts supplémentaires qu’ils ont subies.
C’est aussi une compensation d’autres mesures que vous avez prises et qui ont contribué à augmenter le coût du travail : la réforme des retraites, les hausses de salaires, notamment du SMIC, la suppression des exonérations d’heures supplémentaires, le compte pénibilité...
Surtout, ce dispositif apparaît complexe et le coût de son préfinancement élevé, en particulier pour les très petites entreprises.
Madame la secrétaire d'État, dois-je enfin vous signaler que les chefs d’entreprises craignent, d’une certaine manière, la recrudescence des contrôles fiscaux ou sociaux, comme c’est le cas pour le crédit impôt recherche ?
Si certains entrepreneurs voient, malgré tout, dans le CICE une forme de « bouffée d’oxygène » pour leur trésorerie, on peut d’ores et déjà constater que les objectifs que vous avez assignés au CICE ne sont pas tous atteints, de quelque point de vue que l’on se place : malgré ce dispositif, les marges des entreprises continuent de se détériorer.